n;
iv
f BOUNO AT THE ^
■Hi:iii\ïïiii; i'i!i'»':
L Camp— Karachi. À
^
^
^
4^
^'
^
DUKE
UNIVERSITY
LIBRARY
Treamre 'B^om
UTOPIA
OS/,
V.
^l
\
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
Duke University Libraries
http://www.archive.org/details/lesterresducielvOOflam
<h
%,
■i^.
%
^%.
%.
%
LES
TERRES DU CIEL
ŒUVRES DE CAMILLE FLAMMARION
o u V n A r. E c 0 u n o N s É r a ii l'académie f ii a n (.: a i s t;
ASTRONOMIE rOPULAlRK
Exposition (les grandes déroiivertes île rAstrononiic moderne ; illustrée de 3(50 li-iures, planches
et chromolitlionrapliies, ("0" mille), li fr.
LES ÉTOILES ET LES CURIOSITÉS DU CIEL
Supplément de l' <• Astronomie populaire »
Description complète du Ciel étoile par étoile, constclhitions ; instruments, catiilogues. etc.
Illustré de 100 ligures et cartes célestes. (40' millej. l'i IV.
MES VOYAGES AERIENS
JiMinial de bord de douze vovages en ballon, avec plans topograpliiques. 1 vol. in-18.
" Nouvelle édition. 3 fr. 50.
LA PLURALITÉ DES MONDES HABITÉS
eu point de vue de l'Astronomie, de la Physiologie et de la Philosophie naturelle. 30' édition.
1 vol. in-i-2 avei' figures. 3 fr. 50.
LES MONDES IMAGINAIRES ET LES MONDES RÉELS
Revue des théories humaines sur les habitants des astres. IS" édition.
1 vol. in-l"i avec ligures. 3 fr. 50.
LES MERVEILLES CELESTES
Lectures du soir, pour la jeunesse. Gravures et cartes. (,38' mille). 1 vol. in-12. 2 fr. 25.
PETITE ASTRONOMIE DESCRIPTIVE POUR LES ENFANTS
Ornée de 100 figures. 1 vol. in-12. 1 fr. 25.
HISTOIRE DU CIEL
Histoire populaire de l'Astronomie et des ditîérents svst^mes imaginés pour expliquer l'Univers.
i' édition. 1 vol. gr. in 8° illustré. O'fr.
RECITS DE L'INFINI
Lumcu. — Histoire d'une âme. — Histoire d une comète. — La Vie universelle et éternelle.
8' édition. 1 vol. in 12. 3 fr. 50.
CONTEMPLATIONS SCIENTIFIQUES
Nouvelles étoiles de la Sature et exposition des (vuvres éminentes de la Science contemporaine.
3» édition. 1 vol. in-12. 3 fr. 50
DIEU DANS LA NATURE
le Spiritualisme et le Matérialisme devant la Science moderne. 18' édition. I fort vol. in-12,
avec le portrait de l'auteur, 4 fr.
SIR HUMPIIRY DAVY
LES DERNIERS JOURS D'UN PHILOSOPHE
Entretiens sur la Nature el sur les Sciences. Traduit de l'anglais et annoté. 7' édition française.
1 vol. in-12. 3 tr. 50.
ASTRONOMIE SIDÉRALE : LES ETOILES DOUBLES
Catalogue dts étoiles multiples en mouvement, etc. 1 vol. in-8°. 8 fr.
ETUDES ET LECTURES SUR L'ASTRONOMIE
Ouvrage périodique, exposant les Découvertes de l'Astronomie contemporaine,
les recherches personnelles de l'auteur, etc. 9 vol. in-12. Le vol. 2 fr. 50.
L'ASTRONOMIE
Revui- mensuelle des progrès de la Science. Abouuement : 12 fr. Le n" 1 fr. 20.
\
CAMILLE FLAMMARION
"\
LES
TERRES DU CIEL
VOYAGE ASTRONOMIQUE
s I i;
LES AUTRES MONDES
ET
DESCRIPTION DES CONDITIONS ACTUELLES DE LAViE
SUR LES DIVERSES PLANÈTES DU SYSTÈME SOLAIRE
OUVRAGE ILLUSTRÉ
De Photographies célestes, Vues télescopiques. Cartes et nombreuses Figures
l'AR I'. FOICHÉ, MOTTY, BLA.NAUET. HELLÉ, ETC., ETC.
PARIS
C. MARPON ET K. FLAMMARION
ÉDITEUnS
26, RUE RACLNE. PRÈS L'ODÉON
18S4
(Tous droits réscrvOs,.
LIVRE PREMIER
NOTRE VOISINE LA PLANETE MARS
^> LIVRE PREMIER ^
NOTRE VOISINE LA PLANÈTE MARS
CHAPITRE PREMIER
Voyage interplanétaire : du globe terrestre au globe de Mars
Pendant les douces soirées d'été, en cette heure charmante où la
dernière note de l'oiseau qui s'endort reste suspendue dans les bois,
où les caresses de l'atmosphère parfumée glissent comme un frisson
TERP.KS 1)0 CIEL.
LES TEllUES DU CIEL
à travers le feuillage, où les gloires éteintes du crépuscule ont déjà
fait place aux mystères de la nuit, nous aimons à rêver en contem-
plant la transformation magique du grand spectacle de la Nature, en
assistant à cette glorieuse arrivée des étoiles qui s'allument une à
une dans les vastes cieux, tandis que le Silence étend lentement ses
ailes sur le monde. Jamais l'âme n'est moins seule qu'en ces ins-
tants de solitude. Nulle parole n'est plus éloquente que ce profond
recueillement. Notre pensée s'élève d'elle-même vers ces lointaines
lumières ; elle se sent en communication latente avec ces mondes
inaccessibles. Mars aux rayons ardents, Vénus à la lumière argentée,
Jupiter majestueux, Saturne plus calme, nous apparaissent, non
plus comme des points brillants attachés à la voûte céleste, mais
comme des globes énormes, roulant avec nous dans l'abîme éternel,
et nous savons que l'éclat dont ils resplendissent n'est que le reflet
de la lumière solaire qui les inonde ; nous savons que la Terre
brille de loin comme ces autres planètes, et que, par exemple, elle
éclaire la Lune comme la Lune nous éclaire ; nous savons que ces
autres mondes sont matériels, lourds, obscurs par eux-mêmes; que,
si le Soleil s'éteignait, nous ne les verrions plus; que toute l'illumi-
nation solaire que chaque planète reçoit est condensée en un point, à
cause de l'éloignement qui nous en sépare; nous savons qu'ils gra-
vitent comme nous autour du foyer radieux, à des distances diverses;
qu'ils tournent sur eux-mêmes, ont des jours et des nuits, des
saisons, des calendriers spéciaux ; et nous savons aussi que la Terre
est un astre du Ciel. Mais cette contemplation ne tarde pas à laisser
en nous im certain sentiment de vague mélancolie, parce que nous
nous croyons étrangers à ces mondes où règne une solitude appa-
rente et qui ne peuvent faire naître l'impression immédiate par
laquelle la vie nous rattache à la Terre. Ils planent là-haut
comme des séjours inaccessibles, et parcourent loin de nous le cycle
de leurs destinées inconnues ; ils attirent nos pensées comme un
abîme, mais ils gardent le mot de leur énigme indéchiffrable. Con-
templateurs obscurs d'un univers si grand et si mystérieux, nous
sentons en nous le besoin de peupler ces îles célestes, et, sur ces
plages désespérément désertes et silencieuses, nous cherchons des
regards qui répondent aux nôtres.
11 devait être réservé à l'Astronomie du XIX" siècle de donner un
LES TERRKS DU CIEL
corps aux vagues aspirations dos philosophes du passé, et de répondre
à l'heureuse divination des Pythagore, des Anaxagore, des Xéno-
phane, des Lucrèce, des Plutarque, des Origène, des Cusa, des
Bruno, des Galilée, des Kepler, des Montaigne, des Cyrano,
des Kircher, des Fontenelle, des Huygens, de tous ces penseurs
qui, dans les temps passés, et à des degrés divers, se sont élevés
dans la haute contemplation de la Vérité. A ces noms illustres
devaient se joindre au siècle dernier ceux des philosophes de la
nature : Buffon, Kant, Voltaire, Bailly, d'Alembert, Herschel,
Lalande, Laplace ; glorieuse phalange continuée en notre siècle par
d'éminents esprits, parmi lesquels nous ne pouvons nous empêcher
de signaler les sympathiques figures de sir John Herschel, François
Arago, David Brewster et Jean Picynaud. Oui ! c'est à l'Astronomie
de notre époque qu'il était réservé de couronner le lent et gran-
diose édifice des siècles, par cette doctrine sublime de la Pluralité
des Mondes, qui répand dans l'infini les splendeurs de la vie et de
la pensée, et qui donne un but rationnel cà l'existence de l'Univers.
Le moment est venu de faire un voyage astronomique sur tous ces
mondes extra-terrestres, de réunir en une même synthèse l'ensem-
ble des documents fournis par les merveilleux progrès de la science
contemporaine, et d'exposer en une description spéciale l'état
actuel de nos connaissances sur ces autres « terres du Ciel* » qui
gravitent en même temps que la nôtre, bercées dans l'ondoyante
cadence de l'attraction universelle. Déjà nous avons esquissé les
grandes lignes du tableau général de la création. Dans notre Ast7'0-
nomie jmpulaire, nous avons exposé l'ensemble des théories de la
science sur l'Univers, expliqué les mouvements, les lois, les forces,
qui animent et régissent l'organisation des systèmes suspendus
dans l'espace. Dans le Supplément de cet ouvrage, dans les Étoiles
et les Curiosités du Ciel, nous avons fait connaître les étoiles,
soleils de l'infini, nous avons décrit les constellations, étudié leur
histoire, exposé en un mot les faits de « l'Astronomie sidérale ».
Aujourd'hui notre but est de nous occuper spécialement des planètes,
de donner une exposition descriptive de V Astronomie planétaire,
de développer sous les yeux de nos lecteurs tout ce que nous savons
actuellement sur ces différents mondes qui nous environnent, qui
appartiennent comme nous à la grande famille du Soleil, et qui
LES TKRRES HU CIEL
se présentent à nous comme autant de terres inconnues à découvrir,
comme autant de pays mystérieux à visiter.
L'Astronomie est à la fois la science do l'univers matériel et la
science de l'univers vivant, la science des mondes et la science des
êtres, la science de l'espace et la science du temps, la science de
l'infini et la science de l'éternité. Déchirant le voile antique qui nous
cachait les spk'ndeurs de la création universelle, elle nous montre
dans l'immensité qui s'étend sans bornes tout autour de la Terre,
elle nous montre les mondes succédant aux mondes, les soleils
succédant aux soleils, les univers succédant aux imivers, et
l'espace sans fin peuplé d'astres sans nombre développant jusqu'au
delà des derniers horizons que la pensée puisse concevoir les séries
indéfinies des créations simultanées et successives. L'évidence est
là dans sa vertigineuse grandeur. Ni les timidités des âmes
craintives, ni les sophismes des esprits légers, ni les négations
de ceux qui ne veulent point voir, n'empêchent la Nature d'être et
de rester ce qu'elle est. Le globe que nous haliitons ne constitue
pas à lui seul la création entière, mais ail contraire il n'en est
qu'une partie infiniment petite et un rouage presque insignifiant.
A côté de lui voguent dans l'espace des mondes habités comme
lui. Des millions de systèmes planétaires analogues au nôtre planent
dans l'immensité profonde. Les étoiles ne sont pas fixes ni inaltéra-
bles ; elles marchent, elles volent à travers les cieux avec une vitesse
inimaginable; elles s'associent en systèmes stellaires ; elles sont
accompagnées de planètes qui les dérangent dans leur cours,
chacune d'elles est un soleil, répandant comme le nôtre les radia-
tions fécondes qui sèment la vie dans toutes les régions de l'Univers.
El la Terre n'est qu'un point obscur perdu dans la multitude;
et l'humanité terrestre n'est qu'une des familles innombrables qui
habitent les célestes séjours; et il n'y a d'autre ciel que l'espace
vide dans le sein duquel se meuvent les mondes ; et nous sommes
actuellement dans le ciel, aussi complètement que si nous habi-
tions Jupiter ou Sirius ; et toutes les idées qui ont eu cours jusqu'ici
sur la Création, sur la Terre, sur le Ciel, sur la situation de l'homme
dans la nature et sur nos destinées doivent aujourd'hui subir une
transformation radicale et absolue. Le soleil de l'Astronomie brille
sur nos tètes! La nuit est finie. Il fait jour!
L.\umiii.int avec suiu ia p.aiicto rappiotiu-e, i us-lronoiiii- u.stingue et ue^^in':? les ci iiiinonis , i^s i,\a^es,
les îles de la géographie de Mars . . ,
LES TERRES DU CIEL
Sans doute, il n'y a qu'un très petit nomLiP iriionmics, et même
d'astronomes, qui s'aperçoivent île cette révolution calme et paci-
fique, commencée il y a ])i(MitiH trois siècles par Galilée, et qui
marche à grands pas vers son terme. On vit encore aujourd'hui
comme si le firmament de Josué était toujours fermement étahli
sur nos têtes; et l'on ne sent pas que l'Astronomie, en calculant les
distances des astres, en prédisant leurs mouvements, en découvrant
leur constitution physique et chimitpie, a jeté un lien de secrète
sympathie entre la Terre et ses sœurs de l'infini. Ce n'est plus seu-
lement des masses des corps célestes qu'elle s'occupe aujourd'hui^
la science des Copernic, des Kepler et des Newton ; mais c'est encore
des conditions dans lesquelles la vie doit se trouver à leur surface.
Faisant éclater en morceaux la sphère qui l'étouffait ici-has, la vie
s'est tout d'un coup répandue dans le ciel; en agrandissant l'Univers,
l'Astronomie a agrandi en môme temps la sphère de la vie. Ce ne
sont plus des hlocs inertes roulant inutilement dans l'espace que la
science pèse aujourd'hui; ce n'est plus un désert infini se déroulant
en silence dans la nuit étoilée que le doigt d'Uranie nous montre à
travers l'immensité; c'est la vie, l\ Vie universelle, éternelle, agi-
tant les atomes sur tous les globes, palpitant dans les ondulations
de la lumière, rayonnant autour de tous les soleils, s'infiltrant
dans les atmosphères tièdes et lumineuses, faisant entendre ses
chants divins sur toutes les sphères, et vibrant à travers l'infini dans
les accords multipliés d'une harmonie immense et inextinguible !
Si donc, dans l'ensemble de toutes les sciences, quelque sujet est
particulièrement digne d'être étudié par nous, c'est sans contredit
celui qui nous occupe ici, car cette étude n'est autre que l'étude
intégrale de l'Univers. La synthèse astronomique embrasse tout; en
dehors d'elle il n'y a rien; à côté d'elle il y a... l'erreur. Où sommes-
nous? Sur quoi marchons-nous ? En quel lieu vivons-nous? Qu'est-
ce que la Terre? Quelle place occupons-nous dans l'infini ? D'où
venons-nous et où allons-nous? — Qui pourrait nous répondre, si
l'Astronomie se taisait ?
Quel que soit le sentiment que chacun de nous garde en sa
■conscience sur le problème de la vie actuelle et sur celui de l'immor-
talité, l'Astronomie se place au-dessus de toutes les autres sciences
par son intérêt direct, par son importance et par sa grandeur.
LKS TKlilSKS Dr Cl KL
Cette thèse, je l'ai soutenue avec l'ardeur d'une conviction innée
dès la première œuvre que j'ai osé publier sur cette science suliliine,
lorsqu'il y a bii'uli'it un ijuart de siècle j'écrivis la l'Iitra/i/é (/es
mondes habités. Depuis vingt-cinq ans, des progrès tout à fait
inattendus ont illustré l'Astronomie physique. La thèse proposée
dans «la Pluralité des mondes habités » peut maintenant être gran-
dement développée et absolument confirmée. Tel est le but de ce
livre-ci. Nous ne considérons plus seulement aujourd'luii la doctrine
de l'existence de la vie en dehors de la Terre dans son caractère
général et philosophique, mais nous pouvons pénétrer dans les
détails, prendre les preuves en mains, nous arrêter sur chaque pla-
nète, et constater les témoignages irrécusables de l'existence de la
vie à leur surface. Ce livre est donc, répétons-le, un traité descriptif
iVAs/ro)iomie planétaire. On y essaye, pour la première fois, une
description détaillée de chacune des planètes qui accompagnent la
Terre dans le système solaire, un exposé aussi complet que possible
de leur état climatologique, météorologique, et même géographique,
c'est-à-dire de leur situation organique comme séjours d'habitation.
Le progrès accompli en ces dernières années par l'Astronomie est
en effet considérable, et à cet égard les tendances de la science ont
véritablement changé de face. Alors, il faut bien le dire, les savants
qui partageaient mes convictions et mes espérances n'étaient qu'en
faible minorité : l'Astronomie mathématique dominait et éclipsait
si complètement l'Astronomie physique, que celle-ci s(>mblait
végéter comme la violette à l'ombre au pied du grand cliènc ; le
ciel n'était qu'une page de chillïes, et les aspirations de l'âme
humaine vers les mondes célestes, qui commençaient à se révéler,
étaient taxées de rêveries et d'inutilités. Aujourd'hui, l'esprit scien-
tifique a subi la plus complète métamorphose. Le parfum de la
violette a fait arrêter l'observateur dans sa marche jusqu'alors
indifférente, et l'Astronomie physique a doucement attiré l'atten-
tion sympathique du penseur. Des astronomes habiles se sont
révélés; une nouvelle science, l'analyse spectrale, est née, comme
Minerve, tout armée pour d'étonnantes conquêtes; des instruments
nouveaux ont été inventés suintement; des observatoires exclusive-
ment consacrés à l'Astronomie pliysiqueont été fondés en France, en
Angleterre, en Italie, en Allemagne, en Autriche, en I5(dgique, en
LES T EUR ES bV CIEL
Amérique, sur lo glulic tuut entier; de puisrianles lunettes et d'iin-
menses télescopes ont été construits, et un graml nombre d'uhser-
vateurs se sont mis à étudier avec persévérance la constitution phy-
sique du Soleil, de la Lune, des planètes, des comètes et des étoiles.
Grâce aux progrés accomplis, l'astronome se consacre aujourd'hui
fructueusement à la plus intéressante des études : examinant avec
soin la planète rapprochée, il distingue les détails caractéristiques
des autres mondes; il dessine les continents, les rivages, les iles de
la géographie de Mars;... ce n'est pas sans émotion que nous avons
. La ToiTO csl l'une des plus petites planètes de notre système . . .
reçu l'année dernière la carte géographique des singuliers canaux
nouvellement découverts sur cette patrie voisine.
Quelles énigmes tiennent en réserve ces points d'interrogation
suspendus sur nos tètes? Au sein du recueillement profond et du calme
silence des nuits étoilées, notre pensée curieuse s'envole vers ces
îles de lumière pour leur demander leurs secrets. Nous croyons
qu'elles nous voient, qu'elles nous entendent; et nous les prenons
à témoin de nos serments. Mais l'Astronomie nous a fait connaître
leurs distances, nous a montré en elles des soleils et des planètes,
et nous a appris que ces planètes sont des terres analogues à la nôtre.
Oui, des TERRES, vastes, immenses, formées de matériaux lourds
et obscurs; des terres dont le sol est composé d'argile comme le
nôtre, et dont les terrains, variés comme ceux de notre propre
. .. Nous las prenons U ti-muin da nos sormt^nts.
TKKP.js iir riKL
LES TERRES DU CIEL
glpbftv formeatides mcaitagaes et\xi^ -vaUéesj.^ deb pl|aleaiix et des
plaines;.- .qmiiserv.eu't dé lieroeaux aux paysages qMi^s'y succèdent de
siéck'iea siècle. Ces terres sont lourdes comme lai, uô.tre, et roulent
coiame. .elle, dans l'esi^acc indéfini qui n'a ni haut. ni bas, ni direc-
tion'ni. mesure. Elles ne sont douées d'aucune lumière propre, et ne
paraissent brillaulcs que parce que le Soleil les éL-laire comme il
éclaire la ïerrii, et que l'éloignement rapetissant leur disque, toute
la lumière de midi qui les inonde est condensée en un seul point.
De même la Terre brille de loin dans l'espace, présente des phases
comme la Lime, jVlercure, Vénus, Mars, nous, en offrent, et plane,
brillaute étoile, daus le ciel des autres mondes.
Quelles .choses,.- .quels êtres, les forces delà féconde Nature ont-
elles ■.■eiafauté.s sur cesmoud.es différents du nôtre?... Ici, dans tel
étatidditeaoapérature,' de: lumière, d'air, d'humidité,, de combinaisons
chimiques,, de densité, de pesanteur, de temps, de jours, d'années,
la:jaatm'o a produit les choses et les êtres qui nous environnent, en
nwDidiliaut d'ailleurs ses œuvres et ses spectacles .-suivant les siècles
etsiiivaut les conditions changeantes de; la' planète elle-même.
Oqt'îest-ce (.qweiicesmèmes foïoes ont enfanté sar. les autres terres du
ciel?. AUimilien des conditions si variées qui distinguent Mercure de
Nèpt|Une, Saturne, de la Terre, Mars d'Uranus ou Jupiter de Vénus,
quels élémeiats auront prédominé sur l'une et sur l'autre ? A quelles
foiVmes biizarx'jRs, ii.quels.-iHres fantastiques,- les -expansions de la
puissiHiGe- créatricce n'aurontrellès -pqis -domné naissance? Quel est
ra.six?ct organique de cGsniond:és? La Vénos: iiOiUentoie est mons-
trueuse pour nonsj-et pourtant; eatrDl'Em'ope. et l'Afrique, il n'y a
qu'iune simplja'difféîen'eetddiaï.ititàelrOijiellfe.n 'est-pas la variété, la
bizarrerie, rîneûkét'enceiipparQntp des formes vivantes appartenant
aux différents globes dé noLvu systémeiMil si-fflOiUS-jious. transportions
de notre famille solaire dans Gellesde!.Siï'ius!,.-dé..V6ga, d'Aldébaran,
d'Antarés, ou de Castor, combien natre^ voyage ne serait-il pas
incomparablement plus prodigieux et plus fantastique que tous ceux
du Dante, de l'Arioste, du Tasse, de Milton et de Swift réunis !
Là brille un auti'e soleil,. là descend du ciel une autre lumière, là
souftléun air qui n'est point tea'restre; là fleurissent des plantes qui
ne sont point des plantes, là coulent des eaux qui ne sont pas des
eaux ; là reposent des paysages, des lacs, des forêts, des mers, que
i.i;s Ti:nuEs du ciel
nos yeux n'ont point vus, ot qu'ils ne pourraient point reconnaître.
Et pourtant le téieseope y conduit nos regards terrestres; et pourtant
nos àuies s'y transportent, malgré les millions et les milliards de
lieues cpii nous en séparent; et pourtant l'analyse spectrale découvre
la constitution chimique des matériaux qui composent ces mondes
perdus dans l'infini !
Qu'est-ce que la Terre? Une planète du système solaire, et l'une
des plus médiocres: un habitant de Jupiter ou de Saturne ne la
regarderait qu'avec dédain, et, d'ailleurs, vue de ces mondes gigan-
tesques, qui gravitent à 155 et 318 millions do lieues de notre orbite.
£.tt
Les autres planeles sont di!S terres, variées comme notre plobc, montrant des continents ot des mers. . -
(FBACMEST de la GEOGRAniIE DE MARS : nÉCIONS KQl"ATOI\IALES )
notre île flottante n'est qu'un point. Qu'est-ce que tout notre système
planétaire, y compris la Terre et ses destinées? C'est un chapitre, un
feuillet, une page du grand livre de l'Univers : des millions et des
millions do soleils plus magnifiques et plus riches que le nôtre
remplissent l'immensité. Et qu'est-ce que tout cet ensemble
d'étoiles, tout l'univers que nous connaissons, au milieu de l'in-
fini? C'est un nid perdu dans une forêt, une fourmilliére dans une
campagne. Cherchez la Terre : vous ne la trouvez plus.
L'antique erreur de l'immoijilité de la Terre supposée fixe au
centre du monde s'est perpétuée, mille fois plus extravagante, dans
cette causalité finale mal enteudue dont la prétention (>st de s'obsti-
1.ES TERRKS DU (.lEL
tiiun- à placer notre globe au premier rang des corjjs célestes. Notre
planète n'a reçu de la nature aucun privilège spécial. Nous nous ima-
ginons naïvement que, parce que nous sommes ici, notre pays doit
être supérieur en essence à toutes les autres contrées de l'Univers:
c'est Icà un patriotisme de clocher, enfantin, puéril, sans excuses.
Si demain matin nul de nous ne se réveillait, et si les quinze cent
millions d'humains qui s'agitent en ce moment tout autour de notre
mondicule s'endormaient du dernier sommeil, cette fin du monde
terrestre, cette disparition de la race humaine, n'apporterait pas la
plus légère perturbation dans le cours des cieux; elle passerait
inaperçue dans l'inexorable mouvement des choses, et, sans contre-
dit, chez nos plus proches voisins, les habitants de Mars et de
Venus... les valeurs de la Bourse n'en baisseraient pas d'un
centime !
On rencontre encore aujourd'hui certains esprits, et même des
esprits éclairés, qui, tout en reconnaissant que la Terre est un
astre insignifiant dans l'ensemble de l'Univers, s'imaginent néan-
moins que la vie n'existe qu'ici, et que les millions de milliards de
mondes qui peuvent graviter dans l'immensité infinie doivent être
inhabités, parce qu'ils ne nous ressemblent pas, parce qu'ils ne
sont pas identiques à notre fourmillière !
Le bon vieux Plutarque raisonnait mieux mille ans avant Tin-
vention du télescope et du microscope. « Si nous ne pouvions
approcher de la mer, dit-il dans son intéressant petit Traité sur la
Lune (De facie in orbe Lun.e), et si, la voyant seulement de loin,
nous savions que l'eau en est amère et salée, nous prendrions pour
un visionnaire, nous contant des fables dénuées de toute vraisem-
blance, celui qui viendrait nous assurer qu'elle est habitée par
toutes sortes d'animaux qui vivent dans ce lourd élément aussi
confortablement que nous dans l'air léger. Telle est précisément
notre situation d'esprit lorsque nous soutenons que la Lune n'est
pas habitée parce qu'elle ne nous ressemble pas. S'il y a là des
habitants, il ne doivent pas admettre à leur tour que la Terre puisse
être peuplée, enveloppée comme elle l'est de brouillards, de nuages
et de lourdes vapeurs, et ils croient sans doute que c'est là l'enfer. »
A notre époque scientifique, les raisonnements contre lesquels
s'élève Plutarque sont moins excusables que de son temps : la Science
Vue ilp Mars, di's le coucher du snicil. la Terre brille rl:ins le ciel comme noe éloile
LES TERRICS DU CIEI.
tout entière s'élève de toutes parts pour en proclamer l'insuffisance.
Il y a quelques années encore, les naiuralistes à courte vue ne
déclaraient-ils pas que la vie est impossible au fond des mers^ parce
que la pression y est si énorme qu'elle écraserait les êtres; parce
que, en cette perpétuelle obscurité, l'assimilation du carbone est
interdite, et pour cent autres bcmnes petites raisons. Des savants
moins siirs d'eux-mêmes, et plus curieux, ont l'idée de vérifier : on
jette la sonde, et l'on ramène... des merveilles! des êtres si délicats,
si frêles, si ravissants, que, sous cette effroyable pression, ils res-
semblent à des papillons se jouant au milieu des fleurs! Il n'y a pas
de lumière : i-»3 en fabriquent! et sont phosphorescents. Le monde
de la mer est déjà tout différent du nôtre. Jamais un démenti plus
formel n'a été donné aux esprits étroits qui ne veulent pas — ou ne
peuvent pas — élargir le cende de l'observation immédiate, et qui
s'imaginent, selon la parole de saint Augustin, enfermer l'océan
dans une coquille de noix.
Notre planète nous apparaît comme une coupe trop étroite pour
contenir la vie, laquelle se manifeste dans toutes les conditions
imaginables et inimaginables, et se développe, à ses propres détri-
ments, en vie parasitaire multipliée. Le sol, les eaux, les airs, tout
est plein d'êtres, d'embryons, de germes, de fécondité. La vie-
déborde littéralement de toutes parts, et elle transforme ses mani-
festations suivant les temps et suivant les lieux. Il y eut une époque
sur la Terre où le sol, l'atmosphère, la température, les climats,
les conditions organiques générales, étaient bien différents de ce
qui existe aujourd'hui. Alors les êtres vivants étaient aussi tout
différents de ce qu'ils sont. Ressuscitez le monde informe des igua-
nodons, des ichthyosaures, des plésiosaures, de l'archéoptérix, du
ptérodactyle, et voyez quelle singulière figure feraient ces monstres
antédiluviens dépaysés sur nos continents pacifiques, au milieu de
nos calmes paysages illuminés de la transparente lumière d'un ciel
d'azur! Enfants du globe primitif, ces colosses à la puissante
armure respiraient une atmosphère mortelle pour nous, les échos
retentissaient de leurs rugissements, et les flots agités des mers
vomissaient, les uiDUstrueuses épaves de leurs titanesques combats;
les témoins comme les acteurs étaient appropriés à la scène sauvage
des siècles primordiaux. Au milieu de ces commotions violentes,.
I.KS TKllKKS nu CI Kl,
l;i douce sensitive fût morte de frayeur, le rossignol eût senti les
perles de sa voix étouffées dans sa gorge, et jamais Eve n'eût osé
s'asseoir, nonchalante et rêveuse, sur la mousse des bosquets en
fleurs. La Terre actuelle est une planète toute différente de la Terre
de l'époque houillère. La nature, puissante et féconde, produit des
■-(Buvres adaptées aux milieux changeants, et organisées pour ainsi
dire par ces millieux eux-mêmes. Si nous pouvions renaître dans un
million d'années, non seulement nous chercherions en vain les
nations qui existent actuelhnnent, car il n'y aura plus alors ni Fran-
çais, ni Anglais, ni Allemands, ni Espagnols, ni Italiens, ni Euro-
péens, ni Américains; mais encore, nous ne reconnaîtrions même
pas notre type humain actuel dans nos successeurs sur la scène du
monde. De siècle en siècle, d'âge en âge, tout se transforme, tout se
métamorphose.
Pour juger sainement, il faut nous affranchir de tout préjugé
terrestre, avoir l'esprit dégagé des choses immédiates, oulilicr notre
berceau, et arriver devant le concert des mondes comme si nous
■descendions de Saturne, d'Uranus, ou d'une province quelconque
du Ciel
Si notre esprit développé par les nobles contemplations de la
Science veut embrasser l'Univers sous son véritable aspect, nous
devons songer d'une part, que la Terre où nous sommes et l'huma-
nité qui l'habite ne sont pas 1(> type de la création, et, d'autre part,
cpu^ notre époque n'a pas l'importance spéciale que nous lui attri-
buons, — et il y a encore ici un jjréjugé inné dont il est difficile de
s'affranchir. Nous oublions, en effet, le passé et l'avenir pour le
présent qui nous intéresse personnellement, et lorsque notre pensée
s'envole vers les sphères célestes pour les peupler d'êtres variés
disséminant la vie sur toutes les plages de l'infini, nous avons une
tendance à appliquer nos raisonnements à l'époque actuelle. C'est
encore là un jugement à courte vue. Dans l'éternité, notre époque
passe comme une ombre transitoire, de même que dans l'infini
l'étendue de notre patrie terrestre disparait comme une goutte d'eau
au sein de l'océan. La Terre a été pendant des millions d'années sans
être habitée,, et le jour viendra où la dernière famille humaine
s'étant endormie dans les glaces du refroidissement définitif, le
globe terrestre roulera dans l'espace comme un sépulcre sans épita-
LES TERKES DU CIEI,
plie et sans histoire. Avant l'existence du premier homme sur la
Terre, les étoiles brillaient au Ciel comme aujourd'hui, et déjà,
depuis bien des siècles de siècles, les soleils radieux de l'immensité
sans bornes illuminaient et régissaient les humanités sidérales
gravitant dans leur rayonnement. Après le dernier soupir du dernier
homme, les mondes continueront de circuler dans la joyeuse et
féconde lumière des soleils de l'avenir. Lors donc que nous saluons
la vie universelle dans l'infini, nous devons associer à cette idée celle
de la vie s'étendant le long des âges passés et futurs, et c'est seule-
ment éclairée par cette double lumière que notre contemplation de
la nature peut être adéquate à la réalité. Ainsi, dans notre propre
système planétaire, tandis que Mars et Vénus se présentent à nous
comme actuellement habitables, Jupiter nous apparaît comme
arrivant seulement à la genèse des époques primordiales de la vie,
et la Lune, au contraire, comme atteignant déjà sans doute les
derniers jours de son histoire. Ici des nébuleuses sont eu turmatiim,
là des mondes s'écroulent dans la décadence et l'agonie.
Dans la description des autres mondes que nous entreprenons
aujourd'hui, nous suivrons un ordre plutôt naturel que techni-
«pie. Comme il ne s'agit pas ici d'un traité de cosmograpliie, nous
ne nous astreindrons pas à commencer notre étude par le Soleil,
(•(^ntre, foyer du système du monde, et à décrire les planètes dans
l'ordre de leurs distances à cet astre illuminateur. Notre voyage sera
plus pittoresque. Nous commencerons, tout naturellement, par la
terre céleste que sa proximité et sa situation favorable pour nos
observations nous ont fait le mieux connaître, par notre coisinr
la planète Mars, dont nous connaissons déjà la j)hysiologie géné-
rale, les saisons, les climats, la météorologie, la géographie même ;
— sur LKjuelle nous observons des continents et des mers analo-
gues à ctnix qui diversifient la géographie terrestre; — sur laquelle
nous distinguons même les embouchures des grands fleuves, les
rivages méditerranéens où voltigent les nuages; — sur laquelle
nous pourrions déjà choisir les pays qu'il est le plus agréable d'ha-
biter à cause de la pureté de leur ciel et de la tranquillité de leur
atmosphère, — sur laquelle bientôt peut-être nous reconnaî-
trons des traces indiscutables de civilisation;... oui, nous com-
mencerons notre voyage par cette natrie voisine que le lél(>s(;opo
Le monde Je I,i mer est di-jj loul ditïi'Tent du n.dr
TERRES DD CIBL.
LES TERRES DU CIEI.
met aujourd'hui à la portée de notre main et qui, la première, vient
nous prouver que la doctrine de la pluralité des mondes n'est ni une
chimère ni une utopie, mais qu'elle est l'expression de l'une des plus
grandioses, des plus magnifiques vérités enseignées par la Nature.
Mais en même temps que ce voyage sera pittoresque, il doit être
instructifet laisser dans nos esprits des notions scientifiques précises.
Aussi ne décrirons-nous aucune planète sans faire connaître tout
d'abord sa position dans le système du monde, sans tracer le plan de
notre voyage uranographique. 11 importe poumons de ne pas imiter
^^^^«-^Î^'-Ptox^e,,^
Fig. 8. — Plan du système solaire pour les planètes les plus proclies du Soleil.
(Échelle : 1°"° = 2 millions de lieues.)
ces voyageurs indifférents qui vont, par exemple, visiter l'Italie sans
cartes et qui, lorsqu'ils s'arrêtent à Milan, à Venise, à Florence, à
Rome, à Naples, ne savent même pas oii ils sont et perdent ainsi
volontairement les trois quarts des jouissances intellectuelles (jui ac-
compagnent un voyage bien compris dans son ensemble et dans ses
détails. Aussi, avant même de nous arrêter sur la planète que nous
allons visiter, devons-nous commencer par nous rendre exactement
compte de sa situation relativement à l'île céleste que nous habitons.
Tout le monde sait que la Terre où nous sommes est la troisième
des planètes qui circulent autour du Soleil; que sa distance à cet
astre est, en moyenne, de 148 millions de kilomètres ou 37
LES TEnUK.S Di: (,IKL
millions (le li(>ues, cl qu'elle parcourt sa révolution ;uinuollo autour
do lui eu ;{Gô jours, G heures. (Voyez plus haut le petit [ilan (fig. 8),
traeé à récliell(> de I millimètre pour -i uiilliuns de lieues.)
La planète Mars est la quatrième planète. Elle vient immédiate-
ment après nous dans l'ordre des distances à l'astre illuminateur,
et circule également autour de cet astre, à la distance moyenne de
525 millions de kilomètres oudeSG millions de lieues, en une révo-
lution annuelle qu'elle emploie 687 jours à accomplir.
Fig. 9. —Rapports entre l'urbite do Mars et celle de la Terre,
Il en résulte (pi'entre la route suivie par la Terre autour du Soleil
et la route suivie par Mars, il y a une distance moyenne de 77
millions de kilomètres, ou 19 millions de lieues.
Remarquons maintenant que les orbites décrites autour du Soleil
par Mars comme par la Terre ne sont pas tout à fait circulaires. Klles
sont un peu ovales, ou pour mieux dire, elliptiques, de sorte que l'in-
tervalle qui les sépare varie sensiblement d'un point à un autre. Cet
intervalle, qui est en moyenne de 19 millions de lieues, est, en cer-
tains points, diminué jusqu'à 1 '», c'est-à-dire à 56 raillions de kilomè-
LES TEItUES UU CIEL
très. (On se rendra bien ronipto do cet élal de clinses par l'examen de
notre fig. 9j.
La planète Mars se trouve donc de temps en temps à cette distance
relativement faible — astronomiquement parlant — Et comme alors
précisément la Terre passe entre elle et le Soleil, nous la voyons
éclairée en plein et brillant dans le ciel de minuit avec l'éclat
d'une magnifique étoile de première grandeur. Elle n'a par elle-
même aucune lumière. Mais elle est illuminée par le Soleil, et
comme sa surface entière éclairée est rapetissée par la distance à la
dimension d'un simple point, toute cette lumière reçue du Soleil
est par cela même condensée en un point minuscule, de sorte que la
planète brille poumons à l'œil nu comme une étoile.
Mais si nous l'observons à l'aide d'un instrument d'optique, ce
point lumineux devient un disque de dimensions sensibles qui
d'abord, pour nous servir d'une expression familière, ressemblera à
un pain à cacheter. Si nous employons un instrument plus puissant,
les dimensions augmenteront en proportion du pouvoir amplifiant
du télescope. La vivacité de l'éclat lumineux de la planète diminue
dans la môme proportion. Si l'instrument est assez puissant, on re-
marque d'abord des taches blanches marquant juste la place des pôles ;
ensuite on distingue des taches grises sur un fond jaune, etréclairc-
ment général de ces aspects géographiques ne paraît pas supérieur
à celui des paysages terrestres éclairés par une belle journée d'été.
Mais abordons sans tarder siu" cette patrie voisine. Nous avons dit
qu'aux époques de ses plus faibles distances, elle passe à 56 millions
de kilomètres d'ici. Un train express qui court à la vitesse régulière
(le 1 kilomètre par minute, emploierait par conséquent 56 millions
de minutes pour y arriver. Ce serait un peu long, car en partant
aujourd'hui nous n'arriverions que dans 1095 ans... Nous serions
tous trop âgés pour jouir du voyage. — Un boulet de canon vole plus
vite : supposons-nous emportés vers Mars avec sa vitesse de 50U
mètres par seconde ou 30000 mètres par minute. Cette vitesse étant
trente fois plus rapide que la précédente, nous arriverions dans
36 ans. C'est encore trop long. — Choisissons plutôt la vitesse d'un
rayon de lumière : 300000 kilomètres par seconde! Voilà Mars qui
brille dans le ciel, bien reconnaisable à la coloration rougoàtre de sa
lumière. Partons ! . . . En trois minutes nous sommes arrivés.
CHAPITRE II
Les analogies de Mars avec la Terre. — La géographie de Mars.
En abordant sur ce nouveau monde, la première impression res-
sentie par notre âme n'est pas une impression étrangère à celle que
les spectacles de la nature terrestre nous imposent. Nous nous
trouvons transportés sur un globe singulièrement analogue au
nôtre. Les bords de la mer y reçoivent comme ici la plainte éternelle
(les flots qui se brisent en s'éteignant sur le rivage; car là, comme
ici, le souffle des vents ride la surface de l'eau et donne naissance
aux vagues qui se succèdent et retombent. Si le ciel est pur et l'atmo-
sphère calme, le miroir des eaux reflète comme ici le soleil éblouis-
sant et le ciel lumineux; et sans la coloration spéciale et la forme
étrange des plantes, nous pourrions nous imaginer facilement nous
retrouver sur les bords de la Méditerranée ou devant un lac do la
douce Helvétie. Les Alpes couronnées de neiges perpétuelles ne
manquent pas à l'analogie du tableau; ni les montagnes; ni les
vallées; ni les cascades argentées; ni le bruit lointain du vent dans
les campagnes; ni la tiède chaleur du soleil printanier; ni la succes-
sion lente des heures du jour; ni le bonheur de se sentir vivre au
sein d'une nature calme et bienveillante. Le villageois européen qui,
jeté par le flot de l'émigration sur les rives de l'Australie, se réveille
un beau jour au milieu d'un pays inconnu, où le sol, les arbres,
les animaux, les saisons, le cours du Soleil et de la Lune, sont d'un
aspect tout différent de ce qu'il a vu jusqu'alors dans son pays
LA PLANÈTE MAHS
natal, n'est pas luoiiis surpris ai muins dépaysé quo nous nv le
sommes lîn arrivant sur la plauèle Mars. Se transporter de la Tcito
sur Mars, c'est simplement chauj-'or de latitude.
Lorsque nous considérons avec attention ce monde voisin, nous
ne pouvons nous empêcher d'être tout d'abord frappés par certaines
analogies remarquables qui nous font immédiatement songer à
notre propre habitation terrestre. Et d'abord, cette planète se
montre à nous environnée d'une atmosphère assez épaisse pour
absorber une grande quantité de lumière, rendre ses aspects géogra-
phiques invisibles pour nous lorsqu'ils arrivent aux bords du disque,
cl atténuer considérablemeul l'iuLensité de la coloration rougeàtrc-
(le ses continents. Cette atmosphère contient comme la nôtre do la
vapeur d'eau en suspension : l'analyse spectrale le démontre d'une
part, et d'autre part les neiges polaires que nous apercevons d'ici,
et qui varient d'étendue suivant les saisons, ne pourraient ni se
former, ni se fnmlre, ni s'évaporer, si l'eau ne remplissait pas sur
cette planète lui n'ile analogue à celui (pi'elle joue dans notre propre
météorologie.
Le partage de la siu-lace du sol en régions claires et foncées con-
duit, d'autre part encore, à conclure que les régions sombres nous
représentent des étendues d'eau qui absorbent la lumière, tandis
que les continents la réfléchissent. Ces étendues d'eau sont, comme
nous le verrons plus loin , variables elles-mêmes, suivant les sai-
sons.
Quant à ces saisons, elles ont précisément la même intensité que
les nôtres, car l'inclinaison de l'axe de rotation du globe de Mars-
est à peu près la même que celle de notre propre planète. L'année,
toutefois, y étant près de deux fois plus longue que la nôtre (elle
dure 687 jours terrestres), les saisons y sont également prés de deux
fois plus longues et durent prés de six mois chacune; toutefois elles
sont plus inégales qu'ici. Le jour martien est un peu plus long que
le j(jur terrestre; la durée précise de la rotation de la planète autour
de son axe est aujourd'hui connue à moins d'une seconde près : elle
est de 2't heures 37 minutes '23 secondes.
Il y a beaucoup moins de nuages sur Mars que sur la Terre. II
s'en forme fort rarement dans les régions équatoriales, et c'est
surtout vers les régions polaires qu'ils se condensent. Toutefois,.
I.A PLANÈTE MARS
Tapparition, la dispai'ilinn, le driihieemcnt, sur fcrtaiiios coiilivcs,
«L parfois môinc jusqu'à l'Equateur, de taches blanches rivalisanl
d'éclat avec les neiges polaires, signalent la formation de ])rouil-
lards et de nuages qui nous apparaissent vus d'en haul, cMuimi'
lorsque nous les observons en ballon, d'une éclatante blancheur,
parce que leur surface supérieure réfléchit la lumière solaire avec
autant d'intensité que la neige fraîchement tombée.
Ces nuages comme les nôtres, se résolvent en pluies, qui donnent
naissance à des sources, à des rivières et à des fleuves.
Les neiges polaires varient considérablement d'étendue suivant
les saisons. Toutes les observations s'accordent pour établir qu'elles
attiMgnent leur maximum après l'hiver de l'hémisphère auquel idh^s
appartiennent, et leur minimum après l'été. La variation d'étemliie
est plus grande au pôle sud (pi'au pôle nord, ce qui concorde avec
IVlTet de l'excentricité de l'orbite, qui donne à l'hémisphère austral
dt^ saisons plus marquées qu'à l'hémisphère boréal. C'est ce qui
arrive aussi pour notre yiropre globe.
De même que sur notre planète, le centre du froid ne coïncide
pas avec le pôle géographique, mais en est éloigné de 5° à 6°. Pendant
les observations de 1877 et 1870, le pôle sud est resté plusieurs
st^maines complètement découvert. Comme sur la Terre aussi, ces
n'^ions polaires sont occupées par des mers.
Ce sont là les principales analogies que la planète Mars présente
avec le monde (pie nous habitons. Pour tout esprit impartial,
affranchi des préjugés terrestres dont nous parlions tout à l'heure,
la logique rationnelle va un peu plus loin que les yeux : notre pensée
pénétrante devine, sent, perçoit que les forces de la nature n'ont pu
rester inactives, n'ont pu être frappées dans leur œuvre par un
miracle permanent de stérilisation. Là comme ici, en effet, il y a
des jours et des nuits, des matins et des soirs, des rayons de soleil
ot des ombres, des heures lumineuses et des jours couverts, des
nuages et des pluies, des terres et des eaux, des printemps et des
hivers, des tempêtes et des calmes, des paysages gracieux et des
steppes improductives. Là comme ici le vent mugit dans les falaises,
souffle à travers les bois, glisse sur l'onduleuse prairie; là comme
ici l'arc-en-ciel succède à l'oi-age, les parfums des fleurs imprègnent
.^'atmosphère, et sans doute aussi, là comme ici, le printemps peuple
LA PLANfcTE MAliS
les bois de nids ot do diansons. N'est-il pas naturel de songer à
ces heures charmantes du soir dont nous parlions dés la première
page de cet ouvrage, heures qui rrpaudrnt la rêverie sur Mars
comme sur la Terre ! De là, nous brillons au Ciel comme Vrnus brille
pour nous. N'est-il pas naturel de nous demander s'il y a là des êtres
qui nous contemplent, des humains, des frères qui peut-être
connaissent mieux notre patrie que nous ne connaissons la leur, des
intelligences douées de facultés analogues ou supérieures aux nù-
trcs?... Gomment regarder ces continents et ces mers sans penser aux
habitants ? Comment ne pas songer à ces rivages, à ces embou-
chures, à ces havres, à ces plaines, à ces campagnes, et ne pas imagi-
ner qu'il puisse exister là aussi des oasis, des hameaux solitaires, des
villages paisibles, des cités populeuses, des capitales glorieuses, des
travaux industriels, des œuvres d'art et tous les produits d'une
civilisation séculaire? Sans doute, certainement même, les formes
des êtres vivants ne doivent point ressembler à celles des enfants de
notre planète. Mais, sous des manifestations différentes des manifes-
tations terrestres, la perpétuelle adolescente, la divine Nature, jeune
et intarissable mère des êtres et des choses, a donné le jour à des
productions vivantes dont l'organisation est adaptée aux conditions
vitales inhérentes à ce séjour.
Avant d'entrer dans les détails de la constitution physique spéciale
de ce monde voisin, étudions d'abord sa géographie, au point oii
les dernières découvertes télescopiques nous conduisent aujdurd'luii.
On peut se demander d'abord de quelle grandeur apparente se pré-
sente à nous le globe de Mars. En ses époques de plus grand rappro-
chement, il peut atteindre un diamètre de 30". Comparativement
à la pleine lune, dont le disque mesure 31 '24", c'est un diamètre
63 fois moindre. (En représentant la Lune par un disque de 63 centi-
mètres de largeur. Mars serait figuré par un disque de 1 centimètre.)
Il en résulte qu'une lunette grossissant seulement 63 fois, nous
montre le globe de Mars de la même grosseur que nous voyons la
Lune à l'œil nu. C'est déjà suffisant pour distinguer ses neiges
polaires, aux époques d'excellente visibilité.
Un télescope armé d'un grossissement dix fois plus fort, ou de
630 fois, montre Mars dix fois .plus large en diamètre, ou cent fois
plus étendu en surface, que nous ne voyons la Lune à l'œil nu. La
LA PLANÈTE MARS
plupart des grands instruments dont on s'est servi pour l'étude de
cette planète supportent des grossissements de cet ordre-là. On a
même employé parfois des oculaires amplifiant 1000 et 1200 fois
l'image de l'astre. Avec ces pouvoirs amplificateurs, les mers, les
continents, les golfes, les configurations géographiques, en général,
sont parfaitement visibles. Mais ce que les observateurs recherchent
le plus, ce n'est pas tant ragrandissemcut i[ur la netteté des images.
I-'ig. 10. — Aspect tL'Icscopiqiie de la planète Mars, dans un instr
(ePOQOE de 7EASE MARQDËE).
l'nt do moyenne puissance.
Aussi est-il important d'appliiiuor à crtte éfudo d(>s lunettes ou des
télescopes de 20 à 25 centimètres de diamètre au. moins.
Ou peut se former une idée de l'aspect de la planète dans un
instrument de moyenne puissance par la gravure ci-dessus {/ùj. 10),
qui reproduit l'un des dessins que j'ai pris pendant la période
particulièrement favorable de l'année 1877. L'instrument employé
est un télescope Foucault de 20 centimètres armé d'un grossissement
de 240 fois; l'observation est du 30 juillet 1877, à II"" du soir, un
mois environ avant que la planète passât juste derrière nous relati-
vement au Soleil, ce qui fait qu'elle n'est pas tout à fait ronde et
montre une phase sensible. On remarque dès le premier coup d'œil
une énorme tache blanche ovale : c'est la calotte polaire neigeuse ;
en août, septembre, octobre, elle a jjeaucoup diminué de grandeur
TERRES DU CIKL.
1.A PLANÈTE MARS
par suite de la fonte des neiges. On distingue ensuite, descendant le
long du méridien central, une tache grise triangulaire : c'est une
mer à laquelle on a donné le nom de « mer du Sablier » . Les autres
configurations sont plus indécises (').
Pour que l'observation de Mars puisse fournir de bons résultats,
deux conditions sont requises, en outre de sa proximité relative à
l'époque de son opposition. Il faut que l'atmosphère de la Terre soit
pure dans le lieu de l'observation, et il faut aussi que l'atmosphère
de Mars ne soit pas chargée. En d'autres termes, il faut que le temps
soit au beau pour les habitants de cette planète comme pour nous.
En effet, Mars est entouré d'une atmosphère aérienne, qui de temps
en temps se couvre do nuages aussi bien que la nôtre. Or, ces nuages,
en se répandant au-dessus des continents et des mers, forment un
voile blanc qui nous les cache, totalement ou partiellement. L'étude
de la surface de Mars est dans ce cas difficile ou même impossible.
11 serait aussi stérile de chercher à distinguer cette surface quand le
ciel de Mars est coMvei't, que de chercher à distinguer les villages,
rivières, routes ou chemins do fer de la France lorsqu'on la traverse
en ballon au-dessus d'une opaque couche de nuages (ce qui m'est,
pour ma part, arrivé plusieurs fois). On voit par là que l'observa-
tion de cette planète n'est pas aussi facile qu'on le supposerait à pre-
miéro vue.
Néanmoins, après la Lune, c'est Mars qui est le mieux connu de
tous les astres. Aucune planète ne peut lui être comparée sous ce
rapport. Jupiter, la plus grosse, Saturne, la plus curieuse, toutes
deux beaucoup plus importantes que lui et plus faciles cà observer
dans leur ensemble à cause de leurs dimensions, sont enveloppées
d'une atmosphère constamment chargée de nuages, de sorte que
nous ne voyons presque jamais leur surface. Uranus et Neptune ne
sont que des points brillants. Mercure est presque toujours éclipsé,
comme les courtisans, dans le rayonnement du Soleil. Vénus, Vénus
(') La petitesse do Mars, l'exiguïté des détails de sa surfacej elles voiles qui troublent
souvent son atmosphère, font que l'étude de cette planète est moins accessible que celle
de Jupiter, de la Luue, des taches solaires, de certaines étoiles doubles et de certaines
nébuleuses, aux instruments de moyenne puissance. Ce rl'est qu'en des circonstances
atmosphériques très rares que l'on peut obtenir des résultats satisfaisants à l'aide de l;i
lunette classique de 11 centimètres : il faut au moins une luuette de 15 ou 16 centimè-
tres ou uu télescope de 20. Un bon objectif de 23 ddniie deà résultats excelletits.
GÉOGRAPHIE DK .MARS
seule, pourrait être comparée à Mars : elle est aussi grosso que la
Terre, et par conséquent deux fois plus large que Mars en diamètre;
elle est plus voisine de nous et peut même s'approcher à moins de
10 millions de lieues d'ici. Mais elle a un défaut, c'est de graviter
entre le Soleil et nous, de sorte qu'à sa plus grande proximité, nous
ne voyons que son hémisphère obscur, bordé d'un mince croissant
(ou pour mieux dire, nous ne le voyons pas). Il en résulte que sa sur-
face est plus difficile à observer que celle de Mars. Ainsi c'est Mars
qui l'emporte, et c'est, de toute la famille du Soleil, le personnage
avec lequel nous pouvons entrer en relation la plus intime.
Remarquons, à ce propos, que la Terre est pour Mars dans le même
cas que Vénus pour nous. Nous connaîtrons plus tôt la géographie
de Mars qu'il ne connaîtra la nôtre, et tandis que nous sommes si
peu avancés sur celle de Vénus, sans doute les astronomes de Vénus
connaissent maintenant parfaitement la géographie de notre pays
céleste.
Mais entrons tout de suite ici dans quelques détails.
Parmi les nombreux dessins de cette planète qui ont été faits par un
grand nombre d'astronomes, signalons d'aburd ceux de Béer et Mildler.
Flg. 11.
Aspects de Mars los 11 septembre et 20 octobre 1830,
et le IG décembre 1832.
Nous avons reproduit sur notre figure 1 1 trois de leurs dessins, faits en
d'excellentes conditions atmosphériques, le l 'i septembre 1830. le 20 oc-
tobre de la même année, et le 16 décembre 1832. Le point principal de ces
dessins sur lequel nous appelons l'attention, c'est la petite tache arrondie
qui, reliée à une plus grande par un ruban contourné, ressemble un peu à
un serpent. Nous aurons tout à l'heure à nous occuper spécialement de
cette tache.
CÉOGUAPHIE DK MARS
Pendant l'oppûsilion (') de 1858, le P. Secclii a fait à Rome, en des con-
ditions éminemment favorables aussi, un grand nombre de dessins dont
nous reproduisons huit fac-similé, sur nos lig. 67 et 08. Les quatre de la
figure 12 sont dos 5, 6, 7 et 10 juin. Les neiges polaires y sont bien mar-
quées; la mer qui entoure le pôle supérieur y est nettement visible, ainsi
que la Manche qui en descend et t^ue les continents qui s'étendent à l'est
et à l'ouest. Les dessins de la fig. 13 sont des 13, 14, 17 et 18 juin; ils
présentent d'autres mers et d'autres continents. Remarquons surtout, sur
les deux supérieures, la mer foncée qui descend en s'amincissant et finit
Fig. 12. — Aspects de Mars les 5, 6, 7 et W juin 1858.
par une bifurcation dirigée vers l'est : l'astronome romain l'avait appellée
X Atlantique de Mars.
Nous avons également reproduit les importants dessins faits en 1862
et 1864 par Kaiser, directeur de l'Observatoire de Leyde. Notre figure 14
représente ses vues télescopiques des 31 octobre, 23 novembre, 10 et
(') Une pianote ost dite en opposition avec la Terre lorsqu'elle passe derrière nous
relativement au Soleil, la Terre se trouvant entre elle et le Soleil, et la planète étant
par conséquent ainsi diamétralement opposée au Soleil. Il est clair que cette situation
est la plus favorable pour nos observations. — Se souvenir de la signification de ce
terme, car il sera souvent employé dans les pages suivantes.
GEOGRAPHIE DE MARS
29
14 décembre 1862. Sur la première, remarquons la tache en forme de ser-
pent (c'est la mémo que celle de Mâdler) ; sur la deuxième, une tache en
forme d'œil, qui dans le même temps était attentivement dessinée en
Angleterre par Lockyer ; sur la troisième, une tache en forme de V, et sur
la quatrième la tache qui longe parallèlement la grande mer. — Signalons
enhn les quatre dessins de notre figure 15, faits également par Kaiser, les
19 et 22 novembre, 18 et 19 décembre 186i. — Nous discuterons tout à
l'heure ces différents tracés.
^;;-^WI^^
s^
^^^
Fig. 13. — Asiiccts de Mars los i;i. M, 17 et IK juin 1&:«.
A ces observations, qui nous permettent de conserver ici les prin-
cipaux dessins obtenus pendant ces anciennes oppositions de la pla-
nète, ajoutons celles qui ont été faites pendant l'opposition de 1877,
la dernière et la meilleure de toutes au point de vue des résultats
conquis. Parmi une quantité considérable de croquis dont nous
avons la collection sous les yeux, dessinés par les meilleurs observa-
teurs de l'Europe et de l'Amérique, nous reproduisons (fig. 16)
quatre fort belles vues dues à l'astronome anglais Green, qui s'était
rendu exprés sous le climat si favorable de l'île de Madère pour étu-
CÉOORAPniE PE MARS
dier la planète à l'aido d'un excellent télescope de 33 centimètres de
diamètre, installé sur une montagne élevée à 660 mètres au-dessus
du niveau do la mer, et armé de grossissements variant de 200 à
400 fois, donnant des images extrêmement nettes. Ces (|uatre dessins
Fig. I-t. — Aspects (le Mars les 31 oclobre, 23 novembre,
10 et U décembre 1862.
montrent quatre faces de la planète prises à 90 degrés ou à angle
droit l'une de l'autre, et représentent à eux quatre l'ensemble total
du globe de Mars.
Sans multiplier outre mesure ces dessins, quelque intéressants
qu'ils soient en eux-mêmes, remarquons que par leur comparaison
respective, nous pouvons arriver aujourd'hui à nous former une idée
fort exacte de l'état géographique de la planète. Ceux qu'on a
obtenus depuis dix ans suffiraient, à eux seuls, pour permettre de
r.ftOr.RAPHIK II F, MARS
construire une carte ih\ ce globe voisin. Mais nous sommes plus
riches, et les anciens dessins ne doivent pas toujours être dédaignés.
Depuis longtemps déjà, une attraction spéciale pour ce monde, frère
du nôtre, m'avait conduit à en étudier tout particulièrement les
aspects, et dès la seconde édition de La Pluralité des Mondes
(1864), j'avais publié en frontispice une comparaison de l'aspect
géographique de Mars avec celui de la Terre. Depuis cette époque,
Fi;<. IJ
Aspects de Mars les 10 ot "ii noveiiibre
18 et 19 décembre 18Gt.
je suis parvenu à réunir plus de *2500 dessins de cette planète,
dont les premiers sont vénérables, âgés de prés de deux siècles et
demi, et remontent au régne de Louis XIII, à l'année 1G.'](J,
Le premier astronome qui ait observé des taches sur la planète
Mars est Fontana, à Naples, en 1636 et en 1638. Dans ces dessins,
très rudimentaires (voy. p. 35), on voit, en 1636, Mars sous la forme
d'un disque rond avec une tache sombre au milieu, et en 1638, une
phase très marquée. Les taches de Mars ont été observées aussi, en
16-40, à Rome, par Zucrlii; en 1614, à Naples, par Bar(oli;en 1656,
1659, etc.,àLeyde, parlluygens; en 1666, ti Londres, parîlooke; en
1666 aussi, à Bologne, par Cassini, et en 1670 parle même à l'Obser-
GKOCHAlMlli; DE MAKS
vatoire de Paris, dès les j)remiers mois de; sa fondât ion. A l'insu de
Cassini, Huygens avait déjà beaucoup étudié ces taclies en 1659 et
découvert, par leur déplacement, la rotation diurne de la pla-
Dète. Ces observations furent continuées à l'Observatoire de
Fig. 16.
Aspects de Mars les l", '2'J, 18 et 1j septembre ISTT, représentant l'ensemble rie la planète.
Paris, principalement par Maraldi, neveu de Cassini, qui fit une
étude spéciale de la planète en 1704 et 1719. Elles se faisaient
à l'aide des grands objectifs de Campani, que l'on tenait à la main,
soit sur le haut de la tour orientale de l'Observatoire, soit dans les
charpentes de la machine de Marly, alors transportée dans le jardin
Premières obscrvalions ilc iluuctes faites sous Louis XIV, i l'Observatoire de Pans.
TEnr.ES DU ciKi,. 5
GEOGRAPHIE DK MARS
expressément pour ce but; l'observateur, placé sur le sol, et tenant
son oculaire à la main, était obligé de chercher à grand'peine l'image
de l'astre. C'étaient des lunettes sans tubes. L'un de ces objectifs
avait son foyer à 300 pieds de distance! Nous reproduisons, d'après
une figure du temps, l'image de ces anciennes observations, ainsi
qu'un spécimen de ces premiers dessins. On voit aussi (p. 41) une
monture assez curieuse de la même époque, tirée de la Machina
Cselestis d'Hévélius (1673) (').
Parmi les anciennes séries de dessins, les meilleurs sont ceux de
Huygens et de Schroëter; ces deux excellents observateurs ont passé
bien des nuits, ont consacré bien des veilles, dans l'étude de cette
planète voisine ; mais le Ciel ne les en a guère récompensés. Le pre-
mier, qui, dès la fondation de l'Académie des sciences, en 1666,
avait été désigné par sa réputation pour le nouveau cénacle scienti-
fique et, — appelé par Louis XIV, — s'était, sur la foi des traités,
fixé dans cette France, qu'il illustrait, fut une des victimes de l'inepte
et cruelle révocation de l'édit de Nantes et obligé, pour obéir au
fanatique caprice du Père De Lachaise et de M""" de Maintenon, d'aban-
donner son observatoire, sa bibliothèque, ses amis, ses travaux, sa
seconde patrie (octobre 1685). Le second, après avoir consacré sa
vie à l'étude pacifique du ciel, avoir complété un grand nombre
d'observations et accumulé des centaines de dessins de planètes, eut
la douleur, le désespoir, de voir une armée en fureur se précipiter,
comme il le dépeint lui-même en termes émus, dans la « vallée des
lys » (Lilienthal, prés de Brème, où son observatoire était installé),
mettre la ville entière au pillage (20 avril 1813), incendier ce qui
n'était pas détruit et briser, réduire en pièces, tout ce qui avait
échappé au pillage et à l'incendie. Le pauvre astronome perdit tout.
Faut-il l'avouer? cette armée était une armée... française! et le gé-
néral responsable s'appelait Vandamme. Tant il est vrai que, même
chez les peuples les plus policés, la guerre est encore plus stupide
qu'elle n'est exécrable.
(') Ces grands objectifs, formés d'une seule lentille, irisaient les images comme des
prismes, lorsqu'ils avaient une trop grande courbure ou un court foyer. De là, la néces-
sité de ces énormes distances focales. Aujourd'hui, les objectifs des lunettes sont com-
posés de deux lentilles qui se neutralisent mutuellement comme couleurs, de sorte que
les images restent pures ou achromatiques. Un objectif de 30 centimètres de diamètre
1 son foyer à 8 mètres.
f.KOf;i!Al>HIE DE MARS
Mais rovoïKiiis k Mars, — non pas au dieu des conilints, qui no
mériterait que nos anathèmes, — mais à la planète.
Si l'on compare entre elles toutes les vues télescopiques, on ne
tarde pas à reconnaître certains rapports entre les dessins anciens et
les modernes. En tenant compte de la différence des instruments
et aussi de la différence des observateurs, on retrouve des indices
Fig. 18. — Anciens dessins de l.i planète Mars.
iir siècii).
certains de l'existence ancienne des taches que nous oliservons ha-
bituellement aujourd'hui.
Les taches grises ou claires observées par nos aïeux sont fixes à
la surface du globe martien, et on peut les retrouver sur la plupart
des anciens dessins aussi bien que sur les modernes. (Ainsi, la mer
triangulaire est visible dans les dessins de 1659 et 1719: voy. fir/. 18.)
On remarque aussi qi.e sur un grand nombre do ces figures, la planète
offre de tout autres aspects, dans lesquels les configurations géogra-
phiques sont déformées, masquées, ou même absolument absentes.
Ces différences s'expliquent par certaines perspectives sous lesquelles
GEOGRAPHIE DE MARS
le globe de Mars peut se présenter à nous et par les variations môme?
de l'état atmosphérique de cette planète : il y a des jours, des sai-
sons entières même, où cette atmosphère est brumeuse, nuageuse,
sur une grande étendue géographique, de telle sorte qu'on ne dis-
tingue plus la surface et que la planète paraît beaucoup plus blan-
che, à cause de l'éclairement supérieur de ces nuages par le soleil.
Nous avons nous-mème obtenu, depuis l'année 1871 principale-
ment, un grand nombre de dessins de cette planète voisine; mais ces
observations auraient été bien insuffisantes pour nous permettre de
construire une carte géographique satisfaisante, et lorsque, à l'époque
de la première édition de cet ouvrage (1876), nous avons voulu dessi-
ner cette carte, nous avons pris soin de nous entourer de tous les
dessins qu'il nous avait déjà été possible de recueillir. Cette Map-
pemonde géographique de la planète Mars a été, depuis 1876,
corrigée et complétée deux fois. Trois ans plus tard, en effet,
nous avons pu la perfectionner sensiblement pour notre ouvrage
l'Astronomie jwpulaire (1879). Trois ans plus tard encore, cette
carte a été refondue pour notre Revue viensuelle (V Astrono-
mie jmpulaire (juillet 1882). Depuis un an, de nouveaux docu-
ments, dus surtout aux observations de MM. Trouvelot, à Cam-
bridge; Burton, Dreyer, lord Rosse et Bœddicker, en Irlande; Schia-
parelli, à Milan; Cruls, à Rio-Janeiro, nous permettent de construire
aujourd'hui une carte plus précise encore, mais non encore parfaite
et définitive assui^ment, car le progrès ne s'arrêtera pas (').
Donnons une description succincte de la mappemonde géogra-
phique de la planète Mars (suivre sur la carte, PI. I, p. 37).
Le degré zéro des longitudes aréograpliiques a été placé au point
choisi par Béer et Mâdler. Il n'y a pas de raison pour adopter un point
plutôt qu'un autre comme méridien, pas plus que sur la Terre; mais l'ob-
'1) La première carte de Marsa été tracée, ily a quarante-cinq ans, par Mâdler et Heer,
astronomes hanovriens, d'après leurs propres observations, faites de 1828 à 1836. Ils ont
dessiné une double projection polaire représentant les principales taches, et formant en
quelque sorte le premier canevas d'une géographie de Mars.
Après les oppositions de 1802 et 1864, Kaiser, directeur de l'Observatoire de Leyde,
traça, également d'après ses propres observations, une autre carte de Mars, qui diffère
en plusieurs points de la précédente, quoique plusieurs analogies soient évidentes. Il
y a surtout une étude attentive de la région équatoriale, s'étendant jusqu'à 55° de
latitude, où les contours sont nettement tracés. Un nouvel essai fut mené à bonne fin
GÉOGRAPHIE DE MARS
jet important est de s'entendre. La cause du choix des deux observateurs
précédents a été la grande visibilité d'une tache située sur cette ligne. « Une
petite tache d'un noir très prononcé, disent-ils, se distingua si fortement
des autres par sa netteté, dès notre première observation (10 septembre
1830), et était si proche de l'équateur, que nous crûmes devoir la choisir
pour notre tache normale dans la déterminalion de la rotation. » Cette
tache avait déjà été remarquée dès 1798 par Schrœter, qui la voyait aussi
sous forme d'un globule noir. Elle avait été également dessinée en 1822
par Kunowsky. Ou la comparait à une balle suspendue à un fil contourné
(voy. fîg. II, p. 27). Pendant l'opposition de 1862, elle a été souvent dessi-
née par Kaiser et placée sur sa carte à 90° ; mais elle n'est pas ronde comme
sur les dessins de Mâdler, et le ruban qui l'attache est beaucoup plus
large (voy. fîg. 14, 31 octobre). Dawes, qui l'avait beaucoup observée en
1852, sans lui remarquer de forme particulière, la trouva fourchue en
1862 et en 1864. Lassell l'a également dédoublée en 1862. On la revoit
toutes les fois que les circonstances sont favorables. Ainsi cette tache,
choisie comme origine des longitudes martiennes, n'est pas produite par
des accidents atmosphériques, mais reste fixe au sol et tourne avec lui.
Notre figure 19 représente cette région importante del'aréographie (').
La configuration la plus anciennement connue de la géographie de Mars
est la mer verticale sombre que l'on voit descendre au-dessous de l'équa-
teur, vers le 70" degré de longitude, s'amincir et se terminer par un coude
qui se dirige vers l'est en forme de canal. Au-dessous se trouve une autre
mer qui s'avance dans l'intérieur des terres en formant un angle. Lorsque
le globe de Mars est tourné de façon à nous présenter cette région à peu
près de face, et lorsqu'on se sert d'un télescope de faible puissance, ou
en 1869 par M. Proctor, astronome anglais, d'après les observations faites par son
célèbre compatriote Dawes, en 1864. La construction de cette carte, plus complète que les
précédentes, a fait faire un pas considérable à la connaissance générale de la planète.
Vint ensuite une synthèse laborieuse et patiente faite par M. Terby, de Louvain, qui
parvint à collectionner presque tous les dessins faits sur la planète depuis qu'on
l'observe au télescope, et à réunir ainsi tous les éléments de cette géographie. Quoique
l'astronome belge n'ait pas dessiné de carte d'après cet ensemble d'observations (au
nombre desquelles les siennes propres doivent être comptées), son travail mérite d'être
signalé ici comme un nouvel essai pour la géographie niartienne.plus complet que tous
les précédents. Il a été publié en 1874. — La carte que j'ai construite en 1876 était donc
déjà en réalité un cinquième essai.
Depuis cette époque, M. Green, astronome anglais, a publié une nouvelle carte, excel-
lente; M. Schiaparelli, directeur de l'observatoire de Milan, en a publié trois, et M.M. Bur-
ton et Dreyer en ont dessiné une nouvelle, qui offre de grandes analogies avec celle de
M. Green. La géographie de Mars n'est pas encore faite, toutefois, car un grand nombre
de détails restent problématiques.
(') La géographie de Mars pourrait s'appeler Varéographie, le radical grec de Mars
étant Af,;, de même que la géographie de la Lune s'appelle la sélénographie de
SiXtiv»), Lune.
GEOGRAPHIC DE MARS
que les conditions de visibilité ne sont pas excellentes, ces deux
mers paraissent réunies vers le coude, et l'ensemble rappelle la forme
d'un sablier. William Herschel et les astronomes anglais la désignaient
sous ce même nom : the Bour-glass sea.
La première observation que nous ayons de cette tache date du 28 no-
vembre 1659, et est due à l'astronome Huggins, le même qui écrivit plus
tard un ouvrage sur la pluralité des mondes, son Cosmotheoros, et qui
devinait déjà l'analogie qui existe entre Mars et la Terre, — analogie que
nous prouvons seulement aujourd'hui, plus de deux siècles après.
Hooke a dessiné cette même tache en 1666, et il en fut de même de Gas-
sini et Gampani. Huggins l'a revue de nouveau en 1672, en 1683 et en
1694, Maraldi en 1719, William Herschel en 1777, Schrœter de 1785 à
1800, Béer et Màdler en 1832, et tous les astronomes contemporains l'ont
revue maintes fois (c'est celle que l'on voit sur mon dessin du 30 juil-
let 1877, p. 25) : elle offre un des aspects typiques de la planète.
Cette mer, représentée sous forme de sablier par tous les anciens obser-
vateurs, a, coïncidence bizarre, servi véritablement de sablier, ou de
mesure du temps, pour déterminer la durée de la rotation de la planète.
C'est en effet par l'e.xamen de sa marche, de sa fuite et de son retour,
qu'on a connu la rotation de Mars et estimé sa durée ; elle a plus servi
qu'aucune autre, à cause de son évidence. Il semble donc, pour toutes ces
raisons historiques, que la meilleure désignation à donner à cette mer,
c'est de lui conserver son nom déjà vénérable de mer du Sablier. Aucune
dénomination n'a jamais été si légitime. Le P. Secchi a proposé le nom de
« mer Atlantique », et M. Proctor celui de « mer Kaiser ». Or, d'une
part, elle est bien étroite pour mériter le nom d'Atlantique, et d'autre part,
si elle devait porter un nom d'astronome, ce serait celui d' Huggins, qui
l'a découverte. Pour toutes ces raisons, il nous a paru logique de lui con-
server définitivement le nom de meh du Sablier (').
Elle est généralement plus sombre et mieux marquée que la plupart des
autres taches, surtout vers le centre. Du reste, les diverses taches qui par-
sèment le disque de la planète sont loin d'avoir une même intensité.
La mer du Sablier et I'ogéan Newton, dont elle est le prolongement,
forment la configuration la plus anciennement connue du disque de Mars.
On peut leur associer la mer de Maraldi, vue aussi par Huggins en
(1) On voit cette mer triangulaire vers le milieu de l'hémisphère de droite de notre
carte, entre le 285' et le 305" degré de longitude. La branche gauche ou occidentale
de cette mer et de l'océan Newton, qui s'étend du 285° degré au 260% à la mer Ilooke,
a reçu sur la carte publiée par les Mémoires de la Société royale astronomique de
Londi-es (tome XLIV, 1879), le nom de Mer Flammarion. Que l'astronome Green,
auteur de cette carte, devenue classique chez nos voisins d'outre-Manche, veuille bien
recevoir ici le témoignage de notre gratitude pour cette délicate attention. 11 est
agréable d'avoir des propriétés sur les autres mondes. Il serait plus agréable encore
de pouvoir aller les visiter.
CÉOCnAIMIIE DE MARS
1659, sous forme de bande analogue à celles de Jupiter. Hooke l'a des-
sinée en 16G0 et Maraldi en 170i. On lit notamment dans VAstronoinic de
Cassini : « Entre les différentes taches que M. Maraldi observa en ITO'i. il
y en avait une en forme de bande vers le milieu de son disque, à peu près
comme celles que l'on voit dans Jupiter; elle n'environnait pas tout le
globe, mais était interrompue et occupait seulement un peu plus d'un
hémisphère. Cette bande n'était pas partout uniforme, mais à 90° ou envi-
ron de son e.xtrémité occidentale, elle faisait un coude dirigé vers l'hé-
misphère septentriona];cette pointe, bien nette, servit à vérifier la rota-
tion. » On voit par cette citation que le coude formé par la mer de Maraldi,
au détroit de la mer Huggins, a été remarqué dès 1704. La mer de
Maraldi a été suivie depuis par Herschel en 1783, Schrreter en 1798, Arago
Fig 19. — Géographie de Mars : la Baie du Mcridifii.
en 1813, Madler en 1830, Kaiser en 1862, ainsi que la mer de Hooke
Le P. Secchi avait donné le nom de « Marco-Polo » à la merde Maraldi;
mais il est évident que ce dernier nom lui convient à tous les titres.
Le GOLFE DE IvAiSEn, dont l'extrémité orientale forme la baie four-
chue (longitude 0°), est, comme la mer du Sablier et les mers de Maraldi
et de Hooke, l'une des configurations géographiques de Mars les plus
anciennement dessinées. On en trouve un vestige dans un dessin de
Huggins, de 1659, et dans un autre dessin du même astronome, de 1683.
William Herschel a dessiné le même golfe en 1777 et en 1783, notamment
le fer à cheval formé par le golfe d'.\rago avec celui de Kaiser, et il est
même le premier qui ait bien figuré ces détails. — William Herschel,
Schrœter, Béer et Madler, Jules Schmidt, Kaiser, Lockycr, lord Rosse,
s'accordent pour détacher ces golfes de l'océan Kepler. Celte baie fourchue
que sa situation même désigne sous le litre de Baie iln Mcrnlien parait
être Y embouchure dun grand fleuve.
GEOGRAPHIE DE MARS
A l'est du golfe de Kaiser, on rencontre : d'abord une baie émergeant au
nord de l'océan Kepler (la baie Burton); et plus loin une Manc/ie condui-
sant de cet océan à la mer inférieure. Cette Manche, comme cette mer,
sont également connues depuis fort longtemps. La Manche est dessinée
dans les vues des astronomes hanovriens en 1841, dans celles du P. Secchi
en 1860 (voy. fîg. 12), où elle est nommée « isthme de Franklin », dans
celles de Dawes en 1864, de lord Rosse en 1869, de Knobel en 1873, etc.
Ce bras de mer qui s'étend de l'océan Kepler à la mer inférieure, qui est si
caractéristique, et pour lequel le nom de Manche est certainement la déno-
mination qui convient le mieux, est surtout connu par les dessins du
P. Secchi. La mer inférieure se partage en plusieurs au milieu desquelles il
y a une terre : c'est du moins ce qui résulte des observations les plus mo-
dernes, entre autres celles de Jacob en 1854, de Secchi en 1858,deSchmidt
en 1867, de Terby, de Knobel, de Wilson et des miennes en 1871 et 1873.
L'océan Kepler est connu par un grand nombre d'observations, dont
les plus anciennes remontent à William llerschel et Schrœter, à la fin du
siècle dernier. 11 a été principalement dessiné depuis par Béer et Mddler,
Jules Schmidt, Secchi, Dawes, Lockyer, lord Rosse. On remarque à l'est
une tache ronde sombre, qui a reçu le nom de mer Terby. Cette pe-
tite mer est très curieuse : on la voit dessinée pour la première fois par
Béer et Mâdler en 1830, et elle se trouve déjà dans leur carte sur le
270' degré de longitude et le 30' degré de latitude, mais isolée de l'océan
Kepler, dont la limite orientale ne dépasse pas le 274* degré. On la re-
trouve en 1860 dans les dessins de Schmidt, d'Athènes, isolée aussi. En
1862, le P. Secchi l'a prise pour un cyclone, à cause de la forme circulaire
de son entourage. La même année, le même jour (18 octobre), elle était
dessinée en Angleterre par M. Lockyer, et il la nommait « mer Baltique ».
On la voit en même temps dans les dessins de Lassell, qui lui trouvait,
avec quelque vraisemblance, la forme d'un œil, et, en effet, dans plusieurs
descriptions, on l'appelle ocuius. En 1877, M. Schiaparelli en a fait un très
grand nombre de dessins : il la nomme le « Lac du Soleil ».
On a vu au milieu de l'océan Kepler une tache blanche brillante qui
pourrait être produite par une île montagneuse couverte de neige.
La comparaison des cartes et des dessins nous a conduit au tracé du
détroit sud-est de l'océan Newton et à celui du détroit sud de l'océan
Kepler, etc.... Mais ce serait certainement abuser de la patience du lecteur
que d'entrer dans tous les détails de la construction d'une carte géogra-
phique, quelque rudimentaire qu'elle soit. Qu'il nous suffise d'ajouter qu'il
n'y a ici aucune fantaisie, aucune œuvre d'imagination, mais que chaque
tracé résulte d'une minutieuse comparaison des vues prises au télescope.
11 nous a paru convenable de donner les noms des illustres fondateurs
de l'astronomie moderne aux continents et aux océans principaux, et nous
avons d'abord inscrit les noms immortels de Copernic, Galilée, Tycho,
GEOGRAPHIE DE MARS
Kepler, Newton, Laplace. Se sont ofl'erts naturellement ensuite les noms
des astronomes qui se sont le plus occupés de l'étude de Mars : Huygens,
Fontana, Cassini, Hooke, Maraldi, Schrœter, Herschel, Mâdler, Béer, pour
citer d'abord les plus anciens; puis ceux de notre époque : Arago,
Dawes, Secchi, Kaiser, Schmidt, Webb, Locliyer, Phillips, Procter, Terby."
Les deux grands océans qui s'étendent sur la région centrale ontreçu le
Fig. 20. — Lunette de ÎOO pieds d'Ilévélius (d'après une figure du temps, 1673).
nom des doux esprits immortels auxquels nn doit la tliêorie du système du
monde : Kepler, Neirton. Los rfuatre principaux continents ont recules
noms de Copernic, Galilée, [Iiii/rietifi et Hersrhel. Viennent ensuite les
terres de Tycho, Laplace, Schrœter, Cassini, Secchi. Béer et ALadler sont
restés associés comme pondant leur vie par les mers qui portent leurs
noms, etc. (').
(') M. Proctor ayant dojà proposé un ensemble de noms pourles diverses ronfi^iiralions
de Mars, mon désir eût été de les conserver, et j'ai lait ce que j'ai pu pour cela. Mais je
TEnr>E.s DU ctEL. 6
«2
GEOGRAPHIE DE MARS
GEOGRAPHIE DE MARS
POSITIONS DES CONFIGURATIONS DIVERSES ET TABLEAU DES DÉNOMINATIONS
MERS
POSITION
APPROCBÉE
Longitude
Latitude (i)
F.
PROGTOR
GREEN
SCHIAPARELLI
0°
0°
Baie du méridien
Dawes forked
Bay
Dawes forked
Bay
Fastigium Aryn
22°
5» B
Baie Burton
Béer Bay
Burton Bay
Ostium Indi
350» à 32°
30° k 0°
Détroit Aiago
Arago strait
Arago strait
Margaritifer sinus
320° à 60°
40° k 5° A
Océan Kepler
De La Rue Océan
De La Rue Océan
Mare erythrœum
27° à 33°
2° B k 30° B
Canal J. Reynaud
Dawes strait
»
Hydaspes
50°
5» A k 23° A
Canal Fontenelle
»
->
Jamuna
34° & 64°
5° A k 25B»
La Manche
..
»
Ganges
40° k 60°
30» k 5° A
Baie Chrislie
»
Christie bay
Aurorse sinus
0° il 30°
40° k 63° A
Mer Lassell
Newton sea
Newton sea
»
350» à 30°
30» k 50» B
Mer Knobel
Tycho sea
Knobel sea
Nilus
30° à 65°
32» B
Mer Lacaille
Tycho sea
Tycho sea
L. Niliacus
63° à 103°
33» B
Mer Airy
Airy sea
Airy sea
Lunse lacus
75° à 135°
53° k 72° B
Mer Faye
»
Campani sea
Ceraunus sinus
10-2»
15°Bkl2°A
Canal d'Alembert
»
»
Iridis
90»
22» A
Mer Terby
Lockyer sea
Terby sea
Solis lacus
67°
22° A
■>
u
Schiaparelli sea
Fons nectaris
73° k 105°
7° k 13° A
Mer Dawes
Dawes sea
>>
Agathodsemon
107°
17° A
»
»
Bessel lake
Lacus phœnicis
60° k 110°
30° k 60° A
Mer De La Rue
»
»
Bosphorus
0° k 360°
60° k 80» A
Mer australe
"
De Cottignez
et Jonhson sea
Mare australe
135» k 193°
55» A
„
>
Maunder sea
Mare chronium
134° k 176°
39° k 20° A
Mer Schiaparelli
Maraldi sea
(orient)
Maraldi sea
(orient.)
Mare sirenum
330° k 75°
35° k 70° B
Mer Mâdler
»
»
»
135» k 200°
60° k 20° B
Mer Oudemans
Oudemans sea
Oudemans sea
Mare boreum
171°
18° A
Baie Trouvelot
»
Trouvelot bay
Sinus Titanorum
135° k 225°
60» k 80° B
Mer boréale
->
Schroeter sea
.
225» k 260°
25» k 50° B
Mer Delambre
»
Delambre sea
Alcyoneus sinus
223° k 330°
50» k 80° B
Mer Béer
>
Delambre sea
»
162° k 340°
40° k 8° A
Mer Maraldi
Maraldi sea
Maraldi sea
Cimmerium maie
200° k 223°
18°Bkl6°A
Mer Hugpins
Uuggins inlet
»
Cyclopum mare
195° k 260°
57° A
Mer Phillii)S
Pliillips sea
Maunder sea
Sinus Promethei
225° k 260°
42° A k 0°
Mer Hooli
Hook sea
Hooksea
Tyrrhenum mare
260° à 285°
20° k S» A
..
»
Flammarion sea
Tyrrheuum : occ
284° à 303°
5° A k 44» B
Mer du Sablier
Kaiser sea
Kaiser sea
Syrtis magna
275° ■
3° B
Golfe Main
Main sea
Main sea
Lacus Moeris
280» i 336»
40° B
Canal Nasrayth
Nasmyth inlet
Nasmyth inlet
Nilus
GÉOGRAPHIE DE MARS
MERS
POSITION
APPROCHÉE
F.
PBOCTOH
GREEN
SCHIAPARKLl.l
Longitude
Latitude (i)
-260° à -277°
-20° k 53° A
Mer ZôUner
Zallner sea
Zôllner sea
Adriaticum marc
'285° k 3-20°
5» k 30» A
Océan Newton
Dawes océan
Dawes océan
lapygia
315" k 340°
35» k 60° A
Mer Lambert
Lambert sea
Lambert sea
Hellespontus
aSO" k 360°
30» A
Courant Foucault
Newton strait
"
Erythrœum
mare (orient.)
3-20'' k 7°
20» A k 0»
Golfe Kai3er
Herschel 11 strait
Herschel II strait
Sinus Sabeus
CONTINENTS
»90° à 17°
10» A k 3-2» B
Coiitin'. Copernic
Dawes contin.
Béer continent
Aeria, Arabia
Éden, Thymianata
1-2» k 60»
10» A k 40° B
Continent Halley
„
Mâdler continent
Chryses
35° k 103°
15°Ak30°B
Contin. Galilée
Hiidler contin.
M&dlercoDtinent
Ophir, Tharsis
103» k 218°
30°Ak30»B
Contin. Huygens
Secchi contin.
Secchi continent
Memnûnia, Amazo
nis.Zephiria, yEulis
210° k 283°
10»Ak30»B
Contin. Herschel
Herschel 1
continent
Herschel 1
continent
jElhiopis, Amen
thés, Isidis.
-0° k 107»
45» k 10° A
Terre de Tjcho
Kepler land
Kepler land
Thauniasia
-270° k315"
57° k 28° A
Terre de Secchi
Locliver land
Lockyer land
Hellas
236° k 272°
57° k 20» A
Terre de Cassini
Cassini land
Cassini land
Ausonia
-262» k 330°
47°
Terre de Laplace
..
Laplace land
■
330° k 330°
60» k 30» B
Terre de Le Verrier
Le Verrier land
»
16» k 78°
43» B
Terre de Lalande
.
Rosse land
»
ltO° k 200°
23» k 33» A
Terre de Lagrange
Lagrange land
Lagrange
peniiisula
Iracia, l'haelon-
tis. Elcctris
160« i. 180°
40° k 30° A
Terre de Webb
..
..
Atlautis I
205» k 236»
43» A
Terre de Green
»
•'
Eridania
220° k 235°
40° k 10» A
Terre de Hall
Buri-kUardt land
Burchard land.
Hcspcria
193° k 213»
58° k 77» A
Terra de Rosse
..
Gill land
Thyle 11
136» k 183»
55» k 75° A
Terre de Gill
.
Gill land
Thyle 1
20° k 48°
40» k 33» A
Terre de Schroeter
>
Jacob land
Argyre
330» k 13°
32° k 68» A
Terre de Jacob
•
Kunoswski
et Jacob land
Noachis
200° k 238°
13» k 46» B
Terre de Fontana
Fontana land
Fontana land
Elysium
348°
7° A
Cap Proctor
»
Proctor cap
"
270° k28-2»
5» A
Péninsule de Hind
.
Hind péninsule
Libya
220»
37° A
Isthme de Niesten
■
Niesten isthmus
n'ai pas tardé à me sentir contraint à plusieurs changements par la force même des
choses : i' parce que le tracé de ma carte n'est pas le même que celui de la sienne;
2» parce que les noms des fondateurs de l'astronomie y étaient en partie oubliés ; 3° parce
que le nom d'un même astronome se trouve répété plusieurs fois sur la carte ancienne
(ex. Dawes 6 fois : Dawes océan, — Dawes continent, — Dawes sea, — Davces strait,
— Dawes isle, — Dawes bay ; Béer 2 fois, Lockyer 2 fois, etc.), ce qui est inutile et peut
GÊOC i; Al'HlE Ut MAIi^
Depuis la construction de cette carte en 1876, elle a été enrichie d'un
certain nombre de noms nouveaux empruntés au planisphère con-
struit en 1878 par l'astronome Green, notre savant collègue de la
Société royale astronomique de Londres, et publié dans les Mémoires
de cette Société (tome XLIV, 1879). Cette carte, avec ses dénominations,
parait adoptée par un grand nombre d'astronomes anglais.
Notre illustre ami, M. Schiaparelli, directeur de l'Observatoire de Milan,
a construit aussi, de son côté, de nouvelles cartes, auxquelles il adonné
des dénominations tirées de la géographie ancienne. Quelle nomenclature
nous survivra? C'est ce qu'il serait prématuré de décider. Nos cartes
actuelles ne peuvent être que provisoires. Cependant, il importe de nous
y reconnaitre. Aussi, pour ceux d'entre nos lecteurs qui seraient conduits
à faire une étude spéciale de la planète, avons-nous cru utile de publier ici,
en même temps que les positions géographiques des configurations et les
noms qu'elles portent sur la mappemonde de Mars, le tableau synoptique
des dénominations données sur les trois autres cartes.
Très certainement il reste encore des points douteux, surtout à partir
du 60' degré de latitude boréale, et principalement au nord; mais telle
qu'elle est, cette carte représente exactement l'état actuel de nos connais-
sances sur la géographie de ce monde voisin. Du reste, nous aurions mau-
vaise grâce à nous montrer trop exigeants, car sur notre propre planète
les contrées arctiques et antarctiques sont encore aujourd'hui complète-
ment ignorées. En fait nous connaissons mieux le pôle sud de Mars que le
pôle sud de la Terre.
Nous allons maintenant entrer dans les détails pittoresques et parfois
inattendus de cette géographie martienne ; mais il importait d'en poser
d'abord les principes, et malgré ce que les sept pages qui précèdent peu-
vent avoir eu d'aride, nos lecteurs nous pardonneront cette description
technique en faveur du but sérieux et instructif qu'elle comporte. Nous
ne faisons pas ici un voyage imaginaire. Nous marchons, pas à pas, dans
la connaissance réelle de l'immense univers.
donner lieu à des confusions; et 4°, comme on l'a déjà vu, parce que les deux anciennes
mers du Sablier et de la Manche sont si simplement et si naturellement nommées ainsi,
que leur nom indique en même temps leur forme et même leur histoire. Ce n'est donc
point dans un sentiment critique contre les dénominations données par M. Proctor que
j'ai agi; au contraire, j'ai respecté ses propres désignations aussi souvent que je l'ai pu,
et de plus, j'ai cru légitime de donner son propre nom à l'une des configurations les
plus curieuses de la géographie martienne, déjà proposée par M. Terby.
Le plus simple serait peut-être de ne donner aucun nom, et de désigner simplement
les configurations par les lettres de l'alphabet. Mais on ne tarde pas à s'apercevoir que
dans ce cas toute description devient difficile, confuse, fatigante, et qu' il y a pour le
langage un immense avantage à nommer chaque objet.
CHAPITRE III
Suite de la géographie de Mars. — Continents. — Mers. — Golfes. — Iles. ■
Marais. — Inondations. — Canaux. — Variations singulières.
Avant de pénétrer dans ]es détails de la géographie de Mars, il
importe de répondre à une question que plusieurs de nos lecteurs
ont pu s'adresser à eux-mêmes en lisant le chapitre précédent. Les
astronomes parlent des 7yiers et des continents AqMslt^. Mais com-
ment sait-on que ces taches visibles sur le disque de la planète repré-
sentent vraiment des étendues d'eau ou des étendues de terres! En
fait, on ne voit que des taches de diverses nuances. Quels documents
posséde-t-on pour se convaincre qu'il s'agisse bien là, en effet, d'une
configuration géographique analogue à celle qui existe sur notre
propre planète ?
Eh bien ! c'est précisément l'analogie de cette planète avec la nôtre
qui conduit naturellement à ces déductions. La Terre vue de loin
oilnrait cet aspect: les eaux, absorbant la lumière, paraîtraient fon-
cées; les terres, réfléchissant mieux la lumière, paraîtraient plus
claires. Il y aurait donc d'abord là une grande analogie d'aspects.
Maintenant, d'autre part, qu'il y ait de l'eau sur Mars, ce n'est pas
douteux, puisque noua la coyo/is sous forme de glace dans les neiges
polaires et sous forme de brouillards dans les nuages de la planète.
Ces neiges et ces nuages se comportent exactement comme dans
la météorologie terrestre. De plus, le spectroscope dirigé sur Mars
a toujours constaté dans son atmosphère la présence de la vapeur
d'eau : cette atmosphère est imprégnée comme la nôtre de vapeurs
([ui s'exhalent des eaux et de la surface du sol.
CEOGUAPHIE DE MARS
Ainsi, il est très rationnel de considérer les régions claixes comme
des terres et les régions sombres comme des mers ('). Nous verrons
plus loin que les études de détail et les variations observées confir-
ment cette manière de voir et nous autorisent à ne pas douter de la
nature de ces configurations géographiques.
Les documents publiés dans le chapitre précédent nous per-
meitent d'entreprendre aujourd'hui sur cette planéto voisine un
voyage assurément plus complet que ceux qu'on a pu faire sur
v.o^se propre planète pendant tous les siècles qui ont précédé
Christophe Colomb.
On voit d'abord, dès l'inspection de la carte, que la configuration
géographique de cette planète est fort difi'érente de celle du monde
que nous habitons. Tandis que les trois quarts de notre globe sont
couverts d'eau, et que la terre ferme est formée de trois continents
principaux (les Amériques, l'Afrique et l'Asie dont l'Europe est le pro-
longement), sur Mars il n'y a ni vastes océans, ni grands continents,
mais seulement des méditerranées, des îles, des presqu'îles, des
détroits, des caps, des golfes, des canaux étroits, en un mot une
découpure beaucoup plus détaillée. Les continents occupent une
étendue presque égale à celle des mers et se distribuent surtout le
long de l'équateur et au-dessous. Les formations géologiques n'ont
pas été les mêmes qu'ici, où nous voyons tous les continents se
terminer en pointes vers le Sud. Les mers sont très découpées et
sans doute, en général, peu profondes, car il semble qu'on en aper-
çoive le fond en certaines régions qui sont beaucoup moins sombres,
et qu'elles subissent de temps à autre des variations, retraits, inon-
dations, perceptibles d'ici : les teintes représentées sur notre carte
existent sur la planète. Ainsi, en premier lieu, il y a moins d'eau
sur Mars que sur la Terre.
Une partie de l'eau qui devait exister à la surface de cette planète
a dû être absorbée dans l'intérieur du sol. Pendant des millions
(1) On peut s'en rendre compte sur notre figure 22, qui montre la Terre vue de l'es-
pace (du côté éclairé par le soleil) ; par exemple, un mois après l'équinoxe du prin-
temps, le 20 avril, à midi et à 6 heures du soir. Sur le premier dessin, le méridien do
Paris passe par le centre du disque terrestre ; la France, l'Espagne, l'Angleterre, l'Afrique
occidentale, sont éclairées en plein par le soleil. Sur le second, la France, l'Espagne,
l'Afrique sont arrivées au bord du disque, à droite, et c'est l'Amérique du Nord qui
arrive à midi.
GÉOGRAPHIE DE MARS
d'années, en effet, la chaleur solaire a vaporisé comme ici, les oavix,
les océans de Mars pour les transformer en nuages et les faire retom-
ber ensuite à l'état de pluie, soit sur ces océans eux-mêmes, soit
dans les bassins des rivières et des fleuves, qui les ramènent égale-
ment à leur source. Mais toute l'eau qui tombe n'est pas intégrale-
ment ramenée à la mer; une faible partie s'imprègne dans l'intérieur
des terres, descendant au-dessous des couches imperméables sur les-
quelles la majeure partie des eaux glisse pour donner ensuite nais-
sance aux sources, aux rivières et aux fleuves. Il n'y a sans doute
chaque année qu'une très faible quantité d'eau qui soit ainsi absorbée
Fig. 2-2. — La Tnrre vue de l'espare 'rnti' du soleil : iO avril à midi et à 6 heures du soir).
parla planète; mais si l'on additionne ensemble un grand nombre de
siècles et si l'on considère l'histoire géologique d'une planète, dont
les périodes se développent le long de plusieurs millions d'années,
cette quantité devient considérable et peut même arriver à surpas-
ser la quantité d'eau restante. Les effets de ce procédé sont visibles
dans la configuration des mers martiennes. Non seulement elles
n'occupent plus même la moitié de la surface de la planète, mais
encore elles sont rétrécies le long des anciennes vallées sous-ma-
rines, comme il arriverait pour la Terre, si l'on supprimait la moitié
de l'eau qui existe encore, et, de plus, leurs variétés de teintes
montrent qu'elles sont peu profondes, et que même certains dis-
tricts dessinés comme des mers, sur nos cartes, doivent être, non
GÉOCRAPIIIE DE MARS
pas de véritables mers, mais plutôt des terrains submergés, variés,
entrecoupés d'îles, d'îlots, de lacs dont la nature et l'étendue parais-
sent môme varier suivant les circonstances météorologiques.
Cet état de choses s'accorde avec l'âge cosmogonique que nous
sonmies conduits à attribuer à la planète ; car dans la théorie la
plus probable de la formation des mondes par la condensation en
globes, d'anneaux gazeux primitifs successivement détachés de la
nébuleuse solaire, les planètes les plus éloignées sont les plus an-
ciennes, et l'ordre de leur naissance est le même que celui de leurs
distances :
AGE RELATIF
DES
PLANETES
par
ordre d
'ancienneté.
Neptune
Mai's
Uranus
La Terre
Saturne
Vénus
Jupiter
Mercure.
Petites plam^trx
Neptune est la plus ancienne; Mercure la plus jeune. Leur histoire
géologique, météorologique, climatologique, organique dépend en-
suite de leur volume, de leur masse, de leur constitution physique.
La théorie mécanique de la chaleur montre que la condensation du
Soleil a dû produire une température de 28 millions de degrés centi-
grades, celle de la Terre 8988% et celle de Mars 1995° seulement. Mars
doit être refroidi jusqu'à son centre. On sait d'ailleurs que la chaleur
interne du globe terrestre n'a aucune action sur les phénomènes
vitaux de la surface. Mais l'histoire géologique de Mars n'en a pas
moins été plus rapide que celle de la Terre; il est tout naturel d'ad-
mettre qu'une partie des eaux ait été absorbée, que les mers soient
moins immenses et moins profondes, qu'il y ait moins d'évaporation
et moins de nuages que sur la Terre, et c'est, en effet, ce que l'obser-
vation révèle.
Les mers martiennes sont moins étendues que les mers terrestres;
elles sont aussi moins profondes. D'une part, il semble qu'on en dis-
tingue le fond en certaines régions parfois très étendues, car la teinte
arrive à y être presque aussi claire que sur la terre ferme; d'autre
eiii>; uu tu li^iiiiv ? uuauri el OÙ U uuit invitu à la miïUiliitlon.
U.llUtS IIU CIEl.
CEOCnAPHIE DE MARS
part, certaines plages doivent être peu élevées au-dessus du niveau
moyen, car elles paraissent tantôt découvertes et tantôt inondées;
d'autre part encore, les continents ne doivent pas être hérissés de
chaînes de montagnes aussi colossales que nos- Andes et nos Cordil-
lères, car de longs canaux rectilignes les traversent en divers sens,
comme s'il n'y avait là que de vastes plaines, et le relief du fond des
mers ne peut être géologiquement différent de l'orographie des con-
tinents. Ces divers témoignages s'unissent pour nous montrer dans
Mars une planète moins montagneuse que la Terre, Vénus et la Lune,
baignée de mers peu profondes, aux plages unies, douces et pares-
seuses.
Ainsi déjà les progrès de la science nous permettent de pénétrer
dans la constitution organique de ce monde voisin, d'assister à ses
phénomènes météorologiques et aux spectacles que la nature déploie
sur ces campagnes, ces paysages, ces lacs, ces collines, ces golfes,
ces falaises. Lorsque le soir, à l'heure où la nature s'endort et où les
êtres vivants cherchent le repos préparé par les fatigues du jour, en
cette heure de calme et de quiétude dont parle le Dante au deuxième
chant de l'Enfer :
Lo giorno se n'andava, e laer bruno
Toglieva gli animai che sono in terra
Dalle fatiche loro...
en cette heure où les étoiles allumées dans le ciel assombri invitent
à la méditation des éternels mystères, lorsque nos regards s'arrêtent
sur l'étoile rouge de Mars, nous ne songeons pas que c'est là une
terre géographiquement variée comme celle où nous vivons, et que
déjà nous pouvons y habiter parla pensée et étudier son histoire géo-
logique et physique. C'est, du reste, la première fois, depuis le com-
mencement du monde, qu'il nous est donné d'entrer véritablement
en relation avec une seconde patrie.
Nous avons dit tout à l'heure que déjà des variations, perceptibles
d'ici, sont reconnaissables dans les aspects géographiques de ce
inonde voisin, notamment dans les teintes de certaines mers sans
doute peu profondes (').
(') Lorsqu'on passe en ballon au-dessus d'un large fleuve, d'un lac ou de la mer, si
l'eau est calme et transparente, on distingue le fond, quelquefois si complètement que
l'eau paraît dispurue (c'est ce qui m'est arrivé notamment un jour, le 10 juin 1867, à
7 heures du matin, en planant à 3000 mètres au-dessus de la Loire] ; sur les bords de la
CÉOGKAPIIIE DE MABS
Il paraît peut-être téméraire d'imaginer que nous puissions être
témoins d'ici d'inondations, do débordements ou de dessèchements
sur cette planète éloignée de nous à quinze et vingt millions de lieues
dans les meilleures circonstances de visibilité. C'est pourtant ce que
l'observation télescopique elle-même nous invite à croire. Pour que
ces variations d'aspect soient visibles, il faut, il est vrai, qu'elles s'ef-
fectuent sur de larges surfaces, sur des étendues d'une centaine de
kilomètres de largeur au minimum, et de plusieurs centaines de kilo-
mètres de longueur. Mais il y a déjà plusieurs années que la comparai-
son attentive de ces variations nous inspire cette explication naturelle.
Déjà, en 1876, en rédigeant la première édition de cet ouvrage,
j'écrivais : « Il semble que les mers de Mars ne soient pas invariables;
car, depuis 1830, il y a quelques changements qui paraissent incon-
testables : par exemple, le golfe de Kaiser, qui présentait alors, comme
à la fin du siècle dernier, l'aspect d'un fil terminé par un disque, et
qui depuis 1862 est beaucoup plus large et se termine non par un
cercle noir isolé, mais par une baie fourchue. Peut-être y a-t-il sur
cette planète des déplacements d'eau et des variations de couleur qui
n'existent pas sur la nôtre. » Revenant sur ce point en 1879, je résu-
mais dans les termes suivants (') l'impression résultant de l'examen
de ces variations problématiques :
mer, on entrevoit le fond jusqu'à 10 mètres et 15 mètres de profondeur, à plusieurs cen-
taines de mètres du rivage, suivant l'éclairement et selon l'état de la mer. Dans cette
hypothèse, les mers claires de Mars seraient celles qui, comme le Ziiiderzée, par exem-
ple, n'auraient que quelques mètres d'eau de profondeur ; les mers grises seraient un peu
plus profondes, et les mers noires le seraient davantage. Ce n'est pas là toutefois la seule
explication à donner, caria nuance de l'eau peut pari'aitement dilTérer elle-même suivant
les régions ; plus l'eau est salée et plus elle est foncée, et l'on peut suivre dans nos mers
terrestres les courants qui, tels que le Gulf-Stream, coulent comme des fleuves moins
denses à la surface de l'Océan qui forme leur lit; la salure dépend du degré d'évapora-
tion, et il n'y aurait rien de surprenant à ce que les mers équatoriales de Mars fussent
plus salées et plus foncées que les mers tempérées. Une troisième explication se présente
encore à L'esprit. Nous avons sur la Terre : la mer Bleue, la mer Jaune, la mer Rouge,
la mer Blanche et la mer Noire ; sans être absolues, ces qualifications répondent plus ou
moins à l'aspect de ces mers. Qui n'a été frappé de la couleur vert émeraude du Rhin
à Bàle et de l'Aar à Berne, de l'azur profond de la Méditerranée dans le golfe de Naples,
du lit jaime de la Seine du Havre à Trouville, visible sur la mer, et de toutes les nuances
variées que présentent les eaux des rivières et des fleuves? Les trois explications peu-
vent donc s'appliquer aux eaux de la planète Mars aussi bien qu'aux nôtres. Les régions
claires peuvent n'être que des marais ou des terres submergées, des mers parsemées
d'îles nombreuses.
(') Astronomie populaire, p. 484.
(■.R«i(;iiAi'iiiL m: maiis
Une ditlV'i'onco siM'clale avec la Torro, (■crivais-jc alors, est offerte p;ir lu
variabilité do (juchiues-unes de ses conligurations géogra[)hi(iues. L'étude
constante du golfe de Kaiser pourrait conduire sur ce [)i)int à des résultais
fort curieux. En 1830, Màdler l'a plusieurs fois très nettement et très
distinctement vu tel qu'il est représenté au point .V //y. "^'i . Kn l.Si);',
M. Lockyer l'a vu avec la même netteté comme il est dessine à celle dati',
cl. eu 1877, M. Schiaparelli l'a représenté tel ipn' nous le voyons repro-
duit. Ce point, vu rond, noir et net en 1830, si nel en realite (pie Miidler
le choisit pour origine des longitudes martiennes comme étant le point le
plus noir, déjà vu sous la même forme par Kunowsky en 1821, et indiqué
aussi dès 1798 par Schrœter comme globule noir, n'a pu être distingué en
1858 par Sccchi, malgré la recherche spéciale qu'il en a faite. Ce même
point a été vu bifurqué par Dawes en 18()i, et il l'est certainement : mais
la région qui l'environne au Sud parait couverte de marais el variable
Fig. 24. — Variations observées sur la planëte Mars.
I.o Rolfe Kaiser et la Baie du Méridien en I8:!;i, ISi;-i cl IS7
d'aspect suivant les années; les dessins de 1877 ne montrent plus cette
même tache comme un disque noir suspendu à un 111 serpentant, mais
le 111 s'est élargi au point de ne plus pouvoir soutenir cette compai'ai-
son : le golfe est aussi large au centre et à l'origine ipi'à son extrémité
orientale.
Actuellement la tache la plus noire et la plus nette, celle que l'on choi-
sirait de préférence pour marquer l'origine des méridiens, serait le lac
circulaire de Terby : on la choisirait certainement de préférence à la
l)rennère. En 1830, Mâdler a expressément déclaré au contraire que
celle-ci était la plus nette et la plus sombre, et il l'a choisie pour origine :
sur plusieurs dessins on voit les deux faire exactement pendant de
chaque côté de l'océan Kepler. Ces tracés ne pourraient plus être dc*Ssinés
aujourd'hui. Voilà une première variation. — Une deu.xième est présentée
par l'aspect même de la tache : en 18G2, les différents observateurs l'ont
vue allongée de l'Est à l'Ouest; en 1877, on l'a vue au contraire parfaite-
ment ronde (correction faite d(^ la perspective' et certainiMUêut non
CKdl.HAIMIIK I)K MA lis 53
allongéo dans le premier sens. — Truisieme variation : elle paraissait, en
180-2, réniiie à l'océan Kepler par un détroit, et en 1877, instruments de
même puissance et observateurs de môme habileté n'ont rien vu de ce
détroit et en ont distingué un autre au Nord-Est.
Assurément, il ne faudrait pas prendre pour des changements réels
toutes les différences qui existent entre les observateurs. Ainsi par
exemple, en 1877, plusieurs ont vu réunies à l'Occident les mers de
riook et de Maraldi, tandis que la séparation est restée visible pour les
autres; l'œil est différemment impressionné, et l'on pourrait presque dire
(jue pour certains détails il n'y a pas deux yeux qui voient identiquement
de la même façon, même les deux yeux d'une même personne. Mais
lorsque l'attention s'est tout .spécialement fixée sur certains points remar-
qua!)les qui auraient dû être rendus parfaitement visibles dans les instru-
ments employés, et que l'on constate ainsi des différences ([ui paraissent
Fig. 25. — Variations nbsorvi'es sur la planète Mars.
La mer Tcrby en 1831). l8fi-2 et IS7T.
incompatibles avec les erreurs d'observation. la probabilité penche en
faveur de la réalité effective des changements signalés.
De quelle nature sont ces variations? c'est ce que l'avenir nous
apprendra. Nous ne pourrions émettre actuellement que de vagues con-
jectures à cet égard.
Ces considérations, que j'exposais alors avec toute la réserve que
nous devons toujours apporter dans l'interprétation des faits scienti-
fiques nouvellement observés, se trouvent aujourd'hui confirmées
et développées par les observations spéciales de M. Scliiaparelli, dont
on lira l'exposé plus loin. J'hésitais encore à attribuer ces change-
ments observés à des inondations ou à. des retraits dans les eau.x ;
maintenant cette hypothèse se présente très naturellement à nous,
comme la plus probable, on pourrait presque dire connue certaine.
CÊOGItAPlUE DE MARS
Pendant ses patientes observations faites en janvier et en février 1882,
l'astronome de Milan a constaté que « des centaines de milliers de
kilomètres carrés de surface sont devenus sombres, tandis qu'ailleurs
des régions sombres se sont éclaircies » . Cherchant la cause de ces
variations, il balance entre l'hypothèse d'un changement dans les
eaux et celle d'une végétation qui varierait avec les saisons et se
propagerait rapidement sur de vastes étendues. La première cause
paraît plus probable : 1° parce que c'est dans le voisinage des mers
et dans les mers elles-mêmes que ces effets se présentent; 2° parce
que la nuance de ces golfes variables, de ces canaux, est la même
que celle des mers; 3° parce que les canaux qui traversent les conti-
nents sont toujours, et à leurs deux extrémités, en communication
avec les mers. Dans l'hypothèse d'une cause végétale, nous serions
graduellement conduits à admettre que les taches sombres de Mars
ne sont pas des mers, mais des forêts, des prairies, ou autre chose, ce
qui est beaucoup moins probable.
Un autre exemple des changements observés sur Mars peut être
pris dans la région située au-dessous du lac foncé circulaire que
M. Schiaparelli appelle le lac du Soleil, et que, de concert avec les astro-
nomes anglais, nous appelons la mer Terby. En 1830, Béer et Mâdler
ont observé au-dessous de ce lac et dessiné sur leur carte une grande
tache grise assez foncée, qui a reçu le nom de mer Dawes (270° degré
de longitude). — Voy. notre carte. — En 1877, M. Trouvelot, à Cam-
bridge, cherchant précisément cette tache, constata avec certitude
son absence. Le 14 octobre, à minuit 40"" (temps moyen de Cam-
bridge), ce lac circulaire arrivait vers le méridien central en d'excel-
lentes conditions d'observation, par une nuit calme et transparente.
On apercevait distinctement deux bandes grisâtres, traversant la terre
de Tycho, venant de l'océan Kepler; mais juste au-dessous du lac, le
terrain était blanc, libre, sans aucune tache. Les observations des
27 août, 2, 3 septembre, 1", 6, 10 octobre, 6, 9, 13 novembre de la
même année, montrent le même aspect. Si l'on compare les dessins
faits en même temps à Milan, par M. Schiaparelli, on remarque qu'ils
concordent assez bien avec cette description, car sur ces dessins, il
n'y a qu'une sorte de jonction de canal extrêmement fine qui peut
fort bien avoir échappé à l'observation de M. Trouvelot. En 1881, au
contraire, à partir du 16 décembre et jusqu'en février 1882, M. Trou-
GÉOGRAPHIE DE .MAIiS
velut a observé lu, quoique la plauète fut alors beaucoup plus éloignée
de la Terre et dans de moins bonnes conditions d'observation, une
forte taclie presque aussi foncée que le lac. Cette tacbe est également
visible avec de grandes ramifications sur les dessins faits à Milan à la
même époque. On se rendra compte de ces variations sur notre?
figure 26, qui reproduit fidèlement les dessins de cette même région
faits en 1830 par Màdler, en 1877 par M. Schiaparelli et en 1881 par
M. Trouvelot. Malgré les différences imputables aux conditions de
visibilité, il n'est pas douteux que la région marquée A sur cette
figure, ne soit le siège de grandes variations, parfaitement percep-
tibles d'ici.
Comment de telles inondations et de tels dessécliements alternatifs
1830 ^°"
Fi;;. -IC. — Variations observées sur la planète Mars. La mer Dawes en 1830, 1877 et 1881.
peuvent-ils se produire? Supposer des exliaussements et des affaisse-
ments dans le niveau du sol, comme il s'en produit, par exemple, sur
les bords de la Méditerranée, entre autres à Pouzzoles (oi!i l'on voit le
temple de Sérapis tour à tour au-dessus et au-dessous du niveau de
la mer), serait une hypothèse assurément extrême. C'est plutôt dans
la quantité d'eau qu'il faut chercher les variations. Mais comment
cette quantité peut-elle varier? Par les gelées, par la fonte des neiges,
par les pluies. Or il n'est pas rare d'observer sur Mars des régions
couvertes de neige assez étendues pour être visibles d'ici [voir, plus
loin, la carte de M. Schiaparelli). D'autre part, à certaines époques,
ces neiges disparaissent coniplèteuKMit. Nous en reparlerons tout à
l'heure.
Le procédé météorologique des transformations de l'eau parait
être le même sur cette planète ([ue sur la nôtre; seulement il est pro-
CEOCUAPHIE UE .MAl'.S
bable que les variations sont beaucoup plus importantes là qu'ici;
que les mers ont beaucoup moins d'eau et subissent des cbange-
ments relativement considérables pour elles; que les rivages sont
plats, et qu'en certaines régions les plaines sont juste au niveau de la
mer.
On ne peut pas attribuer ces modifications à des marées, car quoi-
qu'il y ait deux satellites pour les produire, l'un tournant en sept
heures trente-neuf minutes et l'autre en trente heures dix-huit mi
nutes, ces deux satellites ont une masse trop faible pour causer de
tels effets, et d'ailleurs ces effets ne présentent ni la rapidité ni la
périodicité correspondantes aux révolutions de ces minuscules satel-
lites.
Ces variations considérables nous mettent dans un grand embarras.
Assurément, ce ne sont pas des mers comme les nôtres, aux bassins
profonds, aux rivages fixes et arrêtés. Les taches se montrent fixes
dans leur ensemble, mais bizarrement variables dans les détails.
Seraient-ce des plaines liquides et végétales à la fois? des lacs peuplés
de plantes aquatiques? Les pluies suffiraient pour inonder les bords,
les plaines basses, les vallées, comme il arrive pour nos rivières dans
les inondations, ou peut-être, suivant certaines circonstances météo-
rologiques, la végétation varie-t-elle rapidement sur toute l'étendue
des prairies humides... On peut chercher; on peut faire des conjec-
tures; mais, sans doute, la nature de Mars étant différente de la
nature terrestre, nous ne pouvons pas deviner.
Il ne faut pas s'étonner toutefois des différences que l'on rencontre
entre les diverses vues télescopiques de Mars. Vue de loin, la Terre
serait exactement dans le même cas : ses configurations un jour par-
faitement nettes et distinctes seraient, un autre jour, confuses, diver-
sifiées, modifiées par les nuages et les brames. La réapparition d'une
tache prouve mieux en faveur de son existence que cinquante cas
d'invisibilité. Considérons, par exemple, la France et ses environs,
vue de loin : 1° par un jour de beau temps; 2° par un jour nuageux
[fig. 21). Sur notre second dessin, il n'y a pourtant que deux nappes
•le nuages, l'une cachant le nord de la France et une partie de l'An-
gleterre; l'autre, s'étendant de l'Italie au détroit de Gibraltar. Ce voile
suffit pour effacer les contours principaux de la France, de l'Angle-
terre, de la lioUande, de l'Italie, de l'Algérie, et pour rendre nos pays
GEOGRAPHIE DE MAUS
méconnaissables. L'Espagne et le Portugal sont réunis à l'Afrique, et
la Manche a disparu !
(Juclquos-unes de ces différences doivent être dues, d'autre part,
aux variations de transparence qui arrivent dans l'atmosphènî de
Mars connue dans la ui')tre, aux différences de visibilité qui on résul-
tent pour l'ubscrvateur et aux tendances de tout dessinateur à tei'-
miner des cduldurri à peine accusés. Lorsqu'on distingue vaguement,
par exeuipli', une tache allongée, et qu'on veut la représenter par le
Fig. '27. — La France ot ses enviions vus de loin ; 1° p^r un ciel pur; 2" avec deux nappes de nuaRes.
dessin, on a une tendance à la terminer en pointe. Des conligurations
géographiques d'une faible étendue, vues quelquefois parfaitement en
détail, peuvent être facilement masquées par une simple briuiie (pie
l'on prend pour le prolongement d'un continent. Yuici, par exemple
(/?//. 28), une vue téîescopique de Mars, remarquablement nette,
prise à Malte par M. Green, notre savant collègue de la Société royale
astronomique de Londres, le 2 septembre 1877, à l''10"du matin :
on y distingue entr'autres une petite tache foncée (a) appelée par
cet observateur « lac Schiaparelli », et une petite tache blanche [b)
TEKIIES DU CIEL. 8
GEOGUAI'IIIE DE MAKS
appelée depuis longteinpri « île neigeuse ». Eh bien! cette région est
particulièrement fertile en variations atniosphériipies. L'île neigeuse
est parfois adniirabhuuent visible, comme un puiuL blanc, et parfuis
complètement invisible; sa blancheur parait due à de la neige qui
couvrirait là de hautes montagnes et serait fondue en certaines
saisons, ou bien, pliU()t encore (à cause des variations plus rapides
observées) à des nuages qui s'accumuleraient sur les sommets de ces
hautes montagnes. Le lac Schiaparelli disparaît aussi sur certaines
vues d'ailleurs tout à fait satisfaisantes. Ainsi, le 24 octobre 1879, à
2"^ du matin, M. Burton, en Irlande, dessinant le croquis ci-dessous
{fuj. 29), fait la remarcpie suivante :
La continuité de l\.'sqiiissL' de l'oecau Kepler, au sud-est de la baie
Fig. «s. — Aspect de M;irs le 2 septomlu-c 1877 (l''in"' Au matin).
Ghristie, est interrompue par une sorte de huDjue pointue dont l'extrémité
orientale cache l'île neigeuse. Cette bande est évidemment formée par
une traînée de nuages. Cette région est particulièrement sujette ù la for-
mation des nuages. Toutefois, ces nuages-ci paraissent moins blancs,
moins lumineux que ceux de la Terre vus d'en haut. J'ai plus d'une fois
remarqué que ces voiles ou brumes temporaires n'étaient pas très bril-
lants, et même un jour, j'ai observé que l'une de ces taches était certaine-
ment beaucoup moins blanche que les neiges polaires, un peu grise et
presque de la teinte orangée des continents (').
(') William Herschel avait déjà fait cette remarque assez bizarre d'une tache nua-
geuse foncée. Cependant, il semble que les nuages éclairés par le soleil devraient tou-
jours, vus par leur surface supérieure, paraître blancs. Il faut croire que, dans ce cas,
ce .sont des vapeurs à demi-transparentes nui passent sur des régions très foncées.
CÊOllRAPHIE DE MARS
Le même observateur écrit à propos d'une autre tache blanche :
On aperçoit un point brillant tout près du bord occidental, à peu près
dans la position de l'ile Hirst. C'est la seule occasion où nous ayons pu
apercevoir cette tache pendant l'opposition de IST'J, i^uoic^u'on l'ait très
souvent observée en 1877.
Nous reviendrons plus loin sur les nuages et sur les montagnes de
Mars. Nous ne signalons en ce moment ces observations qu'au point
de vue des variations géographiques apparentes observées sur la
planète.
Remarquons encor(> à ce propos que le petit lac Schiaparelli, mal
Fig. -J'J - As|ic;<'t (le Mars le il octobre 1871) (•:'' du inalinl.
VU dans certaines circonstances et simplement estompé, donne l'idée
d'une ligne sombre réunissant la mer Terby à l'océan Kepler et a
souvent été représenté de la sorte.
De quelque nature qu'elles soient, ces variations considérables sont
pour nous un témoignage que ce monde voisin est le siège d'une
énergique vitalité. L'éloignement rend pour nous ces mouvements
calmes et silencieux. En réalité ils sont formidables et nous décèlent
une vie planétaire inconnue.
Mais nous arrivons ici à un problème plus extraordinaire encore,
à la question des canaux de Mars.
On a donné ce nom à de longues lignes grises mesurant de
-OUO kilomètres à 5000 kilomètres de longueur, plus de 100 kilo-
GEOGRAPHIE DK MARS
mètres de largeur, généralement droites ou peu courbées, traver-
sant les continents, faisant communiquer les mers entre elles et
se croisant mutuellement suivant des angles variés. C'est
comme un réseau géométrique continental. Considérez, en ef-
fet, la figure suivante (p. 61). C'est là sans contredit un as-
pect véritablement étrange, inattendu, fantastique. Deux im-
j^A'essions immédiates frappent notre esprit à la vue de ce
bizarre tracé géographique : la première, que ce n'est pas réel,
que l'observateur' a été dupe d'une illusion, qu'il a mal vu ou exa-
géré; la seconde, que, si c'est vrai, si ces canaux sont authen-
tiques, t/s ne parxcissént 2)as naturels et semblent plutôt dus aux
combinaisons d'un raisonnement, représenter l'œuvre industrielle
des habitants de la planète. Vous avez beau vous en défendre, cette
impression pénètre l'esprit, et plus nous analysons le dessin, plus
elle s'impose à notre interprétation.
•Nous allons examiner la vraisemblance de cette authenticité.
Donnons d'abord la parole à M. Schiaparelli, directeur de l'Observa-
toire de Milan, l'auteur delà découverte de ces canaux énigmatiques.
La dernière opposition de Mars a pu être observée à Milan en d'excel-
lentes conditions météorologiques, écrit M. Schiaparelli lui-même (*).
Nous avons eu, du 26 décembre 1881 au 13 février 1882, un grand
nombre de jours particulièrement beaux. Les hautes pressions atmosphé-
riques qui ont dominé à cette époque ont produit une série de belles
journées, calmes et sereines, extrêmement favorables pour les observa-
tions. Pendant seize jours on a pu utiliser toute la puissance de notre
excellent équatorial ('), et pendant quatorze autres jours l'atmosphère n'a
laissé que fort peu à désirer. Aussi, quoique le diamètre apparent de la
planète n'ait pas surpassé 16", tandis qu'il avait dépassé 19" en 1879 et
25" en 1877, il a été possible, dans cette troisième période d'opposition
observée par moi, d'obtenir sur la nature physique de ce monde un
ensemble de renseignements qui surpassent, par leur nouveauté et leur
intérêt, tout ce que j'avais obtenu précédemment.
La série des mers intérieures comprises entre la zone claire équatoriale
et la mer australe s'est montrée mieux dessinée qu'en 1879. Dans la mer
Cimmérienne ('), on voyait une espèce d'ile ou de traînée lumineuse qui
(•) Revue mensuelle d'Astronomie populaire, août 1882.
(•) Objectif de Merz, de Munich, de 0'°,218 de diamètre et de 3",25 de longueur focale;
oculaires grossissant 322 fois et 468 fois.
(') M. Schiaparelli a donné, comme nous l'avons dit, aux configurations géogra-
CËOCRAPHIE DE MARS
la partageait dans sa longueur, ce qui lui donnait de l'analogie avec
l'aspect de la mer Erythrée. Plus surprenante encore est la variation
d'aspect présentée par la grande Syrthe qui a envahi la Libye et s'est
étendue, en forme de ruban noir et large, jusqu'à 60° de latitude boréale.
Le Népenthés et le lac Mœris ont augmenté de largeur et d'obscurité,
tandis qu'il restait à peine quelques vestiges d'un marais parfaitement
visible sur la carte de 1879. Ainsi, des centaines de milliers de kilomètres
carrés de surface sont devenus sombres, de clairs qu'ils étaient, et, à l'in-
verse, un grand nombre de régions foncées sont devenues claires. De
telles métamorpho:ies prouvent que la cause de ces taches foncées est un
agent mobile et variable à la surface de la planète, soit de l'eau ou un
autre liquide, soit de la végétation, qui se propagerait d'un point à un
autre.
Mais ce ne sont pas encore là les observations les plus intéressantes. Il
y a sur cette planète, traversant les continents, de grandes lignes
sombres auxquelles on peut donner le nom de canaux, quoique nous ne
sachions pas encore ce que c'est. Divers astronomes en ont déjà signalé
plusieurs, notamment Dawes en 1864. Pendant les trois dernières opposi-
tions, j'en ai fait une étude spéciale, et j'en ai reconnu un nombre consi-
dérable qu'on ne peut pas estimer à moins de soixante. Ces lignes courent
entre l'une et l'autre des taches sombres que nous considérons comme
des mers, et forment sur les régions claires ou continentales un réseau
bien défini. Leur disposition paraît invariable et permanente, au moins
d'après ce que j'en puis juger par une observation de quatre années et
demie: toutefois leur aspect et leur degré de visibilité ne sont pas tou-
joiirs les mêmes et dépendent de circonstances que l'état actuel de nos
connaissances ne permet pas encore de discuter avec certitude. On en a
vu en 1879 un grand nombre qui n'étaient pas visibles en 1877, et en
1882 on a retrouvé tous ceux qu'on avait déjà vus, pendant les opposi-
tions précédentes, accompagnés de nouveaux. Quelquefois ces canaux se
présentent sous la forme de lignes ombrées et vagues, tandis qu'en
d'autres occasions ils sont nets et précis comme un trait fait à la plume.
En général ils sont tracés sur la sphère comme des lignes de grands car-
des : quelques-uns montrent une courbure latérale sensible. Ils se
croisent les uns les autres, obliquement ou à angle droit. Ils ont bien
2 degrés de largeur, ou 1 20 kilomètres, et plusieurs s'étendent sur une lon-
gueur de 80 degrés ou 4800 kilomètres. Leur nuance est à peu près la
même que celle des mers, ordinairement un peu plus claire. Chaque canal
se termine à ses deux extrémités dans une mer ou dans un autre canal :
phiqiies de sa carte de Mars les noms de l'antique géographie terrestre. La mer
Cimmérienne correspond à la mer Maraldi de notre carte, la mer Erythrée à l'océan
Kepler, la grande Syrthe à la mer du Sablier, etc. Voyez le tableau synoptique de la
page 4!..
GEOGRAPHIE DE MARS
il n'y a pas un seul exemple d'une extrémité s'arrétant au milieu de la
terre ferme.
Ce n'est pas tout. En certaines saisons, ces canaux se dédoublent, ou,
pour mieux dire, se doublent.
Ce phénomène paraît arriver à une époque déterminée et se produire à
peu près simultanément sur toute l'étendue des continents de la planète.
A.ucun indice ne s'en est signalé en 1877, pendant les semaines qui ont
précédé et suivi le solstice austral de ce monde. Un seul cas isolé s'est
présenté en 1879 : le 26 décembre de cette année (un peu avant l'équi-
noxe de printemps, qui est arrivé pour Mars le 21 janvier 1880), j'ai
remarqué le dédoublement du Nil, entre le lac de la Lune et le golfe
Géraunique. Ces deux traits réguliers égaux et parallèles me causèrent,
je l'avoue, une profonde surprise, d'autant plus grande que, quelques
jours avant, le 23 et le 24 décembre, j'avais observé avec soin cette même
région sans rien découvrir de pareil. J'attendis avec curiosité le retour de
la planète en 1881 pour savoir si quelque phénomène analogue se présen-
terait dans le même endroit, et je vis reparaître le même fait le 1 1 janvier
1882 un mois après l'équinoxe de printemps de la planète (qui avait eu
lieu le 8 décembre 1881) : le dédoublement était encore évident à la fin de
février. A cette même date du II janvier, un autre dédoublement s'était
déjà produit : celui de la section moyenne du canal des Gyclopes, à côté
de l'Elysium.
Plus grand encore fut mon étonnement lorsque, le 19 janvier, je vis le
canal de la Jamuna, qui se trouvait alors au centre du disque, formé très
correctement par deux lignes droites parallèles, traversant l'espace qui
sépare le lac Niliaque du golfe de l'Aurore. Tout d'abord je crus à une
illusion causée par la fatigue de l'œil et à une sorte de strabisme d'un
nouveau genre ; mais il fallut bien se rendre à l'évidence A partir du
19 janvier, je ne fis que passer de surprises en surprises; successivement
rOronte, l'Euphrate, le Phison, le Gange et la plupart des autres canaux
se montrèrent très nettement et incontestablement dédoublés. Il n'y a pas
moins de vingt e.\emples de dédoublement, dont dix-sept ont été observés
dans l'espace d'un mois, du 19 janvier au 19 février.
En certains cas, il a été possible d'observer quelques symptômes pré-
curseurs qui ne manquent pas d'intérêt. Ainsi, le 13 janvier, une ombre
légère et mal définie s'étendit le long du Gange; le 18 et le 19, on ne dis-
tinguait plus là qu'une série de taches blanches; le 20, cette ombre était
encore indécise, mais le 21 le dédoublement était parfaitement net, tel
que je l'observai jusqu'au 23 février. Le dédoublement de l'Euphrate, du
canal des Titans et du Pyriphlégéton commença également sous une
forme indécise et nébuleuse.
Ces dédoublements ne sont pas un efl'et d'optique dépendant de
l'accroissement du pouvoir visuel, comme il arrive dans l'observation
GEOGRAPHIE DE MARS
des étoiles doubles, et ce n'est pas non plus le canal lui-même qui se
partage en deux longitudinalement. Voici ce qui se présente : A droite ou
à gauche d'une ligne préexistante, sans que rien soit changé dans
le cours et la position de cette ligne, on voit se produire une autre
ligne égale et parallèle à la première, à une distance variant généra-
lement de 6° à 12°, c'est-à-dire de 350 à 700 kilomètres ('); il parait
même s'en produire de plus proches, mais le télescope n'est pas assez
puissant pour permettre de les distinguer avec certitude. Leur teinte
paraît être celle d'un brun roux assez foncé. Le parallélisme est
quelquefois d'une exactitude rigoureuse. Il n'y a rien d'analogue dans
la Géographie terrestre. Tout porte à croire que c'est là une organi-
sation spéciale à la planète Mars, probablement rattachée au cours do
ses saisons.
Voilà les faits observés. L'éloignement de la planète et le mauvais
temps empêchèrent de continuer les observations. Il est difficile de se
former une opinion précise sur la constitution intrinsèque de cette géo-
graphie, assurément fort différente de celle de notre monde. Si le phéno-
mène est réellement lié aux saisons de Mars. Tout instrument
capable de faire voir sur un fond clair une ligne noire de 0",2 de largeur
et de séparer l'une de l'autre deux lignes comme celle-là, écartées de 0",5,
pourra être employé à ces observations.
Dans l'élat actuel des choses, il serait prématuré d'émettre des con-
jectures sur la nature de ces canaux. Quant à leur existence, je n'ai pas
besoin de déclarer que j'ai pris toutes les précautions commandées pour
éviter tout soupçon d'illusion : je suis absolument sûr de ce que j'ai
observé.
(') Quels sont les objets les plus petits que, dans l'état actuel de l'Optique, nous puis-
sions apercevoir à la surface de Mars? C'est là une intéressante question, que les obser-
vations de M. Schiapai-elli viennent en partie de résoudre. Sa lunette, dont l'objectif
mesure 0",2i8 de diamètre, armée d'oculaires grossissant l'un 322 fois, l'autre 4G8 foi^,
et dont la longueur est de 3", 25, lui a permis de distinguer : t" des taches lumineuses
iur fond obscur et des taches obscures sur fond lumineux, mesurant une demi-seconde;
2» des lignes lumineuses sur fond obscur mesurant seulement un quart de seconde;
3° des lignes obscures sur fond lumineux mesurant également un quart de seconde. 11
en résulte que, dans d'excellentes conditions atmosphériques, on distingue des taches
dont le diamètre n'est que le cinquantième de celui de la pkinète, c'est-à-dire de 137"" :
la Sicile, les grands lacs de r.\frique centrale, l'île Ceylan, l'Islande y seraient visibles.
Semblablement, une ligne dont la largeur ne serait que le centième de celle de la pla-
nète, ou de 70'", y serait perceptible ; on y distinguerait donc : l'Italie, l'Adriatique, la
mer Rouge, etc. Le grand équatorial de Washington doit montrer des détails trois fois
plus petits, larges d 44'" et de 24'". Au lieu de continuer le duel avec les canons de
80 tonnes, de 100 tonnes, de 150 tonnes et les plaques blindées, ne serait-on pas mieux
inspiré de suspendre un instant cette pure perte de centaines de millions payés par les
contribuables, et d'en consacrer la centième partie à des essais capables de nous ouvrir
les divins secrets de la nature ?
CËOCiîAI'HIK Dli MAliS
Ainsi parle 1p savant astronome italien. Considérons nous-mêmes
avec attention tct étrange réseau. Assurément, plus nous l'exami-
nons, plus il nous paraît bizarre, moins il nous semble naturel. Ces
(( canaux » nous mettent, à vrai dire, dans un tel embarras pour
être expliqués, n(ni seulement par leur aspect individuel, mais en-
Fig. 31. — Le lover du solei! sur les canaux do M:ir;.
core à cause des différences qu'ils présentent avec la carte géogra-
phique de Mars publiée plus haut, que le plus simple, avouons-le
franchement, serait de rejeter au chapitre des illusions d'optique
ce qu'ils offrent d'anormal et d'embarrassant. Mais c'est assez diffi-
cile. M. Scliiaparelli n'est pas le premier venu; c'est un astronome
de valeur, depuis longtemps c(>lébre par sa découverte de la théorie
cométaire des étoiles filantes et par d'autres travaux. On a remar-
TEP.r.ES DU CIEL
GEOGRAPHIE DE MARS
que, il est vrai, que les astronomes mathématiciens sont assez sou-
vent mauvais observateurs. Mais tel n'est pas le cas ici, car le directeur
de l'Observatoire de Milan a fait de bonnes observations de Saturne ;
ses mesures d'étoiles doubles sont exactes et précises ; de plus, la
carte de Mars elle-même lui doit un grand progrès : il est parvenu à
tiaire, pour la première fois, une véritable triangulation de la planète
et à fixer la position géographique de 1 14 points de la surface, déter-
minés d'après un ensemble de mesures micromètriques s'élevan '.
au chiffre de 482. C'est là une œuvre capitale. Ajoutons encore
que M. Schiaparelli n'est pas un homme d'imagination ; au con-
traire.
On peut objecter que si l'astronome italien a bien vu, si tout cela
est exact, il est assez singulier que personne avant lui n'ait aperçu
ces canaux, même en observant la planète à l'aide d'instruments
plus puissants que ceux de l'Observatoire de Milan. Voici quelques
réponses à cette objection :
1° L'équatorial de Milan est un instrument excellent, dont les qualités
optiques sont depuis longtemps reconnues; quoiqu'il ne soit que d'^
moyenne taille (0™, 216), il est supérieur à beaucoup d'instruments plus
gigantesques; on sait d'ailleurs que pour la netteté des images danj
l'observation des planètes, ce ne sont pas les plus grands instruments qui
ont donné les meilleurs résultats.
2° Le climat de Milan est particulièrement favorable aux observations
astronomiques; son atmosphère est pure, calme, et d'une température
homogène.
3° L'hiver de 1881-82 a été exceptionnel pour la beauté du ciel; tout le
monde en a été frappé à Nice et dans le Midi.
4* M. Schiaparelli a mis dans ses observations une persévérance en
rapport avec les résultats obtenus.
Toutes ces circonstances réunies nous portent à croire que ces
nouvelles observations ne sont pas imaginaires. Sans doute, pour
certains détails, et notamment pour le doublement des canaux,
il convient d'attendre une vérification lors du prochain retour de
Mars. Mais quant aux principaux canaux eux-mêmes, observés
et mesurés, il est difficile de nier leur existence. D'ailleurs, leur
position s'accorde avec certains tracés antérieurs dus à d'autres
observateurs. Ainsi l'Hydaspe et l'Agathodémon ont été vus par
GEOGRAPHIE DE MARS
Dawes; le Gange est reconnaissable sur les dessins de Secchi, etc.
Nous nous trouvons donc ici en présence d'une situation assurément
bizarre. D'une part, il est probable que la carte de M. Schiaparelli
est exacte, au moins dans son canevas fondamental. D'autre part,
on se demande comment la nature seule aurait pu dessiner ces
lignes droites ou légèrement courbes qui semblent destinées à mettre
en communication toutes les régions de la planète entre elles.
L'hypothèse d'une origine intelligente de ces tracés se présente
d'elle-même à notre esprit, sans que nous puissions nous y opposer.
Quelque téméraire qu'elle soit, nous sommes forcés de la prendre
en considération. Tout aussitôt, il est vrai, les objections abondent.
Est-il vraisemblable que les habitants d'ane planète construisent
des œuvres aussi gigantesques que celles-là? Des canaux de cent
kilomètres de largeur? Y pense-t-on? et dans quel but?
Eh bien (circonstance assez curieuse), dans Vhypotlièse d'une
origine humaine de ces tracés, on pourrait en trouver l'explication
dans l'état de la planète elle-même. D'une part, les matériaux sont
beaucoup moins lourds sur cette planète que sur la nôtre. D'autre
part, la théorie cosmogonique donne à ce monde voisin un âge
beaucoup plus ancien que celui du globe où nous vivons. Il est
naturel d'en conclure qu'il a été habité plus tôt que la Terre, et
que son humanité, quelle qu'elle soit, doit être plus avancée que
la nôtre. Tandis que le percement des Alpes, l'isthme de Suez,
l'isthme de Panama, le tunnel sous-marin entre la France et l'An-
gleterre paraissent des entreprises colossales à la science et à l'in-
dustrie de notre époque, ce ne seront plus là que des jeux d'enfants
pour l'humanité de l'avenir. Lorsqu'on songe aux progrès réalisés
dans notre seul dix-neuvième siècle, chemins de fer, télégraphes,
applications de l'électricité, photographie, téléphone, etc., on se
demande quel serait notre éblouissement si nous pouvions voir d'ici
les progrès matériels et sociaux que le vingtième, le vingt et unième
siècle et leurs successeurs réservent à l'humanité de l'avenir. L'es-
prit le moins optimiste prévoit le jour où la navigation aérienne
sera le mode ordinaire de circulation; où les prétendues frontières
des peuples seront effacées pour toujours; où l'hydre infâme de la
guerre et l'inqualifiable folie des armées permanentes seront anéan-
ties devant l'essor glorieux de l'humanité pensante dans la lumière
GEOGRAPHIE DE MARS
et dans la liberté ! N'est-il pas logique d'admettre que, plus ancienne
que nous, l'humanité de Mars est aussi plus perfectionnée, et que
dans l'unité féconde des peuples, les travaux de la paix ont pu
atteindre des développements considérables?
Nous ignorons ce que peuvent être ces longs tracés sombres à
travers les continents, si toute leur épaisseur est homogène, et rien
ne nous prouve assurément que ce soient là des canaux pleins d'eau.
On peut faire là-dessus mille conjectures. Mon ami M. Courbebaisse
ne serait pas éloigné d'y voir des travaux de drainage des eaux deve-
nues rares sur la planète; M. Considérant, le vieux phalanstérien, y
reconnaîtrait de préférence une sorte de cadastre de cultures collec-
tives sur un globe « arrivé à la période d'harmonie »; M. Proctor^
l'astronome anglais, traitant ce même sujet dans un intéressant
article du Times, suggère l'idée que « les habitants de Mars doivent
être engagés en de vastes travaux d'ingénieurs, attendu que ces
lignes sont tracées dans toutes les directions et gardent entre elles
une distance constante et significative» ; à la séance de la Société
Royale astronomique de Londres du 14 avril 1882 ('), M. Green,
l'habile observateur de Mars, signalant cette interprétation de
M. Proctor, ajoute qu'il n'a aucunement l'intention d'introduire un
sujet de plaisanterie dans une matière scientifique aussi importante,
mais que de tels aspects géographiques méritent la plus grave atten-
tion et qu'il est du plus haut intérêt de les vérifier; M. Maunder, de
l'Observatoire de Greenwich, a fait remarquer que ce qu'il y a de
plus étrange, c'est que ces canaux paraissent changer de place et
sont tantôt visibles et tantôt invisibles; pour plusieurs observateurs,
ce ne seraient pas des canaux proprement dits, mais plutôt des bor-
dures de districts plus ou moins foncés ; les dessins de Mars obtenus
à Greenwich pendant l'opposition de 1881 concordent mieux avec
ceux de Milan de 1879 qu'avec ceux de 1881; sans doute la diffé-
rence est-elle due à l'atmosphère, qui n'aura pas permis de distin-
guer en Angleterre les détails observés en Italie. Quant aux double-
ments des canaux arrivés sous les yeux de M. Schiaparelli, si cet
effet n'est pas dû à l'objectif de sa lunette (et vraiment, tout en la
signalant comme possible, nous ne pouvons regarder cette illusion
(') Voir The Observalory, inay 1882, p. 13S.
CËOGRAPIIIE DE MARS
comme probable de sa part), il faut avouer qu'un tel phénomène est
bien fait pour nous surprendre et nous confondre.
Quelle que soit l'hypothèse vers laquelle on penche, origine natu-
relle ou origine industrielle de ces canaux, leur existence n'en con-
stitue pas moins un problème du plus haut intérêt, et l'un des plus
singuliers sujets d'études que l'astronomie physique nous ait encore
offert. Assurément, ce doit être là un fort curieux spectacle à voir du
haut d'un ballon ou du haut d'une montagne escarpée, surtout au
lever ou au coucher du soleil, lorsque la lumière éblouissante du dieu
du jour vient embraser toutes ces eaux de reflets d'or ou de pourpre...
Quels yeux contemplent ces scènes? quels peintres les reproduisent?
quelles âmes rêvent devant ces lumineuses et sereines splendeurs?
Nous ne nous attarderons pas plus longtemps en ce moment dans
ces curieux et mystérieux détails de la géographie de Mars. L'impor-
tant pour nous était de nous en former d'abord une idée générale,
afin de prendre immédiatement possession, dans notre esprit, de
cette planète considérée comme « terre du ciel ». Remarquons, à ce
propos, que, depuis le commencement du monde, depuis l'origine de
l'humanité terrestre, c'est pour la première fois que l'esprit humain
se met en rapport direct avec un autre monde, pour la première fois
qu'il nous a été possible de construire une carte géographique d'une
planète étrangère à la nôtre, mais assez analogue pour nous inviter
à conclure qu'elle est actuellement habitée par une race intelli-
gente peu différente de la nôtre. La science, la philosophie, font en
ce moment un pas considérable en avant de tout ce qui a été fait jus-
qu'ici dans toutes les branches des connaissances humaines, un pro-
grés gigantesque, calme, tranquille, pacifique, dont nous n'appré-
cions pas encore nous-mêmes la portée, mais qui transformera la
face des choses. Révolution intellectuelle plus profonde que toutes
celles du sabre et du canon. C'est seulement à dater d'aujourd'hui
que nous pouvons vraiment nous sentir citovexs du ciel. Le
XX" siècle sera le premier siècle de la vraie philosophie — si
l'humanité continue de marcher en avant et de suivre la devise de
la Science : Excelsior !
Mais revenons à l'étude astronomique de Mars.
CHAPITRE IV
Aspect de Mars à l'œil nu.
Sa coloration rouge. — Idées des anciens sur la planète.
Astrologie et histoire. — Mouvement de Mars autour du Soleil.
Phases. — Volume. — Densité.
Nous nous sommes laissés eaiporttn- un peu rapidement, dans
les descriptions précédentes, par l'intérêt et par la nouveauté du
sujet; nous avons pu nous croire un instant envolés au-dessus des
méditerranées et des lacs de cette patrie voisine; nous avons cru
assister h la formation des nuages qui viennent couronner ses mon-
tagnes, contempler ses îles et ses rivages, naviguer sur ses canaux
énigmatiques. Bientôt nous pénétrerons davantage encore dans la
connaissance de ce nouveau monde, nous nous rendrons compte des
aspects particuliers de sa surface, nous admirerons les phénomènes
météorologiques de son ciel, les splendeurs des couchers de soleil sur
ses montagnes alpestres et l'étrange spectacle de ses deux lunes cou-
rant ou planant dans son ciel en produisant des éclipses aussi bizarres
que multipliées. Mais avant de nous répandre dans les mille détails pit-
toresques de la découverte d'un nouveau monde, il importe poui'
nous de posséder d'abord la planète au point de vue de sa description
astronomique. Nous devons donc sans tarder reprendre l'étude de
cette quatrième province du système solaire, apprendre à la recon-
naître nous-mêmes dans le ciel, à la trouvera l'œil nu, à l'observer
ASPECT DE MARS A L'OEIL NO
à l'aide des instruments qui peuvent être à notre disposition, à nous
rendre compte de sa position dans l'espace et de sa marche autour
du Soleil ; en un mot, nous devons en prendre d'abord complète-
ment possession au point devue uranographique.
A l'œil nu, la planète Mars brille dans le ciel comme une étoile do.
première grandeur. Elle se distingue particulièrement par son éclat
rouge et dans tous les temps elle a été remarquée pour cette colora-
tion ('). Le nom qu'elle portait chez les Hébreux signifie embrasé.
Chez les Égyptiens de la XIX^ dynastie, aux temps pharaoniques, elle
est nommée Har-tesch et Armachis, avec le signe de la rétrogradation,
qui caractérise son mouvement, et dans le Zodiaque de Dendérah,
qui date de l'époque romaine, on l'appelle Horus le rouge. Chez
les Grecs, Mars, qui s'appelait aussi Ap/,; et Hercule, avait pour épi-
théte habituelle TropÔEi;, ou twcawc^escen^. Chez les Chinois, il portait
le nom de Tch'i-Sing {la planète rouge) et de Young-houo [lueur
vacillante). Chez les Indiens, il était nommé Angaraka {charbon
ardent), et se nommait aussi Lohitanga [le corps rouge). C'est, sans
aucun doute possible, cette coloration rouge qui a fait appeler Mars
le dieu du sang et des combats, à l'époque primitive où l'on croyait
que les destinées humaines étaient réglées par les astres. Aussi a-t-il
toujours personnifié le dieu de la guerre dans les mythologies an-
ciennes, et le signe j* sous lequel nous continuons de le représenter
doit-il être un vestige de l'union de la lance et du bouclier.
Dans tous les siècles, les peintres et les sculpteurs ont représenté
cette planète avec les attributs du combat, suivant en cela les
antiques traditions de la poésie. L'une des dernières représentations
classiques du dieu guerrier, et en même temps l'une des plus belle^,
est assurément celle que nous reproduisons ici (/î//. 32), due au crayon
de Raphaël, qui a voulu rappeler en môme temps les influences astro-
logiques de la planète. Ce tableau peut être placé en regard de celui
du Soleil, du divin Apollon lançant ses flèches d'or dans l'espace.
(') Lorsque les Grecs et les Romains voulaient parler d'une étoile rougeâtre, ils pre-
naient toujours Mars pour point de comparaison. Aujourd'hui encore, cet astre est le
plus rouge de tous ceux que l'on voit à l'œil nu. (Il y a des étoiles télescopiques qui
sont d'un rouge sang.) Le nom de l'étoile rougeàlre Anlarès a lui-môme Mars pour
origme : avt-SîT)?, rivale de Mars. — Depuis plusieurs milliers d'années donc, le carac-
tère particulier de la lumière que cette planète nous réQéchit n'a pas été altéré.
IDKES l)i;s ANCIENS SlMt MARS
Dans l'ancienne astrologie, Mars était associé aux deux constella-
tions zodiacales du Scorpion et du Bélier, et l'on combinait les pré-
Fig. 3-2.
Sll^-l>rl„^u ,r^
JPia/s
ScoijyÙLf^ j?7//i//.f pnncipaïur ,Ancj
tendues influences de ces signes avec les siennes propres pour tirer
les horoscopes et calculer les destinées. Nous avons sur ce point de
IDKKS DKS ANCIENS S i; F! .M A 11 S
fort ancions documents, oiitn> antn^s uno série do médailles do l'oin-
poreiir Antunin, t'rappéos on Égyi)t,o l'an Ii5 do notre ère, précisé-
c^ianeéanim. meaius e/ maaumus- COcjnUùr ^lis À en
mont ;i l'époqne où Ptoléméo rédigciit V.lh/inf/r>ifp.Coii médailles
sont actuellement à Paris, à la Bililiothéquc nationale; elles repré-
TEflRES DC CIEI. lO
ASTRONOMIE ET ASTKULOIJIE
sentent (Voy. ftg. 34) l'empereur Antonin, — la Lune sui' le Scor-
pion— le Soleil sur le Lion — Mercure et la Vierge — Vénus et la
Balance — Mars et le Scorpion — Jupiter et le Sagitaire — Saturne
Fig. ai. — Méilaillc^ plunùtaires frappées en Égj'ple sous TompeiTur Antonin.
associé au Capricorne et au Verseau — Jupiter sur les Poissons —
Vénus sur le Taureau. Une dernière résume ces combinaisons en un
même tableau.
ASTIIONOMIE ET ASTROLOGIE
A cette époque, en Egypte, l'astrologie faisait partie intégrante de
la religion. Nous aurons lieu, plus tard, de revenir sur cet intéressant
sujet historique.
Florissante aux premiers siècles de notre ère, l'astrologie était
encore en grande faveur à la cour de France sous les Médicis, et
mènie sous Louis Xl\, Gassini y croyait encore. A la naissance du
a4-«.44
■ ->
Scpteoibris
D. H. M.
425 11. T. A. vero.
2) 15. ïftimato.
Latitudo 49.
Ex^TabulisB-udoJph.
.it
Laticudiaes
0. j7 M.D
0. ss S. D
}. 20 M.D
9
0- 1} M.A
5
0. 47 S. D
z. i& M.D
Fig. 35. — Uoroscopo Ju Louis XIV lii'i; le jour do sa uaissancu.
roi, Anne d'Autriche avait fait venir l'astrologue Morin pour tirer
l'horoscope du nouveau-né. Morin parait convaincu de sa science (').
11 donne lui-même dans son livre l'horoscope du roi, reproduit
ici, l'ail à Saint-Germain, le -4 septembre 1638, à SS'lo"" (c'est-à-dire
le ô a 1 liô™) et raconte qu'il le remit au cardinal de Richelieu, que
l'enfant a eu deux maladies, uu érésipéle, le l'2 mars 1644, et la
(') J"ai (lo lui, dans ma bibliothèque, un (■norme in-folio de 78* pages sur deux
colonnes, tout entier consacré à l'Astrologie, bourré d'Iioroscopes de grands person-
nages, de villes et de provinces, et dédié à.... JÉsis-CnniST en personne : Aslrologia
yallica, La Haye, 16G1. Pour l'auteur, la Terre est fixe au centn; du monde et les astres
régissent toutes les actions humaines. Morin était un médecin renommé. 11 se basait
sur les positions des planètes pour soigner ses malades, lesquels ne s'en portaient
pas plus mal.
ASTRONOMIE ET ASTKOLOCIE
petite vérole le 11 novembre 1647, mais que l'influence de Jupiter a
déjoué celle de Saturne et de la Lune. C'est là le dernier livre écrit
sur l'Astrologie. Pourtant nous trouvons encore plus tard dans un
ouvrage dédié au roi (') les influences planétaires exposées, et notam-
ment celle de Mars avec la figure ci-contre représentant un siège en
règle, au-dessus duquel plane la planète, la vraie, telle qu'on l'obser-
vait déjà au télescope.
On trouve des traces de la connaissance de la planète Mars aux
plus anciennes époque de l'histoire. Nous pouvons conjecturer
qu'elle a été la troisième distinguée des étoiles fixes par les pre-
miers observateurs. Vénus et Jupiter ont dû être remarquées les
deux premières, à cause de leur éclat sans rival.
Les annales de l'astronomie ont conservé d'antiques observations de
la planète Mars ainsi que des plus brillantes planètes. L'une des plus
reculées est assurément la curieuse remarque consignée par les Chi-
nois, que sous le règne de l'empereur Chuen-Kuh (petit-fils de l'em-
pereur H\vang-Te (Hoang-Ti), le premier jour de la première lune
du printemps, on vit les planètes Mars, Jupiter, Saturne et Mercure
réunies auprès de la Lune dans la constellation Shih, qui correspond
au Verseau et aux Poissons. Cet empereur a régné 78 ans, de l'année
2513 à l'année 2436 avant notre ère, et la conjonction a eu lieu
vers l'an 2441. Voilà donc une observation de planètes qui date de
plus de quatre mille trois cents ans. C'est, pour notre science, un
titre de noblesse bien antérieur aux croisades. Aucun quartier
héraldique ne peut soutenir de comparaison avec ceux-là.
Et pourtant, ce n'est pas le plus ancien, car l'établissement du
calendrier dont se servent encore actuellement les habitants du
céleste empire remonte encore plus haut dans la nuit des temps.
Ce système de chronologie se compose de cycles de 60 ans. On est
entré en 1864 dans le 76° cycle. La première année de cette série
est donc: 75x60(^=4500) — 1863, et remonte par conséquent à l'an
2637 avant notre ère. Cette année a, du reste, un caractère parfai-
tement historique, car elle est la 60° du règne de l'empereur
Hwang-Te, monté sur le trône l'an 2698 avant notre ère. Ce prince
lettré est regardé par les Chinois comme ayant découvert le cycle
('} Description de l'Univers, par AUain Manesson Mallet. Paris, 160^',
ASTlUINd.MIt: KT ASTROLOf.lE
lunaire de 19 ans qui ramène les éclipses dans le mèuio ordre,
cycle redécouvert deux iiiillr ans plus tard par Méton chez les
Pig. 3C. — La planète Mars et les batailles.
(Figure de l'an 1693).
Grecs et exposé à la Grèce assemblée lors des jeux olympiques
(l'an -'i;{3 av. J.-C). Les Athéniens inscrivirent en lettres d'or h;
cycle di; Méton sur les monuments publics ; c'est de là que le
L'ASTRONOMIE IL Y A QUARANTE SIÈCLES
numéro de l'année du cycle prit le nom de Nombre d'or, qu'il
porte encore aujourd'hui dans nos almanachs.
Nous possédons encore, sur la planète Mars et sur ses compagnes
des A^estiges d'observations presque aussi anciennes, mais provenant
d'une contrée bien différente de la Chine.
11 y a un certain nombre d'années déjà, en 1845, M. Layard,
descendant d'une famille française protestante chassée de France
par la révocation de l'édit de Nantes, découvrit sur la rive gau-
che du Tigre, à l'est de Nemroud, de curieuses ruines de l'ancienne
Ninive qu'il recueillit avec soins et fit transporter en Angleterre, sa
seconde patrie. Ce savant retrouva, dans la région du Palais-Royal
de Ninive appelée des habitants actuels Koyoundijk, — bâtie sous
le règne d'Assourbanipal, le dernier des conquérants Assyriens,
— la salle des archives et la bibliothèque. Cette bibliothèque, bien
singulière pour nos idées et nos habitudes, se composait exclu-
sivement de tablettes plates et carrées, en terre cuite, portant sur
l'une et l'autre de leurs deux faces une page d'écriture cunéiforme
cursive, très fine et très serrée, tracée sur l'argile encore fraîche,
avant sa cuisson. Chacune était numérotée, et formait le feuillet
d'un livre dont l'ensemble était constitué par la réunion d'une série
de tablettes pareilles, sans doute empilées les unes sur les autres
dans une même case de la bibliothèque. Les Babyloniens et les
Assyriens n'avaient pas, du reste, d'autres livres que ces « coctiles
laterculi », comme les appelle Pline. Ils ne traçaient les signes de
leur écriture ni à l'encre, ni avec le calame ou le pinceau, sur le
papyrus, des peaux préparées ou des bandelettes de toile, ni à la
pointe sèche, sur des planchettes, des feuilles de palmier ou des
écorces d'arbres. Faute d'autres ressources facilement à leur portée,
ils les dessinaient en creux sur des briques d'argile qu'ils faisaient
cuire ensuite pour les conserver. De là l'apparence de leur écriture ;
car l'élément tout particulier, qui produit l'aspect original des écri-
tures cunéiformes et y devient le générateur de toutes les figures,
le trait en forme de coin ou de clou, n'est autre que le sillon tracé
dans l'argile par le style en biseau dont on se servait pour cet
usage, et dont on a trouvé de nombreux échantillons dans les ruines
de Ninive. Ajoutons que cette bibliothèque publique était organisée
à peu prés comme l'est de nos jours notre bibliothèque nationale :
L'ASTRONOMIE IL Y A QUARANTE SltCLES
on a môme retrouvé les registres où les visiteurs inscrivaient leur
nom et leur adresse... Nil sub sole novum !
Les fragments de tablettes recueillis parles ouvriers de M.Layard,
dans la salle où Assourbanipal avait établi sa bibliothèque, montent
à près de dix mille, et proviennent d'ouvrages qui traitaient des sujets
les plus différents : mythologie, astronomie, astrologie, grammaire,
histoire, droit, histoire naturelle, etc.
Depuis cette époque, plusieurs savants anglais, notamment
MM. Smith, Sayce et Bosanquet, se sont occupés de déchiffrer ces
tablettes et d'en dégager la valeur scientifique. Le résultat de
leurs travaux est que ces tablettes sont des copies faites dans le
septième siècle. avant notre ère, par ordre d'Assourbanipal, d'après
un exemplaire original très ancien qui existait dans la ville d'Ou-
rouk en Chaldèe (l'Erech du chapitre x de la Genèse). Cet ori-
ginal remontait à l'époque du premier empire de Chaldée, dix-sept
siècles au moins avant notre ère, et même probablement plus haut ;
il était donc fort antérieur à Moïse. Comme il est écrit en langue
accadienne, il doit être de plus de deux mille ans antérieur à notre
ère. On peut dire en thèse générale que les documents écrits en
langue accadienne sont antérieurs au XX'' siècle, que ceux
écrits en langue sémitique sont compris entre 2000 et 1000 avant
notre ère, et que la période assyrienne proprement dite, occupe
le dernier millénaire avant notre ère. Cette antiquité des obser-
vations babyloniennes s'accorde avec les observations d'étoiles
rapportées dans un planisphère de la même époque, dans lequel
la position de Régulus, de Capella et de la constellation du Scor-
pion correspondent à l'état du ciel 2120 ans avant notre ère. En
ces temps reculés, le calendrier babylonien était déjà constitué :
il était lunaire comme le calendrier Israélite ; les éclipses de lune
arrivaient vers le 14 du mois, et les éclipses de soleil vers le 29. '
Dans ces ruines de Ninive, on a trouvé entre autres un ouvrage
intitulé : les Observations de Bel. Cet ouvrage, divisé en LX livres,
était resté dans les ruines du palais de Sardanapale, appartenait
anciennement à la bibliothèque publique de cette capitale, et
était dédié au roi Sargon, d'Agané, en Babylonie. Or, l'un des
livres de cet ouvrage est consacré à la planète Mars, un autre
à Vénus, un autre à l'étoile polaire (qui était alors l'étoile a du
L'ASTRONOMIE IL Y A QUARANTE SIÈCLES
Dragon), etc. Les cinq planètes Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et
Saturne étaient connues dès cette époque ; la semaine de sept
jours consacrés aux sept astres [cinq planètes, plus le Soleil et la
Lune (')] était peut-être déjà en usage au commencement des obser-
vations assyriennes et accadiennes, c'est-à-dire vers l'an 2500
avant notre ère.
Nous possédons aussi des observations d'entrées et de sorties de la
planète dans les signes du zodiaque datant de la XIX° dynastie des
rois d'Egypte. Mais la plus ancienne mesure de position de Mars
qui nous soit parvenue date de la 52* année qui suivit la mort
d'Alexandre le Conquérant (486 de l'ère de Nabonassar), ou de
l'an 272 avant notre èi-e. Le 17 janvier (21 athir) de cette année, la
planète passa tout près de l'étoile |3 du Scorpion. Cette observa-
tion nous a été conservée dans VAlmageste de Ptolémée. Le cours
de Mars était connu depuis longtemps à cette époque.
Non seulement l'astronomie est la première et la plus ancienne
des sciences, non seulement elle est aujourd'luii la plus importante
(«) Lundi, Lunae dies, jour de la Lune.
Mardi, Martis dies, jour de Mars.
Mercuedi, Mercuris dies, jour de Mercure.
Jkudi, Jovis dies, jour de Jupiter.
Vendredi, Veneris dies, jour de Venu*.
Samedi, Saturni dies, jour de Saturne.
Dimanche, dies dominica, jour du Seigneur ou Solis dies : Sunday,
Sonntag, jour du Soleil.
Les signes sous lesquels les planètes sont représentées datent probablement de la
fin de l'époque romaine, du temps où l'astrologie chaldéonne florissait dans toute son
expansion. Les voici :
Le Soleil 0 Mars (f
La Lune <ï Vénus $
Saturne f) Mercure Ç
Jupiter ^
Les deux premiers, un disque pour le Soleil et un croissant pour la Lune, sont très
anciens : ils sont naturels et on les retrouve dès l'ancienne astronomie égyptienne. Le
signe de Saturne est la faux du Temps; celui de Jupiter paraît être la première lettre
de son nom grec Zeus; celui de Mars est une lance attachée à un bouclier; celui de
Vénus, qui rappelle la croix ansée des Égyptiens, pourrait bien être la réunion des
attributs de la fécondité (un petit cercle et un trait droit), mais on y voit aussi un miroir;
celui de Mercure a certainement pour origine un caducée. Ce signe est gravé sur les
médailles de l'empereur Antonin reproduites plus haut (p. 74). Dans un autre ouvrage
[Astronomie populaire, p. 548), nos lecteurs ont pu remarquer une bague romaine sur
laquelle sont gravés les signes des planètes. Ainsi, ces signes datent de l'époque romaine.
!M|iii>lelles. iiiiiics et poussicrel los n.Wolulions liuniaini's
mais les c'toiles sont toiijouis Ik,
TElil'.ES Df CIKI..
«1
L'ASTRONOMIE ET LHISTOIRE
entre toutes et la plus indispensable à connaître pour toute instruc-
tion qui veut être sérieuse; mais encore elle a servi de base à toutes
les anciennes religions : la charpente du Ciel physique a été néces-
saire à toute construction métaphysique, et les planètes en particu
lier ont été découvertes, implorées, adorées antérieurement aux
plus anciennes mythologies, car ce sont elles qui en forment les
orincipaux personnages.
Oui, cette étoile rouge de Mars que nos yeux peuvent suivre
actuellement dans le ciel (en ce moment, août 1883, elle revient
vers nous, se lève à minuit et ajoute son ardente lumière à celle des
étoiles du Taureau), cette planète associée par nos aïeux au destin des
batailles a été l'objet des observations, des contemplations de nos
prédécesseurs sur la scène du monde, à une époque où l'Assyrie,
l'Egypte, la Chine brillaient au plus haut degré de la civilisation, et
c'est sur les terrasses élégantes des palais antiques, dans les jardins
parfumés des bosquets du printemps, devant le miroir des pièces
d'eau silencieuses qui reflètent les feux de la voûte céleste, que les
admirateurs du ciel contemplaient les beautés du firmament. Du
haut des terrasses de Babylone, l'astronome assyrien observait Mars
il y a quarante siècles. Ces observatoires, ces palais, ces jardins sus-
pendus, ces temples, se sont écroulés. Les bibliothèques, les salles
de lecture, les lecteurs, les curieux, les passants ont été ensevelis
sous les décombres. Les yeux qui observaient se sont fermés; les
corps qui agissaient se sont couchés pour ne plus se relever; il n'en
reste rien : chaque molécule de ces êtres, astronomes, pontifes,
guerriers, rois et esclaves, princesses et courtisanes, est retournée à
la terre et à l^tmosphère; tout a disparu, et ce n'est qu'au prix
i'extrêmes difficultés que l'archéologue de nos jours parvient à ras-
sembler quelques lambeaux des splendeuis ensevelies. Oui, lef>
hommes ont disparu. Squelettes, ruines et poussière! les révolutions
humaines ont tout renversé; mais les étoiles sont toujours là, im-
muables, permanentes, impérissables symboles de la Vérité. Et les
hommes d'aujourd'hui sont les mômes que leurs aïeux de quatre mille
ans. Pour un sage, mille fous. Pour un penseur, mille aveugles. Ils
continuent de vivre sans savoir où ils sont. Ils continuent d'adorer
les faux dieux fabriqués par eux-mêmes. Ils continuent de jouer
aux soldats et de stériliser leurs forces dans la brutale sottise des
MOUVEMENT DE MARS AUTOUR DU SOLEIL
armées permanentes. Les nations les plus civilisées de la fin du dix-
neuvième siècle sont juste au niveau des troupeaux humains du
temps de Sésostris. Mêmes généraux et mêmes députés. Étrange
planète!
Au surplus, nous avons peut-être tort de nous en étonner et d-
jegretter que chaque être humain ne vive dans la tranquille et char
mante contemplation de la Vérité. Puisque, — s'ils le voulaient, —
les hommes seraient rationnels dans leurs croyances, indépendants,
libres et heureux, et qu'ils ne le veulent pas, c'est qu'ils préfèrent
l'esclavage. Laissons-les donc à leurs oripeaux, et pour nous, inté-
ressons-nous à l'étude du vrai, et vivons doublement par le bonheur
de penser.
Les traditions humaines nous ont fait parcourir un instant l'his-
toire de l'astronomie, et, à propos de Mars, nous avons pris une idée
générale des anciennes observations planétaires. Revenons à l'étude
personnelle de la planète.
Nous avons déjà vu (p. 18) qu'elle circule autour du Soleil le
long d'une orbite tracée à la distance moyenne de 56 millions de
lieues du centre solaire, que l'orbite de la Terre est à la distance
moyenne de 37 millions de lieues du môme astre, et que l'orbite de
Mars entoure celle de la Terre à 19 millions de lieues de distance,
en moyenne.
Mars emploie 687 jours pour accomplir sa révolution autour du
Sobil, suivant une orbite elliptique dont voici les éléments princi-
paux :
DISTANCES EXTRÊMES ET MOYENNE AU SOLEIL
La Terre étanl 1. En kilomètres. En lieues.
Distance périhélie 1,38-26 20'i520000 51130000
Distance moyenne 1,5237 225400000 563.50000
Distance aphéhe 1,6658 246280000 61570000
La variation de distance est considérable et atteint près du cin-
quième de la distance moyenne (l'excentricité est de 0,09326). Man
est de 10 millions de lieues plus près du Soleil au périhélie qu'à
l'aphélie (').
(') La connaissance du mouvement de Mars est due à l'infatigable persévérance de
l'immortel Kepler, et c'est à son analyse du mouvement de cette planète que nous
devons la découverte des lois qui régissent le système du monde. Si l'orbite de Mars
MOUVEMENT I> E MARS ADTOUR DU SOLEIL
Le développement total de l'orbite mesurant 350 millions de
lieues et étant parcouru en 687 jours, ce monde vogue à raison de
plus de 500000 lieues par jour, ou de 23850 mètres par seconde : il
marche donc un peu moins vite que la Terre, dont la vitesse moyenne
est de 29500 métrés.
La translation de Mars autour du Soleil ne s'accomplit pas tout à
fait dans le même plan que celle de la Terre, mais sur un plan incliné
légèrement de 1° 51'.
Si l'on combine le mouvement de la Terre avec celui de Mars, on
trouve que les deux globes tournent dans le même sens autour du
Soleil, à la façon des aiguilles d'un cadran; seulement ici c'est la
petite aiguille qui tourne le plus vite. A quels moments les deux
aiguilles (les deux planètes) se rencontrent-elles en perspective? à
quelles époques Mars et la Terre se trouvent-ils sur une même ligne
relativement au Soleil? Tous les 779 jours ou tous les 2 ans 49 jours.
Nous avons déjà rappelé qu'une planète est dite en opposition
avec nous lorsqu'elle passe à l'opposé du Soleil relativement à nous,
lorsqu'elle se trouve sur le prolongement d'une ligne menée du
Soleil à la Terre. Comme on a divisé la circonférence du Ciel en
360° de longitude, une planète est en opposition avec le Soleil
lorsque sa longitude diffère de 180° avec celle du Soleil, en conjonc-
tion lorsqu'elle se trouve, au contraire, du côté du Soleil et à la
même longitude que lui, en quadrature lorsqu'elle se trouve à
angle droit avec lui ou à 90° (Voy. /?(/. 39). Mais, par suite de l'incli-
naison des plans des orbites, de la figure de ces orbites, qui ne sont
se fût rapprochée du cercle, comme celle de Vénus, au lieu d'être une ellipse très
accusée, nous ne connaîtrions peut-être pas encore les lois de l'astronomie. Tyclio-
Brahé avait fait une longue série d'observations de Mars extrêmement précises. Kepler
les lui demanda à étudier, et Tycho les lui confia, « sous condition de ne pas s'en servir
pour prouver le système de Copernic ». Mais la science le prouvait malgré Kepler lui-
même. Pendant quinze années consécutives, il tourna et retourna ces observations
pour les concilier avec la doctrine ancienne, qui enseignait que tout se meut en
cercle parfait dans l'univers. Il arriva à conclure qu'il était absolument impossible
de les faire concorder avec cette figure, et que très certainement, les planètes ne décri-
vent pas des cercles, mais des ellipses. C'est à cette découverte que l'on doit la véritable
fondation de la mécanique céleste, y compris la découverte newtonienne de l'attraction.
En souvenir des diflicultés de ce travail, Kepler raconte que Reliiicus avait voulu
avant lui réformer l'astronomie, mais que décontenancé par le mouvement de Mars, il
avait évoqué son génie familier, lequel arriva, le saisit par les cheveux, l'éleva jusqu'au
plafond et le laissa retomber en lui disant : « Voilà le mouvement de Mars. >-
MOUVEMKNT BE .MARS AUTOUK 1)L SOLEIL
pas circulaires mais elliptiques, et des mouvements respectifs de la
Terre et de Mars, la planète en opposition ne passe pas nécessaire-
oivnrr£«,.
. ' QunH
Fig. 39. — L'opposition, la conjonction et les quadratures.
ment au méridien à minuit juste, ni à sa plus grande proximité de
la Terre, le jour même de son opposition. Ainsi voici, par exemple,
oi^
.s^J
Fig. 40. — Cycle des oppositions de Mars.
quatre révolutions de Mars indiquant les périodes actuelles aux-
quelles la planète passe prés de nous dans ses meilleures con-
ditions d'observation :
MOUVEMENT DE MARS
Distance minimum, le 2 septembre 1877 : 55746000 kilomètres.
Opposition, le 5 septembre.
Passage au méridien à minuit, le 6 septembre.
.. l Distance minimum le 4 novembre 1879 : 71400000 kilomètres
I Opposition, le 12 novembre.
Passage au méridien à minuit, le 9 novembre.
j„ 1 Distance minimum, le 21 décembre 1881 : 89216000 kilomètres
1 Opposition, le 26 décembre.
Passage au méridien à minuit, le 27 décembre.
j„ j Distance minimum, le 30 janvier 1884 : 99000000 de kilomètres,
j Opposition, le 31 janvier.
Passage au méridien à minuit, le 4 février.
C'est en 1877 qu'elle est passée le plus près, comme on le voit
en comparant les chiffres précédents. Le périhélie de Mars arrive
lorsque ia planète se trouve à la position céleste, à la longitude, où
la Terre se trouve le 27 août. La plus grande proximité des deux
planètes arrive donc lorsque Mars passe en opposition vers cette
date. En 1877, elle en était bien près. En 1892, elle passera plus
près encore. On se rendra exactement compte de ces intervalles
d'oppositions, qui reviennent tous les deux ans environ, ainsi que
des mois auxquels ils se reproduisent et des variations de distances
à chaque opposition, par l'examen de notre figure 40, construite à
l'échelle de 1 millimètre pour 2 millions de lieues. Ce diagramme
géométrique est le complément de ceux que l'on a vus plus haut
(p. 18 et 19). Les distances entre la Terre et Mars sont inscrites en
millions de lieues (en nombres ronds) pour chaque opposition.
A chacune de ses oppositions, la planète ne revient pas juste à
la môme distance. Nous venons de voir que c'est en 1877 qu'elle a
atteint son minimum. Si nous voulions figurer année par année
mois par mois, cette marche céleste relativement à la Terre suppo-
sée immobile, nous obtiendrions le curieux diagramme ci-dessous,
{fig. 41), .sur lequel on peut lire ce mouvement depuis la dernière
opposition minimum de 1877 jusqu'à la prochaine de 1892, c'est-à-
dire pendant un cycle entier. Il est facile de concevoir, en effet, qu'en
raison de la double marche de la Terre et de Mars autour du Soleil
MOfVE.MK.NT DE MARS
les disfnnoos entre les deux planètes varient rapidement i>t cimsidéra-
lilenicut.
Nous av(ins vu qu'à ses époques de [ilus jurande pnixiinili'', la
planète arrive à l'i millions de lieues de nous lorsqu'elle se
trouve en opposition vt'rs la, fin d'août ou au commencement de
septembre. Mais lorsque l'opposition arrive en février, le rappnjche-
ment des deux planètes ne descend pas au-dessous do :2G millions
Ko ::o
Fig. 11. — .Mouvement de Mars par rapport à la Terre.
de lieues. Si maintenant nous considérons Mars lor.squ'il s'éloigne
Je la Terre dans raufre côté de son orbite et qu'il passe
en conjonction au delà du Soleil, sa distance à la Terre peut
s'élever à 87 millions de lieues, btrsque la conjonction arrive en
février, et elle peut même atteindre 00 millions de lieues, lorsque
la conjonction arrive en août. On voit donc que la distance entre
les deux planètes varie de 14 à 00 millions de lieues.
Remarquons, en passant, combien un tel mouvement serait plus
LE SYSTEME PLANETAIRE
compliqué que le mouvement réel des deux planètes autour du So-
leil, et combien ce seul aspect devait rendre peu probable l'hypo-
thèse de l'immobilité de la Terre, laquelle hypothèse obligeait toutes
les planètes à tourbillonner ainsi pour permettre d'expliquer les
variations de position et d'éclat observées.
Il faut constater, du reste, en l'honneur du génie de l'homme, qui
sait s'élever au-dessus des apparences vulgaires et dominer les illu-
sions des sens, que bien des siècles avant Copernic, le système qui
porte son nom était enseigné par les philosophes, par les penseurs
indépendants. Vers l'an 530 avant notre ère, Pythagore enseignait
le mouvement de rotation diurne de la Terre, et il en fut de même
de ses disciples Hicétas de Syracuse et Ecphantus. Philolaûs (le pre-
mier pythagoricien qui ait laissé des écrits) expliquait les aspects
célestes, quatre siècles avant notre ère, par le mouvement de rota-
tion diurne et par le mouvement de révolution annuelle de la Terre
autour du Soleil en 365 jours et demi, ainsi que par la translation
des autres planètes autour de l'astre du jour. Ptolémée, dans son
Almageste, a longuement discuté cette opinion des pythagoriciens
sur le double mouvement de la Terre : il trouve qu'elle est « du
dernier ridicule » et tout à fait contraire au plus simple bon sens.
C'est à lui qu'on doit le retard éprouvé à cet égard par le progrès des
sciences et de la philosophie. Son esprit n'a pas su s'élever au-dessus
des apparences vulgaires.
Au cinquième siècle de notre ère, mille ans avant Copernic, l'as-
tronome hindou A'ryabhata, auteur du traité astronomique et astro-
logique VA'ryabliata-Siddkanta, écrivait : « La sphère des étoiles
est stalionnaire, et la Terre, en tournant sur elle-même, produit les
levers et couchers des étoiles et des planètes. » Mais cette doctrine
ne devait pas prévaloir non plus dans l'astronomie indienne. Au
commencement du septième siècle_, Brahmagupta réfutait l'auteur
précédent, tout comme Ptolémée avait réfuté les pythagoriciens, en
objectant que si la Terre tournait, les objets ne devraient pas rester
en équilibre, mais tomber par-dessous, etc.
C'est le mouvement de Mars qui donnait le plus de peine, à cause
de la grande variation de distance de la planète. C'est cette difficulté
même qui a conduit Kepler à découvrir les véritables orbites plané-
taires
MOUVEMENT DE .AIAUS
La combinaison de son nionvcnient autour clu Soleil avec celui
qui nous emporte nous-mêmes dans notre révolution annuellt; fait
qu'il décrit sur la sphère céleste une ligne irrégulière, marchant
généralement, comme toutes les planètes, de l'ouest à l'est, de
droite à gauche le long des constellations du zodiaque, mais s'arrè-
tant à certaines époques, rétrogradant vers l'ouest, s'arrètant de
nouveau et reprenant son coui'S vers l'est. Notre figure 4'2 représente
Fi;;. 1-2. — .Marche cl posilions de hi |i;;inéle Mars sur la b-phi
son mouvement apparent parmi les étoiles, pendant sa i)ériode ac-
tuelle de visibilité. Chacun peut s'en rendre compte tous les soirs à
l'o'il nu (').
(') Ct'ltf pctiti' carte pi'iiiirl à chacun do trouver Mars parmi les t'toilcs, rcconnais-
sahlo d'ailleurs par sa coloration rouge et par son niani|uo de scintillation. Le 15 anùl.
il se levé a 1 est à minuit et passe au méridien au sud à 8 heures du matin. I.e 1.5 sep-
tembre, il se lève à 1 l'i^O" du soir et arrive au méridien à T'ai"" du matin. Le 15 oc-
tobre, il se lève à Kt'iS'" du soir et passe au méridien i\ «'38°. Le 15 novembre, lever
a O'o" et passage au méridien à oMS"". Le lo décembre, lever à 8'36™ et passage an
méridien à 4'V'". Il avance ainsi de mois en mois pour planer sur nos nuits d"hiver
Telles sont les positions actuelles de Mars. Ce serait sortir du cadre d'un ouxragi" popu-
laire et d un livre d'astronomie descriptive que de calculer ici les épliémérides de ses
positions futures. Mais ceux d'entre nos lecteurs qui s'intéressent à suivre eux-mêmes,
soit à l'œil nu, soit à t'aide d'instruments de moyenne puissance, les divers phénomènes
célestes, trouveront toutes les indicatinns désirables dans notre Revue itte'isuclle iV.islro-
nomie populaire, qui préparu perpétuellement toutes les obsenations ii l'aire.
TERRES DU CIEL. 12
MOIVE.MKNT DE MARS
Far suite de ce mouvement de Mars le long du zodiaque, et du
mouvement de toutes les planètes dans la intl-me zone, plusieurs
planètes peuvent se trouver momentanément réunies dans la même
région du ciel. C'est précisément ce qui vient d'arriver : eu juil-
let 1883, toutes les planètes visibles à l'œil nu pouvaient être vues
en même temps dans le ciel le matin avant le lever du soleil. Au
mois de juin I88I, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne sont
passés les uns prés des autres dans la constellation des Poissons.
Quelquefois, deux planètes passent si près l'une de l'autre qu'elles
Fig 43.
Conjonclion île Jlars avec Saturne le 1'' juillet 1879.
n'en font plus qu'une cà l'œil nu et que dans le champ d'une lunette
elles sont voisines comme les deux composantes d'une étoile double.
Ainsi, par exemple, le T"" juillet 1879, à 5''16'° du matin, Mars et
Saturne se sont rencontrés dans le ciel en perspective. Les deux
planètes sont passées à 87" seulement l'une de l'autre, d'un centre
h l'autre. Saturne se montrait, dans une lunette de huit pouces,
environné de trois satellites, et Mars semblait appartenir au môme
système. Sa couleur était d'un jaune orangé bien prononcé, tandis
que Saturne paraissait jaune verdàtre pâle et beaucoup moins in-
tense que Mars en lumière.
Ouclquetbis trois planètes peuvent se rapprocher ainsi. Le -23 dé-
r H AS ES DK M A 11 s
cembre 1769, Mars, Jupiter et Vénus se sont trouvés réunis dans lui
même champ de 1 degré de diamètre. Ce rapprochement si curieux
est môme arrivé pour quatre planètes, pour Mars, Jupiter, Vénus et
Mercure, le 17 mars 17:25. Les anciens attribuaient une importance
spéciale à ces conjonctions planétaires et nous ont conservé un
grand nombre d'observations, sur lesquelles il serait superflu de
nous étendre davantage.
Cette même combinaison des uiouvcnients de Mars et de la Terre
autour du Soleil fait que Mars est loin de nous présenter toujours de
face son hémispliére éclairé par le Soleil. 11 en résulte par consé-
Fig. -U. — Les phases de Mars.
quent que nous lui observons des phases, moins complètes que
celles de la Lune, mais pourtant assez sensibles, et même parfois
évidentes du premier coup d'œil. Nos lecteurs ont déjà pu en remar-
quer une (p. 2'.]). La partie obscure peut s'étendre davantage encore
et atteindre le huitième du disque.
"Ces phases ont été remarquées dès l'année 1610, aussitôt qu'on
eût dirigé la lunette astroDomique vers l'astre de la guerre. Galilée
écrivait au père Castclli, le .30 décembre de cette année, que cet
astre ne lui paraissait pas entièrement rond. Le 24 août 1638, Fon-
tana observant sous le ciel de Naples, dessina la planète évidem-
ment amincie ou gibbeuse. C'était une confirmation de la théorie
que cette planète, comme les autres, ne brilh^ pas plus que la Terre
niMENSlONS DE MARS
par sa propre lumière, mais seulement par celle qu'elle reçoit du
Soleil et réfléchit dans l'espace.
La grandeur apparente de Mars varie naturellement en raison
de sa distance. A ses époques de plus grande proximité, cette pla-
nète brille comme une étoile de première grandeur, rivalisant
presque d'éclat avec Vénus et Jupiter, et pouvant même devenir
visible en plein jour. Lorsqu'elle est très éloignée de nous, elle des-
cend au contraire au rang de la seconde et môme de la troisième
grandeur. Le diamètre de son disque télescopique peut des-
cendre jusqu'à 3" ; aux époques d'opposition, il atteint au
minimum 13" et peut, au maximum, s'élever jusqu'à 30"; ce qui
est arrivé en 1877, et ce qui se reproduira en 1892. Cette époque
favorable revient tous les quinze ans, et coïncide avec celle de la
disparition des anneaux de Saturne lorsqu'ils se présentent à nous
par leur tranche. On se rendra compte de la variation de la gran-
deur apparente de Mars à l'examen de notre figure 45, dessinée à
l'échelle de 2""° pour 1". A chaque opposition consécutive, le disque
apparent de la planète varie dans la proportion suivante : 1877=30";
1879 = 23"; 1881 = 18"; I88't=16"; 1886=14"; 1888=18";
1890=23"; 1892 = 30". Mais la distance et la diminution de gran-
deur ne jouent pas un aussi grand rôle qu'on le croirait pour la
visibilité des détails.
En supposant Mars placé à la distance du Soleil, prise pour unité
dans les mesures célestes, son diamètre serait de 9"35 (mesures
concordantes de Bessel, Kaiser, Main et Hartwig). A cette même
unité de distance, le diamètre de la Terre est de 17"72.
En combinant la grandeur apparente de Mars avec la distance,
on trouve qu'elle correspond à un diamètre de 6850 kilomètres,
soit 1700 lieues en nombre rond. Le tour du monde de Mars est
donc de 5375 lieues.
On voit que cette planète est plus petite que la Terre. Son dia-
mètre n'est guère que la moitié du nôtre (0,54). Sa surface n'est que
les 29 centièmes de la surface du globe terrestre, et son volume
n'est que les 16 centièmes du nôtre.
Étant six fois et demie plus petit que la Terre en volume. Mars se
trouve être sept fois et demie plus gros que la Lune, et trois fois
plus gros que Mercure.
Dimensions de .mars
Combien pèse-t-il ?
Avant la découverte des satellites de Mars, faite en 1877, il était
assez difïicile de déterminer exactem3nt la masse de cette planète.
Cumment pèse-t-on les mondes? Le procédé le plus simple; à
employer pour peser un astre, c'est de comparer la vitesse avec
lujuelle il fait tourner un corps céleste soumis à sa puissance avec
Dimensions apparentes de Mars à ses disUinres pjilrèmes et raoycnnos.
(Écbeus 2»" = I").
celle que la Terre imprime à la Lune : la proportion des vitesses
conduit à la proportion des masses ou des poids. C'est ainsi que
nous avons pesé le Soleil. Quand la nature ne fournit pas ce moyen
direct, il faut prendre un moyen détourné, tel que les perturbations
que la planète fait éprouver à ses compagnes célestes dans leur
cours à travers l'espace, ou à quelque comète vagabonde qui s'ap-
pnielie suffisamment pour subir une influence sensible. C'est ainsi
qu'on a déterminé les masses de Mercure, de Vénus, et celle de Mars
jusqir(>n lS77.Mais lor?;qu'il y a un satellite, l'opénifiDU esta la fois
MARS.— VOLUME, POIDS ET DENSITE
incomparablement plus rapide et plus précise. L calcul de la masse
de Mais fait par Le Verrier représente un siècli entier d'observa-
tions et plusieurs mois consé. itifs de calcul, plus de mille bcures
de numération ! A peine les s tellites de Mars étaient-ils décou-
verts, au contraire, que quatre nuits d'observation et vingt minutes
de calcul ont suffi pour prouver que cette planète pèse neuf fois et
demie moins que la Terre. Le poids de notre globe étant, par
exemple, représenté par le nombre de 1000, celui de Mars serait
x'eprésenté par 106 (').
La densité des matériaux consécutifs de ce globe est égale aux
ô9 centièmes de la densité moyenne de la Terre. Ainsi, tandis que
le globe terrestre est environ cinq fois et demie plus lourd qu'un
globe d'eau de même dimension. Mars est seulement quatre fois et
demie plus dense. La pesanteur des objets à sa surface ne surpasse
guère le tiers de celle des objets terrestres, ne dépasse pas les 37
centièmes de la nôtre. Des huit planètes principales, c'est la plus
faible intensité de pesanteur : cent kilogrammes transportés sur
Mars et pesés au dynamomètre n'y pèseraient que 37 kilogrammes.
Nous pouvons très facilement voir que ces résultats sont déter-
minés avec une certitude mathématique et constater nous-mêmes,
par un exposé sommaire de la méthode employée, qu'il n'y a ici
aucune œuvre d'imagination.
Le poids des corps, l'intensité de la pesanteur à la surface d'un
monde dépendent : 1° de la masse ou du poids intrinsèque de ce
globe; 2" de son volume ou de la distance de la surface au centre.
Ainsi, par exemple, si la Terre, tout en gardant le même volume,
était dix fois plus dense, dix fois plus lourde qu'elle n'est, nous pèse-
rions dix fois plus, nous serions attirés dix fois plus fortement par
elle, et un corps abandonné à la pesanteur, au lieu de parcourir 4"'90
pendant la première seconde de sa chute, serait attiré avec une vitesse
(•) En effet, la Terre fait tourner la Lune, à la distance de 384i00 kilomètres, en
27 jours 7 heures 43 minutes 11 secondes, et Mars fait tourner l'un de ses satellites, à
ladislancede-237()0kiloniètres, en 30 heures 17 minutes 54 secondes. Puisque les carrés
des temps sont entre eux comme les cubes des distances, si ce satellite do Mars était
éloigné de la planète à la distance à laquelle gravite la Lune, il tournerait autour de la
planète en un temps beaucoup plus long que celui que notre satellite emploie à circuler
autour de nous. C'est la proportion entre ces deux durées qui prouve que Mars est neuf
fois et demie moins fort que la Terre.
Al Ai!s. — vdi.iMi:, i'()ir>s r.ï nicNsni-;
de 49 métros. Mais, d'autre i)art, la pesanteur décroît avec la, distance
au {■("utro d'attraction dans le rapport do cette distance multipliée
par (dlo-iuérae, ou du carré. Ainsi, si la Terre, tout en pesant exac-
Iciiirnl ce qu'elle pèse actuellement, était dix. fois plus lari^e en dia-
mètre, nous serions dix fois plus éloignés de son centre (pu- nous le
sonmies actuellement, et nous pèserions cent fois moins. I kilo-
gramme actuel ne pèserait plus que dix grammes; abandonné à la
jH'santeur, il ne tomberait qu'avec une vitesse de 49 millimètres
pendant la première seconde de cbute.
Fig. 16.
Grandeur comparée de la Terre, Mars. Mercure et la Lune.
Faisons nous-mêmes ici le calcul de ce qui doit exister sur ce point
à la surface de la planète Mars :
Nous venons de dire que ce globe pèse neuf fois et demie moins que
la Terre. S'il avait le même volume que notre globe, le poids des corps
y serait donc réduit dans la même proportion, et 1 kilogramme trans-
porté là et pesé au dynanomètre n'y pèserait que 95 grammes.
Mais ce globe est plus petit que la Terre, la surface est plus rapprochée
du centre, et la pesanteur s'accroît en raison du carré du rapprochement.
Lt' rapport des diamètres est de 53 à 100. Étant près de moitié plus proche
ilu rentre, les objets sont attirés près de quatre fois plus exactement 3,7).
-Nos U5 grammes deviennent donc 95 x3,7 ou 350 grammes. Tel est par
iousé(|aent le poids de 1 kilogramme terrestre transporté à la surface de
la planète dont nous nous occupons.
Ou voit, pur parenthèse, (pie ces calculs sont aussi simples et aussi
LA PESANTEUR A LA SURFACE DE MARS
clairs que tous ceux de la vie quotidienne : ils demandent la même atten-
tion, ni plus ni moins, et chacun conviendra sans peine qu'ils sont
beaucoup plus intéressants que toutes les banalités du monde vulgaire.)
De légères différences dans les mesures du diamètre et de la masse de
Mars conduiraient à des différences correspondantes dans les résultats. Au
lieu de 35 centièmes, on pourrait, par exemple, trouver 36 ou 37 cen-
tièmes. Ces différences n'empêchent pas la méthode d'être e.xacte et
mathématique.
II résulte de ce que nous venons de dire qu'un corps qui tombe,
au lieu de se précipiter avec la vitesse de 4"'90 dans la première
seconde de chute, comme il arrive sur la Terre, ne descend, sur
Mars, qu'avec la vitesse de 4°,90x0,35, ou i™,??. Voici, par
exemple {fig. 47), deux colonnes, dont l'une est supposée sur la
Terre et l'autre sur Mars. Si nous imaginons que deux hommes se
précipitent du haut des tours,, après deux secondes de chute, l'expé-
rimentateur terrestre aura parcouru 19",60, tandis que celui de Mars
n'aura parcouru que 5"°, 16. Le premier arrivera à terre avec uno
vitesse suffisante pour lui donner un choc mortel, tandis que Ij
second n'aura probablement fait là qu'un exercice inoffensif.
En d'autres termes, les corps sont très légers sur cette planète.
Un kilogramme terrestre transporté là n'y pèserait plus que
350 grammes, et un homme pesant ici 70 kilogrammes n'en pèse-
rait plus que 24. Nous verrons tout-à-I'heure, que, transporté sur
l'un de ses satellites,^ ce même homme n'y pèserait plus que
117 grammes. Transporté dans l'espace pur, ce même sujet d'expé-
rience ne pèserait plus rien du tout, et, couché dans le vide, ne
tomberait jamais, à moins d'être attiré par une étoile.
Cet état de la pesanteur jouant le premier rôle dans l'organisation
des êtres, pour la force des tissus organiques, pour les muscles de
la locomotion, pour les modes de locomotion eux-mêmes, il n'est
pas douteux que les habitants de Mars soient plus légers que nous
et soient constitués autrement que nous. C'est le problème que
nous discuterons tout-à-I'heure, dans notre chapitre spécial sur
les habitants de Mars.
Ces considérations nous montrent que, pour nous rendre aptes à
juger librement des phénomènes observés sur les autres planètes, il
faut avant tout savoir nous dégager des influences terrestres, consi-
LA l'ESAM'Klll A 1, A STRFAC.K 1)K M A I', S
dérer qiio l'état des phosps y est tout autre qu'ici, que les forces do la
nature s'y exercent en d'autres conditions, et que, par conséquent,
nous ne devons ni rejeter à priori ce ([ui nous paraît en contradic-
tion ;ivec notre monde habiluel, ni vouloir quand même tout expli-
V
I - 1 - — Inti'nsitO C'jiiipari'O Je la pesanteur sur la Terre et sur llar-.
quer immédiatement par les seules lumières de nos observations
terresti'es.
Telle est la condition uranoj,'rapliique de la planète Mars. Nous
allons maintenant en étudier les consèijuencc^s physiologiques, et
faire connaissance avec son l'alendrier, ses années, ses jours, ses
saisons et ses climats.
TERRES DL- riEI.
«3
CHAPITRE V
Le calendrier des habitants de Mars
Révolution annuelle et rotation diurne. — Le jour et la nuit. — Années.
Saisons. — Coloration des continents. — Neiges polaires
et climats tropicaux.
On entend quelquefois des personnes irréfléchies demander « à
quoi sert l'Astronomie ». Une pareille question fait sourire celui
qui sait que sans l'Astronomie nous serions incapables de connaître
même la date du jour où nous vivons. Le calendrier, base de l'his-
toire, est l'un des premiers monuments des sciences d'observa-
tion. Sans l'Astronomie, nous ne saurions pas ce que c'est que la
Terre, nous ne saurions pas où nous sommes, nous n'aurions aucune
idée saine sur la composition et la grandeur de l'Univers, nous
serions comme des aveugles dans une cave, il eût été impossible de
diriger la navigation, il serait impossible de déterminer la position
précise d'un point sur le globe ni de fixer une date dans l'histoire,
et même nous pouvons dire que sans cette science nous ne pour-
rions avoir aucune idée générale positive sur quoi que ce soit;
en un mot, sans l'Astronomie, l'homme serait encore à l'état d'i-
gnorance de la sauvagerie primitive ('),
Actuellement, au moment où j'écris ces lignes, les Chrétiens sont
(') Sans que nous nous en doutions, l'Astronomie nous enveloppe en tout et partout.
En prenant une tasse de café, nous appliquons l'Astronomie, car si les navigateurs
n'avaient pas su déterminer les longitudes par l'observation des éclipses des satellites
de Jupiter, le café n'aurait pas été exportable à des prix populaires et ne serait pas
entré dans les mœurs. En datant une lettre, en regardant la pendule, nous faisons de
l'astronomie sans le savoir; etc., etc.
LE CALENDRIER DES HABITANTS DE MARS
à l'année 1883 de leur ère, comptée à partir de la naissance de
Jésus ; les Musulmans en sont à l'an 1301 de Mahomet ; les Israélites
sont à l'année 5643 de la création du monde, selon la Bible; les Chi-
nois inscrivent sur leur calendrier la 20' année du 76' cycle de
60 années Institué au XXVIP siècle avant notre ère, etc., etc. ; toutes
ces manières de mesurer et de compter le temps étant d'ailleurs
réglées par le cours apparent du Soleil et de la Lune.
Demander en quelle année on est actuellement sur Mars, serait
une question oiseuse, puisque même sur la Terre il y a un grand
nombre d'ères différentes. L'ère chrétienne n'est pas plus connue
dans le Ciel que l'ère chinoise ou l'ère arabe, et ce qu'il y a d'assez
surprenant, c'est de voir des hommes intelligents s'imaginer que nos
fêtes chrétiennes aient un écho dansTempyrée: que le vendredi-saint,
par exemple, on soit triste « dans le Ciel ï ; que le jour de Pâques ou
de l'Ascension la gaieté rayonne; que le jour de l'Assomption la
Sainte-Vierge reçoive nos prières; que les Saints entendent les invo-
cations qui leur sont adressées dans les cha^^elles chaque jour de
l'année; etc., etc. Il faut croire qu'il déplaît aux hommes de faire
usage de leur raison. Ce sera le complément de l'œuvre de l'Astro-
nomie dans l'avenir. Du reste, notre calendrier lui-même est, dans
sa forme mondaine, un tissu d'inconséquences. Pour n'en signaler
qu'une parfaitement bizarre, n'est-il pas étrange de voir le premier
jour de notre calendrier a chrétien » consacré à... la circoncision!
Quelle singulière anomahe pour des peuples étrangers à ce rite
physiologique ! Ce mot est pourtant le premier que toute jeune fille
doit lire, et celui qu'elle a constamment sous les yeux, chaque fois
qu'elle consulte l'élégant petit carnet doré sur lequel elle inscrit
ses promesses ou ses souvenirs.
On peut espérer que sur Mars la rédaction du calendrier est plus
rationnelle qu'ici, et qu'au lieu de Jeter, par exemple, le retour de
l'année au milieu de la plus mauvaise saison, les habitants de la
planète ont su s'entendre pour placer cette fête au printemps. En
lui-même, le calendrier, la mesure du temps, est réglé là comme
ici par les mouvements célestes, par la combinaison du mouvement
diurne de rotation de la planète sur elle-même, et de son mouve
înent annuel de translation autour du Soleil. Ils ont des années e.
des jours, mais ils n'ont pas de mois, ou pour mieux dire, ils n'eu
LE CALENDRIER ULs UADITANTS DE MAKS
ont (|u'uri petit (le cinq jours, produit par la combinaison du mou-
vement du satellite extérieur avec la rotation de la planète. Ce petit
mois minuscule leur sert sans doute de semaine, et peut-être ont-ils
aussi donné à ces jours des noms dérivés des cinq astres qu'ils voient
le mieux : le Soleil, leurs deux lunes, Jupiter et la Terre.
La durée de la rotation diurne de Mars est connue avec autant de
précision que celle de notre propre monde. Elle a été déterminée
dès l'an 165!) par Huygens. Aux époques de bonne visibilité, une
observation attentive de quelques lieures suffit pour permettre de
Kig, 49. — Comment on observe la rotation diurne de Mars.
constater cette rotation par le déplacementdes taches, et, en quelques
jours, si l'on a remarqué une tache bien définie, on peut la voir
revenir par le méridien central du disque et ainsi faire soi-même
une première constatation approximative de la durée de la période.
Ainsi, par exemple, voici trois dessins faits le même soir (28 sep-
tembre 1877), le premier à 7 heures 30 minutes du soir, le second
à 9 heures 30 minutes, le troisième à 1 1 heures 30 minutes : ils
suffisent pour montrer que la tache circulaire grise a marché de la
droite vers la gauche (pôle sud en haut), et qu'en quatre heures elle
a parcouru, en apparence, plus de la moitié de l'hémisphère. Gomme
les bords d'un globe sont vus en raccourci, elle emploie beaucoup
plus de temps pour parcourir le premier et le dernier quart. En fai!,
on constate que pour aller d'un bord à l'autre, elle met plus de
douze heures, c'est-à-dire plus de vingt-quatre pour faire le tour
complet.
LA KOTATION DIURNE DE HAHS 1111
Cet examen du mouvement des taches donna en 1666 à Cassini
24 heures 40 minutes pour la période de rotation. Maraldi, en 1704
et en 1719, William Herschel et Schroëter à;la fin du même siècle,
Kunowskien 182-2, Miidler en 1830, Kaiser en 1882, Wolfen 1866,
Proctor en 1869, Crulls en 1877, perfectionnèrent la môme recher-
che, et nous connaissons aujourd'hui, à une seconde près, la durée
exacte de la rotation diurne de ce monde, qui est de
24 HEURES 37 MINUTES 23 SECONDES.
La durée du jour et de la nuit est donc à peu près la même sur
Mars que sur la Terre : elle surpasse la nôtre d'un peu plus d'une
demi-heure seulement. Il est extrêmement remarquable que cette
durée soit sensiblement analogue pour les quatre planètes Mercure,
Vénus, la Terre et Mars. Nous ne connaissons pas la raison de cette
similitude. La distance au Soleil ne paraît pas enjeu ici commue pour
la durée de l'année, ni le volume de la planète. La densité paraît
entrer pour la plus grande part dans cet établissement du temps de la
rotation, comme je l'ai montré dans un travail antérieur. Les quatre
planètes dont la rotation s'effectue en une période voisine de 24 heures
sont les plus denses. Les quatre planètes géantes, Jupiter, Saturne,
Uranus et Neptune, tournent beaucoup plus vite : en une période
voisine de 10 heures, et ce sont aussi les mondes de la plus faible
densité.
Pendant la durée de sa révolution autour du Soleil, Mars tourne
669 fois sur lui-môme. Dans l'année de Mars il y a 669 rotations ou
jours sidéraux (669^), et par conséquent 668 | jours solaires ou ci-
vils ('). De môme que le jour terrestre est de 2't heures, surpas-
sant de 4 minutes la durée de la rotation terrestre, laquelle est de
23 heures 56 minutes, le jour martien est également un peu plus
long que la rotation ; il dure, tout compté, 24 heures 39 minutes
35 secondes. Il y a sur trois ans une année courte de 668 jours et
deux longues de 66), autrement dit, deux années bissextiles sur
trois.
Le jour et la nuit suivent sur ce globe le môme cours que sur la
Terre. A l'équateur, ils sont d'égale durée, de 12 heures 19 minutes
(') 11 y a, pour chaque planète, un jour de moins que de rotations par an. Ce fait, trè*
simple d'ailleurs, sera expliqué au chapitre de la Terre.
LA UOÏATION DIURNE DE MARS
47 secondes eldemie pondantrannée entière. Il en est de même pour
tous les pays du monde martien le jour de l'équinoxe. L'empiéte-
ment du jour sur la nuit pendant l'été, et de la nuit sur le jour
pendant l'hiver, y suit la même loi qu'ici, et varie semblablemen,
suivant les latitudes. A la latitude correspondante à celle de Paris,
la durée du jour au solstice d'été surpasse 16 heures; au cercle
polaire, elle atteint 24 heures 39 minutes; au pôle même, elle est
d'une demi-année martienne, ou de onze mois et demi et l'hiver y
est encore plus sombre, plus triste et plus glacial que celui de nos
régions polaires. Le régime cliraatologique est presque le même
qu'ici, mais plus lent.
On voit qu'entre Mars et la Terre la différence est peu sensible,
sous le rapport du mouvement de rotation : les phénomènes qui en
sont la conséquence, la succession des jours et des nuits, le lever et
le coucher du soleil et des étoiles, la fuite des heures, rapides ou
lentes suivant l'état de l'âme, les travaux, les joies ou les peines;
en un mot, le cours quotidien de la vie et la marche habituelle des
choses s'y développent à peu prés dans les mêmes conditions que
chez nous.
Les mesures faites sur Mars ne sont pas concordantes quant à son
aplatissement polaire. Herschel a trouvé ^j, Schroëter ^'^, Arago ~,
Hind ^, Main ^, Kaiser-^, et Young, en 1879, ^f^. Les premières
de ces valeurs sont beaucoup trop fortes pour la théorie de l'attrac-
tion. Ce globe tournant moins vite que la Terre et étant plus petit,
ne développe qu'une faible force centrifuge, et son aplatissement
devrait être inférieur à celui de notre planète, qui est de ^fj--
Peut-être la planète s'est-elle formée en plusieurs fois, et les couches
voisines de la surface sont-elles plus denses que la densité moyenne.
11 y a là quelque mystère : cette planète est petite, et il y en a plu-
sieurs centaines plus petites derrière elle ; nous verrons plus loin
que l'un de ses satellites tourne plus vite qu'elle ne roule elle-même.
C'est la plus excentrique des planètes principales. Autant de faits à
expliquer (').
(•) D'après les mesures du diamètre de la planète et des plus grandes élongations des
satellites, combinées avec la durée de la rotation de Mars et celle des révolutions des
satellites, on conclut que le rapport de la force centril'uge à la pesanteur à l'équateur
■^e Mars est environ ^^. Il suit de là que si la planète était homogène, son aplatisso
INCLINAISON DE L'AXE DE M Ali S
La connaissance si exacte que nous avons du mouvement de ro-
tation de la planète Mars (elle est tout aussi précise, en vérité, que
celle du mouvement de la Terre elle-même) a permis de détermi-
ner non moins exactement l'inclinaison de son axe de rotation sur
le plan de son orbite.
Les mesures de William Herschel avaient conduit au cliiiïre
de 28°'i-2' pour l'inclinaison de l'axe de rotation : c'est la valeur
adoptée dans tous les traités d'Astronomie. Cette inclinaison
Fig. "jO. — Inclinaison de Mars sur son axe : les trois zones.
produirait des saisons analogues aux nôtres, seulement un peu
plus prononcées l'on sait que rinrlinaisnn de l'axe de la Terre
est de •2.'^°-27'L Les mesures de Bcssel, réduites par Oudemans,
conduiseni au chiffre de '2~°[C)'. Tout récemment, en 1877, 1878
et 1881, M. Schiaparelli a repris la même recherche avec des
soins particuliers et a trouvé pour résultat ?i"5'2', ce qui ramène
nii'iit serait de -^ piiviroii. Si. au lieu d'ilrr' lioiiiofrène, sa donsilé interne varie selon
la même loi que relie de la Terre, de telle sorte que cet aplatissement soit à la force
centrifuge dans le uièine rapport relatif que sur la Terre, cet aplatissement serait de ,-7;.
Selon toute prohahilité, il est roiupris entre ces limites.
INCLINAISON DE L'AXK l)E MARS
les saisons de Mars à une identification presque absolue avec les
nôtres.
Nous savons d'ailleurs par la seule inspection, et lors même que
les variations météorologiques, visibles d'ici sur cette planète voi-
sine, ne nous l'auraient pas démontré de visu, que ses saisons ne
sont pas très différentes des nôtres, quant à leur variation d'in-
lensité entre l'été et l'hiver. Un astronome de la Terre n'a pas
besoin de faire le voyage de Mars pour connaître ses climats.
Ce monde présente comme le nôtre trois zones bien distinctes :
la zone torride, la zone tempérée et la zone glaciale. La première
s'étend, de part et d'autre, de l'équateur jusqu'à 24°52'; la zone tem-
pérée s'étend depuis cette latitude jusqu'à 65°8'; la zone glaciale
entoure chaque pôle jusqu'à cette distance (').
Ainsi, la durée des jours et des nuits, leurs différences selon les
latitudes, leurs variations suivant le cours de l'année, les longues
nuits et les longs jours des régions polaires, en un mot tout ce qui
concerne la distribution de la chaleur, sont autant de phénomènes
presque semblables sur Mars et sur la Terre. Entre les deux planètes
cependant, il y a une très notable différence, c'est celle qui existe
entre la durée des saisons.
Cette durée y est beaucoup plus longue. En effet, nous avons vu au
chapitre précédent que l'année martienne dure 687 jours terrestres ;
chacune des quatre saisons est donc aussi près du double plus
longue qu'ici. De plus, l'orbite de Mars étant très allongée, l'iné-
galité de durée des saisons y est plus marquée que chez nous. Poui
en faire la comparaison exacte, choisissons l'hémisphère de Mars
(') Remarquons, à propos du calendrier de Mars, que la planète tournant comme 1?
Terre dans le zodiaque, le Soleil tourne également en apparence pendant son annét
devant les douze constellations zodiacales. Seulement, au solstice d'été de l'hémisphère
nord, ce n'est pas dans le Cancer que le Soleil se trouve, mais dans le Verseau, et au
solstice d'hiver, ce n'est pas dans le Capricorne, mais dans le Lion : de sorte que nous
pourrions appeler les tropiques de Mars, tropiques du Verseau et du Lion. Il est
opportun d'ajouter d'ailleurs que les habitants de Mars ne désignent certaine-
ment pas leurs constellations sous les mêmes noms que nous désignons les nôtres,
quoique la différence de perspective soit si faible pour les étoiles vues de là ou d'ici,
que les configurations y restent absolument les mêmes. Là comme ici, les sept étoiles
de la Grande Ourse forment un char. Castor ai. Pollux donnint l'idée de jumeaux,
la Couronne, la Flèche, peuvent porter les mêmes noms dans les langues de
Mars, le Scorpion ressemble à un scorpion, , mais y a-t-il des scorpions sur cettp
planète?
SAISONS ET CLIMATS S l! U M A li S
analogue à celui que nous habitons sur la Terre, son hémisphère
boréal , et comparons les durées des saisons sur les deux planètes.
Dl'IÎKK DKS SAISONS
Sur la Terre.
Printemps 93 jours Icrrosfres.
Élé 'J3
Automne . 90
Hiver 89
363
Sur Mars.
191 jours martiens
181
119
147
008
On voit que les saisons de Mars sont beaucoup plus lentes et sen-
siblement plus inégales que les nôtres. Gomme nous l'avons vu
Graaiieur comparée Ju Soleil vu de Mars et vu de la Terre.
tout à l'heure, le jour de Mars est de 31) minutt's plus long que le
nôtre, et son année compte 668 jours martiens, 669 dans les années
bissextiles. Chaque saison dure presque six de nos mois.
Ainsi le printemps et l'été de l'hémisphère boréal de cette planète
durent 372 jours, tandis que l'automne et l'hiver n'en durent que
296. La chaleur solaire doit donc s'accumuler dans l'hémisphère
boréal en ([iiautité notablement plus grande que dans l'hémisphère
austral. Mais il y a, comme sur la Terre, une compensation pro-
venant de ce que l'orbite de Mars n'étant pas circulaire, la planète
est beaucoup plus proche du Soleil au périhélie qu'à l'aphélie : la
TERRES DU CIEL. *'*
SAISONS ET CLIMATS SDR MARS
différence est de 5 millions de lieues. C'est au solstice d'été de son
hémisphère sud que cette planète est actuellement à sa moindre
distance du Soleil, et par conséquent reçoit de cet astre le maximum
de chaleur. Il résulte de ce fait que les neiges polaires australes
doivent beaucoup plus varier d'étendue que celles du pôle boréal,
et c'est aussi ce que montre l'observation.
Cette variation dans la longueur des saisons, quoique fort carac-
téristique, ne doit avoir aucun effet désagréable sur les conditions de
la vie. Un astronome anglais, M. Ledger, remarquait même derniè-
rement ('), à ce propos, que la faible quantité de chaleur et de lu-
mière que Mars reçoit du Soleil, peut avoir pour résultat une
plus grande lenteur dans la végétation, ainsi que dans les récoltes;
de telle sorte qu'une année et des saisons du double environ
plus longues que les nôtres, doivent être parfaitement appro-
priées à l'état de la planète. Il y a néanmoins ici, dans cette diffé-
rence de chaleur et de lumière, quelques considérations qui
s'imposent d'elles-mêmes à notre attention, à propos des habitants
de Mars.
En moyenne, la lumière et la chaleur reçues du Soleil, n'ont là
qu'une intensité égale aux ~ ou à peu près aux | de celles que nous
recevons. Le Soleil présente à un observateur martien un diamètre
égal aux deux tiers de celui qu'il nous présente à nous-mêmes
(voy. fig. 51), attendu que la distance de Mars au Soleil surpasse
de une fois et demie celle de la Terre, et que la lumière et
la chaleur reçues varient comme la surface du disque apparent,
c'est-à-dire comme le carré de 'ou comme |; la valeur exacte
est -^
*'*'' 100-
Nous disons « en moyenne » attendu que l'ellipticité de l'orbite de
Mars change considérablement la distance de la planète, tout le
long de son année, sa distance minimum au Soleil descendant à
51 millions de lieues et sa distance maximum s'élevant au-dessus
de 61. Il en résulte une variation correspondante dans le diamètre
apparent du Soleil, s'élevant à environ 77 de sa valeur moyenne ; en
d'autres termes, cediamètre du disque solaire varie aux différentes
époques de l'année martienne comme les nombres 10, 11 et 12, et
(*) The Scn, itsplanets and their salellUes, London, 1882.
SAlSUNb ET CLIMATS SUR MAUS
la lumière ainsi que la chaleur comme les carrés de ces nombres,
c'est-à-dire dans la proportion de 100 à 121 et 144, ou, en définitive,
plus simplement, comme les nombres 5, 6 et 7. Telle est la varia-
tion apparente du disque solaire, ainsi que de la lumière et de la
chaleur reçues dans le cours de l'année des habitants de Mars.
En somme, cette variation n'a rien d'excessif, et la plus grande
différence entre les conditions d'habitabilité examinées sous ce point
de vue spécial, consiste dans la quantité de chaleur et de lumière
reçues, laquelle est inférieure, comme nous l'avons dit, à la moitié
de celles que nous recevons nous-mêmes de l'astre central.
Il est certain, en supposant que l'atmosphère de Mars ne soit pas
constituée de façon à accroître cette valeur, que l'humanité terrestre
pourrait fort bien s'acclimater à ces conditions mômes, car elle le
fait déjà sur la Terre en s'adaptant aux climats de l'Afrique centrale,
du Groenland et de la Sibérie. Mais il est presque superflu de notre
part de nous inquiéter de cette adaptation, non seulement parce
que les espèces vivantes sont, parla nature même, appropriées aux
conditions organiques spéciales de chaque monde, mais encore parce
que la température générale de la planète Mars ne parait pas du
tout aussi froide que nous aurions lieu de le craindre. En effet, si
telle était la température de ce globe, un thermomètre placé dans
ses régions équatoriales ne devrait pas s'élever plus haut que nos
thermo'Tiètres observés vers notre 62* degré de latitude. Or, les
neiges polaires de Mars n'offrent pas l'extension qu'elles devraient
avoir, s'il en était ainsi.
Nous pouvons étudier d'ici ces variations climatologiques, et cette
étude est une des plus intéressantes qu'il nous soit donné de faire, car
elle transporte notre pensée au sein d'une nature physique offrant
avec la nôtre une sympathique analogie.
L'inclinaison de Mars sur son orbite fait qu'il ne se présente pas
à nous dans un sens que nous pourrions appeler vertical, avec ses
deux pôles placés juste en haut et en bas de son disque, mais penché
vers nous. Comme le milieu de l'été de l'hémisphère austral de
Mars coïncide avec son périhélie, c'est cet hémisphère qui est le
plus facilement visible pour nous, c'est celui que nous pouvons
observer quand la planète est à sa distance minimum, aussi con-
naissons-nous beaucoup mieux cet hémisphère austral que l'hémi-
SAISONS ET CLIMATS SUH MARS
sphère boréal. Il se passera dos milliers d'années avant que le pôle
boréal de Mars soit visible de la Terre à moins de la moitié de la
distance de la Terreau Soleil, ;ï moins de 18 millions de lieues.
Pour donner mit.' idée dos observations i\n(: nous pouvons faire au
télescope sur les climats et saisons de cette planùtc voisine, je rappellerai
ici celles que j'ai laites en 1873, époque fort avantageuse pour l'étude de
son hémisphère se})tentriunal, le plus difhcile ù observer. Sans tourner
son pôle nord tout à fait vers nous, elle en laissait alors parfaitement voir
Lus siiisoiis sur Mars : asiiuct Ju Ui plauL'li' It i'JjuiM 1873.
une certaine partie. Ce pôh^ était marqué [)ar une taclie blanchi' ovale,
si blanche et si éclalanlc, ({u'elle paraissait dépasser le bord du disijue
par un effet d'irradiation.
Cette calotte neigeuse n'était pas très étendue. « Les neiges polaires
boréales, disais-je alors dans un rapport à flnstitut, ne s'étendent pas
actuellement (juin 1873) au delà du 80" degré de latitude. On sait qu'elles
couvrent parfois une étendue beaucoup plus considérable, puisque dans
certaines années elles ont dépassé le 60° degré.
« La planète Mars, ajoutais-je. est actuellement dans la saison d'au-
tomne de son hémisphère nord. La plus grande ])artie des neiges polaires
boréales sont fondues, tandis qu'elles s'amoncellent autour du pôle aus-
tral, en ce moment invisible pour nous. La région sud est visiblement
marquée d'une traînée blanche près des bords. Est-ce la neige qui des-
SAISONS i;r climats siin mars
rendrait jusqu'au 40' dej,a-é do latitude sud? Il est plus i)r(jl)able que ce
sont des nuages ('). »
La ligure précédente, que j'ai dessinée avec le plus grand soin d'après
uion observation du 29 juin (à 10 heures du soir), montre au premier couj)
d'orul cette tache polaire boréale, ainsi que l'aspect géographiiiue de Mars
ce jour-là. Une phase déjà sensible diminue le disque de la planète sur la
ilroite.
Los dimensions dos taches polaires correspondent à la saison. En
se reportant ;i notre ligure 40, p. 80, qui représente l'orbite de Mars et
Fig 53. — Les saisons sur la pluuèlc Mars.
celle de la Terre, on peutyremarquerquo l'opposition de 1871 est arri-
vée au mois de mars,. c'est-à-dire pendant l'été boréal de la planète;
aussi, cette année-là, la farho neigeuse boréale est-elle apparue
constamment très petite à cause de l'action do l'été, mais très visible
à cause de l'inclinaison de l'extrémité nord de l'axe vers nous.
L'opposition de 187.'^ est arrivée en mai, ce qui correspond au moisdo
septembre du calendrier de Mars, c'est-à-dire au commencement de
son automne : la neige polaire boréale ne formait plus qu'un petit
(•) Comptes rendus de l'Académie des Sciences du 28 juillet 1873.
SAISONS ET CLIjMATS SUR MARS
cercle. En 1875, l'opposition est arrivée au mois de juin, après le
milieu de l'automne : la tache polaire boréale était si réduite, qu'on
la distinguait à peine, tandis que les neiges du pôle austral, (pii
venaient de subir l'hiver entier, étaient très étendues. En 1877,
l'opposition est arrivée 13 jours avant le solstice d'été de l'hémi-
sphère austral; en 1879 elle est arrivée 90 jours après, et en 1881,
178 jours après ('). Ce solstice est arrivé le 18 septembre en 1877,
le 14 août en 1879, le l" juillet en 1881.
On a pensé que les taches polaires blanches pouvaient être pro-
duites, non par la neige, mais par des nuages amoncelés sur les pôles.
C'est beaucoup moins probable, et l'on peut même être assuré qu'il
n'en est rien, quoique des nuages peuvent fort bien s'ajouter aux
glaces polaires en ces froids climats. D'abord leur aspect n'est pas
celui des nuages que l'on voit sur la planète. Ensuite la tache blanche
est trop fixe pendant des mois entiers, diminue et s'accroît trop
régulièrement, et offre des contours trop nets. Ainsi, par l'aspect
comme par la forme, il n'est pas douteux que ce soient bien là des
neiges.
Il résulte des mesures prises en 1830 par Bessel, en 1862 par Kai-
ser, Lockyer et Linsser, en 1877 par Hall et Schiaparelli, que la
tache polaire australe, lorsqu'elle est réduite à ses moindres dimen-
sions, après les solstices de l'hémisphère austral, occupe toujours
à peu prés la même place sur la planète, vers 19" de longitude et 5°-j
de distance au pôle. Cette position ne diffère pas sensiblement de
celle qui a été déterminée par M. Schiaparelli, après le solstice de
1877, époque pendant laquelle les intéressantes observations sui-
vantes montrent que la tache polaire a régulièrement diminué par
la fonte des neiges :
(') On peut se rendre compte des saisons de Mars par la figure ci-dessus (53). Sur ce
diagramme, les points marqués A et P représentent respectivement l'aphélie et le péri-
iiélie de la Terre et de Mars. 1-,'ordre et la succession des saisons sur cette planète dans
le cours de son année y sont clairement indiqués. Dans la moitié droite de son orbite,
lorsqu'elle passe à sa plus grande proximité de l'orbite terrestre, son hémisphère nord
est en hiver, tandis que son hémisphère sud tourné vers le Soleil, est admirablement
visible pour nous. C'est le contraire dans l'autre moitié de l'orbite. Voilà pourquoi nous
connaissons moins bien le pôle nord que le pôle sud de Mars. Les prochaines oppositions
spécialement observées, avanceront sans doute de beaucoup la science sur ce point. Qui
sait'? des indices inattendus nous apprendront peut-être un jour lequel des deux hémi-
sphères est le plus civilisé I
SAISONS KT CLIMATS SI:R .MAHï<
lit
iiiMiMTKiN i>i:s Ni;ii;i:s polaiiiks m: mm!s ai solstice detk
Il A ri;
liI.l.MKTRE
dfs observations.
Ue
la luclie polaire.
ili a(u\t 1877 ....
2G jours ;i\ant le solstirp dotù,
28",6
:! sc|ilomlirc. . . .
i:i — —
20°,6
Il — ....
7 —
20", 2
18 — ....
jour (lu solstice
iy°,i
■2i -- ...
4 jours après le solstice d'été. .
14", 7
:io - ....
12 — —
12",;;
m lu-Uilirc
22 — —
10°,4
i:{ — ...
23 — -
9°,3
i iiincililin' ....
47 — —
7",0
Kig. jl. — Neiges polaires de Mars après leté ; 1S7" et 18T9.
L;i taclii'. pukiiriî ue disparut pas cutiLTeiiiciit et elle (■(Uniiu'ura de
nouveau à s'accroître à partir de déceml)re : c'est là un iilirnomène
identirpie à ce qui se passe sur la Terre. L'astronome de Milan fait
remarquer à ce propos que sur notre monde « la saison la plus propice
à la navigation polaire retarde notablement par rapport au solstice
d'hiver » ; que sur Mars le solstice d'été est arrivé le 18 septembre de
ictte année là, et l'équinoxe suivant le 22 février; que le retard a
donc été de deux mois et demi environ, et que sur la Terre il est
un peu plus court, comme il convient à la moindre durée des
> lisons (').
(') En 1830. Madler a vu la ralottn dos f;laros pnlairos australes fondre, diminuer, de
13" à 6°: en J86î, l.assell et I.orkyer lont vue descendre de 20° à 6": en 1877, M. Scliia-
parelli a mesuré une diminution de 28° à "*. I.e minimum arrive de eux mois et demi
SAISONS ET CLIMATS SUR MARS
Sur Mars comme sur la Terre, le Soleil se lève et se couche chaque
jour pour tous les pays situés dans la zone tempérée et dans la zone
torride. Là comme ici, le Soleil ne se couche plus au solstice d'été,
et la durée du jour surpasse vingt-quatre heures, à partir du cercle
polaire, et sans doute aussi là comme en Islande, comme en Lapo-
nie, comme en Suède, des excursions s'organisent pour aller admi-
rer le Soleil de minuit le jour de la Saint-Jean d'été, — ou du moins le
jour qui correspond à cette fête des feux solaires dans le calendrier
des habitants de Mars.
Nous avons vu plus haut que le pôle sud de Mars est beaucoup
mieux connu que le pôle sud de la Terre. Les observations faites
prouvent de plus que sa connaissance poiu'rait n'être pas inutile aux
géographes terrestres. Mon ami regretté Gustave Lambert (qui est
tombé victime du dernier combat de l'incompréhensible guerre
de 1870), était arrivé par certains calculs de physique, à la convic-
tion que la mer polaire est libre sur notre planète, et que la durée
de la présence du Soleil au-dessus de ces horizons, compensant am-
plement la faiblesse de son élévation, les glaces sont fondues au pôle
même. Eh bien, il est certain qu'en 1877 le pôle de Mars est resté
parfaitement dégagé des glaces, lesquelles, au mois de novembre,
étaient réduites au petit triangle de 7° de diamètre que l'on a vu sur
la figure précédente. L'astronome de Milan pense que pour maintenir
«es neiges, il doit y avoir là quelque île ou quelque bas-fond.
Quoi qu'il en soit, si les saisons de Mars sont plus longues que les
nôtres et si les hivers y sont plus rudes qu'ici (nous étudierons le
sujet au point de vue de la radiation atmosphérique dans le chapitre
prochain), le printemps revient chaque année comme ici dénouer les
liens qui retenaient les eaux dans les glaces hivernales, les neiges
fondent, les eaux circulent, les sources gazouillent, le soleil brille,
et la nature reprend avec joie son œuvre d'activité, de travail et
d'amour.
à trois mois après le solstice d'été. L'effet optique bien connu de la diffraction fait
paraître cette tache blanche beaucoup plus grande qu'elle n'est en réalité (elle semble
parfois sortir du disque) ; l'astronome italien estime que lorsqu'elle est réduite à 4°, elle
n'a en réalité que 2° de diamètre, c'est-à-dire 120 kilomètres, car un degré de grand
cercle sur le globe de Mars équivaut à 0°o33 de l'équateur terrestre ou à 60 kilomètres.
Notre figure 53 représente ces neiges polaires de Mars à l'époque de leur minimum en
1877 et en 1879, mesurées micrométriquement par M. Schiaparelli.
SAISONS KT CLIMATS SUR MARS
113
On lo vdit, on résumé, depuis plus de deux siècles, nous olisorvons
de la Terre les faits principaux de la météorologie marlienni'; nous
Kig. SS. - Le soleil de minuit sur la planMc M^rs.
nssistons d'ici à la formation dos glaces polaires, à la clmli- et à la
fiinte des neiges, aux intempéries, nuages, pluies et tempêtes, et
au retour des beaux jours, en un mot à toutes les vicissitudes des
TERRES DD CIEL <5
LES COMIMENTS JAUNES DE MARS
saisons. La succession de ces faits est aujourd'hui si bien établie,
que les astronomes peuvent prédire d'avance la forme, la grandeur
et la position des neiges polaires, comme l'état probable, nuageux
ou clair, de son atmosphère, laquelle subit beaucoup plus com-
plètement qu'ici l'influence des saisons.
Ainsi donc ce monde offre avec le nôtre les analogies les plus
I curieuses : les habitants de Vénus voient notre planète sous des
apparences à peu près semblables à celles que Mars nous présente ;
comme les pôles de Mars, les nôtres sont couverts de neiges et de
glaces; c'est aussi notre pôle austral qui est le plus envahi, et pour
les mômes raisons, par ces produits de la congélation de l'eau. Enfin
les pôles de froid, sur Mars comme sur la Terx-e, ne coïncident pas
avec les pôles de rotation.
Un mot encore sur la coloration spéciale de la planète.
Les mers de Mars sont légèrement teintées de vert, et les conti-
nents fortement nuancés de jaune orangé.
La couleur de l'eau martienne parait donc être la même que celle
de l'eau terrestre. Quant aux terres, pourquoi sont-elles rougeâtres?
On avait d'abord supposé que cette teinte pouvait être due à l'at-
mosphère de ce monde guerrier. De ce que notre air est bleu, rien
ne prouve en effet que celui des autres planètes doive avoir la même
coloration. 11 serait donc possible de supposer celui de Mars rouge.
Les poètes de ce pays célébreraient cette nuance ardente au lieu de
chanter le tendre azur de nos cieux; au lieu de diamants allumés à
la voûte azurée, les étoiles y seraient des feux d'or flamboyant dans
l'écarlate, les nuages blancs suspendus dans ce ciel rouge, les splen-
denrs des couchers de soleil centuplées, ne laisseraient pas de pro-
duire des effets non moins merveilleux que ceux que nous admi-
rons sur notre globe sublunaire.
Mais il n'en est rien. La coloration de Mars n'est pas due h son
atmosphère, car, bien que ce voile s'étende sur toute la planète,
ses mers ni ses neiges polaires ne subissent l'influence de
cette coloration. De plus, les bords de la planète étant moins
colorés que le centre du disque, prouvent que cette coloration
n'est pas due à l'atmosphère ; car, dans ce cas , les rayons qu'ils
nous renvoient ayant plus d'air à traverser que ceux qui nous
viennent du centre, seraient au contraire plus colorés que ceux-ci.
LES cont:>:en'ts jaunes de mai!s
Cette couleur caractéristique de Mars, si sensible à l'œil nu, et
qui a donné naissance à la personnification guerrière dont les an-
ciens ont gratifié cette planète, serait-elle due à la couleur de
l'herbe et des végétaux qui doivent couvrir ses campagnes ? Aurait-
on là-bas des prairies rouges, des forêts rouges, des champs rouges?
Nos bois aux douces ombres silencieuses y seraient-ils remplacés
par des arbres au feuillage rubicond, et nos coquelicots écarlates
seraient-ils l'emblème de la botanique martienne? On peut remar-
quer en effet qu'un observateur placé sur laLune ou même sur Vénus
verrait nos continents fortement teintés de la nuance verte. Mais
en automne, il verrait cette nuance se modifier sur les latitudes où
les arbres perdent leurs feuilles; il verrait les champs varier de
nuances jusqu'au jaune d'or, et ensuite la neige couvrir les campa-
gnes pendant des mois entiers. Sur Mars, la coloration rouge paraît
constante, et, à part les neiges, elle subsiste sur toutes ses lati-
tudes, aussi bien pendant l'hiver que pendant l'été ; elle varie seu-
lement suivant la transparence de son atmosphère et de la nôtre (').
De toutes les explications que l'on puisse donner de cette colora-
tion, celle qui l'attribue à la végétation inconnue qui doit revêtir .sa
surface continentale est la plus rationnelle. N'y eùt-il là que de la
mousse, il doit exister sur le scil un revêtement quelconque. Autre-
ment il faudrait supposer que, par un miracle constant de stérili-
sation, le sol est resté partout aride, nu, et tout à fait improductif.
Or, comme ce n'est pas l'intérieur du sol, mais sa surface, que
nous voyons, nous sommes conduits à penser que le revêtement de
cette surface, quel qu'il soit, a pour couleur dominante la couleur
rouge, puisque toutes les terres de Mars offrent ce curieux aspect ('■').
(>) Certaines difteirnees de miaiioes se iiianiresleal iieuiimoiiis. Ainsi, pendant la
période de 1877, la couleur d(^ Mars, vu au grantl éqnatorial de Washington, a paru
jaune d'or. Les mers étaient teintées d'une légère nuance de bleu indigo, et les taches
polaires se sont montrées parfaitement blanches.
Cj Quelque temps après la présentation à IWcadémie des sciences de nos observations
sur Mars en 1873, notre savant ami le docteur Iloefer objecta, a l'explication qui pré-
cède sur la couleur de Mars, que ce ne peut être celle des végétaux, parce qu'elle ne
varie pas avec les saisons, et qu'il est beaucoup plus probable que c'est simplement
celle du sol.
Celle du sol? Mais alors ce sol serait absolument nu. Le soleil, la pluie, l'air, l'au-
raient laissé stérile à tiavers les siècles?... Le docteur Iloefer, qui est un partisan fer-
vent de la doctrine de la pluralité des mondes, ne peut admettre cette stérilité contraire
LES CONTINENTS JAUNES DE MARS
D'ailleurs cette végétation inconnue est plutôt jaunâtre que rou-
geâtre. Par des comparaisons spéciales laites pendant l'été de l'an-
née 1875, j'ai constaté que la couleur dominante de cette planète
n'est pas aussi rouge qu'on se l'imagine ordinairement; elle a
seulement la nuance du gaz d'éclairage, c'est-à-dire jaune
orangé. C'est la nuance de nos blés et de nos céréales. Vu de
ballon, un champ de blé bien mûr rappelle exactement la colora-
tion de Mars.
Remarque assez curieuse : la Terre elle-même a été couverte de
plantes jaunes pendant des milliers de siècles, car les premiers
végétaux terrestres ont été des lycopodes, dont la couleur est d'un
jaune roux tout martien.
Nous avons vu aussi que la météorologie martienne est une re-
production très ressemblante de celle delà planète que nous habitons.
Sur Mars comme sur la Terre, en effet, le Soleil est l'agent suprême
du mouvement et de la vie, et son action y détermine des résultats
analogues à ceux qui existent ici. La chaleur vaporise l'eau des mers
et s'élève dans les hauteurs de l'atmosphère ; cette vapeur d'eau
revêt une forme visible par le môme procédé qui donne naissance
à nos nuages, c'est-à-dire par des différences de température et de
saturation. Les vents prennent naissance par ces mêmes différences
de température. On peut suivre les nuages emportés par les cou-
rants aériens, sur les mers et les continents, et maintes observa-
tions ont pour ainsi dire déjà photographié ces variations météo-
à tous les effets connus des forces de la Nature. 11 faut bien qu'il y ait quelque chose
sur ces terrains, ne serait-ce que de la mousse.
L'objection de l'invariabilité de la couleur pendant l'année martienne n'est pas fon-
damentale, et il suffit de voir les choses un peu largement pour en reconnaître l'insuf-
fisance. Pourquoi astreindre la Nature à avoir construit sur Mars des végétaux de même
espèce que les nôtres? Les conditions de milieux, de température, de densité et de
pesanteur s'y opposent ; donc la différence qui existe forcément entre la végétation
martienne et la végétation terrestre peut parfaitement s'étendre jusqu'aux variations de
couleurs. Mais il y a plus : sur la Terre même la Nature répond à cette objection en
nous montrant des espèces végétales qui ne changent pas. Dans le Midi, les oliviers,
les citronniers, les orangers, les palmiers, les lauriers, les eucalyptus, sont aussi verts
en hiver qu'en été. Dans le Nord, le sapin, l'if, le cyprès, le buis, le houx, le lierre, le
rhododendron, etc., conservent leur verdure au milieu du froid. Dans nos latitudes
mêmes, l'herbe des prés et mille espèces végétales ne varient guère. Comment donc
rejeter une explication si simple, quand ici même nous avons de tels exemples, et quand
les différences de conditions ne peuvent pas avoir développé sur cette planète la même
végétation (lu'ici?
SAISONS ET CLIMATS SUR MARS
riquos ('). Si l'on ne voit pas encore précisément la pluip lomhrr
sur les campagnes de Mars, on la devine du moins, puisque les
nuages se dissolvent et se renouvellent. Si l'on ne voit pas non plus
la neige tomber, on la devine aussi, puisque, comme chez nous, le
solstice d'hiver y est entouré de frimas. Toutefois, toutes les cam-
pagnes ne se montrent pas couvertes comme les nôtres de vastes
nappes de neige et la précipitation aqueuse y est beaucoup moins
abondante que chez nous. Ainsi il y a là, comme ici, une circu-
lation atmosphérique, et la goutte d'eau que le Soleil dérobe
cà la mer y retourne après être tombée du nuage qui la rece-
lait. Il y a plus: quoique nous devions nous tenir solidement en
garde contre toute tendance à créer des mondes imaginaires à l'i-
mage du nôtre, cependant celui-là nous présente, comme dans un
miroir, une telle similitude organique, qu'il est difficile de ne pas
aller encore un peu plus loin dans notre description.
En effet, l'existence des continents et des mers nous montre que
cetteplanète aétécomme la nôtre le siège de mouvements géologiques
intérieurs qui ont donné naissance à des soulèvements de terrains
et à des dépressions. Il y a eu des tremblements et des éruptions
modifiant la croûte primitivement unie du globe. Par conséquent,
il y a des montagnes et des vallées, des plateaux et des bassins, des
ravins escarpés et des falaises. Comment les eaux pluviales retour-
nent-elles à la mer ? Par les sources, les ruisseaux, les rivières et
les fleuves. La goutte d'eau tombée des nues traverse comme ici les
terrains perméables, glisse sur les terrains imperméables, revoit le
jour dans la source limpide, gazouille dans le ruisseau, coule dans
la rivière, et descend majestueusement dans le fleuve jusqu'à son
embouchure. Ainsi, il est difficile de ne pas voir sur Mars des scènes
analogues à celles qui constituent nos paysages terrestres : ruisseaux
(') On distingue parfois sur Mars des nuages emportés par le vent au-dessus de ces
continents et de ces mers. Citons entre autres une observation de M. l-ockyer, qui, le
3 octobre 1862, remarqua, vers dix heures du soir, qu'une partie du continent, qui
aurait dû être visible, était cachée par un long voile blanc, qui s'étendit ensuite sur
1 océan voisin. Le même soir, après minuit, Dawes remarqua aussi cette traînée de
nuages, qui occupait alors une place plus éloignée au sud. J'ai souvent observé que du
jour au lendemain, à la même heure martienne et dans les mêmes conditions optiques,
l'aspect Je la planète était singulièrement changé. C'est ainsi que le 22 juin 1873, à
neuf lii'ures du soir, une vaste traînée nuageuse, tendue vers l'équateur, lui donnait
un certain air de ressemblance avec Jupiter.
SAlSOiNS ET CLIMATS SUR MARS
courant dans leur lit de (mUIoux dorés par le soleil; rivières Ira-
versant les plaines ou tombant en cataractes au fond des vallées;
fleuves descendant lentement à la mer à travers les vastes cam-
pagnes. Les rivages maritimes reçoivent là comme ici le tribut des
canaux aquatiques, et la mer y est tantôt calme comme un miroir,
tantôt agitée par la tempête ; elle y est même aussi bercée du mou-
vement périodique du flux et du reflux, car il y a là deux lunes
pour le produire, sans compter les marées causées par l'attraction
du Soleil, mais ces marées ne sont guère plus sensibles que celles
de la Méditerranée.
Ainsi donc, voilà dans l'espace, à quelques millions de lieues d'ici,
une terre presque semblable à la nôtre, où tous les éléments de la
vie sont réunis aussi bien qu'autour de nous : eau, air, chaleur,
lumière, vents, nuages, pluies, ruisseaux, fontaines, vallons, mon-
tagnes. Pour compléter la ressemblance, rappelons-nous que les
saisons y ont à peu prés la môme intensité que sur la Terre, qu'elles
y sont seulement plus longues, comme les années elles-mêmes. C'est
là assurément un séjour peu différent de celui que nous habitons,
et, quoique cette planète ne soit certainement pas absolument iden-
tique à la nôtre, elle est, très probablement, parmi toutes ses sœurs
de l'espace, celle dont les habitants doivent offrir la plus grande
ressemblance avecles membres de l'humanité terrestre.
CHAPITRE VI
L'atmosphère de Mars. — Sa constitution physique et chimique.
Météorologie de cette planète. — Eau. — Mers. — Nuages. — Pluies.
Neiges. — Montagnes. — Géologie et géographie.
Un ;intiquo et A'énérable proverbe assure qu'il n'y a rien de nou-
veau sous le Soleil. Si, pourtant, Pythagore, Hipparque, Ptolémée,
Copernic, Galilée, Kepler revenaient sur notre planète, quelle ne
serait pas leur surprise, leur admiration ! Nos lecteurs sont trop
accoutumés à apprécier à leur valeur les choses de l'esprit pour
qu'il ait été nécessaire de souligner l'intérêt des détails exposés
dans les pages précédentes sur cette connaissance si précise que
nous avons aujourd'hui d'un monde différent du nôtre. Quelles
exclamations ne jetterait pas l'astronome Ilévélius, lui (jui n'avait
pour observer Mars, comme Copernic et comme Tycho, que des
règles i.v- bois et de cuivre montées sur des cercles admirablement
tonstruità, il est ATai, et fort artistiques, mais dépourvus de verres
et munis seulement d'alidades et de pinnnles, lui qui soutenait que
ces instruments étaient aussi précis que ceux de l'optique nouvelle
et qui les préférait même, quelles exclamations ne jetterait-il pas
.s'il hii él.iit (loiuié d'oliserver Mars dans nos télescopes modernes (*).
(J llivcliiis alVi'CtioiiiKiit paflii-iilit'nMiii^nt IVlégant instninii^nt reproduit ri-rnntre,
(il Vaille (liKiiicl il o])ti'nait en clVet des nsiillats très précis). Cniiinii' souvenir de cet
ôi;e astroii(iiiiii|ue — milieu du XVII' siécli; — nous reproduisons en même temps
le frontispice de son ouvrage, dans lei|uel il représente Copernic- et Tycho-nralié debout
devant un globo céleste mesuré par Ptolémée. La Ciéoniétrie et rArillimétique condui-
sant dans le ciel le char de l'.Xstronomie. « Multa détecta! » neaiicnup do choses sont
découvertes!" Sed quam plurinuin poslcris relicta ». Mais combien d'autres ne sont pas
réservées à la postérité ! Les aun's de la science et du progrès ne devraient-ils pas reve-
nir tous les siècles passer quelque temps sur la Terre!
luflruraents astronomiques du temps d'ilovélius.
ff-i-.".: > nu citL
Fiuiil:*!'., ■ ili; rouvrait; d ilOvùliu^.
46
L'ATMOSl'HÈIiE DE MAUS
On peut dire assurément que les instruments d^jbservation, et les
méthodes modernes ont transformé l'astronomie en créant vérita-
blement ce qu'on peut appeler Isiphytiiologie du ciel.
Nous arrivons ici à l'étude des conditions mêmes de la vie sur la
planète Mars, à l'étude de l'atmosphère au sein de laquelle ses
enfants respirent, vivent et meurent.
Le globe de Mars est environné d'une atmosphère analogue à
celle de la Terre. L'existence de cette atmosphère se manifeste de
trois manières différentes : 1° le disque de la planète est plus blanc,
plus lumineux le long de son contour que dans la région centrale;
2° les configurations géographiques perdent leur netteté lorsque la
rotation de la planète les conduit près du bord, où elles ne sont vues
qu'à travers une pliis grande épaisseur atmosphérique; 3° on voit
des traînées blanches vaporeuses se déplacer sur le disque de la
planète, et ces traînées ne peuvent être que des nuages soutenus
dans une atmosphère.
Dès que les instruments employés à cette étude ont été suffisants,
on a distingué nettement des nuages mobiles, couvrant tantôt une
latitude, tantôt une autre, se déplaçant exactement comme le font
les nôtres. Or, pour supporter des nuages, il faut une atmosphère.
Que dis-je? pour former les nuages eux-mêmes, une atmosphère
est indispensable. Ainsi le fait seul, bien avéré, de l'existence de
nuages sur Mars a prouvé en même temps l'existence de son atmos-
phère. D'un autre côté, lorsque les taches fixes de la surface sont au
centre de l'hémisphère martien tourné vers la Terre, onies distingue
nettement. Mais lorsque, emportées par la rotation, elles arrivent
vers les bords du disque, non seulement elles se présentent en rac-
courci suivant la perspective géométrique de leur position sur la
sphère tournante, mais encore elles perdent leur netteté, deviennent
pâles et cessent d'être reconnaissables avant d'atteindre le bord. Cet
effet est causé par l'atmosphère, qui absorbe les rayons lumineux,
et interpose un voile de plus en plus épais à mesure que le rayon
visuel approche du bord. De plus, le bord de la planète est tout
autour, dans son intérieur, plus pâle que la région centrale, (voy.
fig. 59) à cause de la même absorption atmosphérique. Ces consta-
tations s'unissent pour prouver l'existence de l'atmosphère.
Cette clarté du bord du disque n'est pas constante. Parfois la
I.ATMOSl'HKllL DE MAI!^
zone périmétralc plus lumineuse est fort large, quelquefois elle est
si étroite qu'elle se réduit à un mince anneau collé intérieurement
au contour du disque, ce qui s'est manifesté entr'autres au mois
d'octobre 1877 dans les observations de Milan : l'atmospbére de
Mars s'est montrée alors absolument transparente, d'où l'on peut
Cl inclure qu'elle est comme la nôtre imprégnée de vapeurs vési-
culaircs du de corpuscules qui réfléchissent la lumière solaire et qui
varient de qiuxntité suivant l'état météorologique.
Un a remarqué que cette atténuation (.es taches géographiques de
Fii;. i.'J. - iuUo almosiilRTinuu sur lo cunloiir nikTieiir de lu jihmL'te.
la planète lorsqu'elles arrivent près des bords et sont vues à travers
le maxinnnn d'épaisseur atmosphérique est beaucoup plus pro-
noncée sur k' biu'd occidental' que sur le hord oriental, ce qui
indique que « le lever du soleil sur Mars est généralement plus
beau, plus clair que le coucher du soleil ». — U nous semble que
Udtre planète est ù peu prés dans le môme cas; du moins l'atmo-
sphère de l'aurore est-elle d'une limpidité remarquable, et la pratique
de la photographie montre-t-ellc (pic la lumière du matin est
plus photogénique que celle de l'après-midi (').
('l Comme nous voyons toujours, de Murs, le coté éclairi- et échauffé directement par
le Soleil, il est possible que le ciel n'y soit pas toujours aussi clair qu'il le paraît, et
qu'il se couvre de brunies le soir et pendant la iiuil. Nous no savons pas ce que devient
l'atmosphère de Mars pendant le l'roid de la nuit. Nous pouvons mC-me ajouter que le
L'ATMOSPHERE DE MAllS
Les phénomènes météorologiques dont nous avons parlé au cha-
pitre précédent étahlissent d'autre part une analogie pres(|ue com-
plète entre cette atmosphère et la nôtre. Déjà, en 1840, les astro-
nomes Béer et Mtidler, après avoir observé Mars pendant douze
années consécutives, écrivaient dans leurs Fnujinents sur les corps
célestes :
Les différences que nous avons remarquées sur les taches blanches
polaires variant avec les saisons, s'accordent [)arfaitement avec Thyiio-
thése qui voit en elles un précijnté analogue à notre neige ; et il est en
effet presque impossible de rejeter une supposition qui se confirme d'une
mauière aussi surprenante. Notre Terre, vue de la distance d'une planète,
d.jit présenter des phénomènes tout à fait semblables; seulement, chez
elle, le rapport entre les deux hèmisjjhères est moins inégal.
Les autres taches de la planète paraissent pour l'essentiel appartenir à
des parties constantes de la surface. Vu la position et l'éloignement du
globe de Mars, on ne pourrait sous aucune condition imaginable, dis-
tinguer des ombres produites par des montagnes, quelque gigantesques
qu'elles fussent. Les teintes observées sont donc des différences dans la
réflexion de la lumière, qui doivent provenir des mêmes causes que celles
qui existent sur notre Terre. Ainsi, quoique ces taches elles-mêmes ne
paraissent pas analogues à nos nuages, cependant on voit en elles des
effets optiques rappelant les condensations de nos nuages ; elles se mon-
trent plus précises et plus intenses dans leur été, plus vagues, plus pAles
et plus confondues dans leur hiver.
Si les taches polaires sont véritablement de la neige, leur diminution à
l'approche de l'été ne peut avoir lieu que par la fonte et l'évaporation con-
tinuelle; l'épaisseur de cette neige est, d'après toute vraisemblance, très
considérable; ces parties de la surface se disposant à s'évaporer doivent,
par conséquent, être extrêmement humides : or, un sol vaporeux et maré-
cageux est certainement celui qui est le moins susceptiljle de rétlexion,
et qui doit, par conséquent, nous apparaître le plus foncé.
D'après l'ensemble des observations, ce ne serait pas aller trop loin ({ue
de regarder Mars comme un corps présentant une très grande ressem-
blance avec notre monde, comme une image de la Terre telle qu'elle nous
apparaîtrait au firmament, vue à une pareille distance.
fait est rendu probable par les observations, attendu que les bords de la planète sont
plus indistincts qu'ils ne devraient l'être par ia seule influence de l'absorption atmos-
phérique dont nous avons parlé, et que d'autre part l'héniisphèro d'hiver parait tou-
jours fort brumeux. La condensation atmosphérique est donc encore plus sensible là
qu'ici, le ciel y est rarement pur pendant le froid de l'hiver et pendant celui de la nuit;
le matin et le soir, le ciel est très souvent couvert, tandis qu'il est remarquablement pur
dans le cours de la journée.
L'ATMÛSI'llEKE Di; MARS
Si les astronomes s'exprimaient déjà en pareils termes dès l'année
1840 sur les ressemblances climatologiques entre la planète Mars et
la Terre, que dirons-nous aujourd'hui, après plus de quarante
nouvelles années d'observations constantes qui n'ont fait que con-
linnoi et développer les inductions formulées par les deux émi-
nents observateurs dont nous venons de rappeler les paroles?
Aujourd'hui, la géographie de Mars, qui n'était alors qu'ébauchée,
est faite pour ainsi dire; sa météorologie est connue dans ses grands
mouvements, et la composition chimique elle-même dg son
atmosphère est déterminée par l'analyse spectrale.
En dirigeant le spectroscope sur Mars, on constata d'ab(jrd dans
les rayons lumineux émis par cette planète une identité parfaite
avec ceux qui émanent de l'astre central de notre système. Mais en
employant des méthodes plus minutieuses, M. Huggins trouva pen-
dant les dernières oppositions de la planète, que le spectre de Mars
est coupé dans sa zone orangée par un groupe de raies noires
coïncidant avec les lignes qui apparaissent dans le spectre solaire
au coucher du soleil, quand la lumière de cet astre traverse les
couches les plus denses de notre atmosphère. Or, ces raies révéla-
trices sont-elles causées par notre propre atmosphère? Pour le savoir,
on dirigea le spectroscope vers la Lune. Si les raies dont il s'agit
étaient causées par notre atmosphère, elles auraient du se montrer
dans le spectre lunaire comme dans celui de Mars, et même avec
plus d'intensité. Or, elles n'y furent même pas visibles. Donc elles
appartenaient évidemment à l'atmosphère de Mars. Cette atmos-
phère ajoute ses caractères particuliers à ceux du spectre solaire,
caractères établissant qu'elle est analogue à la nôtre. Mais quelle est
la substance atmosphérique qui produii ces lignes accusatrices! En
examinant leur position, on constate que c'est la vapeur d'eau.
Donc il y a de l'eau dans l'atmosphère de Mars comme dans la
nôtre. Les taches vertes de ce globe sont bien des mers, des
étendues d'eau analogues aux eaux terrestres. Les nuages sont
bien formés de vésicules d'eau analogues à celles de nos brouil-
lards; les neiges sont de l'eau solidifiée par le froid. Il y a plus,
cette eau révélée par le spectroscope étant de même composition
chimique que la nôtre, nous savons qu'il y a là aussi de l'oxygène
et de l'hvdrogène.
L'ATMOSIMlÈliE DE MARS
L'astroiioine Vogel a fait, de son côté, une étude spéciale du
spectre de Mars :
Dans ce spectre, dit-il, ou retrouve un très grand nombre de raies du
spectre solaire. Dans les portions les moins réfrangibles du spectre appa-
raissent quelques bandes qui n'appartiennent point au spectre solaire,
mais qui coïncident avec celles du spectre d'absorption de notre atmos-
phère... On peut conclure avec certitude que Mars possède une atmos-
phère qui, pour la composition, ne diffère pas essentiellement de la nôtre,
et doit être riche, en particulier, en vapeur d'eau. La coloration rouge de
Mars semble résulter d'une absorption qui s'exerce généralement sur les
rayons bleus et violets dans leur ensemble; au moins, il n'a pas été pos-
sible de discerner, dans cette portion du spectre, des bandes d'absorption
tranchées. Dans le rouge, entre B et G, on devine des raies qui seraient
spéciales au spectre de Mars, mais il n'a pas été possible de fixer leur
position, à cause de la trop faible intensité lumineuse...
Ce n'est pas un des résultats les moins importants de notre
analyse spectrale, d'avoir ainsi démontré l'analogie et presque
l'identité de composition chimique des ditïérents mondes de notre
système. Nous savions déjà qu'ils sont frères d'origine; mais les
conditions diverses dans lesquelles chacun d'eux s'est développé
auraient pu modifier profondément les états de la matière et
mettre entre eux des séparations essentielles. Telle n'a pas été
l'œuvre du temps et des forces cosmiques. Une parenté inaliénable
est restée entre tous ces mondes, et nous savons aujourd'hui que
leurs matériaux constitutifs, leurs terres, leurs eaux, leurs fluides
atmosphériques, sont les mêmes que les éléments terrestres ana-
logues qui nous entourent, ou du moins n'en différent que dans les
proportions. Au surplus, tous les mondes de notre système pro-
viennent de la nébuleuse solaire primitive, et sont formés, par
conséquent, des mêmes éléments originaires.
Nos lecteurs connaissent les principes de cette merveilleuse ana-
lyse spectrale, qui nous permet aujourd'hui de déterminer la cons-
titution chimique des atmosphères planétaires. Sans revenir sur ces
principes ('), rappelons seulement que les planètes réfléchissent
(') L'analyse spectrale a été expliquée dans notre Astronomie populaire, livre III,
chapitre vu, pages 388 à 400, et le tableau colorié des spectres a été donné dans le Sup-
plément de cet ouvrage, les Étoiles et tes Curiosités du Ciel, page 224.
l/ATM(ISlMli:i!E IIK M Ali S
dans l'espace la lumière qu'elles reçoivent du Soleil, (!t qu'on luisant
arriver leur lumière sur un prisme placé devant l'oculaire d'une
lunette, cette lumière donne naissance à un petit spectre coloré
des sept couleurs de l'arc-en-ciel, et qui est l'image parfaite du
spectre solaire. D'autre part, si l'on examine le Soleil lorsqu'il n'est
pas très élevé au-dessus de l'horizon, avant son coucher, par
exemple, on remarque qu'il présente non seulement les lignes
caractéristiques des éléments qui brûlent dans cet astre, mais encore
d'autres lignes, qui sont d'autant plus noires et plus épaisses, que
l'astre est plus Las. Ces lignes-là sont produites par l'atmosphère
terrestre, et surtout par la vapeur d'eau dont cette atmosphère est
constamment imprégnée.
On se rendra compte de ce fait à l'examen de notre figure GO, qui
Fig. 60. — Raies atmosphériques du spectre solaire que l'on n-trouve dans le ^peitu; de Mars.
représente les raies principales du spectre solaire et, au-dessous,
leur épaississement et leur multiplication par l'absorption, dans ce
spectre due à la vapeur d'eau, lorsqu'on l'observe quelque temps
avant le coucher du soleil. Eh bien, cette dernière figure est ana-
logue à celle du spectre de Mars, lors même qu'on IVibserve à
une très grande hauteur au-dessus de l'horizon, et dans des condi-
tions telles que notre propre atmosphère ne peut pas modifier
sensiblement sa lumière.
Certes, c'est là un résultat qui peut paraître tout à fait incroyalile
aux personnes qui ne se tiennent pas au courant du progrès des
sciences. Il est merveilleux, en (>fFet, que nous soyons aussi surs de
l'existence de l'eau dans cette planète, que si un messager céleste
avait pu nous en apporter un tonneau à l'état liquide ou un mor-
ceau à l'état de glace, et, à franchement parler, ces procédés de l'a-
nalyse spectrale sont de ceux qui mettent le mieux en lumière la
puissance conquérante du génie de i'homme. Lorsque nous savons
qu'une étendue de glace de la dimension de la France, n'est guère
L'ATMOSPHÈRE DE MARS
vuesiir le disque de Mars, que delà grosseur d'une tête d'épingle, et
que la Méditerranée tout entière se réduit à un petit nuage bleuâtre
tracé à la pointe du pinceau, on a le droit d'admirer de pareils ré-
sultats.
La météorologie de cette teri'e voisine n'a plus aujourd'hui les
mystères qui l'obscurcissaient hier encore. Nous pouvions nous
demander, en effet, si les taches blanches qui environnent les pôles
de Mars et paraissent être de la neige sont vraiment de la neige, la
même neige que celle de nos hivers, c'est-à-dire de l'eau congelée
dans l'atmosphère, formée en flocons et tombée sur le sol;
— si ces nuages qui flottent au-dessus de ses continents et de ses
mers sont vraiment des nuages comme les nôtres, c'est-à-dire
constitués de vésicules d'eau suspendues dans l'air; — si cette eau,
l'eau de ces nuages, de ces neiges, de ces mers, est la même eau
qu'ici? Nous ne nous demandions pas, il est vrai, avec le père Kir-
cher « si cette eau serait bonne pour baptiser et pour célébrer la
messe », car aucun motif ne peut nous faire supposer que l'on ait in-
venté le baptême ou l'eucharistie sur cette planète voisine ; mais nous
pouvions nous demander si c'est bien la même eau chimique que
la nôtre, composée de la combinaison d'un équivalent d'oxygène
avec un équivalent d'hydrogène.
Oui, maintenant nous pouvons l'affirmer: l'atmosphère de Mars
est analogue à la nôtre; ses nuages mobiles comme ses neiges po-
laires sont composés de la même eau que celle qui circule dans notre
propre atmosphère, et sa constitution physique et chimique ne pa-
rait pas sensiblement différente.
Les phénomènes météorologiques qui s'accomplissent dans cette
atmosphère ont fait l'objet d'observations nombreuses. L'existence
de la vapeur d'eau sous forme gazeuse est démontrée par le spec-
) troscope ; sa présence sous forme vésiculaire résulte de l'observa-
tion directe.
Quand les nuées de Mars se projettent sur les conflgurations fon-
t^^ cées de la planète, elles se montrent sous l'aspect de traînées
' vaporeuses mal définies, généralement très blanches, quelquefois
grisâtres, un peu transparentes, mais couvrant néanmoins comme
un voile les contrées sur lesquelles elles passent. Ainsi, par exemple,
dans la soirée du 10 octobre 1877, après avoir observé sans difficulté
MÉTÉOROLOGIE DE MAliS
la région comprise entre le 240* et le 350^ méridien, M. Schiaparelli
ayant interrompu son observation pour examiner la comète décou-
verte quelques jours auparavant par Tempel, et étant ensuite revenuà
l'exploration de Mars, écrivait sur son registre : « Planète très belle;
la mer Érithrée est en grande partie obscurcie par des nuées ; la
Noacliide est obscure ; la terre de Deucalion est à peine visible ; au
contraire l'Arabie est très claire et le golfe Sabeus très distinct. » Le
jour suivant, le même observateur écrivait : « La tempête observée
bier se continue sur la Noaclude et la mer Érithrée; je ne puis
dire avec précision quand cet état de cboses a commencé, mais ce
Fig. (il. — Nuages sur Mars (20 décembre 1881 )
fut certainem.ent entre le 4 et le 10 octobre; le 14 la mer Érithrée
était bien découverte à l'Est, et le 4 novembre elle l'était entière-
iiient ». On le vuit, le mauvais temps sur Mars, nous l'observons
d'ici, et les météorologistes de la Terre pourraient s'instruire sur
la marche des tempêtes en étudiant cette planète voisim».
En comparant la riche collection de dessins télesci Cliques de Mars
que nous avons sous les yeux, nous en remarquons de fort caracté-
ristiques à ce point de vue. Tel est par exemple celui que nous
venons de reproduire (fig. 61), dessin fait le "20 décembre 1881 à
l'Observatoire de lord Rosse, à Birr Castle, Irlande, par M. Otto
Bœddicker ; il montre bien l'aspect des nuages, couvrant presque
la moitié de l'hémisphère alors tourné vers nous.
TERRES DU CIEL iT
MÉTEOROLUGlt DE MARS
Si les nuages de Mars sont visibles par vision positive, c'est-à-dire
directement eux-mêmes sur les régions foncées de la planète, leur
présence sur les régions claires se reconnaît par vision négative, en
ce sens qu'ils empêchent de voir ce qui est au-dessous.
Pendant l'opposition de 1877, de septembre à décembre, une
grande partie de la planète a été encombrée de nuages, principale-
ment le continent équatorial entre la mer du Sablier et la Manche.
Les grands canaux dessinés cette année-là sur la carte de M. Schia-
parelli, n'ont été vus qu'en février et mars, quoique la planète fut
alors quatre à cinq fois plus éloignée de la Terre qu'en septembre.
« Sans doute, dit l'auteur, le Soleil en arrivant à l'équateur a dissipé
le voile impénétrable, qui d'abord avait rendu ces détails inacces-
sibles à l'observation » . Les dessins faits pendant l'opposition de 1 862,
montrent que pendant cette année les nuages ont été beaucoup
plus étendus et plus denses qu'en 1877; la mer polaire notamment
est restée cachée ainsi que les golfes qui y conduisent. Remarquons
encore que la transparence fréquente de ces nuées laisse conjeclurer
qu'elles n'ont qu'une faible densité ou qu'une faible épaisseur.
Il y a là, comme on le voit, de grandes analogies entre la météo-
rologie de Mars et celle de la Terre. Mais il y a aussi des différences
essentielles bien dignes d'attention. Ainsi les observations faites sur
les tropiques aux époques où les rayons du Soleil dardent directe-
ment sur eux, montrent qu'il n'y a là rien d'analogue à nos zones
de pluies et à nos calmes équatoriaux. 11 semble qu'à l'époque des
solstices, un hémisphère entier dv Mars soit consacré à l'évaporation
et l'autre à la condensation. Aux époques intermédiaires, une zone
d'évaporation parait limitée au Sud et au Nord par deux calottes de
condensation. On sait que les navigateurs reconnaissent de loin les
îles par les nuages qui s'amoncellent au-dessus d'elles : il parait eu
être de même sur Mars.
L'analogie entre le régime météorique de Mars et celui de la
Terre se confirme non seulement par les phénomènes de conden-
sation de la vapeur d'eau, dont nous sommes témoins, mais encore
parla diversité même des teintes des mers martiennes. Il est digne
d'attention, en effet, que les mers les plus foncées de la planète soient
celles qui avoisinent l'équateur et la zone torride, et que les moins
foncées soient celles qui avoisinent les pôles. Il en est de même sur
MÉTÉOROLOGIE DE MARS 131
la Terre. « On peut estimer la salure des eaux maritimes à leur
couleur, écrit le commodore Maury dans sa Géographie physique,
de la mer ; plus la teinte est verdâtre, moins l'eau est salée, et cette
différence de degré dans la salure suffit pour expliquer le contraste
qui existe entre le vert clair de la mer du Nord et des mers polaires
et l'azur foncé des mers tropicales, spécialement de l'Océan Indien. »
Voilà une nouvelle coïncidence entre Mars et la Terre, qui ne peut
guère être un effet du hasard. Les mers martiennes paraissent donc
avoir les mêmes propriétés physiques que les mers terrestres (');
elles sont probablement salées aussi, ce qui n'offre rien de surpre-
nant, le chlorure de sodium étant l'un des corps les plus communs
de la chimie minérale.
Maintenant que nous connaissons si bien l'atmosphère de Mars,
pouvons-nous compléter cette connaissance en déterminant sa hau-
teur et sa densité? Cette hauteur et cette densité ont été l'objet d'obser-
vations directes pour la planète Vénus; mais il n'en est pas de même
pour Mars, car ce globe ne présente aucune des conditions accessibles
à l'observation des réfractions que son atmosphère peut subir. Mars
n'est pas exposé, comme sa compagne du ciel olympique, à
passer devant le Soleil, et à la distance où il plane, nous ne pour-
rions pas voir cette atmosphère déborder autour de son disque,
(') Ainsi l'état de l'atmosphère martionne, la présence de la vapeur d'eau sous tous
ses aspects, les nuages, les neiges, les glaces, tout s'accorde pour nous montrer que les
taches grises de la planète ne ressemblent en rien à celles de la Lune et sont incontesta-
blement des mers liquides.
On s'est demandé si l'on ne pourrait, et même si l'on ne devrait pas, voir l'image du
Soleil réfléchie dans ces mers. Le calcul montre, par exemple, qu'aux époques où la
planète est la plus proche de nous, le Soleil, ri'll('chi par le miroir de ces mers lointaines,
devrait nous être renvoyé sous l'aspect d'un petit point lumineux, d'une intensité égale
au quart de l'éclat de l'étoile Capella, c'est-à-dire comme une belle étoile de 3' grandeur.
Sans tenir compte de l'irradiation, l'image du soleil ainsi réfléchie mesurerait -^ de
seconde. La boule d'un thermomètre renvoie l'image solaire à 25 mètres de distance
comme une belle éloile de 1" de diamètre, très brillante à l'œil nu. Or un grossissement
de 300 appliqué à Mars amplifie j; de seconde à 15". Cette réflexion de la lumière solaire
devrait être visible au télescope. On ne l'a jamais vue, et quelques observateLTs on»
présenté cette absence d'observation comme une objection contre l'existence des mers
martiennes. Mais nous pouvons répondre que l'on ne pourrait observer le point
lumineux qu'en des circonstances exceptionnelles, et qu'il n'est pas probable que la
surface des mers soit toujours là aussi calme qu'un miroir : le vent doit rider cette
surface et donner naissance à des vagues qui rendent cette réflexion confuse et nébuleuse
au lieu de lui laisser l'aspect d'un point net très tirillant.
METEOROLOGIE DE MAKS
lors même qu'elle serait beaucoup plus élevée que la nôtre. Une
hauteur de 80 kilomètres ne lui donnerait encore qu'une épaisseur
de 0"3 lorsque la planète est la plus rapprochée de nous. En 1672,
Cassini a observé le passage de Mars devant l'étoile i|/ du Verseau, de
5^ grandeur, et comme l'étoile avait disparu à 6' du bord de la pla-
nète, il en avait conclu l'existence d'une énorme atmosphère, opi-
nion exagérée et fondée sur une observation mal interprétée, attendu
que c'était simplement l'éclat de Mars qui empêchait de voir l'étoile.
L'astronome South a observé deux occultations et un contact sans la
moindre variation dans l'éclat des étoiles devant lesquelles cette
planète est passée.
Cette atmosphère paraît être sensiblement moins dense que celle
que nous respirons. D'une part, nous y observons beaucoup moins
de nuages et de condensations que sur la Terre. D'autre part, le
globe de Mars étant beaucoup plus petit que le globe terrestre, doit
être enveloppé d'une atmosphère moins considérable. D'autre part
encore, l'intensité de la pesanteur étant beaucoup plus faible là
qu'ici a pour résultat de moins condenser l'atmosphère vers la sur-
face et de lui donner une moindre densité. Chaque mètre carré de
la surface de la Terre supporte un poids atmosphérique de 10330 ki-
logrammes; si l'atmosphère de Mars était égale à la nôtre, la pres-
sion atmosphérique sur chaque mètre carré de la surface de la pla-
nète ne serait que de 4000 kilogrammes; de sorte que la densité
des couches atmosphériques inférieures ne surpasserait pas les | de
celle de l'atmosphère terrestre au niveau de la mer. Ce n'est guère
que la densité de l'air qui existe surnos plus hautes montagnes; et
en admettant que la quantité totale de l'atmosphère martienne fut
réduite dans la proportion de la masse de Mars à celle de la Terre,
la raréfaction serait encore plus grande.
S'il en était ainsi, les neiges de Mars ne s'arrêteraient pas à quel-
ques centaines de lieues aux environs des pôles ; elles couvriraient
d'un éternel linceul la planète tout entière, et nous n'aurions sous
les yeux qu'un bloc de glace.
Nous sommes donc conduits à conclure que l'atmosphère de Mars
est constituée de telle sorte que loin de laisser se perdre dans l'es-
pace la chaleur reçue du Soleil, elle la conserve et l'accumule comme
une serre. L'aspect de la géographie de Mars prouve que l'eau y est
LES NUAGES DE MAKrt
à l'état liquide, et les phénomènes météorologiques observés prou-
vent qu'elle s'y évapore et donne comme ici naissance à des vapeurs,
des brouillards, dos nuages, des pluies cl des neiges.
On est généralement porté à croire (|ue la Lenqjérature moyenne
des planètes est déterminée par leur distance au Soleil, que sur
... Bien souvent, dans la nacelle de l'aérostat, j'ai assisté à la formation des Diiagcs...
Mercure cette température est 7 fois plus élevée que celle de la
Terre, et que sur Neptune elle est DUO fois moindre. Un tel raison-
nement pèche parla base ; le sommet du mont Blanc est constamment
glacé, et, à ses pieds, la douce vallée de Chamounix est une serre
chaude; pourtant ces deux points sont à la même distance du Soleil.
("eut la constitudon de V atmosphère qui joue le plus (jrand
LES NUAGES DE MARS
rôle dans V établissement des températures. Il peut faire beau-
coup plus chaud sur Mars que sur la Terre, comme il pourrait y faire,
beaucoup plus froid.
L'atmosphère agit comme une serre. Elle laisse arriver les rayons
du Soleil jusqu'à la surface du sol, mais ensuite elle les retient et
s'oppose à ce que la chaleur emmagasinée s'échappe dans l'espace.
Sans l'atmosphère, toute la chaleur solaire reçue pendant le jour
fuirait pendant la nuit, et la surface du sol serait gelée chaque nuit,
en été comme en hiver. Mais sait-on quelles sont les molécules atmo-
sphériques qui opposent l'obstacle le plus efficace à la déperdition
de la chaleur absorbée par la Terre ? Les molécules d'oxygène et
d'azote, c'est-à-dire l'air proprement dit, sont à peu prés indiffé-
rentes, etlaissent tranquillement perdre cette précieuse chaleur. Mais
il y a dans l'air de la vapeur d'eau en suspension, à l'état de gaz invisible.
C'est cet élément qui est le plus efficace. Le pouvoir absorbant d'une
molécule de vapeur aqueuse est 1 6 000 fois supérieur à celui d'une mo-
lécule d'air sec! Cette vapeur est une couverture plus salutaire pour
la vie végétale que nos vêtements ne le sont dans les plus grands
froids. Supprimez pendant une seule nuit la vapeur aqueuse contenue
dans l'air qui couvre la France, et vous détruirez, par ce seul fait,
toutes les plantes que le froid fait mourir; la chaleur de nos champs
et de nos jardins se répandra sans retour dans l'espace, et lorsque
le soleil se lèvera, il n'éclairera plus qu'un champ de glace.
La vapeur d'eau n'est pas la seule qui jouisse de ce privilège. Les
expériences de Tyndall ont montré que les vapeurs de l'éther sulfu-
rique, de l'éther formique, de l'éther acétique, de l'amylène, du gaz
défiant, de l'iodure d'éthyle, du chloroforme, du bisulfure de car-
bone, exercent la même influence, à des degrés divers. Les parfums
que les fleurs répandent le soir autour d'elles leur servent, pendant
la nuit, d'un voile protecteur contre les atteintes de la gelée (').
(') « On a publié, écrivait Tyndall lui-même, des livres curieux pour prouver que les
planètes les plus éloignées sont inhabitables. En appliquant la loi de la raison inverse
des carrés de leurs distances au Soleil, on trouve que la diminution de température
doit être si grande que la vie humaine y serait impossible; mais dans ces calculs on
avait omis l'influence de l'enveloppe atmosphérique, et cette omission faussait tout le
raisonnement. Par exemple, une couche d'air de deux pouces d'épaisseur, saturée de va-
peur d'éther sulfurique, olTrirait une très faible résistance au passage des rayons solaires ;
mais j'ai trouvé qu'elle intercepterait 33 pour 100 de la radiation planétaire. 11 n'v
LES NUAGES I) K .M A I! S
Certains savants se placent en dehors de la nature, en dehors de
la vérité, lorsqu'ils s'imaginent que l'Univers entier doit être la répé-
tition de notre habitacle, et lorsqu'ils croient pouvoir juger l'im-
raensité d'après l'observation de notre atome. Une atmosphère de
(juelques mètres d'épaisseur, et absolument transparente pour la vue,
pourrait envelopper la Lune et faire de ses vallées un séjour délicieux.
Ne craignons pas de le répéter, le champ de nos expériences terrestres
est très restreint, il ne suffit pas pour faire juger l'Univers entier;
mais chaque particularité peut servir d'enseignement, de point de
départ, pour commencer le réseau d'une science comparée, qui
pourra s'étendre jusqu'aux autres séjours.
Chacun sait combien est instable l'équilibre atmosphérique, et
quelles imperceptibles variations dans la température suffisent pour
(Innner naissance à la formation des nuages et des brouillards. De
la vapeur d'eau, à l'état invisible, est en suspension dans l'air. Qu'un
li'ger abaissement se produise dans la température, et voilà un
nuage formé. Qu'un léger échauffement succède, et voilà le nuage
dissipé. Bien souvent, du haut des Alpes, ou dans la nacelle de l'aé-
rostat, j'ai assisté à ces curieuses et instructives transformations:
los nuages se forment et se dissolvent à la moindre influence.
La pression atmosphérique, la tension de la^ vapeur d'eau
agissent constamment, silencieusement, doucement, mais énergi-
qui'ment. (Par exemple, pendant la majeure partie du mois de jan-
vier 1882, la France presque entière, la Belgique, l'Allemagne, l'An-
gleterre sont restées ensevelies sous un brouillard opaque, coïnci-
dant avec la permanence d'une haute pression barométrique, tandis
que l'Italie, l'Espagne, le midi de la France, sous l'influence de cette
même pression, jouissaient d'un ciel sans nuages, d'une pure lu-
mière et d'une printanière chaleur). De faibles modifications dans la
constitution physique et chimique de notre atmosphère eussent pu
amener dans cette atmosphère une opacité perpétuelle. Nous eus-
sions habité alors une planète brumeuse, un brouillard sans fin, et
jamais nous n'eussions connu l'existence des étoiles, de la Lune, ni
aurait pas besoin d"une couche d'une épaisseur démesurée pour doubler celte absorp-
tion ; et il est bion évident qn'avoc une enveloppe protectrice de ce genre, qui permet-
lr;iit à 1;» rhalenv ifentrer et l'enipèrheniit de sortir, on aurait des climats tempérés à
la surlace des planètes les plus éloijj'nées. »
I.KS NIAT. KS DE M AU S
peut-être même celle du Soleil, qui ne nous eût jamais apparu que
sous l'aspect d'une clarté vague et blafarde; l'Astronomie n'eut pu
naître sur un tel séjour; il eut été impossible à l'humanité t<'r-
restre de se rendre compte du lieu qu'elle habite; c'eut été une
tout autre race, arrêtée dès le début de son développement, myope,
terne, grise, bornée, figée, plus animale qu'humaine... A quoi
tiennent les destinées d'un monde? A l'invisibilité d'un nuage!
Fort heureusement pour la planète Mars, son atmosphère est
transparente; le ciel y est même moins souvent couvert que chez
Fig. 63. — Fragment de la géographie de Mars : Vile neigeuse.
nous. Toutefois, les nébulosités blanches que l'on aperçoit de temps
à autre le long des rivages, et les nuages plus éclatants encore que
l'on remarque sur les régions polaires, montrent que les procédés
météorologiques n'y diffèrent pas essentiellement des nôtres, quoi-
qu'il y ait moins d'eau qu'ici. Mais, sans contredit, une différence
essentielle avec le monde que nous habitons est présentée par ces
variations, qui n'ont riim d'analogue sur la Terre.
On a de temps en temps remarqué à la surface de Mars quelques
points d'une éclatante blancheur, que l'on a, ajuste titre, considérés
comme représentant des montagnes couvertes de neige. Les observa-
tions sont assez concordantes pour montrer que ces points blancs ont
certainenK^nt existé. Quelquefois, cependant, c'est en vain qu'on les
1. lit! neigeuse vue de l'océan Kepler ; inéléorologie martienne
TERRES VI CIEL £^
LES NUAGES DE MAHS
a cherchés, sans doute précisément parce qu'alors les neiges étaient
fondues. Signalons, entre autres, dans l'océan Kepler, vers 48° de
longitude et 25° de latitude sud, le district auquel on a donné le
nom d'île Neigeuse, qui se trouve loin des régions polaires. Tous
les faits observés s'accordent pour montrer qu'il y a là une île
couverte de hautes montagnes de temps en temps blanchies
par les neiges ou par les nuages. L'astronome anglais Dawes a
notifié là de curieux changements : il a notamment dessiné
une tache blanche, parfaitement visible les 21, 22 et 23 jan-
vier 1865, et, aa contraire, complètement invisible les 10 et
12 novembre 1864. M. Proctor l'a surnommée l'île neigeuse de
Dawes et M. Green l'île de Hall. Le 4 avril 1871, M. Webb a
revu la. même tache, puis elle est devenue invisible. On l'a revue
en 1877.
Cette île paraît s'élever au milieu des eaux, cime solitaire souvent •
blanchie par les neiges et surtout environnée de nuages qui se
condensent là comme ceux que l'on voit suspendus aux sommets
des Alpes toutes les fois que l'air humide est un peu rafraîchi. C'est
l'île de Ténériffe de Mars, plus élevée sans doute, mais ne plongeant
point comme les Alpes et les Pyrénées jusque dans la région des
neiges éternelles. Vue de quelques lieues de distance, d'un banc
de l'océan Kepler, elle doit se présenter au spectateur sous l'aspect
rappelé par le dessin qui précède. Quels pâturages, quels chalets,
quels villages s'abritent dans ses phs? quels êtres habitent ses ri-
vages? quels navires sillonnent ces mers? Cette rive maritime,
aussi variable comme climat que celles de nos côtes normandes,
n'est-elle pas peuplée de bains de mer où les jeux mondains agitent
leurs grelots? n'est-elle pas le rendez-vous des plaisirs des jeunes
Martiennes tout occupées des lois de la dernière mode? Ne voit-elle
pas aussi des champs de courses sur lesquels le cheval se montre
supérieur à l'homme? Ou bien, plutôt, sur ce pic du Midi, n'a-t-on
pas élevé un observatoire météorologique d'où les tempêtes sont
annoncées aux diverses nations de l'hémisphère austral? Peut-être
en ce moment, un veilleur de nuit découvre-t-il dans une éclaircie
notre planète brillant comme un phare, et publie-t-il que, la Terre
étant calme et lumineuse dans un ciel transparent, promet un beau
temps aux navigateurs et aux touristes.
Li;S NLAOKS DE MARS
Plusieurs autres régions de la planète sont aussi remarquables que
l'île neigeuse par leurs intermittences d'éclat. Ainsi, par exemple,
M. Schiaparelli a constaté que la terre de Secchi, appelée par lui
Hellas, paraît quelquefois aussi brillante que le pôle (').
On a signalé également de brillants ménisques ou croissants
le long des bords oriental et occidental du disque, qui paraissent dus
aussi à une cause atmosphérique.
Un grand nombre des taches foncées de Mars, et spécialement cellfi
dont les bordures septentrionales forment une bande irrégulière au-
dessus des régions équatoriales, sont bordées de ce côté par une
ligne blanche, suivant toutes leurs sinuosités. Ces bordures blanches
ne sont pas permanentes, mais variables. Quelquefois elles parais-
sent très proéminentes* et d'un vif éclat, à ce point qu'elles rivalisent
même avec les neiges polaires. A d'autres époques au contraire, elles
deviennent si légères qu'on peut à peine les distinguer, et même par-
fois elles" disparaissent tout à fait, quoique l'atmosphère soit claire
et que les taches sombres se montrent parfaitement bien définies.
Notre figure 65 reproduit l'un des meilleurs dessins que nous possé-
dions à cet égard ; il a été fait par l'astronome anglais Phillips, le
15 octobre 1862, avec un ôquatorial de 6 pouces, à Oxford; on voit
au premier coup d'œil toute la ligne de côtes bordée par une blanche
hgne de nuages.
Mon savant ami M. Trouvelot, qui a fait une étude spéciale de ces
traînées blanchâtres rapporte (*), qu'aux époques où elles étaient
invisibles, il les a souvent cherchées pendant plusieurs heures sans
pouvoir en discerner aucune trace, mais qu'en plusieurs circons-
tances cependant, il a eu la bonne fortune d'en voir quelques-unes
se former graduellement sous ses yeux dans l'intervalle de moins
(') Peniianl les mois de novembre et décembre 1879, une bande blanche s'étendait sur
le iO* degré de latitude australe, du 260' au 360' degré de longitude, et unissait en une
longue ligne blanche les trois îles de l'océan Newton (fin de la terre de Cussini, petite
ile et ile allongée au-dessus du golfe Kaiser). A l'est de cette dernière, cette traînée lunii
neuse tournait vers l'équateur et, passant entre la baie du méridien et la baie Burton
atteignait le continent Ilalley. Le même aspect avait déjà été vu en 1830 par Béer et
Màdler et en 1862 par Lockyer; mais en 1877 il n'y avait rien de semblable et l'on dis-
tinguait au contraire des demi-teintes qui ont fait dessiner ces trois îles sur la c.irte
(,iles submergées?) [Obs. de M. Green en 1879]. Est-ce encore ici de la neige qui fond?
Ne seraient-ce pas plutôt des brumes éclairées par le soleil?
(•) The Trouvelot .islronomical Drawings, New-York, 1882, p. 68.
LES NUAGES DE MARS
de deux heures, sur des points où il n'y en avait certainement au-
cune trace auparavant. Cet habile observateur attribue ces i'rangcs
à des nuages, à des condensations de vapeurs le long des côtes des
mers martiennes, principalement autour des pics élevés ou des
chaînes de montagnes, qui peuvent sculpter les reliefs de ces rivages,
comme les Andes et les montagnes rocheuses sculptent les côte^
de l'Océan pacifique. Des cimes élevées condensant les vapeurs
en brouillards ou en nuages, comme il arrive dans nos pays de
Fig. Co. — Météorologie de Mars - Tryinée de nuages le long des côtes.
montagnes, suffiraient certainement pour donner naissance aiix
aspects observés.
Les pics les plus élevés pourraient môme avoir leurs somme 's
couverts de neiges perpétuelles. Les alternatives de visibilité cl
d'invisibilité des taches blanches aperçues de temps à autre sur
Mars, de même que les changements ultservés, peuvent facilement
s'expliquer ainsi.
M. Trouvelota fait à ce sujet, en 1877 et 1879, des observations
particulièrement intéressantes. Pendant les époques où le disque de
Mars n'est pas circulaire, mais présente une phase marquée, il a
suivi ces taches blanchesemportéespar la rotation du globe jusqu'au
NUAGES, NEICKS, MONTAGNES
moment où elles arrivaient au bord de l'hémisphère éclairé, c'est-
à-dire sur la ligne de séparation de la partie éclairée avec la partie
obscure de la planète. En ces conditions, ces taches blanches ont été
vues comme des bosses, aspérités, et ainsi elles ont montré
([u'elles sont en réalité plus élevées que le niveau moyen de
la surface de la planète. D'autre part, des sinuosités, des abais-
sements dans le cercle terminateur correspondant aux larges taches
sombres, indiquent clairement aussi la dépression de ces taches au-
dessous du niveau général, (''(^st là une o])servation que l'on peut
Fig. r.i;
Aspect lie M.irs le ill scpliMiibre 1877 à U lieures (in soir.
faire presque tous les soirs sur la Lune, que l'on a obtenu également
pnur Vénus et Mercure, mais qui ii'avnil pas encore été faite sur la
planète Mars. D'après ces observations, les plateaux montagneux les
plus élevés de la planète seraient situés entre le 60' et le TU"" degré
de latitude australe, vers l'extrémité occidentale de la Terre de Gill.
« La chaîne de montagnes qui forme presque complètement cette
terre, dit l'astronome cité plus haut, est si élevée en certains points
que le cercle terminateur en est tout bouleversé et que le bord
même de la planète en est modifié. Il y a là un sommet si blanc,
si brillant, qu'il a été pris pour la tache polaire par plusieurs obser-
vateurs, comme on peut s'en rendre compte par la position erronée
qu'ils ont assignée à cette tache sur leurs dessins. Cette région
alpestre est située entre le 180" et le 190" degré de longitude. »
142 M'ACES, NEIGES, MONTAGNES
Une ligne nuageuse de côtes s'étend également le long des rives
septentrionales de l'océan Kepler. Nous avons vu plus haut que
c'est dans cette région que l'on a observé l'île neigeuse aux blan-
cheurs intermittentes.
Ces traînées blanchâtres se montrent plus permanentes et plus
intenses sur le côté oriental de la mer du Sablier, ainsi que sur ses
rives australes, au-dessous de la terre de Secchi. Il doit exister une
chaîne de montagnes, longue et élevée, le long de cette terre, sui-
vant les côtes de la mer Lambert.
II est extrêmement rare, au contraire, d'observer des nuages un
peu denses sur les zones tropicales de la planète. Il est curieux
néanmoins de noter que dans le cours des observations faites en
1878, par M. Trouvelot, un hémisphère entier, du Nord au Sud,
s'est montré couvert de nuages ou de brouillards pendant huit
semaines consécutives (du 12 décembre au 6 février) ; tandis que
l'autre hémisphère est resté absolument clair et sans le moindre
nuage.
Ou aura un exemple de certains aspects nuageux que la planète
peut parfois présenter par l'examen de notre figure 66, sur laquelle
on voit l'océan Kepler, notamment, parsemé de voiles blanchâtres
qui en dénaturent l'aspect général. M. Green rapporte que pendant
l'opposition de 1877, observée par lui à Madère, il a dessiné seize
fois le côté oriental de cet océan, et que dans chaque circonstance il
l'a trouvé très clairet très net ; mais que le 29 septembre cette région
se présentait comme on la voit sur ce croquis, brisée par des nuages
qui s'étendaient vers l'Ouest, tandis qu'en haut, au Sud, une autre
condensation nuageuse' était également bien visible. Ces voiles nua-
geux, ajoute-t-il, n'ont rien d'extraordinaire. Dans la série de dessins
faits en 1862, par M. Lockyer, une partie de l'océan Newton, au
Sud-Est de la mer du Sablier, est évidemment cachée par un nuage,
et le même aspect a été revu à l'Observatoire de Greenwich, par
MM. Christie et Maunder, le 16 octobre 1877 (').
Ce sont là des exemples certains de nuages parfaitement obser-
vés sur Mars. Il ne faudrait pas prendre toujours pour des nuages,
(') La tendance que présentent les nuages de s'amonceler sur certaines régions de
l'océan Kepler de préférence à d'autres régions plus sombres semble indiquer qu'il y a
là une température dift'érente de celle des mers environnantes, comme il arrive ici sui'
les bas-fonds et sur les bancs des mers terrestres.
M ACKS ET NEir.ES I) K MAn>
toutefois, les régions dilTuses ou indécises; car, comme nous l'avons
remarqué au chapitre de la géographie de Mars, il y a dans les des-
sins de la planète des dissemblances qui sont uniquement dues aux
différences d'appréciation des observateurs. Nous devons même
signaler ici le fait assurément bizarre, que les différences qui exis-
tent entre les dessins de Mars faits en même temps par divers
observateurs, sont parfois si surprenantes qu'elles en deviennent
incompréhensibles. Ni la diversité des conditions de transparence
atmosphérique, ni les pouvoirs amplificateurs des instruments
employés, ni les différences de vues entre les observateurs, ni les
différences d'habileté pour la représentation fidèle par le dessin,
ne les expliquent entièrement. Et pourtant elles doivent évidem-
ment le faire. Il faut donc accorder une certaine latitude à cet
égard et ne pas se montrer trop exigeant. Ainsi, par exemple,
voici (figures 67 et 68) deux planisphères de Mars construits ])(>ndant
l'excellente période de 1877, le premier par M. Harkness, a l'aide
du grand équatorial de 66 centimètres de diamètre de l'Observatoire
de Washington, le second par M. Schiaparelli, à l'aide de l'équato-
rial de 22 centimètres de l'Observatoire de Milan. On ne pourrait
jamais imaginer que le plus détaillé des deux soit celui qui résulte
des observations faites à l'aide de l'instrument le plus faible. C'est
pourtantce qui a lieu. M. Harkness déclare que, du 18 avril au 18 oc-
tobre, il n'a pu obtenir que huit bons dessins, à cause du mauvais
état de l'atmosphère, et que c'est à l'aide de ces huit bons dessins
concordants qu'il a construit son planisphère. Il ajoute qu'on a
essayé chaque nuit des oculaires grossissant jusqu'à 400 fois, mais
que c'est celui de 175 qui a été généralement trouvé le plus avan-
tageux. M. Schiaparelli, au contraire, a joui d'une atmosphère gé-
néralement excellente et a pu continuer ses observations jusqu'en
novembre, en appliquant à sa lunette (trois fois plus petite que la
précédente) des grossissements de 322 et 468 fois ('). Ces deux
cartes de Mars peuvent être considérées comme des témoignages
extrêmement frappants des différences dont nous venons de
(') Pendant le cours de ses observations de 1879-80, M. Schiaparelli a revu tous les
détails géographiques, grands et petits, de sa carte de 1877, à l'exception seuiemenl
d'un petit canal, nommé par lui Hàtldekel, cl d'tm petit lac circulaire, nommé Fontaim-
de la Jeunesse. En revanche, un grand nombre de nouveaux détails ont été découverte
et dessinés pendant cette période.
Nl'ACES ET NEIGES DE MARS
parlor. Elles suggèrent aussi une autre réflexion, celle de savoir
si les lunettes colossales, qui permettent de sonder les abîmes
des profondeurs sidérales et de résoudre les pâles nébuleuses en
amas d'étoiles, sont véritablement préférables aux instruments de
moyenne puissance pour l'étude des planètes. Plus l'instrument est
fort, plus les obstacles venant des ondes atmosphériques augmen-
tent. M. Harkness attribue une partie de l'insuffisance des vues de
la planète, au fait qu'elle avait une grande déclinaison sud. Mais
l'Observatoire de Washington est plus près de l'équateur que celui
Fig. 67. — Ciirte de Mars fuite en 1877 à l'Observatoire de Washington.
de Milan, sa latitude étant de 39", tandis que celle de Milan est de
45°. Donc la planète était plus élevée sur le premier horizon que
sur le second.
Voici maintenant, pour la connaissance de la météorologie mar-
tienne, quelques autres détails non moins intéressants.
Le 1" septembre 1877, à 10 heures 40 minutes du soir, M. Greeu, ob-
servant à Madère, a remarqué à l'ouest de la calotte polaire un point
lumineux singulièrement brillant. Ce point est visible sur la première des
quatre vues télescopiques de Mars reproduites plus haut. (Voir firj. 16,
NUAOKS ET NEK.KS H K .MARS
p.3-2 . Mai-s 1)11 en Ultra une idée plus complète par l'examen du petit dessin
ci-après (fig. 69) qui représente seulement le pôle Sud de la planète accom-
pagné de la particularité dont il s'agit. « Selon toute probabilité, écrit l'ob-
servateur lui-même, c'était là de la neige restant encore sur un sol élevé,
tandis qu'elle avait fondu tout autour à des niveaux inférieurs. Ce point bril-
lait comme une étoile, et il était imiîossiblc de ne pas le remarquer. Le 8 sep-
tembre, à minuit 30 minutes, j'eus de nouveau l'occasion de l'observer,
mais alors on distinguait parfaitement deux points séparés, et deux jours
plus taid, de 10 à 11 lieurcs 30 minutes, ou en distinguait encore d'autres
concentriques à la zone des neiges, comme on le voit figure 70. Ces alté-
JO" iO' 60? B0° lOII? I2n
I if,'. (18. — Carte de Mars faiti» en 1877 à l'Observatoire de Milan.
rations lie foi'mes étaient sans doute dues à la perspiTtivc. ces diverses
taches neigeuses s'étant j)résentées presque de prolil liii< de l'observation
du i" septembre. On ne les a jamais vues à l'Est du cap [lolaire, et c'est
là une circonstance d'un intérêt particulier. En effet, leur grand éclat à
l'Ouest du pôle, leur décroissance en passant par le méridien central, et
leur invisibilité en arrivant au côté oriental, s'explique naturellement en
supposant que les pentes des montagnes qui conservaient cette neige
étaient tournées au Sud-Ouest ; de cette sorte elles étaient abritées des
rayons solaires jiendant la plus grande partie d'une rotation ; mais elles
étaient pleinement expo.sées à sa lumière, et par conséquent mieux vues,
justement lorsqu'elles s'éloignaient vers le bord occidental. Il est curieux
de remarcpier que ce point de lumière a été observé et figuré de la même
façon dans un dessin fait le 30 août 18 50, à Cincinnati, par Milcliel; il se
TERr.ES DU CIEL fO
NUAC.ES, NE1(;ES, montacnks
rattache cci'taiiuniicut à une couûyuration locale de la itlauùte. Je lui ai
donné le nom de mont Mitchcl en souvenir de cet enthousiaste ami de
l'Astronomie. »
On le vuit, peu à peu, nous pénétrons en détail dans les diiïérentes
régions de la planète et dans la connaissance de ses contrées les plus
extrêmes.
Fig ti'J. — I.cs neiges du pôle sud d
bro 1S77.)
Nous avons vu plus haut que les taches foncées de Mars s'effacent
en approchant vers les bords du disque, généralement en arrivant
à une distance du bord égale au cinquième du rayon, ce qui cor-
Fifî. '0. - Les ueiRes du pôle sud de Mars (10 septembre 1877.)
respond à 53" du centre de l'hémisphère visible. Quelquefois des
taches très foncées et très nettes, comme la mer circulaire, peuvent
être aperçues plus loin, jusqu'à 60" et même 63°. Les taches lumi-
neuses se comportent tout autrement. M. Schiaparelli a observé que
les deux îles de Thulé (terres de Rosse et de Gill), l'île d'Argyre
(terre de Schroëter), et l'Hellade (terre de Secchi), sont, au contraire,
beaucoup plus faciles à voir près des bords que dans la région cen-
NL'Ar.KS, NlCIf.KS, MO.NÏ AdN ES
traie du disque. A quelle cause cette plus grande visibilité est-elle
due? Peut-être à ce qu'il y a là des régions montagneuses dont
les pentes inclinées réfléchissent mieux la lumière solaire lors-
qu'on les voit très obliquement. Telle était la théorie de Zôllner
pour expliquer le grand éclat du bord lunaire à la pleine lune. Cet
astronome physicien avait même calculé l'inclinaison de ces pentes,
qu'il estimait à 76". Mais cette plus grande visibilité est plutôt
due à des nuées étagées de telle sorte qu'elles réfléchissent mieux
la lumière lorsqu'on les voit sous une certaine obliquité {*).
Dans certaines régions, le fond des mers se laisse apercevoir à
(') L'astronome ZoIIiil'I' a soigneusciiient observé l'éclat des plaiirtcs supérieures aux
époques de leur opposition moyenne et en a déduit les résultats suivants.
Erreur probable
pour cent.
Soleil = 6 994 000 000 de fois Mars. 3,8
Soleil= 5 472 000 000 — Jupiter. 3,7
Soleil= 130 980 000 000 — Saturne (sans les anneaux). 3,0
Soleil = 8 486 000 000 000 — Uranus. 6,0
Soleil = 79 020 000 000 000 — Neptniu'. 5,5
Il s'en suit que si l'on représente par 1000 l'éclat total de Mars à son opposition
moyenne, on triiuv(! les valeurs suivantes pour l'éclat des diverses planètes ainsi obser-
vées, et calculé d'autre part pour le cas de sphères d'égale puissance réflective :
Éclat observé. Écl.it calculé.
Mars 1000 1000
Jupiter 1278 487
Saturne (sans anneaux) . . . 3:t,4 24,3
Uranus 0,824 0,30
Neptune, 0,088 0,Co8
Zôllner en conclut pour le pouvoir réflecteur des surfaces di; ces planètes les valeurs
suivantes :
Mars =0,2672
Jupiter =0,6238
Saturne =0,4981
Uranus =0,6400
Neptune =0,4648
L'examen de l'éclat de Mars pendant ses phases l'a conduit à conclure qu'il rélléchit
la lumière solaire comme si sa surface était couverte do hautes montagnes dont les
pentes seraient inclinées à 76*. Ce seraient de véritables pains de sucre. L'hypothèse
est peu soutenable, étant surtout données les mers de Mars. Nous préférons admettre
avec l'rmtor que cette réflexion est due à des nuages analogues aux légers cumuli qui
flottent en été dans notre atmosphère. Près du cercle terminateur de la phase de Mars
la clarté du disque s'assombrit sensiblement, ce qui conc(U-de avec cette explication et
ce qui montre qu'en somme les brunies du matin et du soir ne sont pas intenses, car
dans ce cas le disque ne s'obscurcirait pas.
NUAGES ET NEIGES DE MARS
travers une mince couche d'eau. Déjà les observations permettent
d'ajouter que les dilïérentos mers ne se ressemblent pas à cet égard.
Ainsi les plages boréales de la mer Hooke, finissent plus nettement
que les plages australes de la mer Maraldi. La terre de Cassini
semble s'immerger par degrés insensibles dans la mer Flammarion,
qui est très sombre. L'île allongée que l'on voit dans l'océan Kepler
au-dessus du golfe Kaiser et de la baie du Méridien, est au contraire
d'une teinte si uniforme, que M. Schiaparelli la compare aux grandes
plaines de l'Europe orientale; il la considère comme une plaine
d'alluvion, et il lui a donné le nom de « terre de Deucalion ». Ce
même observateur a remarqué que la terre de Hall, nommée par lui
l'Hespéride, devient plus sombre et se confond avec les mers voisines
toutes les fois que la rotation l'emporte à une certaine distance du
centre du disque, et il en conclut que très probablement cette pé-
ninsule ressemble à l'Italie formée par la chaîne des Apennins, en
ce sens qu'une chaîne de montagnes dessinerait son ossature et que
ses pentes iraient mourir, l'une dans la mer Hooke, l'autre dans la
mer Maraldi : l'extrémité australe de cette terre (qui a reçu le nom
d'isthme de Niesten), descendrait même un peu au-dessous du
niveau de la mer, et mettrait en communication les deux mers ('),
elle serait donc submergée, recouverte d'une nappe d'eau, et l'as-
sombrissement de cette région à mesure que nous la voyons plus
obliquement, viendrait de ce que le fond ne serait alors visible qu'à
travers une couche d'eau de plus en plus grande.
Nous avons décrit plus haut les variations météorologiques et
géographiques considérables que l'observation a constatées à la
surface de la planète. Ces variations considérables sont pour nous
un témoignage que cette planète est le siège d'une énergique vita-
lité. Ces mouvements divers nous paraissent s'effectuer en silence,
à cause de l'èloignement qui nous en sépare ; mais, tandis que nous
(') Nous ne nous aventurerons pas à conjecturer la profondeur des mers martiennes,
quoique la diversité des teintes soit un indice de ces profondeurs. Les expériences du
P. Secchi ont montré que, dans la Méditerranée, un objet blanc cesse d'être visible au
delà de 60 mètres de profondeur ; mais M. de Tessan rapporte que le banc des Aiguilles,
à l'extrémité australe de l'Afrique, est encore visible à 200 mètres. 11 est probable,
connue nous l'avons déjà dit, que les mers martiennes "n'ont qu'une profondeur relati-
vement très faible. Ce qui est confirmé par les phénomènes d'évaporation.
MÉTÉOROLOGIE DE MARS
observons tranquillement ces continents et ces mors, lentement
emportés devant notre regard par la rotation de la planète autour
de son axe, tandis que nous nous demandons sur lequel de ces ri-
vages il serait le plus agréable de vivre, peut-être y a-t-il là, en ce
moment même, des orages épouvantables, des volcans en fureur,
des tempêtes déchaînées, des armées excitées parle feu des combats,
des flottes de guerre bombardant une autre Alexandrie, ou des
troupes innombrables préparant l'investissement soldatesque d'un
autre Paris. De môme, les astronomes de Vénus, armés d'instru-
ments d'optique analogues aux nôtres, contemplant la Terre et la
voyant planer dans une calme tranquillité au milieu d'un ciel pur,
ne se doutent pas assurément que sur ces campagnes dorées par le
soleil et sur ces mers azurées qui se découpent en golfes si délicats,
l'intérêt, l'ambition, la cupidité, la barbarie ajoutent souvent leurs
orages volontaires aux intempéries fatales d'une planei,<; imoarfaite.
Nous pouvons pourtant espérer que le monde de Mars étant plus
ancien que le nôtre, son humanité est plus avancée et plus sage. Ce
sont sans doute les travaux et les bruits de la paix qui animent son
atmosphère. Il est curieux de penser, toutefois, que malgré leurs
eiïorts, ces frères inconnus peuvent n'avoir pas encore fait la con-
quête entière de leur globe et ne pas connaître la configuration
géographique de leurs propres pôles aussi exactement que nous la
connaissons nous-mêmes I Les astronomes de Vénus, également, se
trouvent dans une situation préférable à la nôtre pour observer les
pôles terrestres et étudier l'ensemble de notre propre patrie.
Combien singulier est son arrangement géographique, au point
de vue de nos idées terrestres! Pas de grands continents; pas de
grands océans. Une série de terres consécutives à l'équateur, bordées,
surtout dans l'hémisphère austral, par une série de méditerranées.
On peut faire le tour do la planète, soit par la terre ferme (excep-
tion faite des canaux), soit par les mers.
Ajoutons, comme caractères spéciaux, les terres submergées, tantôt
sèches et tantôt inondées, et son étrange réseau de canaux, et nous
compléterons l'aspect du monde martien. Ces canaux doivent être
incomparablement plus nombreux que ceux qui ont été découverts
jusqu'ici, car en certains moments fugitifs de visibilité parfaite,
divers observateurs ont aperçu des détails qu'ils déclarent avoir été
MÉTÉOROLOGIE DE MARS
dans l'impossibilité de dessiner (Secclii, juin 1858. — Schiaparelli,
octobre 1877). L'histoire géologique de Mars nous conduit à con-
clure que, plus ancien et plus vite refroidi que notre planète, il
n'est plus aujourd'hui soumis aux forces intérieures de soulève-
ments qui agissent encore ici, a perdu une partie de ses eaux, et se
laisse désormais niveler de siècle en siècle par les eaux qui lui res-
tent et par son atmosphère.
Ainsi se résument les nombreuses observations faites sur Mars,
depuis un quart de siècle surtout. En les comparant et les discutant,
nous avons pris soin de n'en exagérer aucune, et, au contraire, de
glisser, sans appuyer, sur celles qui n'ont pas été confirmées par
plusieurs observateurs. Mais, évidemment, tout en mettant une
judicieuse sévérité scientifique dans le choix et l'appréciation des
documents, il ne faudrait pas imiter le scepticisme de Napoléon
auquel Arago montrait les taches du Soleil. Le grand conquérant
n'a jamais voulu croire que ces taches n'étaient pas dans la lunette !
Le héros d'Austerlitz n' admettait pas que l'astre du jour pût avoir
des taches...
Nous tirerons bientôt les conclusions auxquelles cette analyse
détaillée de la planète nous conduit, relativement à son état actuel
d'habitation. Mais nous ne pouvons passer sous silence la décou-
verte aussi inattendue qu'extraordinaire de ses deux satellites.
CHAPITRE YII
Les satellites de Mars.
La découverte des deux satellites de Mars est assurément l'une
des plus curieuses et des plus intéressantes des temps modernes.
On peut dire qu'elle a été faite exprès, et qu'elle est le résultat de la
plus louable persévérance. Nous avons vu plus haut que l'année 1877
i''tait particulièrement remarquable à cause du rapprochement
maximum auquel Mars devait se trouver de la Terre, l'opposition
des deux planètes ayant été fixée par le calcul pour le 5 septembre
de cette année-là. Le professeur Asaph Hall, astrounnic de l'Obser-
vatoire de Washington, pensa que ce serait là une circonstance
extrêmement favorable pour vérifier le voisinage de Mars, à l'aide
du grand équatorial de cet Observatoire. Il se disait avec raison que
quoique plusieurs observateurs eussent déjà été déçus dans leurs
espérances en cherchant un satellite à cette planète, ce n'était pour-
tant pas là une raison suffisante pour y renoncer définitivement,
surtout en considérant que les conditions actuelles de la recherche
étaient exceptionnellement favorables. Il se mit donc à l'œuvre dés
les premières soirées du mois d'août, scruta les environs de la pla-
nète avec un soin minutieux, et pour ne pas être gêné par son
grand éclat, prit soin de la masquer ou de la faire sortir du champ
de la lunette, de façon à pouvoir saisir la plus légère trace de satel-
lite visible dans s<iii voisinage.
Les premières nuits funMit inrmclueuses. fatigantes et désespé-
LES SATELLITES DE .MARS
rantes, et l'astronome renonçait à continuer sa recherche, lorsque
Madame Hall, secrétaire de son mari, insista vivement pour qu'il y
consacrât « encore une soirée ». C'était le 11 août. M. Hall se mit à
l'équatorial, et trois heures plus tard, crut apercevoir un petit
point lumineux qui fît battre son cœur. Mais à peine avait-il bien
constaté sou existence qu'un épais brouillard s'élevant de la rivière
Potomac vint interrompre l'observation. Le ciel resta obstinément
couvert pendant les nuits suivantes. Enfîn, cinq jours plus tard,
le 16, le ciel s'étant éclairci, l'astronome se précipita à sa lunette,
retrouva le petit point, ne le perdit plus, et en deux heures d'ob-
servation constata qu'il marchait dans le ciel avec la planète. Ce
petit point n'était donc pas une étoile fixe. Mais peut-être, — le
hasard est si grand ! — l'une des innombrables petites planètes, qui
gravitent entre Mars et Jupiter, passai^elle justement par là en se
moment? On consulta les éphémérides et on trouva, qu'en effet, la
planète Europa devait justement passer à cette date derrière Mars.
Un calcul préliminaire montra que si le petit point observé étai.
un satellite, il devrait être caché par la planète pendant une partie
de la nuit suivante du 17, mais devrait reparaître avant l'aurore,
près de sa position originale ; tandis que, si c'était la petite planète
Europa, elle devrait se trouver le soir même un peu au sud-est de
Mars.
Cette nuit du 17 fut merveilleusement claire, et à peine Mars
était-il levé au-dessus des brumes de l'horizon, que l'équatorial fut
impatiemment pointé sur lui. Aucun satellite n'était visible, ce qui
était de bon augure. A quatre heures du matin, l'astronome radieux
vit le petit point lumineux émerger tranquillement des rayons de la
planète, comme le calcul l'annonçait : c'était bien un satellite de
Mars.
Ce n'est pas tout. En observant ce satellite et en suivant son
mouvement, M. Hall ne tarda pas à en remarquer un second, encore
plus petit et plus proche de la planète !
La nouvelle fut télégraphiée aux principaux astronomes du
monde, et malgré le scepticisme qu'elle excita d'abord, elle ne
tarda pas à être confirmée par toutes les observations ultérieures.
Ces deux petits satellites ont été suivis, à l'aide des grands instru-
ments, pendant les mois de septembre et d'octobre 1877; puis on
LES SAÏKLLIÏKS 11 K MACS
1(\^ pfn-;lit do vue, à incsiuv que M;ir.-; s'rloigiia de la Terre. On les
retrouva en 1879, lorsque la planète revint dans notre voisinage,
et un put même les observera l'aide d'instruments moins puissants,
car lorsqu'on sait qu'une chose existe, on la voit beaucoup mieux que
liirsqu'ou ignore son existence. On les a encore retrouvés pendant
l'iipposition de 1881. Mais Mars ne passant plus maintenant qu'à
(Il s distances de plus en plus considérables de nous, il sera très
Fig. 'i. — L'Observatoire de Washingion.
dilTicile et peut-être même impossible de les revoir avant l'année
ISS8 et peut-être même avant 1890.
('.es deux petites lunes ont reçu de leur dècouvnMir lt>s noms de
D>'i>/i')s (la Terreur) et P/iobos (la Fuite), en souvenir de deux vers
de VUinde d'Homère (liv. XV), qui représentent Mars descendant
- ir la Terre pour venger la mort de son fils Ascalaphe :
Il ordonne à la Terreur ot a la Fuite d'atteler ses coursiers;
i;t lui-même revêt ses armes étincelantes.
Phobos est le premier, le plus proche; Deiraos le second. Voici
les élémcMits de leurs orbites :
Diamètre de Mars = C830 kilomètres.
Distance de Piiobos= 2,771 de demi-diamètre de Mars étant 1).
= 9190 kilomètres.
Distance de Deimos = 0,021
— -23700 kilomètres.
TERRES DC CIEL.
20
LKS SATKLLITKS DK MAIl-
Ges distances sont comptées du centre de la planète. Si nous en retran-
chons le deaii-diamètre de Mars, il reste pour la ilistauce de la surface de
la planète à la surface des satellites, moins de 0000 kiloLuètres pour le
premier et moins de 20000 pour le second.
Le diamètre de Mars étant de 9", 57, les plus grandes élongations ne
sont que de 13" pour le premier et de 32" pour le second.
La révolution du premier s'effectue dans la période étrangement rapide
de 7 heures 39 minutes 14 secondes, et celle du second dans la période
également très rapide de 30 heures 17 minutes 5-'« secondes, période ù
peu près égale ù quatre fois la première, ce qui indique un lien de parenté
entre les deux satellites. Leurs orbites sont, toutes deux, presque circu-
laires, à peu près dans le plan de l'équateur martien, et inclinées l'une et
l'autre de 26° environ sur l'écliptique. — Nous avons représenté ce petit
système sur notre figure 74 : c'est ainsi qu'ils circulent actuellement dans
le plan de l'équateur de Mars.
Depuis leur découverte, ces satellites ont été revus, le second
surtout, par un grand nombre d'observateurs. Dès le 27 août 1877,
au reçu de la dépèche, on les recherchait à l'Observatoire de Paris,
et MM. Paul ot Prosper Henry parvenaient à reconnaître le second
à l'aide de l'équatorial de 0"',25 de diamètre, en prenant soin de
cacher la planète par un écran. Nous reproduisons ici [fuj. 75), le
LES SATELLITES DE MAUS
dessin qu'ils en ont fait ce soir-là. A cause de l'exiguïté de ces
satellites et de leur voisinage de la planète, il faut d'excellents
instruments pour les distinguer. Toutefois, comme un objet qu'on
sait exister est plus. facile à découvrir qu'un objet dont on ignore
l'existence, des instruments fort inférieurs à l'équatorial de Was-
hington suffisent aujourd'hui pour permettre d'observer ces deux
points lumineux, et même pour mesurer leur position (').
L'analogie avait déjà fait soupçonner l'existence de ces satellites,
et plusieurs astronomes, W. Herschel, d'Arrest, etc., avaient même
passé d(> longues heures à les chercher. On avait dit : la Terre a un
satellite, Jupiter en possède quatre (et Saturne huiti ; Mars, qui se
50 '• 17T.-,i
Tl. — Le svstéme de M^j s.
trouve entre la Terre et Jupiter, pourrait bien en avoir un ou plutôt
deux. C'est Kepler lui-même qui, le premier, a tenu ce raisonne-
ment, dès l'année 1610. Dans les Voyagen de Gulliver, écrits par
Swift vers 1720, le narrateur du voyage à Laputa raconte que « les
astronomes de ce pays ont découvert à la planète Mars deux satel-
lites, dont le plus proche est à une distance du centre égale à trois
(1) Conséquence inattendue de la découverte de ces satellites. Nous avons signalé
autrefois, en plaisantant [La Pluralité des Mondes habités, p. 21o) le projet original
d'un astronome allemand qui proposait d'entrer en correspondance avec les habitants
de la Lune, en établissant dans les vastes plaines de la Sibérie des figures géométriques
formées par des signaux de feu, par exemple, des dessins de cercles, de triangles, de
carrés, que les Sélénitos auraient sans doute l'idée de reproduire. Eh bien 1 le satellite
extérieur de Mars ne paniit jias soustendre un angle de 0"03, et l'on est parvenu à le
distinguer dans une lunette de 17 centimètres de diamètre : à la distance de la Lune,
cet angle correspond à une longuem- de 57 mètres sur la surface lunaire, et M. Hall
remarque lui-même que l'idée en question n'est pas un projet chimérique « is by no
means a chimerical proJect ». .\ssurément, si nous découvrions quelques témoignages
d'habitation à la surface de ce globe voisin, nous ne devrions pas iiésiler un instant à
essayer à nous mettre en communication avec lui. Première comnuinication du ciel
avecla terre! Quelle révolution, ou plutôt quelle évolution dans l'essor de l'humanité!
LES SATELLITES DE MARS
fois le diamètre de la planète, et le plus éloigné à cinq fois ce même
diamètre. La révolution du premier, ajoute-t-il, s'accomplit en lû
heures et celle du second en 21 heures, de sorte que les carrés des
temps sont dans la proportion des cubes de distances, ce qui prouve
que ces deux lunes sont gouvernées par la même loi de gravitation
qui régit les autres corps célestes. » Voilà certes un roman qui
s'est singulièrement approché de la vérité. — Les prophètes de la
Bible n'ont jamais été aussi clairs à propos de Jésus-Christ, et Swift
a été là supérieur en inspiration à Daniel comme à Jérémie. TA mé-
diter pour les théologiens qui n'auraient pas l'esprit tout à fait
fermé]. — Si quelque archéologue avait trouvé une inscription de
cette nature dans les fouilles de l'Euvoîe ou de l'Assvrio, les en-
d'uii salL'llito de Mars (-27 nom ISTT ,
thousiastes du passé n'auraient pas manqué d'en conclure que nos
ancêtres avaient des instruments d'optique d'une énorme puis-
sance. Pourtant, il est certain que ni Kepler, ni Swift, — ni
Voltaire, qui tient le même propos dans sa charmante histoire astro-
nomique de Micromégas, — n'avaient vu les satellites de Mars, et
qu'il n'y avait là qu'une idée heureuse. A notre tour, nous pourrions
penser aujourd'hui qu'Uranus a seize satellites et Neptune trente-
deux. Mais il est probable qu'ici le raisonnement par analogie nous
éloignerait fort de la vérité.
Ces deux globules célestes sont si petits qu'il est impossible de
leur trouver aucun diamètre appréciable, et qu'on ne peut obtenir
({uelque estimation de leur volume probable, qu'en mesurant avec
soin la quantité de lumière qu'ils réfléchissent. C'est ce qui a été fait
à l'Observatoire de Harvard-Collège, par le professeur Pickeriug, et
LES S AT EL LIT tS UE MAILS
il résulte de ces mesures photométriques, confirmées du reste par
les estimations des autres observateurs, qu'en admettant que leur
surface soit analogue à celle de laplanètc elle-même, leurs diamètres
ne surpassent pas dix à douze kilomètres. Le premier, Pliobos, est
le plus brillant et probablement le plus gros des deux; il n'offre
que le faible éclat d'une étoile de 10'' grandeur, et le second,
seulement celui d'une étoile de 1,2"; cependant le second est plus
facile à découvrir, parce qu'il est plus éloigné de la planète et
moins éclipsé dans ses rayons. Il n'en est pas moins bien remar-
quable que ces deux points lumineux, dont le diamètre ne sur-
passe guère celui de Paris, soient visibles à quinze millions de
lieues de distance dans les instruments dus au génie de l'homme.'
G. — Marche des salelliles de Mars dans le ciel de leur planète.
Ce sont assurément là des mondes bien minuscules. Quoiqu'ils
n'aient été découverts que de nos jours, il ne faudrait pas en con-
clure pour cela qu'ils n'existaient pas auparavant, et que leur for-
mation ne date que d'hier. -Il est bien probable qu'ils sont fils de
Mars comme la Lune est fille de la Terre, et comme les satellites
de Jupiter sont fils de leur planète centrale, et que leur naissance
date de l'origine nébuleuse de la planète elle-même. Il ne serait
pas impossible cependant que ce fussent là deux petites planètes
accrochées au passage par l'astre de la guerre, car déjà parmi les
innombrables petites planètes qui gravitent entre Mars et Jupiter,
il en est une, yEthra, qui arrive jusqu'à l'orbite de Mars, qui la frôle
d'assez près, et qui même pénétre dans l'intérieur de cette orbite. Une
telle origine n'est pas impossible ; cependant elle n'est pas naturelle,
et nous ne devons la considérer que comme fort peu probalile.
Les mouvements apparents de ces satellites dans le ciel de Mars
LES SATKLLITKS DE MAlîS
sont parliciiliùremoni curieux. Le satellite extérieur tourne, avons-
nous (lit, autour (lo sa pianote, en 30 heures 17 minutes 54 secondes,
tandis que la planète tourne sur elle-même en 24 heures 37 minutes
23 secondes. 11 en résulte. ;j.o ce petit globe parait marcher très len-
tement de l'est à l'ouesî dans le ciel de Mars. Si sa révolution s'efl'ec-
tuait juste dans le môme temps que la rotation de Mars, il paraîtrait
fixe dans le ciel : il resterait toujours immobile au même point. Les
habitants d'un hémisphère de Mars l'auraient constamment sur
leurs têtes, tandis que les habitants de l'hémisphère opposé ne le
verraient jamais. C'est ce qui arriverait chez nous pour la Lune, si
elle tournait autour de la Terre en un temps égal à celui de notre
rotation diurne. La différence entre la période du satellite extérieur
et la rotation de Mars étant de 5 heures 41 minutes, ce satellite
emploie en apparence 131 heures pour accomplir son circuit au-
tour du ciel de Mars; c'est une période de 5 jours martiens plus
8 heures, et c'est là un petit mois dont les habitants doivent se
servir pour leur calendrier.
Bien différent est le mouvement du satellite le plus proche.
Comme il accomplit sa révolution entière de l'ouest à l'est en
7 heures 39 minutes, et que la planète tourne dans le même sens
en 24 heures 37 minutes, il se lève à l'occident et se couche à
l'orient après avoir traversé le ciel avec une vitesse correspondante
à la différence des deux mouvements, c'est-à-dire en 11 heures
environ. C'est là un exemple unique dans le système du monde.
La figure précédente donne une idée de ces deux mouvements
contraires.
Quelle est la grandeur apparente de ces deux lunes, vues de la
planète ?
Chacun sait qu'un objet éloigné à la distance de 57 fois son dia-
mètre, apparaît avec une grandeur apparente de 1 degré, et qu'un
objet éloigné à 570 fois son diamètre soustend un angle dix fois plus
petit, ou de 6 minutes. Le premier satellite de Mars étant à 6000 kilo-
mètres de la surface de la planète et ayant, selon toute probabilité,
12 kilomètres de largeur, est éloigné à 500 fois son diamètre et
offre par conséquent un disque de 7 minutes environ.
C'est un peu moins du quart du diamètre apparent de notre
pleine lune, lequel est de 31 minutes.
LES SATELLITES DE .MAIIS
C'est en même temps le tiers du diamètre moyen du Soleil vu ce
Mars, ce diamètre étant de 21 minutes.
Le second satellite, éloigné à 20000 kilomètres de la surface de
Mars, est réduit à un petit disque de 2 minutes et demie.
C'est-à-dire que le Soleil vu de la Terre et notre Lune, étant re-
présentés par deux disques de 32 et 31 millimètres, le soleil de Mars
serait représenté à la même échelle par un cercle de 21 milli-
mètres, et ses deux lunes par des disi|ues de 7 et 2 millimètres
et demi (voy. fuj. 77.)
La lumière renvoyée par ces deux satellites aux habitants de la pla-
nète, doit être extrêmement faible. Le satellite extérieur n'oiïre en
Fig. ". — Grandeur apparenic relative A i so.i'il cl des ;iines do Mars.
effet, même au zénith, qu'un disque égal au quinzième environ de
celui de notite pleine lune, ce qui équivaut à une surface 225 fois
plus petite. D'un autre côté, la lumière reçue du Soleil varie, sui-
vant la position de Mars, de la moitié au tiers de celle que notre
Lune reçoit. Il en résulte que la clarté de Deimos doit être com-
prise entre les fractions jf; et jfr de celle de notre clair de lune.
Phobos doit être trois fois plus large, offrir un disque de 6 à
7 minutes et donner une clarté dix fois plus forte, c'est-à-dire
comprise entre j^ et ^ de l'intensité de notre clair de lune.
Ce sont là deux lunes minuscules. Quoique les yeux des habitants
de Mars doivent être plus sensibles que les nôtres à la lumière,
ce ne sont pas là des clairs de lune bien lumineux, et nous pouvons
penser que les services rendus à nos voisins de cette patrie céleste
par leurs deux satellites, ne viennent pas de la lumière nocturne
qu'ils peuvent distribuer aux voyageurs, mais plutôt de la rapidité
LES ECLIPSES sua MAltS
de leur révolution, grâce à laquelle les longitudes, les horloges
ou les montres peuvent être réglées avec une précision remarquable.
Les marées produites sur les mers de Mars par l'attraction des
deux satellites, ne sont pas aussi fortes qu'on pourrait le croire à
première vue, malgré la grande proximité de ces deux satellites.
En effet, l'influence du satellite le plus proche est 500 fois plus
faible que celle de la Lune, et l'influence du satellite le plus éloigné
est 8000 fois plus faible. C'est presque insignifiant. Quant aux ma-
rées dues à l'attraction du Soleil, elles sont six fois plus faibles que
celles des mers terrestres. On voit que sur cette planète ce sont les
marées solaires qui sont les plus importantes, et que, comme
(toutes choses égales d'ailleurs) la hauteur d'eau n'atteint que le
sixième de celle de nos marées solaires, elles sont presque insensi-
bles. Mais il faudrait tenir compte de la densité de l'eau de Mars et
de la pesanteur. Les différences de niveau dues à la pression baro-
métrique, aux vents, aux courants, etc., doivent masquer presque
complètement ces marées, comme elles le font du reste, même
ici sur les rives de la Méditerranée, où les marées luni-solaires
sont certaines, mais effacées par les autres influences.
Les mouvements combinés de ces deux satellites dans le ciel de
Mars, doivent donner naissance à de bien curieuses éclipses.
Phobos est éclipsé presqu'à chaque pleine lune, ou tout au
moins une fois sur deux, et Deimos une fois sur cinq. La durée
maximum de l'éclipsé du premier est de 53 minutes et celle du
second de 54. Grâce à la lenteur de son mouvement apparent
dans le ciel de Mars, Deimos peut, dans l'intei'valle de 66 heures,
entre son lever et son coucher, passer trois fois par la phase de la
pleine lune, et donner le spectacle de trois éclipses de lune.
Pour avoir une idée de ces bizarres aspects des lunes de Mars, sup-
posons, par exemple, que le soleil vienne de se coucher à six heures
du soir, et que Phobos vienne de se lever à l'ouest juste au-dessus
du soleil couchant. La marche apparente contraire de ces deux astres
(le soleil et la première lune), est si rapide que trois heures trois
quarts plus tard, soit à dix heures moins un quart, ils se trouveront
diamétralement opposés l'un à l'autre, et cette première lune
subira une éclipse totale à 55 degrés au-dessus de l'horizon oriental.
!•: c, 1, 1 1' s !■; s s i; w m a m s
Quelque temps après, vers onze heures et demie, o11(î se cuu-
ehera dans l'est. A cinq heures du matin elle se relèvera à
l'ouest, et avant que le Soleil ne soit levé à son tour, elle pourra
enc(»r(> être éclipsée une seconde fois. Pendant ce temps-là, la
Fig. "8. — Les Jeux lunes de Ma
deuxième luue, Deimos, peut, de sua cùtù, se lever éclipsée à
l'orient, hriller de nouveau dans le ciel à mesure qu'elle y monte,
arriver à 68 detrrés de hauteur ^i heures plus tard, au moment
où le soleil se couchera pour la seconde fois; subir une seconde^
éclipse totale vers minuit ; avancer encore de 68 degrés dans le
ciel pendant le second juin-; subir une troisième éclipse avant
TEUKES DU CIEL. 2t
KC.I.II'SES hlK M Ans
le truisiriuo Icvit do snloil, ot enfin se coucher à l'huriziin occi-
dental l'i.
Quelquefois (lU jicut voir ces deux lunes, arrivant ili's deux i)arties
opposées d;i ciel, s'avancer l'une vers l'anfi-c, se rcucuntrer et
s'éclipser partielicim-at ou totalement. D'où il rcsullc (ju'indépen-
damnient d(>s éclipses de lune produites par le passage des satellites
dans l'ombre de la planète, éclipses analogues à celles qui se
présentent sur notre monde, il y a sur Mars des éclipses inconnues
à la Terre : celles d'un satellite par l'autre, celles du second satellite
par le premier.
Celui-ci offre un diamètre de 7 minutes, nu ])eu moins du
?ig. 79. — Une éclipse il<^ Soleil par les deux luiii'S Je Murs.
quart de celui de notre lune, et le second un diamètre de 2 minutes
et demie. Lorsque ces deux satellites se rencontrent en perspective
dans learroute céleste, le premier éclipse partiellement ou totale-
ment le second. Aucun phénomène céleste analogue ne peut, natu-
rellement, arriver sur la Terre.
Ainsi, Phobos peut éclipser totalement Deimos, et cela très facile-
ment. Mais il ne peut jamais éclipser totalement le soleil de Mars,
dont le diamètre moyen est de 21 minutes. Lorsque la combi-
naison des mouvements célestes l'amène devant l'astre du jour, il
peut produire une éclipse annulaire du genre de celle qui est repré-
(') lidniond liOd^cr ; The six, ils plamAs and Iheir satellites, p. 250.
i:i:lii>sks si;i', m \ i;s les
spntée ici ifirj. 79), ;'i l;ujiu>ll(' piMit s';iji>ulci- le [nissagc du second
satellite dovjiul le Soleil, smis lu runiic d'un pdil dis({ii(' noir. Los
habitants de Mars n'oni donc jamais vu une éclipse totale de Soleil;
mais ils voienl souveul des éclipses de lune ou, pour mieux dire,
des occullalions d'uni' Inné par l'anlre. Il y a Va certaiiu's coniiili-
cations laliorienscs pour les calculalenrs des alininiarlis inarliens.
Un phénomène du mr'me ordre et non moins curieux peut être
Fig. 80. — Passag,' de l:i Toprc cl de la Lune devant le Soloil. arrivé pour k's liatiitants de Mars
le 12 novembre 1879.
observi'" sur Mars : ce sont les passages de la Terre devant le
Soleil.
Tout récemment, li' |-? novembre 1879, les journaux de la pla-
nète onr dû retentir des préparatifs de l'observation de ce mémo-
rable passaLie, dont les astronomes martiens tirent sans doute parti
comme les m'itres des passages de Vénus, dans l'inlérèt delà science
et dans celle du budget des fonctionnaires de l'État. En elTet, ce
jour-là, vers -î heures de l'après-midi (heure de Paris), un petit point
noirest entré sur le Soleil par le côté sud-est ; six minutesaprés avoir
commencé d'échancrer son disque, il était entièrement entré, et
lentement s'est avancé sur le Soleil, eu marchant de la gauche vers
SATELLITES DE MARS
la droite. Vers quatre heures un quart, un autre point noir beau-
coup plus gros est arrivé à son tour sur le bord du Soleil et n'a
pas employé moins de 21 minutes pour y pénétrer entièrement.
Ces deux points noirs, c'était ?ions : c'étaient la Terre et la Lune,
qui, ce jour-là, passaient devant le Soleil pour les habitants de
Mars, comme Vénus y est passée, le 6 décembre dernier, pour les
habitants de la Terre. Vers dix heures un quart du soir, la Lune
est sortie du Soleil : la sortie de la Terre n'a eu lieu qu'à mi-
nuit.
C(> curieux et rare phénomène a coïncidé avec une belle éclipse
de soleil par la première lune de Mars, laquelle est arrivée par la
droite et en 25 secondes a glissé rapidement devant le Soleil. Un
astronome anglais, M. Marth , qui a signalé ce fait, ajoute que
les habitants de Mars ont dû être beaucoup plus intéressés par
le passage de la Terre et de la Lune devant le Soleil que par l'é-
clipse elle-même, attendu que dans le cours d'une année martienne
il n'y a pas moins de 1388 éclipses de soleil par la première lune
et de 133 par la seconde, tandis que les passages de la Terre sont
excessivement rares; le dernier avant celui de 1879, ayant eu lieu
pendant l'année 1800, et le prochain ne devant arriver qu'en 1905.
Les diverses nations martiennes auront sans doute distribué un
choix de missions scientifiques à la surface de leur planète, alin
d'observer avec profit notre passage devant l'astre du jour et d'en
conclure la parallaxe du Soleil, s'ils ne la possèdent déjà avec
précision. Ce jour-là, il n'y avait que de minuscules taches sur le
Soleil.
Se doutent-ils qu'il y a du monde ici, et même du monde intelli-
gent, qui observe, qui raisonne, qui n'admet que les vérités démon-
trées, qui ne se laisse pas dominer par des idées imaginaires, qui ne
reconnaît qu'à la science positive le droit d'instruire, qui ne perd
pas son temps en puériles querelles, qui n'est pas divisé en partis
nationaux armés les uns contre les autres?... Qui sait, en voyant la
Terre si noire devant le Soleil, si proche de lui et comme brûlée par
ses rayons, s'imaginent-ils peut-être que la moitié de ses habitants
craignent de penser et abandonnent la direction de leurs consciences
à des individus qui se chargent de raisonner pour eux! peut-être
aussi nous prennent-ils pour des enfants qui passent la majeure
SATELLITES Dli MAltS
part.io (le Iciii" t('ni[is à joiior aux soldats et le. rcst(> à ]i;ms('i- lours
Mcssures! . . . Couiiiio ils sont loin de la vérité !
S'il y a sur Mars des astronomes munis de télescopes analogues
aux nôtres, il n'est pas douteux qu'ils aient pu tafileiiicnt savoir si
leurs satellites sont habités. Nous avons vu, en effet, ((iie la première
de lei,irs lunes plane à moins de 6000 kilomètres, et la seconde à moins
de 20000 de la surface de Mars. 11 en résulte qu'un grossissement
(le -^'OOO t'ois rapproi'li(> la pn-mière à 'A kilomètres et la seconde à
10 kilomètres. Si nous avions la même faveur pour la Lune!
D'un autre côté, si ces petites lunes sont habitées, la vue de
Mars est merveilleuse pour les observateurs du i)remier satellite.
Sou disque soustend un angle do 42 degrés et demi, presque la
moitié d'un angle droit, presque la moitié de la distance (pii s'étend
de l'horizon au zénith. Du second satellite, le disque de Mars sous-
tend eurore un angle de 16 degrés et demi.
Ainsi, vu de Phobos, Mars paraît 80 fois plus large en diamètre,
ou 6400 fois plus énorme que la Lune ne nous paraît ; vu de Dei-
mos, il est encore en apparence 1000 fuis plus volumineux que
la pleine-lune.
Hemari[ue assez curieuse, cette grandeur de Mars vu du premier
SATliLLllKS DK .MAl'.S
satellite est prérisément la nirme que rolle de Jupiter, vu également
de son premier satellite. Safiiriic, vu de la même station, parait seu-
lement 900 fois plus étendu i[ue notre lune; mais, vu par un
observateur placé sur le bord intérieur de l'anneau, à une dis-
tance de 29000 kilomètres, son immense globe occupe une sur-
face de 82 degrés et demi, presque le ciel entier de riKU'izun
au zénith!
Mais ces deux petites îles célestes, ces deux lilliputiennes pro-
vinces sont-elles habitées?
En voyant des astres si minuscules, on peut se demander si la
doctrine générale de la pluralité des mondes, doit s'étendi'e jus(iu'à
eux. Sans doute, ils seraient, comme la Belgique, indignes du
sceptre d'un Alexandre, d'un César, d'un Charlemagne ou d'un
Napoléon, de même que l'Angleterre ne tenterait sans doute l'am-
bition de personne sans ses colonies qui aujourd'hui enveloppent
la Terre. Et pourtant la minuscule petite Grèce antique ne brille-
t-elle pas d'un éclat sans rival au-dessus de toute l'humanité intel-
lectuelle? Ce n'est pas l'étendue d'un monde qui en constitue la
vraie grandeur spirituelle. Mais toutefois, l'exiguïté d'un globe
crée de si singulières conditions d'habitabilité, qu'il y a certaine-
ment une limite à l'établissement des races intellectuelles. Cela
n'empêcherait pas néanmoins ces globes minuscules d'être peu-
plés d'êtres organisés suivant ces conditions, lesquels êtres ne
seraient ni des hommes ni des animaux* supérieurs, mais peut-
être des insectes de formes absolument étrangères à celles de
la zoologie terrestre, munis d'autres sens et d'autres facultés que
les nôtres.
Cette question se rattache au problème général des conditions de
la VIE SUR LES AUTRES MONDES, qui va être traité au chapitre sui-
vant, complément et corollaire de tout ce qui précède, et dans
lequel nous allons étudier tout spécialement le problème de l'habi-
tation.
CHAPITRE VIII
Les habitants de Mars. — Conditions de la vie sur ce globe.
Lois de la nature et forme des êtres : anthropologie comparée. -
du séjour martien. — Le Ciel et la Terre vus de là.
Etat
Les chapitres qui précèdent ont exposé dans leur ensemble et
dans leurs détails les analogies remarquables qui existent entre le
monde d(^ Mars et celui que nous habitons; mais nous avons pi'is soin
on même temps de signaler les di/fc/'ences qui se sont présentées
au cours de notre exposition. 11 ne faudrait pas, en cSïvi, (|ue les
antagonistes de la belle et grande doctrine de la Pluralité des
mondes, qui, pour un(> raison ou pour une autre, refusent à la nature
la faculté d'avoir multiplié dans l'espace les sc'jours de la vie et de la
pensée, s'imaginent que ces différences embarrassent les partisans
de cette théorie si rationnelle. Il n'en est rien. Les défenseurs de la
doctrine de la vie universelle et éternelle apprécient la puissance et la
fécondité de la nature et savent (|ue la variété des conditions, loiu
d'être un obstacle à la manifestation de cette fécondité, sert.au con-
ti'aire de prétexte et de ressort pour son exercice et son développe-
ment. Ils savent que si notre planète, par exemple, avait été partout
uniforme, sans différences de milieux et de climats, sans montagnes,
sans <jcéans, le règne végétal et le règne animal seraient loin d'offrir
retendue de leurs cadres actuels et la richesse de leurs productions.
Le monde de la mer n'eût pas existé. On peut dire, sans contredit,
qu'entre la population du fond des mers et celle de la surface du sol,
LES TERRES DU CIEL
il y a une telle dissemblance qu'elles appartiennent vraiment à deux
mondes absolument séparés l'un de l'autre par toutes les conditions
de vitalité, quoique les poissons et les mollusques consomment
de l'oxygène comme les reptiles et comme nous-mêmes. Sachons
donc interpréter largement les enseignements de la nature. Ne nous
targuons pas de la prétention d'assigner des bornes à cette intaris-
sable puissance. Que les habitants des autres planètes ne nous res-
s(Mnblent pas, c'est vraisemblable. Que certains mondes soient peu-
plés d'èlres qui ne pourraient pas vivre sur la Terre et qui seraient
pour nous de véritables monstres, c'est également plus que probable.
Notre pauvre fourmilière n'est pas le type de l'univers. Soyons donc
persuadés que, même sur notre voisine la planète Mars, les condi-
tions organiques, le sol, l'air, les eaux, les éléments, la pesanteur, la
densité, la lumière, la chaleur, l'électricité, etc., sont différents de
ce qu'ils sont ici, et que, par conséquent, les manifestations de la vie
doivent être autres que les manifestations de la vie terrestre. Les
variations étranges dont nous sommes témoins d'une année à l'autre
dans les aspects de la surface de Mars suffiraient à elles seules pour
nous montrer que ce globe ne ressemble pas aussi complètement au
nôtre qu'on l'avait cru tout d'abord, mais qu'il en diffère au contraire
d'une manière fort intéressante.
Il serait superflu de reproduire ici, sur la réalité de la vie à la
surface des autres mondes, la démonstration générale que nous en
avons surabondamment donnée dans notre ouvrage la PLUuALrrÉ des
MONDES HABrriis. Nous n'avons pas à nous répéter. Cette démonstra-
tion étant définitivement, établie, nous ne nous occupons, dans
cet ouvrage-ci, que des conditions variées dans lesquelles la vie
doit se trouver sur chaque monde.
C'est ce que nous allons faire dans un instant. Mais comment ne
pas remarquer tout d'abord la singulière tendance anthropomor-
phique de l'homme à tout vouloir créer à son image?
Quoi! la seule imagination humaine a fait sortir du sein de l;i
fable les êtres les plus divers, elle a peuplé le monde d'êtres fan-
tastiques : anges, démons, farfadets, nymphes, satyres, ondines,
sirènes, chimères, harpies, centaures, cyclopes, hippogryphes,
cynocéphales, loups-garous, vampires, etc., etc., créations purement
imaginaires, qui ii'ont jamais existé, et que néanmoins nous trou-
... L'imuginulion a peuplé le monUu d'ûircs faiitasliqueb..
TERRES DU CIEL.
03
LES TKRRES DU CIEL
vons décrites dans les vieux poèmes mythologiques, gravées sur
les monuments antiques, sculptées dans le granit de nos cathé-
drales, et nous voudrions que les myriades de mondes fussent tous
construits sur le même modèle et eussent tous pour habitants des
Chinois, des Anglais ou des Français!... Nous supposerions que la
nature est moins féconde que notre pauvre imagination!... C'est
d'une inconséquence flagrante et absolument injustifiable.
Ici, l'art s'est beaucoup plus approché de la vérité que la science. Il
faut avouer, sans fausse honte, que sur ce point les savants ont fait
preuve, en général, d'une inconcevable étroitesse de jugement et de
la plus mesquine faculté d'imagination. C'est à peine si , même
aujourd'hui, les astronomes osent admettre la pluralité des mondes.
11 en est même qui s'y refusent encore, comme au temps de Galilée.
Il faut croire qu'il est bien difficile de se libérer des chaînes do
plomb de l'éducation classique. C'est un regret pour nous d'avoir
à enregistrer, par exemple, des déclarations du genre de celles-ci,
émises par des membres de l'Académie des sciences de l'Institut de
France :
Sans les gelées de l'hiver, le blé croîtrait en herbe. Jupiter n'ayant pas
d'hivers ne produit point de blé et ne peut, par conséquent, nourrir d'ha-
jiîtants (').
La condition de température exclut (des cadres de la vie) les planètes
dont l'axe de rotation est trop peu incliné sur le plan de l'orbite, Uranus
par exemple (').
Il faut encore exclure les globes qui, comme Saturne, sont entourés
d'anneaux dont l'ombre, portée sur les régions les plus favorables au
développement de la vie, y produit ç.à et là, périodiquement des éclipses
continuelles (').
Il faut exclure aussi les planètes qui n'ont pas assez d'atmosphère ; et
même une enveloppe formée exclusivement de gaz permanents ne suffi-
rait pas (*).
Un disciple, plus zélé encore que ses maîtres (il était alors can-
didat à l'Académie) va plus loin dans son interdiction à la puissance
créatrice :
(') Batiinot, de rinstiliit. Conférences faites à l'Assacialion polytechni(|ii(>, ISi;3, p. 39.
(*) Faye, île l'institiit. Annuaire fin Bureau des long-itudes pour I87i, i>. 48o.
(') Id. Id.
{»J Id. Id.
LES ÏEKKLS UL; CIEL
M. Paye a montré d'un mot le néant de ces conceptions (sur la pluralité
des mondes; : qu'il manque àralmosphùre de Mars les quelques millièmes
d'acide carbonique que contient la nôtre, et voilà la vie animale et végé-
tale imjjossiô/e sur celte jilauète i^'j.
' Un le voit, il n'y a rnôme plus ici de raisonnement humain; c'est
- que l'un ne prenne point cette comparaison en mauvaise part —
c'est un simple raisonnement de poisson : « Il n'y a pas d'eau salée
dans les rivières, disait un poisson de ïrouville à un poisson du Havre;
donc il n'y a pas de poissons dans les rivières. » Quant à s'élever plus
haut dans l'appréciation des forces naturelles et à imaginer qu'il soit
possible de vivre hors de l'eau, c'est une idée qui ne pourrait naître
dans la cervelle d'aucun habitant des ondes.
La science contemporaine, il faut l'avouer, est aussi peu philoso-
phique que possible. Elle s'est partagée en casiers de bois et chaque
savant n'est plus guère aujourd'hui que le formica-leo d'un casier.
Ajoutez à cela l'habitude si bien enracinée chez les savants de perdre
les 99 centièmes de leur temps en fonctions administratives ou en
tourmentes ambitieuses, et vous comprendrez sans peine qu'il ne
leur reste plus le temps de penser. Où sont, en effet, les penseurs
qui faisaient autrefois la gloire de la science européenne? Où sont
les Pascal, les Descartes, les Leibnitz, les Euler? L'esprit synthétique
est mort. Il n'y a plus de penseurs!
Car, il n'est pas inutile de le remarquer, les astronomes dont nous
venons de citer les déductions anti-scientifiques et anti-philosophi-
ques sont — à part quelques rares exceptions — les plus avancés, les
plus littéraires, et ceux dont l'éducation est la plus complète, parmi
les astronomes contemporains. Leurs collègues n'ont, en général,
jamais même songé aux questions qui nous préoccupent ici. Nous
pourrions, par exemple, citera ce propos un nom assurément illus-
tre, un nom inscrit en lettres d'or au ciel, un nom immortalisé par
l'une des plus splendides découvertes de la science moderne :
Le Verrier. Eh bien ! l'immortel auteur de la découverte de Neptune,
le Newton français qui, par la seule puissance du calcul, a senti la
présence d'un monde éloigné à plus d'un milliard de lieues,
(') Wolf, astronome de l'Observatoire de Paris, professeur à la Sorboune, maintenant
membre de l'Institut, confcrenco faite à l'Association scientifique.
LES TKRRES DU CIEL
Le VerriiT, dans les rares conversations (iiic nous avons eues avec
lui pondant ses dernières années, nous a lait entendre que, dans sa
pensée, les recherches relatives à l'existence de la vie sur les autres
mondes sont en dehors du cadre de l'Astronomie, et d'ailleurs com-
plètement inutiles. Il faut dire, du reste, que Le Verrier était fort
peu curieux, si peu même, qu'après avoir découvert Neptune par le
calcul et avoir signalé le point du ciel où la mystérieuse inconnue
devait se trouver, il n'eut même par la curiosité de prendre une
lunette (celles de l'Observatoire de Paris étaient à sa disposition) et
de regarder si vraiment la fameuse planète était là ! Gomme son
éclat égale celui d'une étoile de huitième grandeur, la plus petite
Innette eût permis de la trouver, lors même qu'on n'eût pas en la
carte des étoiles de cette région. Ce n'est qu'un mois aprt'îs qu'un
astronome allemand, M. Galle, la chercha, et la trouva, en effet, eu
une heure de recherches. Et quand Le Verrier eut reçu la nouvelle
de cette constatation évidemment fort importante pour lui, il n'ont
pas davantage le désir de la vérifier. Je crois même qu'il n'a jamais
vu Neptune.
Soit dit en passant, l'exemple illustre que nous venons de choi-
sir doit montrer ici que, tout en regrettant de voir des savants
respectables en antagonisme avec des opinions que nous tenons pour
essentiellement scientifiques et pour extrêmement importantes au
point de vue philosophique, opinions partagées d'ailleurs par les
plus grands esprits de tous les siècles, nous ne mettons aucunement
en doute leur valeur personnelle comme savants. C'est comme
penseurs que nous signalons la décadence des successeurs de Pascal
et de Descartes. Et c'est notre devoir; car il ne serait pas légitime
de laisser sans réponses les insinuations f) proférées contre
(') « La satisfaction d'apprendre que deux ou trois esprits supérieurs avaient deviné
le secret de notre isolement et de notre faiblesse était une maigre compensation poui
tant d'illusions perdues (la Terre centrale et l'univers créé pour elle seule). De là l'idée
de la Pluralité des Mondes habités, avec laquelle Fontenelle et ses contemporains tâchè-
rent de dédommager les lettrés en leur présentant l'univers comme un vaste ensemble
de mondes indépendants qui assurent spontanément à la vie dans toute sa plénitude et
sous toutes ces faces un développement illimité. La science actuelle, prise à la surface,
semble confirmer ce courant à'idées médiocres {\) qui a succédé effectivement aux doc-
trines de l'antique philosophie. » Faye, Annuaire du Bureau des lonjUudes pour 1874-,
Pi 477.
C'est avec un sentiment de surprise et de regrets que l'on a vu l'un de nos astronomes
LES TEKRES DU CIEL
les apôtres d'une doctrine dont ils ne comprennent pas la gran-
deur.
Il est incontestable que, vue et jugée sans idée préconçue, la Terre
n'a reçu aucune distinction spéciale qui en fasse une exception dans
la famille du Soleil. Néanmoins, les antagonismes de la doctrine
philosophique de la vie universelle trouvent le moyen de s'aveugler
au point de supposer tout le contraire de ce qui est, et de trouver
dans l'état des choses terrestres une préparation providentielle et
détaillée pour les circonstances de la vie. Voici comment raisonne,
par exemple, l'un des plus récents auteurs qui aient écrit sur la
matière (') :
La Terre a été particulièrement placée pour recevoir la vie, laquelle ne
peut provenir des combinaisous de la matière inanimée et n'est duo qu'à
un miracle spécial de la volonté divine.
Placée justement à la distance convenable du Soleil, la lumière et la
chaleur qu'elle en reçoit sont précisément au degré voulu pour favoriser
la vie.
La végétation adaptée pour soutenir la vie animale reçoit la quantité
exacte de calorique qui lui convient.
L'atmosphère est composée d'éléments combinés avec précision pour
entretenir la vie, tant animale que végétale.
La surface du sol est arrangée en plaines, vallées, montagnes, rivières,
mers, juste comme il convient pour une quantité d'eau ni trop grande ni
trop petite.
français les plus instruits, M. Faye, président du Bureau des longitudes et membre de
l'institut, traiter ainsi la grande et immortelle doctrine delà Pluralité des Mondes d'une
« idée médiocre », passer en revue les différents astres sous le rapport des conditions
astronomiques de la vie et les éliminer tous successivement parée qu'ils ne sont pas
identiques à la Terre : la Lune parce que son atmosphère n'est pas sensible, Jupiter
parce qu'il n'est pas assez dense, Uranus parce que les saisons y sont trop longues et
trop prononcées, Saturne parce qu'il a des anneaux qui donnent de l'ombre, etc. C'est à
peine si Mars trouve grâce : « encore faut-il avouer que l'aspect invariable de ses conti-
nents rouges, contrastant avec ses mers légèrement verdâtros. n'est guère favorable à
l'idée d'une vie organique largement développée à sa surface. » I. 'auteur tient a affir-
mer sous toutes les formes qu'il prend son liorizou pour les bornes du monde. Iluygens,
après avoir découvert le principal satellite de Saturne, en 16ob, a eu l'imprudence
d'écrire que ce satellite est sans doute le seul, car, « comme il n'y a que six planètes, il
ne doit exister que six satellites », et en 1729, alors que cinq satellites étaient découverts,
un savant anglais ajoutait encore qu'il était inutile d'en chercher d'autres, car, écri-
vait-il : « les découvertes en optique sont arrivées à leur terme »... Dans le paradis
lerrestre, .\dani et Eve ont dû croire que la mode ne changerait pas.
(') The lieaveny bodies, their nature and UibtUibilUy, by William .IJiller. — Lon-
dres, 1883.
LES TERKES DU CIEL
Parfailumcnt combinées aussi sont les distances respectives du Soleil et
de la Lune, pour que; les marées ne soient pas trop fortes et n'amènent pas
d'inondations. Le flot va juscjua-là, et n'ira pas plus loin.
Le Créateur a poussé le soin jusqu'à élever, par des soulèvements au-des-
sus du niveau de la mer, les pierres formées au fond de l'Océan pour que
nous puissions nous en servir pour construire nos habitations, et jusqu'à
préparer dans les mines de houille le charbon de terre que nous devions
brûler. Ce but est évident par ce seul fait que les animaux n'ont pas besoin
de pierres et de charbon, et que c'est l'homme seul qui s'en sert.
La laine, le coton, le fil, la soie ont été créés en vue des services qu'ils
devaient rendre à l'homme, etc., etc.
En un mot, la planète, dans tous ses détails, a été construite, arrangée,
préparée tout exprès pour l'homme, et rien ne prouve que Dieu ait eu la
fantaisie d'en faire autant ailleurs.
On le voit, c'est toujours le raisonnement du poisson : « L'eau
est l'élément de la vie; donc on ne peut pas vivre hors de l'eau ».
Une grenouille raisonnerait déjà mieux, par la seule raison qu'elle
est amphibie.
L'excellent Bernardin de Saint-Pierre ne peusait-il pas que les
marées ont été faites pour permettre aux navires d'entrer au Havre?
Lorsqu'on objectait à la tradition de la création du monde il y a six
mille ans, les découvertes géologiques et paléontologiques, ne répon-
<lait-il pas que Dieu avait cru le monde tout vieux, avec ses fossiles,
(sans doute dans le but d'attraper les géologues!) Et l'auteur du Spec-
tacle de la nature n'assurait-il pas que si les puces sont noires,
c'est dans le but d'être plus facilement saisies sur la peau blanche !
L'écrivain que nous venons de citer tout à l'heure va même plus
loin lorsqu'il dit textuellement que chaque chose sur la Terre est
arrangée pour servir directement ou indirectement au bénéfice de
l'homme, et que « môme les animaux venimeux et les poisons ont
eu ce but »; ce qaS. prouve, ajoute-t-il, que la vie terrestre n'a pas
eu d'autre but que l'homme : puisque le but est rempli, quelle
raison y aurait-il de supposer que la vie existe sur d'autres
globes ? » (').
Mais pourquoi élever tant d'objections contre une théorie aussi
naturelle en elle-même ! Pourquoi s'imaginer que les habitants des
('} Morne ouvrage, p. 216. On croira peut-être que nous exagérons. Voici la phrase :
« So that, thé earth was not only specially adapted, but specially iiiade for man. And.
if so, what reason can there be for presuming life on other gîobes? »
LES TERRES DU CIEL
autres mondes doivent ou nous ressembler ou ne pas exister ? Nous
avons cinq sens. D'autres êtres peuvent en avoir six, sept, huit, dix,
cent. Avons-nous un sens pour apprécier l'électricité? Non. Nous
pouvons, sans nous en douter, passer à côté du tonnerre, et lors
même qu'il nous foudroierait, nous ne nous en douterions pas davan-
tage. Avons-nous un sens pour apprécier le magnétisme terrestre ?
Non. Nous sommes, sur ce point comme sur le précédent, moins
avancés qu'une aiguille aimantée et que certains animaux. Si, dès
l'origine des êtres, l'électricité atmosphérique eût été plus déve-
loppée et en rapport immédiat avec les organismes, nous aurions
sans doute aujourd'hui ce sixième sens, et peut-être le septième.
C'est être naïf que d'affirmer avec Huygens que les habitants des
autres planètes ont des mains faites comme les nôtres, avec cinq
doigts tout juste, deux yeux identiques aux nôtres, des sourcils pour
les protéger, des cheveux blonds ou bruns, des instruments de
musique pareils à ceux qui étaient en usage au siècle de Louis XIV,
et des habitations semblables à celles de Paris ; — ou bien avec
Swedenborg qu'ils ont des juste-au-corps bleus ou rouges, des
troupeaux de moutons gardés par des chiens et des voitures à bras
pour se transporter d'un pays à un autre. Autant vaudrait prétendre
calculer le nombre des habitants de toutes les planètes d'après
leur surface géographique (').
(>) Ce calcul fantaisiste a du reste été fait par un ministre protestant, Thomas Dick,
dans son ouvrage Celeslial scenery (1837), en prenant pour base la statistique de
l'.\ngleterre, à raison de 280 habitants par mille carré. Le voici :
POPULATION DES PLANÈTES
Mercure 8 960 000 000
Vénus .ï3 500 000 000
Mars 15 bOO 000 000
Vesta Gi 000 000
Junon i "SC) 000 000
Cérès 2 319 962 400
Pallas 4 009 000 000
Jupiter 6 967 520 OOn 000
Saturne 5 488 000 00(1 000
Anneaux de Saliiriie 8 141 903 820 000
Uranus 1 077 368 800 000
La Lune 4 200 OOO 000
Satellites de Jupiter 2G 673 000 000
Satellites de Saturne o5 UT 824 000
Satellites dUranus 47 500 992 000
Total 21 894 974 401 480
LES TERRES DU CIEL
Uncî vue gùnérale de cette grande question de la vie universelle et
éternelle nous montre les forces de la nature partout en activité,
mais en des conditions variées. Les mondes eux-mêmes naissent,
vivent ot meurent, et dans la durée de leur existence, la période
illustrée parla vie intellectuelle d'une humanité est sans contredit
beaucoup plus courte que la période de préparation et que celle de
l'extinction. La Terre a été des milliers de siècles sans être habitée
par des êtres intelligents, et après le dernier soupir du dernier
homme, elle roulera pendant des milliers de siècles comme une
tombe déserte et silencieuse. C'est donc dans le sens de l'éternité
qu'il faut envisager aussi la question de la vie universelle, car suc-
cessivement les différents mondes se développent à travers les âges.
Il peut se faire aussi qu'un grand nombre de mondes subissent des
arrêts de développement et n'arrivent jamais, à aucune époque de
leur durée, à porter une race quelque peu intelligente. Il peut se
faire également que d'autres mondes arrivent rapidement à donner le
jour à des humanités si supérieures que les enfants y résolvent natu-
rellement des problèmes restés fermés au génie des Archimède,
(les Newton et des Kepler, et que des esprits aussi éminents que
Jésus, Socrate, Platon, Gonfucius, Boudha, n'y seraient comparati-
vement que de médiocres moralistes. Mais ce que nous devons voir,
sous un aspect général, c'est, parmi les milliards de planètes qui
doivent graviter autour des innombrables soleils de l'espace, des
miUions de mondes habités, des légions d'êtres inconnus enfantés
par les forces de la nature, absolument différents de tout ce qui
existe sur notre planète.
A quoi il faut ajouter la population de la Terre, alors évaluéeà 800 000 000 d'habitants,
et celle du Soleil, que l'auteur estime a. 681 184 000 000 000. C'est donc à 70:j trillions
■79 milliards 774 millions que notre excellent calculateur fixe la population du sys-
tème solaire. Pas une planète n'a trouvé grâce, ni un seul satellite, ni les anneaux de
Saturne, ni le Soleil : tout est habité actuellement par des individus construits à
-ïotre image. .\ son calcul, il faudrait ajouter Neptune, les satellites de Mars et
sûtes les petites planètes découvertes depuis 1837. 11 est aussi puéril de prétendre que
.ous les mondes sont actuellement habités que de prétendre qu'il n'y en a aucun d'ha-
bitable. Mais l'esprit humain aime à se précipiter toujours dans les extrêmes. Le plus
joli du calcul précédent est qu'il y aurait cinq fois plus d'habitants sur la Lune que sur
la Terre. Comme il n'y a pas d'océans là, l'auteur n'a pas voulu qu'il y eût un centi-
mèlrc de perdu. Cette exigence rappelle la repartie de Fontenelle aux objections qui lui
étaient faites contre les habitants de la Lune : « Quand il n'y aurait que du sel sur les
rochers, je le ferais plutôt lécher par les habitants que de n'y en point mettre. »
... Là descend du ciel une autre lumière, là fleurissent des plantes qui ne sont pas des plantes...
Tr.r.r.F.s Df CIEL 23
LES TKl'.UES DU CIEL
Xénoplume disait, il y a deux raille ans, qu(; si les bœufs avaient
l'idée de penser à une puissance suprême et do se représenter un dieu
quelconque, ils se le figureraient sous la forme d'un bœuf. Si les
animaux qui habitaient la Terre il y a cent mille ans avaient fait des
conjectures sur la pluralité des mondes, ils auraient, par analogie,
peuplé les astres d'animaux sauvages et non raisonnables, et n'au-
raient sans doute pas songé à la possibilité d'une race intellectuelle de
la nature de la nôtre. Si une planète était peuplée de séraphins, ses
philosophes seraient portés à croire qu'il n'y a que des séraphins
sur tous les mondes de l'espace. C'est là une analogie trop étroite.
Répétons-le cent fois pour une : nous ne sommes pas le type de la
création; nous ne sommes ni aussi beaux ni aussi parfaits que l'on
nous l'assure, et il n'y a aucune bonne raison pour que l'Hercule
Farnèse ou la Vénus Callipyge représentent le type des habitants
de tous les mondes.
Il est temps de faire justice de ces fantaisies et de ces pusillani-
mités. Malgré le regrettable mouvement de recul essayé par les
savants contemporains, — mouvement comparable à celui qu'on
observe de temps à autre en politique chez les hommes mêmes qui
sont à la tète des gouvernements et qui devraient donner l'exemple
du perfectionnement social, — il n'est pas contestable que la planète
que nous habitons n'a reçu de la nature aucun privilège spécial et
qu'il n'y a aucune bonne raison pour prétendre qu'elle soit, pendant
toute l'éternité, le seul monde habité de l'univers, — pour oser sou-
tenir que les forces de la nature sont partout restées improductives
parce que les conditions d'existence diffèrent d'une région à l'autre,
— et pour s'imaginer naïvement que notre imperceptible et misérable
foLU-raiUère doive être le type de toute terre habitée ou exister seule
au monde.
En principe, le penseur admet, rationnellement, que tout monde
qui arrive à son terme devient le séjour d'une humanité quelconque;
mais que, notre époque actuelle n'ayant pas plus d'importance
qu'une autre dans l'éternité, il n'y a aucune raison pour supposer
que les autres mondes de notre système, ainsi que ceux qui gravi-
tent autour des innombrables soleils disséminés dans l'infini, soient
justement arrivés en ce moment à leur époque d'habitation. Ces
époques ont existé pour certains mondes il y a des millions d'an-
LES TEURES DU CIEL
nées, et elles n'existeront pour d'autres que dans des millions
d'années.
Cette contemplation générale de la vie universelle ainsi posée en
principe, nous pouvons, rationnellement aussi, nous demander
quelles espèces d'êtres peuvent éclore sur les autres mondes.
Et ici, en nous souvenant des pensées que la première vue des
Terres du ciel nous inspirait dès les premières pages de cet ouvrage,
nous pourrions dire encore : « Là brille un autre soleil, là descend
du ciel une autre lumière, là souffle un air qui n'est point terrestre;
là fleurissent des plantes qui ne sont pas des plantes, là coulent des
eaux qui ne sont pas des eaux; là reposent des paysages, des lacs,
des forets, des mers, que nos yeux n'ont point vus et qu'ils ne pour-
raient point reconnaître ». Transportée sur l'aile de la science jus-
qu'aux frontières d'un autre monde, notre imagination éprouve un
intime bonheur à sentir que la vie existe réellement dans les
régions de l'espace, mais elle n'est pas satisfaite, parce qu'elle reste
suspendue devant la question qui se [Ose immédiatement : Com-
ment sont organisés nos collègues de Mars et des autres mondes?
Ce n'est pas que les réponses manquent. Le lecteur curieux de se
former une idée de la puissance de l'imagination humaine et de la
richesse de ses facultés pourrait feuilleter sur ce point l'ouvrage que
nous avons consacré à cette revue spéciale des théories humaines
sur les habitants des astres ('), et sans contredit cette lecture lui
offrirait plusd'un côté pittoresque. Sans entrer dans aucun détail sur
cet aspect plutôt romanesque et artistique que théorique et scienti-
fique de la question qui nous occupe ici, nous pouvons rappeler que
maintes fois on est allé jusqu'à représenter parle dessin les citoyens
des patries célestes. Nous ne parlons pas des anges, des archanges,
des chérubins, des séraphins, des trônes, des puissances, des domi-
nations et de tous les personnages imaginaires de la milice céleste
inventée par les théologiens en vacances. Et pourtant, ce serait là
une revue fort curieuse à passer, sui^tout si nous voulions lui adjoin-
dre celle de la milice infernale, plus nombreuse, plus riche, plus
variée et plus intéressante encore, quoique non moins imaginaire.
Mais au point de vue purement astronomique, les colonisateurs de
planètes n'ont pas manqué.
(') Les Mondes imaginaires et les Mondes rérls.
LES TKKRES DU CIEL
.lordano Bruno, dans son ouvrapH sur « l'Infini, l'Univers et les
Mondes »; Kepler, dans son « Songe astronomique » ; Godwin, dans
a l'Homme dans la Lune » ; Cyrano de Bergerac, dans son « Voyage
dans la Lune » et dans ses « Etats et Empires du Soleil » ; Kircher,
dans son « Voyage extatique céleste » ; Fontenelle, dans ses « Entre-
tiens sur la Pluralité des Mondes »; Huygens, dans son « Cosmo-
•î^'-..,. .,^-^^1.- ->>*~^^^ ^^-^Lî^. ,.
..u.-t; 1
FiR. 8o. — Scène imaginaii'e chez les habitants de Jupiter.
théoros »; Niel Klim, dans son « Voyage aux planètes souterraines »;
Voltaire, dans « Micromégas » ; Swedenborg, dans ses a Arcanes cé-
lestes » ; Wolff, dans ses « Études planétaires » ; Gudin, dans son
livre « De l'Univers >- ; l'auteur anonyme des « Découvertes faites
dans la Lune par Herschel » en 18;i3; Edgar Poë, dans son « Aven-
ture d'un certain Hans Ptaall »; Boitard, dans sa « Descrii)tion des pla-
nètes » ; Brewster, dans son ouvrage « Il y a plus d'un monde » ;
Allan Kardec dans « le Livre des Esprits « ; M. Victorien Sardou, dans
LES TERRKS DU CIEL
un curieux article intitulé « Des Habitations de la planète Jupiter »,
publié par la Revue spirite de 1858; M. Henri de Parville, dans
« Un Habitant de la planète Mars » ; M. Victor Dazur, dans « le Régi-
ment fantastique»; M. Blanqui, dans « l'Éternité par les astres », et,
tout récemment encore (1883), M. Vernier dans «l'Étrange voyage »,
ainsi qu'un grand nombre d'autres écrivains moins connus, ont non
seulement écrit sur les habitants des astres, mais ont encore imaginé
leui's formes, leurs modes d'existence, leur état intellectuel et moral,
leurs mœurs et leurs habitudes (').
(1) Pour n'en signaler ici qu'un exemple, aussi intéressant que peu connu, nous avons
reproduit (fig. 85) un dessin fait et gravé par M. Victorien Sardou lui-même, — long-
temps avant sa candidature à l'Académie française — dessin ayant pour objet de repré-
senter une habitation du monde de Jupiter. Cette habitation est toute végétale; elle est
agréablement fleurie. On voit des êtres suspendus ou envolés. En bas, des joueurs
s'exercent à un jeu de quilles particulier : il s'agit, non de renverser les quilles, mais
de les coiffer, comme au bilboquet. Ces êtres ne sont pas les habitants de Jupiter; ce
sont des animaux à leur service.
Cette ville de Jupiter, nommée Julnius, se compose de deux cités, l'une, « la ville
haute » est flottante dans l'air, l'autre, la « ville basse >> est construite sur la terre ferme.
Les animaux habitent la seconde, les hommes-esprits habitent la première. Mozart,
Cervantes, Palissy étaient voisins de campagne.
Une note annexée à la publication de ce dessin ajoutait que l'auteur ne savait m
dessiner ni graver, et que toutefois cette figure avait été directement gravée par lui à
l'eau-forte, en neuf heures, sans aucune étude préalable. Elle était signée « Bernard
Palissy ».
Le spirituel auteur de Nos Intimes, des Pattes de Mouches, de Divorçons, a créé cette
composition, ainsi que plusieurs autres, dans cet état particulier de l'esprit que l'on
désigne sous le nom de médiumnité, et c'est en effet comme médium qu'il l'a signée.
C'est un état dans lequel on n'est ni endormi, ni magnétisé, ni hypnotisé d'aucune façon.
On est tout simplement recueilli dans un cercle d'idées déterminé. Le cerveau agit
alors, par l'intermédiaire du système nerveux, un peu autrement que dans l'état nor-
mal. La différence n'est pas aussi grande qu'on l'a supposé. Voici principalement en
quoi elle consiste. Dans l'état normal, nous pensons à ce que nous allons écrire, avant
de commencer l'acte d'écrire; nous construisons notre phrase dans notre pensée avant
de la traduire par le langage ; nous agissons directement pour faire marcher notre
idume, notre main, notre avant-bras. Dans cette autre condition, au contraire, nous
ne pensons pas avant d'écrire, nous ne faisons pas marcher notre main, nous la lais-
sons inerte, passive, libre; nous la posons sur le papier, en faisant en sorte qu'elle
éprouve la moindre résistance possible ; nous pensons à un mot, à un chiffre, à un trait
de plume, et notre main écrit d'elle-même, toute seule. Mais il faut penser à ce que
l'on fait, non pas d'avance, mais sans discontinuité, autrement la main s'arrête.
Essayez, par exemple, d'écrire le mot océan, non pas comme d'habitude, en l'écrivant
volontairement, mais en prenant un crayon, en laissant simplement votre main libre-
ment posée sur un cahier, en pensant à ce mot, et en observant attentivement si
votre main l'écrira. Eh bien ! votre main ne tardera pas à écrire un o, puis un c, et
ainsi de suite. Du moins, c'est l'expérience que j'ai faite sur moi-même, il y a un quart
de siècle, lorsque, à la même époque que mon illustre et érudit ami Victorien Sardou,
i.i;s IL 11 m; s du cill
Rovriions aux hvpothrscs laites sur la lormo des habitants des
autres inondes. Nous sijiualions toiit-à-riieure parmi les prineipaux
ouvrages écrits sur le sujet, celui de notre savant ami H. de Parviile
intitulé : L'n habitant de la platu'te Mars. On remarrpu' dans cet
ouvrage le dessin reproduit ici (//r/. 86), représentant ledit haiùlant
apporté sur la Terre dans un aérolithe. Nous ne pouvons pas créer
de formes étrangères à celles que nous connaissons : c'est encore
là un animal qui ressemlile plus ou niuins aux êtres terrestres.
Fig. Rfi. — H;il)it;int imaginaire de la pianote Mars.
Il ne faut consiilérer ces romans astronomiques que comme des
œuvres d'imagination. Si nous voulions essayer de nous représenter
l'état des autres mondes au point de vue de l'intéressant proLlème
j't'tiidiais les nouveaux pi-oblèmes du spiritisme et du magnétisme. [J'ai toujouii
pensé que le cerele de la science n'est pas fermé et qu'il nous reste bien des choses à
apprendre]. Dans ces expériences, il est très facile de s'abuser soi-même et de croire
que notre main est sous l'influence d'un esprit différent du nôtre. Je dois dire cepen-
dant que bi conclusion de ces expériences a été que l'action de ces esprits étrangers
n'est pas nécessaire pour expliquer les phénomènes observés. Le spiritisme ne nous a
absolument rien appris en astronomie, et les conjectures écrites parles médimns n'ont
pas été confirmées par les découvertes récentes. Sur Jupiter, notammi'ul, l'c'tat
d'habitation ne peut pas être tel qu'on l'avait indiqué. Mais ce n'est pas ici le lieu
d'entrer d;ins plus de di^tails à l'égard d'un sujet qui a été josipi'à iir('S(>ul jibis cxiilnilé
[lai' di's spécidalcurs (piiOuilic par des sa\:nils.
LES TERRES DU CIEL
de leur habitation par des races intellectuelles, la méthode à suivre
devrait être essentiellement et exclusivement scientifique, et se con-
clure de la synthèse des faits acquis à la physiologie, à la géologie et
à l'ontologie générale. C'est là un essai qui, grâce aux progrés actuels
de la science, peut être, croyons-nous, tenté sans trop de présomp-
tion. Examinons au moins la question.
Los études de la physiologie positive et de la statistique moderne
démontrent scientifiquement que le corps humain est le produit de
la planète terrestre : son poids, sa taille, la de'usité de ses tissus, le
poids et le volume de son squelette, la durée de la vie, les périodes
de travail et de sommeil, la quantité d'air qu'il respire et de nourri-
ture qu'il s'assimile, toutes ses fonctions organiques, même celles
qui paraissent le plus arbitraires, et jusqu'aux époques maxima des
naissances, des mariages et des décès, en un mot, tous les éléments
de la machine humaine, sont oi^ganisés par la planète. La capa-
cité de nos poumons et la forme de notre poitrine, la nature de notre
alimentation et la longueur du tube digestif, la marche et la force
des jambes, la vue et la construction de l'œil, la pensée et le déve-
loppement du cerveau, etc., etc., tous les détails de notre orga-
nisme, toutes les fonctions de notre être sont en corrélation intime,
absolue, permanente, avec le monde au milieu duquel nous vivons.
La construction anatomique de notre corps est la même que celle
des animaux qui nous précèdent dans l'échelle de la création. Nous
sommes faits comme nous le sommes, parce que les quadrupèdes
mammifères sont construits comme ils le sont; et ainsi toutes les
espèces animales se suivent comme les anneaux d'une même chaîne,
et, en remontant d'anneau en anneau, on retrouve les premiers
organismes rudiraentaires, qui sont plus visiblement encore, mais
pas davantage, le produit des forces qui leur ont donné nais-
sance.
C'est là une vérité dont il n'est plus permis de douter aujourd'hui,
à moins d'être resté étranger à tout le mouvement de la physiologie
contemporaine et de s'être tenu à l'écart des admirables travaux qui
illustrent la seconde moitié du XIX' siècle dans la solution du grand
problème de l'origine des espèces, travaux qui ont absolument trans-
formé la paléontologie classique de Cuvier et de ses émules.
LES HABITANTS DE MARS
Los espèces se sont lentement succédées à la surface de notre
planète. Elles ont commencé, à l'époque lointaine de la période pri-
mordiale, par les organismes les plus simples, aussi bien dans le rè-
gne animal que dans le règne végétal. Les premières plantes méri-
tent à peine ce titre : elles n'ont ni feuilles, ni fleurs, ni fruits. Les
premiers animaux sont des invertébrés, des mollusques, des objets
gélatineux qui n'ont ni tête, ni sens, ni système nerveux et qui, à
proprement parler, ne sentent pas. Par le perfectionnement séculaire
des conditions organiques de la planète, par le développement gra-
duel de quelques organes rudimentaires, la vie s'améliore, s'enri-
chit, se perfectionne. Pendant l'époque primordiale, on ne voit que
des invertébrés flottant dans les eaux encore tièdes des mers primi-
tives. Vers la fin de cette époque, pendant la période silurienne, on
voit apparaître les premiers poissons, mais seulement les cartilagi-
neux : les poissons osseux ne viendront que longtemps après. Pendant
la période primaire commencent les grossiers amphibies et les lourds
reptiles, les lents crustacés. Des îles s'élèvent du sein des ondes et
se couvrent d'une végétation splendide. Mais le régne animal est en-
core bien pauvre. Ce n'est que pendant l'âge secondaire qu'il se diver-
sifie en espèces bien distinctes et nombreuses. Les reptiles se sont
développés: l'aile porte l'oiseau dans les airs; les premiers mammi-
fères, les marsupiaux, habitent les forêts. Pendant l'âge tertiaire, les
serpents se détachent tout à fait des reptiles en perdant leurs pattes
(dont les soudures primitives sont encore visibles aujourd'hui), le
reptile-oiseau, archéoptérix, disparaît aussi, les ancêtres des simiens
se développent sur les continents en même temps que toutes les fortes
espèces animales. Mais la race humaine n'existe pas encore. L'homme
va apparaître, semblable à l'animal par sa constitution anatomique,
mais plus élevé dans l'échelle du progrès et destiné à dominer un
jour le monde par la grandeur de son intelligence.
Les couches géologiques du globe terrestre, que nous retournons
aujourd'hui comme les feuillets d'un livre, nous montrent ainsi
cette succession de fossiles ensevelis. Les espèces se sont suc-
cédées en se développant graduellement, comme les rameaux d'un
même arbre. Elles dérivent d'une même source; elles se rattachent
entre elles comme les anneaux d'une même chaîne; elles appartien-
nent au même ordre de choses; elles réalisent le même programme.
f . H elle se
Fig. 87. — Arbre généalogique des habitants de la Terre.
TERRES DD CIEL.
24
LES HABITANTS DE MARS
On peut se rendre compte de cette succession à l'examon de notre
figure 87, qui représente l'arbre généalogique des habitants do la
Terre : cet arbre résume en un même tableau les faits que nous venons
d'exposer. Quant à la durée de cette création de la vie terrestre, nous
pouvons adopter sur ce point l'opinion de Haeckel, qui conclut de
la comparaison de l'épaisseur et de la richesse des couches, qu'en re-
présentant par le chiffre 100 l'âge du monde depuis l'origine des pre-
miers invertébrés, la première époque a dû prendre déjà pour elle
seule plus de la moitié de cette durée, tandis que l'époque actuelle
n'en a consommé qu'une minime fraction ; en n'accordant que cent
milh; ans à l'càge quaternaire, âge de la nature actuelle, la période
tertiaire aurait régné pendant trois cent mille ans auparavant, la pé-
riode secondaire pendant douze cent mille ans, la période primaire
pendant plus de trois millions, et la période primordiale pendant
plus de cinq millions d'années. Total : dix millions. Mais qu'est-ce
encore que cette histoire de la vie comparée à l'histoire totale de la
planèlo, puisqu'il a fallu plus de trois cents millions d'années pour la
refroidir au degré d'habitabilité?
L'enseignement de la nature établit ainsi, d'une part, par la géo-
logie et la paléontologie, que les espèces se sont succédées en se per-
fectionnant graduellement, qu'elles se rattachent entre elles par leur
origine, et qu'elles sont toutes parentes. L'homme ne descend pas
des singes actuels, pas plus que des reptiles ou des invertébrés ac-
tuels. Il dérive, comme les anthropoïdes et les singes, des prosimiens
aujourd'hui disparus, et, en remontant plus haut encore, de marsu-
piaux, d'amphibies et de poissons depuis longtemps disparus de la
scène du monde. Au surplus, l'examen détaillé de notre corps con-
firme cet enseignement de la paléontologie. Nous avons conservé,
encore aujourd'hui, des organes rudimentaires atrophiés, qui ne nous
servent absolument à rien, et qui proviennent de nos ancêtres ani-
maux, par exemple les muscles de l'oreille, qui servaient à mouvoir
l'oreille chez ces animaux, le petit repli que nous portons à l'angle
interne de l'œil, et qui était une troisième paupière, etc. Tous les
animaux ont de même ces organes rudimentaires inutiles provenant
de l'héritage de leurs ancêtres. Les poissons qui vivent dans les ca-
vernes ont encore des yeux, mais des yeux atrophiés, incapables de
voir. Les oiseaux qui ne volent plus ont encore des ailes (autruche,
A N F II r. Il 1' U L U (i 1 E C 0 .M l' A 11 E ïr
casoar), mais elles ne leur servent plus, car ils ont perdu l'usnue de
voler. Les serpents boas et pythons portent encore à la partie pustr-
rieure de leur corps quelques pièces osseuses inutiles, reste des iikmu-
bres postérieurs qu'ils ont perdu, etc., etc.
Si nous voulions faire ici en détail l'analyse du corps humain, nous
constaterions (|ue l'anatomie confirme absolument la gé(»logie et la
paléontologie. Mais ce n'en est pas ici le lieu, quoique, en lait, nous
ne sortions en aucune façon de la question posée : « Comment les
iiabitants des autres mondes sont-ils construits? » et que nous
établissions précisément par cette exposition les prémisses de sa
ii^' bS — Les origines de llioinme :
Lias et pâlies coiupuiées
solutiiiu scientifique. Signalons notre parenté avec toute la nature
terrestre.
Comparons, par exemple, la main de l'homme avec les pattes du
gorille, de l'orang-outang, du chien, du phoque, du dauphin.
Sur notre figure 88, la partie blanche représente les os et la partie
ombrée la chair. On voit que, anatomiquement, c'est la 7nême
structure.
La conclusion serait identiquement la même si nous conqiarions
entre eux les squelettes tout entiers de l'orang, du cîiimpanzé, du
gorille et de l'homme. L'homme s'élève graduellement (voy. fi(j. S!))
de l'horizontalité de la nature animale vers la nolilesse de la posi-
tion verti{';ilr i[ui doit dominer le [laimi-inia du Monde.
La comparaison des cerveaux conduit à la même conséquence. Le
cerveau n'est que l'épanouissement de la moelle épinière : la partie
LES HABITANTS I) K MAIIS
antérieure de la moelle épinière se développe d'espèce en espèce,
devient le cerveau, lequel à son tour grandit, s'accroît et s'enrichit
avec l'exercice des facultés intellectuelles.
On le voit, tous les faits d'observation s'accordent entre eux pour
montrer que le type humain s'est lentement formé en passant par
toute la série de la nature vivante ; d'où il résulte qu'il n'est pas dû
à lu fantaisie ou à la volonté arbitraire d'un Créateur, qui l'aurait tiré
du néant jiar un acte miraculeux étranger au développement nor-
ri^'. 8'J, — Les origines de l'homme : squelettes comparés
mal de la nature terrestre, et que par conséquent ce type provient
de la zoologie de notre planète aussi naturellement que le fruit
produit par ;m arbre. Cette importante conclusion est encore sura-
bondamment démontrée par une science étrangère aux précédentes,
et qui, sans avoir rien de commun avec la géologie ou la paléonto-
logie, vient cependant donner identiquement le même témoignage
sur cette importante question de l'origine de l'homme. Nous voulons
parler de l'embryogénie. En effet, chacun de nous a passé dans le
sein de sa mère par les principales espèces animales qui existent
encore aujourd'hui; chacun de nous a d'abord été une simple petite
AN'T11U0I'(I1.(»(.I !•■, C.dMI'AUEE
cellule organique, ni plus ni moins qu'un modeste poulet; chacun
de nous a commencé par être une petite sphère, un ovule mesurant
un quinzième de millimètre, puis notre emhryon a été pareil à
celui d'un poisson; ensuite à celui d'un amphibie; ensuite à celui
d'un reptile; ce n'est qu'après plusieurs semaines de la vie embryon-
naire qu'apparaissent les caractères particuliers aux mammifères;
pendant les premières semaines, il est absolument impossible de
distinguer l'embryon de l'homme de celui des autres mammifères,
des oiseaux, des reptiles et des poissons; il y a parallélisme parfait
entre l'évolution embryologique de l'individu et l'évolution p;iléon-
Fig. 90. — Les origines de rtioniine ; embryons comparés.
tologique du groupe entier auquel il appartient. En parcourant ainsi
une série de formes transitoires, l'homme résume dans une succ(!s-
sion rapide la longue série évolutive des formes par lesquelles ont
passé ses ancêtres, depuis les âges les plus reculés. Ceux d'entre
nos lecteurs qui n'ont pas eu l'occasion de faire eux-mêmes ces
études un peu spéciales, se rendront exactement compte de ces faits
si importants par l'examen de notre figure 90, qui représente les
embryons comparés de la tortue, de la poule, du chien (M: de l'homme
dans les premières phases de leur formation.
Ainsi, tous les enseignements de la nature s'unissent pour nous
montrer que l'homme est le résumé perfectionné do toute la série
zoologique terrestre qui l'a précédé sur la scène du monde, que la
forme humaine n'est pas arbitraire, et qu'elle est due, comme celle
de tous les êtres vivants qui peuplent la Terre, à la combinaison des
LES HABITANTS DK MARS
forces organiques en ai'tivitô sur la planète. Il en est nécessairement
de môme sur les autres mondes. Et puisque sur ces autres mondes
les forces organiques ne sont pas dans le même état d'activité que
chez nous, comme les combinaisons des éléments ne sont pas les
mêmes, comme les milieux diffèrent d'une planète à l'autre, que
la lumière, la chaleur, l'électricité, la pesanteur, la composition
atmosphérique, etc., etc., difîèrent suivant les régions célestes et sui-
vant les systèmes, les premières formes animales et végétales ont
du différer dès l'origine, bifurquer de plus en plus, de sorte que la
dernière espèce animale, celle qui sur chaque monde est devenue
ou deviendra l'espèce intellectuelle, doit être aussi la résultante de
la série zoologique de chaque monde et par conséquent doit absolu-
ment différer de celle à laquelle nous appartenons sur la Terre.
Ces déductions nous paraissent judicieusement établies (').
Sans prétendre déterminer dés maintenant l'état physiologique
des habitants de Mars, ne pourrions-nous essayer d'appliquer les
considérations qui précèdent aux documents encore trop rares que
nous possédons sur l'habitabilité de cette planète?
(1) Par tles considérations complètement étrangères aux témoignages de la science,
la plupart des romanciers du ciel n'ont voulu voir chez les habitants des auties mondes
que des êtres semblables à nous et reproduisant dans tout l'univers les mêmes actes,
les mêmes sentiments, les mêmes passions que celles qui régissent l'humanité terrestre.
On a même vu récemment, non sans curiosité, un auteur plus connu dans la politique
que dans la science, A. Blanqui, assurer dans une publication originale « l'Éternité
par les astres » que, comme il n'y a qu'un certain nombre d'éléments et de combinai-
sons, toutes les combinaisons possibles, malgré leur multitude, ont un ferme, et dès
lors doivent se répéter pour peupler l'infini. Il en résulterait que quoiqu'il y ait un
nombre incommensurable de terres différentes de la nôtre, cependant il doit en exister
un très grand nombre de semblables. Parmi ces terres semblables, plusieurs ont
bifurqué à cause de la différence des conditions, mais cependant plusieurs se seraient
développées absolument dans le même sens, et auraient finalement donné naissance
aux mêmes êtres, à la même humanité, aux mêmes nations, aux mêmes villes, aux
mêmes familles et aux mêmes hommes, portant les mêmes noms qu'ici . be telle sorte que,
le nombre des combinaisons étant fini, et l'étendue de l'univers étant infinie, la nature ;i
été forcée de tirer chacun de ses ouvrages à des milliards d'exemplaires, et cela pen-
dant toute l'éternité : si bien, conclut l'auteur, que la Terre, la France, Paris, nos per-
sonnes, existent actuellement, ont toujours existé et existeront toujours en plusieurs
endroits à la fois. Ainsi nous serions immortels d'une façon assuiément inattendue,
sans le savoir et sans jamais nous en douter.
Cotte théorie originale pèciie par la base. Lors même qu'il n'y aurait chimiquement
qu'un seul corps simple primitif, au lieu de soixante-quatre, la nature pourrait varier
à l'infini se^ modes d'existence et d'activité, sans jamais se répétiT.
La voie indiquée plus haut nous parait être la seule scientifique et l gique.
LES HABITANTS DE MARS
Déjà, tous nos lecteurs l'ont remarqué, des divers mondes du
système solaire, Mars est sans contredit celui qui ressemble le plus
au nôtre; les manifestations de la vie à sa surface ne doivent donc
pas être absolument étrangères à celles de la vie terrestre; l'ana-
logie si remarquable qui relie ce monde au nôtre doit avoir déter-
miné chez lui des évolutions organiques partagées comme ici entre
deux ordres généraux : la végétation et l'animalité. Or, nous voyons
que les végétaux tirant leur substance de l'air principalement, ont
une densité inférieure à celle de l'eau, et que les animaux, étant
composés de substances dans lesquelles l'eau entre pour la plus
grande part, ont une densité moyenne un peu supérieure à celle de
l'eau : sur Mars, tout cela est plus léger qu'ici.
La densité moyenne des matériaux qui composent cette planète
est inférieure à celle des matériaux constitutifs de notre globe : elle
est de 71 pour 100. Il résulte d'autre part, du volume et de la masse
de Mars, que le poids des corps est extrêmement léger à sa surface.
Ainsi l'intensité de la pesanteur à la surface de la Terre étant repré-
sentée par 1 00, elle n'est que de 37 à la surface de Mars : c'est la
plus faible que l'on puisse trouver sur toutes les planètes du sys-
tème. Il en résulte qu'un kilogramme terrestre transporté là ne
pèserait plus que 374 grammes. Un homme du poids de 70 kilos,
transporté sur Mars, n'en pèserait que 26. 11 ne serait pas plus fati-
gué pour parcourir 50 kilomètres que pour en parcourir 20 sur la
Terre, et l'effort musculaire dont l'exercice a fait inventer le jeu de
(c saut de mouton » aux écoliers en récréation les lancerait non
plus seulement sur le dos de leurs camarades, mais sur les toits
et à la cime des arbres.
Les animaux et les végétaux doivent y être de plus haute taille
qu'ici, quoique la planète soit plus petite. Ce n'est pas le volume
d'un globe qui règle la disposition des êtres vivants à sa surface,
mais l'intensité de la ^'pesanteur relativement aux conditions de
milieux et de vitalité. Ainsi des hommes deux fois plus haut que
nous auraient une certaine difficulté à marcher ici, et se casseraient
inévitablement les jambes à cause de l'intensité de l'attraction ter-
restre. Il leur faudrait quatre jambes pour une plus grande stabilité.
Les quadrupèdes, en effet, peuvent dépasser ces proportions. Les
seuls animaux qui puissent marcher sur deux jambes, les singes
LES HAIllTANTS DE MARS
aiitliropomorphes, sont d'une taille inférieure à la nôtre, et il est
probable que l'homme n'est arrivé à sa taille naturelle qu'après
des siècles d'exercice et de développement. (Cette taille décroît
aujourd'hui dans les pays très civilisés, à cause de la vie citadine
et de l'accroissement du système nerveux au détriment du système
musculaire.) Dans l'eau, les animaux peuvent atteindre des dimen-
sions plus considérables, à cause de la légèreté spécifique qu'ils y
gagnent. Le règne végétal nous montre certaines espèces d'arbres
qui s'élèvent à des hauteurs géantes à cause de leur immobilité.
Ainsi, la taille des êtres est intimement et nécessairement détermi-
née par l'intensité de la pesanteur.
11 est donc probable que les choses sont établies sur une plus
grande échelle à la surface de Mars, et que les plantes et les animaux
y sont beaucoup plus élevés qu'ici. Ce n'est pas à dire cependant
pour cela que les humains y aient notre forme et soient des géants.
En remontant à la formation de la série zoologique, on peut augurer
que la pesanteur aura exercé une influence d'un autre ordre sur la
succession des espèces. Tandis qu'ici la grande majorité des races
animales est restée clouée à la surface du sol par l'attraction ter-
restre, et qu'un bien petit nombre ont reçu le privilège de l'aile et
du vol, il est bien probable qu'en raison de la disposition toute par-
ticulière des choses, la série zoologique martienne s'est développée
de préférence par la succession des espèces ailées. La conclusion
naturelle est que les espèces animales supérieures y sont munies
d'ailes. Sur notre sphère sublunaire, le vautour et le condor sont
les rois du monde aérien; là-bas les grandes races vertébrées et la
race humaine elle-même, qui en est la résultante et la dernière ex-
pression, ont dû conquérir le privilège très digne d'envie de jouir de
la locomotion aérienne. Le fait est d'autant plus probable qu'à la fai-
blesse de la pesanteur s'ajoute l'existence d'une atmosphère analogue
à la nôtre. '
Sur la Terre, un corps qui tombe du haut d'une tour ou d'une
fenêtre parcourt 4 mètres 90 centimètres dans la première seconde
de chute. Sur Mars, le même corps, attiré moins fortement, ne
tombe qu'avec une vitesse presque trois fois moindre, et ne parcourt
que 1 mètre 87 centimètres dans la même unité de temps. Les
tentatives faites pour s'élever dans les airs à l'aide d'ailes con-
LES HABITANTS DE MARS
struites dans ce but n'ont pas réussi sur notre planète et ne peuvent
réussir, parce que la pesanteur nous fait tomber de 4 mètres 90
centimètres dans une seconde, et que le mouvement des ailes
s'appuyant sur l'air ne peut nous élever de la même quantité dans
le même temps. Mais un tel état est naturel sur Mars ('J.
Ces hypothèses, qui peuvent paraître conjecturales à certains
esprits timides, sontappuyées sur une argumentation judicieusement
fondée. La faible intensité de l'attraction de Mars doit permettre aux
végétaux de s'élever beaucoup plus haut que sur la Terre, toutes
choses égales d'ailleurs. Il en est de même pour les animaux qui
marchent sur le sol. Cette môme cause a du déterminer une prédi-
lection pour les formes aériennes, et les races animales les plus
importantes ont du se construire, se développer, se succéder et
(') La chute des corps se l'ait jiar un mouvL'iiieiU unit'orinéinent accélère. Dans le
premier tiers de seconde, il n'est que de 54o millimètres; il est de 1635 dans le
deuxième tiers, de 2720 dans le troisième : total, 4 mètres 90 centimètres. Si Ton
pouvait faire trois battements d'ailes par seconde, il suffirait de s'élever de oo cen-
timètres par battement pour pouvoir se soutenir et planer. Or, la force d'un cheval
pouvant seulement élever le poids d'un homme pesant 7o kilogrammes de 1 mètre en
une seconde, et la force de Tliomme étant au plus le cinquième de celle du cheval,
la force de l'homme ne monterait son propre poids en une seconde que d'un cin-
quième de mètre, ou de 20 centimètres ; en un tiers de seconde, elle ne relèverait que
de 7 centimètres. Donc l'homme ne peut pas voler sur notre planète par sa propre
force musculaire.
Il y a quelques années, j'avais exposé ces principes à un malheureux aéronaute belf^c
qui s'obstinait à essayer de voler dans les airs, après s'être préalablement fait enlever
sous la nacelle d'un aérostat. Il persista dans ses tentatives, se fit enlever en ballon au-
dessus de Londres, s'élança dans les airs, s'embarrassa dans son appareil, et fut préci-
pité de bOO mètres de hauteur sur les tombes d'un cimetière. L'n parapluie lui eût été
d'un usage plus efficace que ses ailes.
Sur Mars, l'intensité de la pesanteur étant presque trois (bis moindre, au lieu de
oa centimètres, il suffirait de s'élever de 19 centimètres par battement d'ailes d'un
tiers de seconde, pour pouvoir se soutenir dans l'air et planer. Or, le même eft'ort mus-
culaire qui nous élèverait à 7 centimètres nous porterait là à 20 centimètres, ce qui
serait déjà suffisant pour vaincre la pesanteur. Mais, d'autre part, un [loids de 75 kilo-
i:ranimes n'en pèse ([ue 28 à la surface de Mars. Si donc, nous supposions aux Martiens
un(^ force musculaire égale à la nôtre, et un poids réduit proportionnellement à l'inten-
sité de la pesanteur, nous en conclurions qu'il leur serait aussi facile de voler qu'à
nous de marcher, et qu'ils peuvent se soutenir dans les airs à l'aide d'une construction
anatomique peu dift'érente de celle des grands voiliers de notre atmosphère.
Le privilège de l'aile me parait si précieux, (pie je ne puis même voir une chauve-
souris (notre plus proche parente, d'ailleurs, parmi les espèces ailées) sans envier son
bienheureux sort.
TEIir.ES DU CIEL. 25
LES HABITANTS DE MARS
s'établir défini tdveraent dans la vie atmosphérique. La sélection
"'.aturellt' n'a pu qu'aider encore à l'affirmation vitale de ce règne
dérien.
Tout ce qui vient d'être exposé ne doit s'entendre qu'au point de
vue de l'organisme vital considéré en lui-même, et non pas au
point de vue des formes extérieures. Nous ne supposons point qu'il y
ait sur Mars des peupliers, des sapins, des chênes;, ni des chiens, ni
des chats ou des éléphants; ni des hommes formés d'une tête
pareille à la nôtre, portée par un buste installé sttr de^jx jambes, etc.,
le tout accompagné d'une paire d'ailes à la façon des anges de
Raphaël ou des diables de Callot. Ge serait fort se méprendre
sur les essais d'anatomie ctymparée qui précèdent que de pousser
l'anthropomorphisme jusque-là. Non : de la forme nous ne pou-
vons rien dire ni rien penser. Elle dépend de la direction pri-
mordiale qui a été prise par les premières cellules organiques à
l'époque de l'apparition de la vie à la surface de la planète, et
il est probable que les formes de la vie diffèrent essentiellement
sur chaque monde. Nous ne parlons donc ici que de l'ensemble, et
nous exposons ce que l'énorme différence de pesanteur a dû déter-
miner dans les manifestations de cette vie, quelles qu'elles soient
d'ailleurs.
Quoi qu'il en soit, nous devons savoir que notre organisation
humaine terrestre a été fabriquée, agencée, détei'minée par la
planète que nous habitons. Nous sommes la. résultante matliéma-
tique des forces en action à la surface de ce globe. C'est cette vérité
nouvelle de l'analogie scientifique moderne qui nous autorise à
essayer des recherches telles que les précédentes, lesquelles eussent
été purement romanesques à ime autre époque. En résumé, le
problème se pose en ces termes : l'homme est la résultante des forces
planétaires; étant données ces forces, poser l'équation et calculer
cette résultante, inconnue jusqu'ici pooi" tous les mondes différents
du nôtre.
Ce qui nous intéresse donc ici, ce ne sont plus les analogies, mais
ce sont plutôt les différences qui distinguent Mars de la Terre au
point do vue de l'état et des formes de la vie sur ces deux mondes.
Tous les êtres terrestres, depuis le plus petit jusqu'au plus grand,
sont dans le rapport le plus intime avec les conditions organiques
LES HABITANTS DE MARS
de la planète, et ce rapport est si al)Solu, que la différence qui existe
entre Mars et la Terre suffit pour nous apprendre que les végétaux
et les animaux de notre planète ne pourraient être naturalisés sur
ce monde voisin.
La quantité de chaleur et de lumière que Mars reçoit du Soleil
n'est pas, il est vrai, fort différente de celle que la Terre reçoit, et
peut-être même l'absorption de l'atmosphère rend-elle la tempé-
rature moyenne de Mars identique à celle de notre globe : il n'y a
donc pas là une différence essentielle à signaler entre les deux
mondes. La longueur de Vannée martienne nous en offre une plus
réelle. Or, c'est une circonstance digne d'attention que la consti-
tution organique du plus grand nombre de nos végétaux est spécia-
lement ajustée à la longueur de notre année : si cette année était
allongée tout à coup, même d'un seul mois, le monde végétal serait
presque désorganisé^ les fonctions des plantes seraient entièrement
dérangées, et le règne végétal tout entier subirait une influence
mortelle. Le calendrier de Flore, de Linné, qui résume la marche
annuelle du régne végétal, serait renversé. Chaque plante demande
une quantité donnée de chaleur et de lumière pour arriver à sa
floraison et à sa fructificaLion_, et un tel changement serait fatal à
la vie de nos espèces végétales, qui ont été formées par et pour
la Terre.
La même conclusion peut être appliquée aux espèces animales.
11 résulte donc de toutes ces considérations que, quelles que soient
les formes végétales et animales de la planète Mars, elles y sont
certainement différentes des nôtres.
Mais évidemment la différence qui exerce l'action la plus impor-
tante sur la vie, dans ces deux mondes, c'est la différence de la
pesanteur.
Supposons, par exemple, que la pesanteur terrestre soit diminuée
dans la proportion de sa faiblesse à la surface de Mai's : cette
métamorphose théorique serait immédiatement remarquée dans la
pratique par la légèreté inattendue de tout ce qui nous entourerait
et de nous-mêmes. Au lieu de rester fixes à la place où nous les
poserions, les objets seraient si légers qu'ils seraient prêts à se
déplacer comme des flocons déplumes au mouidre mouvement. Soit
pour nous tenir debout, soit pour marcher, nous serions dans une
LES OOMUniONS 1)K l.A Vit
Borte d'équilibre instable, à peu près comme sur un navire mû. par
le roulis et le tangage, et nous serions oppressés, sous l'atmosphère
raréfiée, comme le voyageur sur les plus hautes montagnes ou
comme l'aèronaute dans les régions aériennes supérieures. Notre
condition sur la Terre dépend, non seulement de la surface, mais
encore de toute la masse intérieure du globe, qui nous attinî et
nous fixe sur un sol stable et solide.
On trouve un exemple remarquable de l'importance de la force
gravifique dans la correspondance intime qui existe entre l'expan-
ion de la sève des plantes et la pesanteur qui s'y oppose. Un chan-
gement considérable dans l'intensité de la pesanteur serait
inadéquat à la vie de nos espèces végétales : un allégement de la
pesanteur hâterait et développerait démesurément l'exubérance de
la sève, tandis qu'un accroissement en réduirait l'activité (').
Quant à la forme des plantes, elle serait naturellement changée
considérablement par la même cause, attendu que l'attraction de la
Terre d'une part, et la lumière solaire d'autre part, exercent une
action opposée sur la taille des végétaux, et que la force de ceux-ci
donne tantôt aux plantes une attitude penchée, tantôt une position
verticale, tantôt les couche horizontalement sur les eaux, et que la
forme comme l'attitude des plantes sont d'autre part en corres-
pondance avec leur mode de reproduction.
(') On n'admire pas assez l'énergie et la puissance de cette sève végétale. Pour ma
part, je ne suis jamais sans admiration, au printemps de chaque année, lorsque je
vois les grands marronniers situés sous mon balcon se métamorplioser au mois du
mars avec une activité surprenante, et, de squelettes nus, sombres et immobiles, de-
venir de véritables bosquets aux feuilles multipliées, aux tleurs énormes, transt'ormanl
radicalement leur aspect. D'où sortent ces bourgeons, ces feuilles et ces fleurs? La
sève ardente s'élève avec enthousiasme vers la lumière, traverse dix et quinze mètres
de branches, en apparence inertes, et s'épanouit dans les airs en feuilles immenses et
serrées que les rayons du soleil de juillet ne traverseront plus. L'arbre a décuplé,
centuplé de surface, et c'est véritablement un être nouveau. Nous n'y songeons pas
parce que nous y sommes accoutumés ; mais en vérité c'est là une transformation surpre-
nante à laquelle nous ne consentirions jamais à croire, si nous habitions un monde oii
elle ne se produisit pas. La force qui projette cette sève en hauteur est si puissante,
que, par exemple, une branche de vigne a été mesurée, lançant sa sève à une hauteur
de vingt pieds dans un tube de verre attaché au tronçon de cette branche coupée.
Le spectacle de chaque printemps met, chaque année, en évidence sous nosyeuxl'har-
nionie intime qui existe entre les forces virtuelles de la nature terrestre et les êtres qui
animent la Terre: plantes, animaux et hommes. — Ne nous sentons-nous pas nous-
mêmes, précisément au printemps, encore un peu plantes sous certains aspects?
LI'.S CONDITIONS DE LA VIE
C'est la grande vérité qu'exprimait déjà le navigateur Maury dans
sa Gthxjraphie physique :
« Plus nous avançons dans l'étude du globe, disait-il, mieux nous
comprenons la corrélation qui existe entre toutes choses. S'il y avait
ou des changements dans l'orientation des vents, — dans la position
géographique des déserts, des plateaux et des chaînes de montagnes, —
dans la proportion des eaux et des terres ou dans la distribution des
mers, des continents et des lies; — en un mot, si la surface du globe
avait été différente de ce qu'elle est, il y aurait eu des modifications cor-
respondantes dans la végétation et dans le règne animal.
« Prenons pour e.xemple, ajoutait-il, la perce-neige, lorsque, à la fin de
l'hiver, elle apparaît sur les plates-bandes de nos jardins. Examinons
cette fleur silencieuse, et voyons ce qu'elle nous apprendra. Nous remar-
querons qu'elle courbe d'abord sa tige pour fleurir, et que, ensuite, après
un intervalle de quelques jours, elle la relève de nouveau. Si nous
interrogeons un botaniste au sujet de ce changement d'attitude, il nous
montrera que la structure de la perce-neige exige un renversement de la
corolle pour faciliter la fécondation de la fleur, et qu'il faut qu'elle se
redresse pour achever la formation de sa graine. Un géomètre, à son
tour, nous apprendra que Dieu crée en suivant les lois de la géométrie,
et qu'une diminution ou une augmentation des forces de la pesanteur
aurait empêché les mouvements de la fleur et la production de la semence.
A-insi, au moment où cette modeste plante a été formée, le globe terrestre
était mesuré d'un pôle à l'autre, du centre à la surface, de telle sorte
qu'une dimension appropriée a été donnée à la fibre de cette frêle tige,
et que l'énergie vitale de la petite perce-neir/e a été mise dans un juste
rapport avec les puissantes forces de la gravitation^ »
Les mêmes harmonies existent nécessairement sur Mars entre
son état planétaire et la forme, la nature, les facultés des êtres
qui l'habitent.
Et maintenant, avant de quitter cette planète voisine, si n'-us
considérions, à ce propos, les conditions de la vie sur les satellites
de Mars, nous arriverions à des déductions plus frappantes encore.
Dans une étude fort intéressante sur ces petits mondes, M. Proctor
admet comme base de raisonnement que ces deux satellites pour-
ra.ient avoir au maximum un diamètre de vingt milles, ce qui cor-
respondrait à 32 kilomètres. C'est assurément là une estimation
LtS C0Nl)lïlO^JS DE LA VIE
exagécée, mais enfin elle peut servli- de base pour des conjectures
sur les ccjiuliliuns de la vie en des mondes aussi minuscules. Ce
diamètre équivaudrait à peu près au ^ du diamètre de la Terre ou
auceatième du diamètre de la Lune. Ces satellites aui-aient ainsi une
surface égale à ^^^ de celle de la Terre, ou à j^ de celle de la
Lune, et un Tolume égal au ,,,,\,,, de celui de la Terre ou au mil-
lionième de celui delà Lune. Quant à leur masse et à leur densité,
nous n'avons aucune base pour les déterminer, mais nous ne nous
éloignerons sans doute pas de la réalité, en admettant que leur
densité moyenne ne diffère pas considérablement de celle de la
Lune. Ces hypothèses (les plus simples de toutes) conduiraient aux
singulières conséquences que voici :
L'intensité de la pesanteur à la surface de ces petits globes serait pro-
portionnellement à la pesanteur humaine dans le rapport du diamètre
d'une lune martienne à celui de la Lune terrestre. Cette intensité de
pesanteur serait donc cent fois plus faible qu'elle ne l'est à la surface de
la Lune, ou six cents fois plus faible qu'elle ne l'est à la surface de la
Terre. 11 en résulte qu'un homme de 70 kilos transporté sur l'un de ces
satellites, n'y pèserait plus que 117 grammes... Une compagnie de cent
hommes serait d'un enlèvement facile, puisque son poids total n'attein-
drait pas 1 2 kilos !
Mais ici commence la dilîlculté. Si nous supposions qu'il pût exister là
des êtres intelligents constitués comme nous, de la même taille, et doués
de» mêmes forces nerveuses et musculaires, leurs habitations, si elles
étaient de la dimension des nôtres, seraient extrêmement minuscules
pour leur activité, car des êtres à la fois aussi forts et aussi légers de-
vraient facilement sauter à la hauteur de 800 mètres, ou à la distance de
quatre mUle mètres. Ils ne pourraient pas facilement vivre enfermés. De
plus, tout serait fort différent de ce qui existe sur la Terre. Ainsi par
exemple, en exécutant son saut de 800 mètres de hauteur, notre acrobate
resterait en l'air dix longues minutes, pendant lesquelles il aurait le temps
de faire toutes sortes de réflexions.
Eu de telles conditions de forces musculaires et de légèreté, un bon
coureur pourrait faire le tour d'un de ces petits mondes en trois cents
minutes ou en cinq heures, et pourrait voir le soleil se lever et se cou-
cher à sa fantaisie ou le garder perpétuellement sur sa tête, suivant la
manière dont il accomplirait son voyage autour du monde; de même
qu'un voyageur terrestre qui pourrait faire le tour du monde en vingt-
quatre heures, poTU-rait garder constamment le soleil à midi.
iJ'un autre côté, si nous cherchons quelle taille devraient avoir les habi-
LE nOPFI>E M MARS
tants de ces petites lunes pour ne pas être doués de cette exagération de
force musculaire et n'être pas plus agiles qu'un habitant de la Terre, nous
trouvons que le volume des êtres vivants doit être pour cela en proportion
inverse de l'intensité de la pesanteur, ce qui conduit à cet étrange résul-
tat que les hommes de cette contrée devraient être, pour nous ressembler
en activité, six cents fois plus grands que nous, c'est-à-dire mesurer plus
d'un Icilomètre de hauteur. En poursuivant ce même raisonnement jKjur
des globes encore plus petits et plus légers, on arriverait de la sorte à
créer des habitants plus grands que leur propre planète !
De telles conclusions sont tout simplement monstrueuses, et elles
nous prouvent que ce mode de raisonnement, qui tend à prendre
l'organisme humain terrestre comme type de la création universelle,
n'est pas plus fort que celui des naturalistes de la science officielle
qui, il y a quelques années encore, interdisaient à la nature de peu-
pler le fond de la mer par la raison qu'ils ne comprenaient pas quelle
constitution spéciale ces êtres devraient avoir pour pouvoir vivre en
ses profondeurs, et ne devinaient pas que la féconde Nature tient
en réserve des forces inconnues.
On peut concevoir à ce propos que l'atmosphère de ces satellites
étant extrêmement rare comme conséquence de la faiblesse même
de la pesanteur, l'énergie vitale des êtres qui pourraient y habiter
doit être réduite de telle sorte que leur force et leur activité peuvent
n'être pas supérieures aux nôtres, malgré leur extrême légèreté.
Selon toute probabilité, l'air que l'on peut y respirer doit être
incomparablement plus raréfié que celui dans lequel nous mourons
lorsque nous dépassons en ballon la hauteur de 8000 mètres.
Bien d'autres considérations se présentent encore à l'esprit lorsque
nous examinons les conditions d'habitabilité de tels mondes; mais
il serait superflu de nous y étendre davantage. Remarquons, par
exemple, que des batailles comme les nôtres seraient fort dilliciles
entre les peuples, attendu que les projectiles lancés par des canons
comme les nôtres ne retomberaient jamais, et s'enfuieraient dans le
ciel, la pesanteur étant incapable de les retenir. Tout au plus pour-
rait-on se batailler entre les deux satellites de Mars ou enti-e ces
deux globes et la planète.
Mais c'est assez sur ce sujet. Notre voyage sur Mars est mainte-
nant plein d'une assez riche moisson. Les conclusions philosophiques
LE MONDE DE MARS
de nos lecteurs sont depuis longtemps logiquement déduites par eux
des nombreux documents exposés dans les pages qui précèdent. Leur
conception de l'univers est en harmonie avec la réalité scientifique,
Fig. m. — Système du monde probablemeni en usage chez les habitants de Mars aux temps pnmiiiis.
réalité plus grande et plus belle que toutes les conceptions imagi-
naires de l'illusion primitive.
Maintenant que nous connaissons le monde de Mars aussi complè-
tement que le permet l'état actuel de la science, nous pouvons,
avant de le quitter, nous demander comment se présente le spec-
tacle de l'univers extérieur vu de ce sJjour.
I.A TERRE Vl'F. DE MARS 201
Et d'abord, sans Ix-ancoup do frais d'imiiuinatidu, iimis iumvons
nous représîMitor la fii^uro que les haliitantri de Mars devaient suji-
poser à l'univers à l'époque qui correspond à eellc d'Aristote, de
Plojriiir'e et du uKU'eu-àgi' sur la Terre. Oui sail luèim' s'ils ont pu
l'oniiue nous s'rdi'ver aii-dessns des apparences eL constater la réa-
lité du uiouvenient de leur planète autour du Soleil? C'est proliaMe,
puisque sans doute ils sont plus anciens que nous sur la scène du
monde et par conséquent plus avancés, (juoiqu'il en soit, ils ont
naturellement commencé par croire leur planète imiuoliile au
centre du monde, par s'imaginer que l'univers entier gravitait autour
Fig. 92. — Marche de la Terre, étoile du malin, dans le ciel des habitanls de Ma
d'eux, et par se considérer comme le pivot et le but de la création.
L'idée d'un être suprême, créateur du ciel et de Mars, et l'idée
corrélative de l'adorer régnant « au plus haut des cieux », sont si
naturelles qu'elles ont dû naître dans cette humanité comme dans
la nôtre, ainsi que ccdle d'une [)uissance du mal et des enfers. Pour
eux, évidemment, leur monde à eux constituait le monde entier,
comme aux temps de Bouddha, de Moïse, de Josué, de Jésus-Christ,
de Mahomet et du concile de Trente. Ils auront classé les astres dans i^
l'ordre de leur révolution apparente autour d'eux, d'abord leur pre-
mière lune, ensuite leur seconde, au-delà, Vénus, la Terre et le
Soleil, ou peut-être, comme chez les Égyptiens, le Soleil accompa-
gné de Vénus et de la Terre \Mercure n'y est pas visible à l'uMI nu à
TEnUES DU CIEL SSO
LA TERRE VUE DE MARS
cause de son voisinage du Soleil). En revanche, plusieurs d'entre les pe-
tites planètes, notamment Vesta, Junon, Gérés, Pallas, Méduse, Flore,
Âriadne, ^Ethra, sont visibles. Jupiter, Saturne et Uranus (bien
visible pour eux) complètent leur système du monde, encadré dans
le ciel des étoiles fixes et enveloppé par l'empyrée ou Séjour des
Bienheureux. S'il nous était jamais donné de découvrir quelque
monument de la littérature de Mars, c'est sans doute un dessin ana-
logue à celui de la figure 91, que nous rencontrerions dans la pous-
sière des siècles disparus. Aujourd'hui ils doivent savoir que leur
planète n'est qu'une fourmillière comme la nôtre. Qui sait, pour-
tant! les erreurs ont la vie dure : quand le temps ne les détruit pas,
il les embaume.
Sur cette planète comme sur la nôtre, les religions ont eu pour
base l'astronomie, car la métaphysique elle-même doit être fondée
sur la physique : il faut une base aux édifices, quels qu'ils soient.
Le ciel physique a tracé le cadre du ciel métaphysique. La Terre a
d'abord pris place avec Jupiter, Saturne et Vénus parmi les divinités
qui semblaient présider aux mouvements des choses et aux desti-
nées des êtres. Puis, sans doute, une religion plus idéale aura ima-
giné des esprits, des anges et des saints, trônant dans un ciel divin,
au-delà des étoiles fixes, et la conception de la vie future se sera
mise en harmonie avec l'épuration des idées. Lorsque la science eût
démontré aux habitants de Mars que leur planète n'est pas fixe au
centre de l'univers, qu'elle n'a pas été l'objet d'aucun privilège
spécial de la part d'un Créateur qui aurait préféré ce globule au
reste de l'univers, et qu'elle n'est, comme la Terre et nos com-
pagnes, que l'une des provinces de l'universelle patrie, alors les
religions prétendues révélées ont disparu, comme celles de la Terre,
à la lumière du soleil levant, les esprits éclairés ont contemplé la
création dans sa vraie grandeur, et la philosophie rationnelle a régné
à la place de l'antique erreur. Ainsi, sans doute, le progrès de la
pensée a suivi, sur Mars comme sur la Terre, le progrès de l'astro-
nomie.
Quel est l'aspect de l'univers, vu de cette station voisine ? Les
habitants de Mars n'habitent pas plus le ciel que nous, et nous l'ha-
bitons comme eux, ni plus ni moins. Comment voient-ils la Terre?
Vu de Mars et de ses satellites, le ciel étoile est le même que celui
LA TERRE VUE DE MARS
qui scinLille sur nos têtes : les mêmes étoiles y attirent le regard et
la pensée, les mêmes constellations y dessinent leurs mystérieuses
figures. Mais si les étoiles sont les mêmes, les planètes diffèrent,
comme nous venons de le voir. Jupiter, entr'autres, est magnifique
pour eux : il leur parait une fois et demie plus grand qu'il ne
nous paraît, et ses satellites doivent y être facilement visibles à
l'œil nu. Saturne est également très brillant ; leurs deux pe-
tites lunes, aux phases rapides et aux éclipses fréquentes, ajoutent
au ciel de Mars un attrait particulier. Quelquefois, le soir, on admire
après le coucher du soleil une étoile lumineuse qui se dégage lente-
ment des rayons solaires pour venir régner en souveraine dans les
cieux. Cette belle planète, qui leur offre les mêmes aspects que
Vénus nous présente, et dont la douce lumière a reçu aussi, sans
doute, bien des regards d'admiration, bien des confidences, bien
dos serments de l'adolescent amour, cette belle planète : c'est la
Terre où nous sommes. Les poètes de là-bas la chantent comme
une divinité propice et saluent en elle un séjour de paix, de science
et de bonheur. Les astronomes auront découvert nos phases; peut-
être auront-ils mesuré la hauteur de nos Alpes et de nos Cordillières ;
peut-être connaissent-ils exactement notre géographie et notre
méléorologie; peut-être nous font-ils depuis longtemps des signaux
auxquels ils sonl étonnés que nous ne sachions pas répondre; peut-
être ont-ils conclu de leur long examen que la Terre est inhabitable,
parce qu'elle ne ressemble pas complètement à leur monde, et décla-
rent-ils que leur patrie est le seul séjour organisé pour une vie
agréable, idéale et intellectuelle.... Après tout, ils ont peut-être rai-
son, car (entre nous) notre humanité prise en bloc ne prouve pas
encore par ses actes qu'elle se soit élevée au rang d'une race vérita-
blement intellectuelle.
La plus grande élongation de la Terre pour les habitants de Mars
arrive lorsqu'elle forme un angle droit avec le Soleil, dans le voisi-
nage de son aphélie, Mars étant à son périhélie. L'angle formé par
cette position est de 48°. Nous sommes alors pour cette planète
une étoile brillante, offrant un aspect tout à fait analogue à celui
que Vénus nous offre à nous-mêmes, précédant l'aurore et suivant
le crépuscule.
Nos lecteurs ont pu remanruer dés les premières pages de cet ou-
LA TF.r.RK VVE DK MARS
vniL'c [[). I.'!' l'aspi'ct dt" 1,1 Terre Iirillaut dans le ciel de Mars cuumiG
une belle étoile suivant le coucher du soleil.
Les astronomes de cette planète peuvent observer h Terre |(anni
les constellations, comme ni ms observons Vénus. Ainsi, par exemple,
les Reçues astro/iomà/aes de Mars ayant à annoncer à leurs lecteurs
le mouvement de la planète Terre dans le ciel pendant l'année 1884,
auront pul)lié la figure précédente [fig. 92), que nous avons pu du
reste calculer nous-mêmes sans aller sur Mars. En ce moment,
(novembre 1883), la Terre est étoile dit soir; elle passera derrière
le Sideil le 4 février, s'^ dégagera ensuite de ses rayons, et brillera.
étoile du matin à partir du mois de mars. Elle suivra alors devant
les étoiles la route tracée sur notre petite carte, traversant succes-
sivement le Bélier, le Taureau et les Gémeaux; nous passerons le
10 avril sous les Pléiades. Notre planète arrivera le 7 mai à sa plus
longue élongation occidentale (37*37'), et elle restera étoile du matin
jusqu'en octobre; le l" octobre, elle ne se lève plus que 1 heure
20 minutes avant le Soleil. Quels astronomes nous observent? Quels
noms donnent-ils à notre planète, à Orion, à Sirius, qui brillent là
comme ici, et parmi lesquels nous planons, astre du ciel, mystère
de l'infini!
Ajoutons encore que si les habitants de Mars ont inventé des ins-
truments d'optique, la plus petite lunette suffît pour faire recon-
LE MONDE DE MARS
naître les phases de la Terre et montrer notre planète sous un aspect
analogue à celui de la petite figure ci-dessus (93).
Voici donc, en résumé, le tableau des connaissances que nous
avons acquises sur ce monde :
ÉTAT PARTICULIER DU MONDE DE MARS
Durée de l'année Un an terrestre et 332 jours.
Durée de la rotation 24 heures 37 minutes 23 secondes.
Durée du jour et de la nuit 24 heures 39 minutes 35 secondes.
Nombre de jours dans l'année. . 668.
Révolution appar. du 1" satellite. H heures.
Révolution apparente du second. 5 jours 8 heures.
Saisons Analogues aux nôtres, mais deux fois plus longues.
Climats Trois zones géographiques comme ici.
Alniosphère Analogue à la nôtre.
Température moyenne Peu différente de la nôtre. .Même météorologie.
Densité des matériaux Plus légère qu'ici = 0,092.
Pesanteur Presque 3 fois plus faible qu'ici = 0,374.
Dimensions de la planète Plus petite que la Terre. Diamètre = 0,S40 = 68oO ki-
lomètres.
Tour du monde de Mars 21 oOO kilomètres ou 5375 lieues.
Géographie Continents coupés de Méditerranées. Plus déterres
que de mers.
Météorologie Analogue à celle de l'atmosphère terrestre.
Vie Probablement peu différente de la nôtre. Habitants
sans doute plus légers, plus agiles, et vivant plus
longuement.
Diamètre du Soleil Un peu plus petit que vu d'ici = 21'
Diamètre de la première lune. . . 6'.
l'iamètre de la seconde lime . . 2'.
Aspect de la Terre Rrillante étoile du matin et du soir, un peu plus
petite que Vénus nous parait. Disque de 58".
Telle est la physiologie générale de cette planète voisine.
L'atmosphère qui l'environne, les eaux qui l'arrosent et la ferti-
lisent, les rayons de soleil qui réchauffent et l'illuminent, les vents
qui la parcourent d'un pôle à l'autre, les saisons qui la transforment,
sont autant d'éléments pour lui construire un ordre de vie analogue
à celui dont notre propre planète est gratifiée. La faiblesse de la
pesanteur à sa surface a dû modifier particulièrement cet ordre de
vie en l'appropriant à sa condition spéciale. Ainsi, désormais, le
globe de Mars ne doit plus se présenter à nous comme im bloc de
pierre tournant dans l'espace dans la fronde de l'attraction solaire,
comme une masse inerte, stérile et inanimée; mais nous devons
LE MONDE DE MARS
voir en lui un monde vivant, peuplé d'êtres voltigeant dans
son atmosphère, orné de paysages analogues à ceux qui nous char-
ment dans la nature terrestre...; nouveau monde que nul Colomb
n'atteindra, mais sur lequel cependant toute une race humaine
habite actuellement, travaille, pense et médite comme nous,
sans doute, sur les grands et mystérieux problèmes de l;i Nature.
Quels qu'ils soient, ces êtres ne sont point des âmes sans corps
ou des corps sans âmes, des êtres surnaturels ou extra-naturels,
sans rapport avec les organismes que nous connaissons sur la
Terre. Nous devons voir là des vivants plus ou moins diiïérents de
nous par la forme, mais enfin des êtres agissant, pensant, raison-
nant comme nous le faisons ici. Ils vivent en société, sont groupés
en familles, associés en nations, ont élevé des villes et conquis les
arts; sans doute les sens de la vue et de l'ouïe n'y offrent pas de
différences essentielles (cependant le nerf optique doit y être un
peu plus sensible, parce que l'intensité de la lumière y est un peu
moindre) : et s'il nous arrivait de passer un jour non loin de leurs
demeures, peut-être nous arrêterions-nous surpris de leur archi-
tecture, ou charmés par l'écho de mélodieux accords nous rappe-
lant les inspirations musicales de nos grands maîtres. Au milieu
des variétés inhérentes aux diversités planétaires et des métamor-
phoses séculaires des mondes, nous devons voir le même flambeau
vital allumé sur toutes les terres.
La contemplation de ces autres mondes produit en nous une
impression offrant certains rapports avec celle qui résulte de la con-
templation des villes du passé. Ces mondes sont éloignés de nous
dans l'espace comme ces villes sont éloignées de nous dans le
temps, et quoique les uns comme les autres puissent nous paraître
étrangers, quoique Mars ou Vénus soient isolés de nous comme
Thèbes, Memphis ou Ninive, cependant nous nous sentons associés
à ces peuples lointains par une secrète et douce sympathie...
Un jour d'automne, par une de ces tièdes après-midi qui semblent
être le dernier sourire de la belle saison près de s'éteindre, je con-
templais à Rome, du sommet des ruines du Colisée, les monuments
de la ville chrétienne étages sur les collines, et les ruines de l'an-
tique capitals du monde répandues dans la plaine champêtre. C'est
LE MONDE DE MARS
toujours un spectacle émouvant que celui de voir ce gigantesque
Colisée, ce forum, ces arcs de triomphe, ces colonnes, ces palais,
ces thermes, ces cirques, ces amphithéâtres, autrefois inondés du
Hiix et du reflux d'une population agitée, bruyante, empressée,
aujourd'hui déserts, ruinés, silencieux, rongés par la lèpre du lierre,
isolés au milieu de terres abandonnées qui sont devenues des
champs, des pâturages ou des friches. Cet étrange panorama, volup-
tueusement éclairé par le doux ciel d'Italie, je le contemplais en
songeant au passé, et je revoyais la Rome des Césars en ces années
de prospérité et de luxe où ses moindres fantaisies étaient les oracles
du monde ; les orateurs plaidaient dans ce forum, la foule se préci-
pitait à travers ces voies, les armures, les boucliers et les casques
resplendissaient au soleil, les chars circulaient acclamés sous ces
arcs de triomphe, et parmi ces bosquets jonchés aujourd'hui de
fragments de marbre rose, on voyait courir, légères, les folâtres
reines de la mode et du plaisir.
0 splendeurs évanouies d'une gloire qui se croyait immortelle!
Maintenant, de toutes ces antiques grandeurs il ne reste que de la
poussière, et déjà même ont disparu les noms et les souvenirs. Le
même soleil illumine ces collines, cette vallée, ce Tibre, ce forum,
comme il les éclairait autrefois; mais, au lieu de palpiter en teux
étineelants sur le mouvement et sur la vie, ses rayons glissent
aujourd'hui comme des regards mélancoliques à travers les ruines,
les broussailles et le silence de la mort.
Assise à mes côtés, le coude appuyé sur l'un des gradins de la
terrasse supérieure du colossal amphithéâtre, ma belle et gracieuse
compagne laissait ses yeux brillants errer au loin sur la campagne
romaine, dans l'attitude de contemplation rêveuse qui la domine
lorsqu'elle plane avec moi dans la nacelle de l'aérostat céleste.
Souvent nos regards se rencontraient; nous n'avions besoin d'aucune
parole pour sentir que nos impressions et nos pensées, devant ces
ruines du vieux monde, vibraient à l'unisson, comme les battements
de nos cœurs.
ce Oui ! me dit-elle, en rompant la première le silence, voilà
pourtant ce qui reste de la gloire la plus éclatante qui ait jamais
brillé sur la Terre ! voilà ce qu'on ose décorer encore aujourd'hui du
titre de Ville éternelle! Ville éternelle/ le voyageur errant ici à
LE MONDE DE MARS
son tour dans quinze ou vinj^t siècles cherchera les ruines de Saint-
Pierre et du Vatican, comme nous cherchons en ce moment celles
des temples des anciens dieux de l'Olympe; et dans les siècles
futurs on cherchera la place où Rome aura régné, comme on cherche
aujourd'hui celle de Troie ou de Babylone. »
— a Nations, patries! répondis-je; croyances, religions, temples,
palais, tout passe! et la Terre elle-même, et les cieux... Mais la vie,
la jeunesse, l'amour, ne passent pas...
« La vie, la jeunesse, l'amour, continuai-je, brillent sur tous les
mondes et répandent leuïs fleurs dans l'Univers entier. Tandis que
les trônes chancellent, que les autels s'écroulent, que les volcans
vomissent leurs entrailles, que des continents s'effondrent et que
des planètes entières tombent dans la nuit infinie, le feu d'une
jeunesse éternelle circule toujours à travers la Nature! Tant que
durera l'humanité terrestre, la femme de trente ans tiendra le
monde sous le charme de sa complète beauté, sans jamais vieillir
d'une année; tant qu'il y aura des astres dans l'infini, l'amour
'brillera sur chacun d'eux, plus éblouissant et plus ardent qu'eux-
mêmes. Voilà ce qui vivra toujours, toujours!
a Ce feu divin brille sur Mars, il brille sur Vénus, il brille sur
Saturne; la Nature elle-même en est l'immortelle vestale, et c'est
la seule flamme qui ne doive jamais s'éteindre. Vie universelle,
vie immense, vie prodigieuse : ses effluves embrasent toutes les
sphères. Tout à l'heure le spectacle de Rome semblait disposer nos
âmes à la mélancolie en nous montrant les ruines envahissant len-
tement toutes choses; il nous semblait môme, en entendant les
litanies de cette procession de moines qui vient de s'agenouiller
devant ces stations de calvaire disséminées dans les ruines, que leurs
prières, en s'élevant vers le ciel, nous y découvraient des phalanges
de trépassés : rois, papes, pontifes, vierges, religieux, martyrs,
confesseurs, rangés là-haut immobiles pour l'éternité... Mais, par
une autre marche de raisonnement, due pourtant à la contemplation
de ce même spectacle, nous arrivons au contraire à reconnaître en
ces régions de l'éternité : la vie au Lieu de la mort, — l'activité
au lieu de la catalepsie, — les impressions variées de l'existence
humaine, au lieu des royaumes paradisiaques ou inJernaux de
revenants pétrifiés dans leurs linceuls.
... ^atlon5, (lalnes, religions, temples, palais, tout passet,^
TERRES DU CIEL 27
LES TERRES DU CIEL
« Oui! tout ce qui vit ici, vit aussi ailleurs, sous mille formes
variées, dans les intarissables épanchements de roraanisme uni-
versel...
« Sur ces mondes, comme sur le nôtre, il y a des cités assises
à tous les étages de la gloire et de la puissance; là, comme ici, il y
a des Rome, des Paris, des Londres, des autels et des trônes, des
temples et des palais, des richesses et des misères, des splendeurs
et des ruines. Et peut-être que du haut des vestiges séculaires d'une
antique capitale, il y a en ce moment sur la planète Mars un couple
amoureux contemplant les témoignages de la grandeur et de la
décadence des empires, et sentant qu'à travers toutes les méta-
morphoses du temps et de l'espace, la Vie éternellement jeune
domine dans l'univers, régnant à jamais sur tous les mondes, et
versant une jeunesse sans fin par les rayons d'or de tous les soleils
de l'infini! »
LIVRE II
NOTRE JEUNE SCEUR LA PLANÈTE VENUS
9
LIVRE II
NOTRE JEUNE SCEUR LA PLANÈTE VÉNUS
CHAPITRE PREMIER
Traversée de Mars à Vénus. — L'étoile du soir. — Aspect de Vénus
à l'œil nu. — Connaissances des anciens sur cette planète.
Nous avons commencé notre voyage céleste par le pays vers
lequel les investigations télescopiques orientaient le plus sûrement
nos pas, par le monde que sa situation dans l'espace expose le plus
directement à nos observations et à nos études, par notre voisine
la planète Mars. Cette planète gravite, comme nous venons de le
voir, au delà de l'orbite de notre propre patrie, et maintenant, pour
aller visiter Vénus, nous devons revenir sur nos pas, nous arrêter
un instant sur la Terre, et nous diriger du côté du Soleil (').
(1) Lanliqiu' mvlholoj^ii' no iiiaïKniuit pas ircsprit, et si nous no savion.s qu'à son
époque la Terre était supposée au contre ilu monde, nous pourrions croire que ce
n'est pas sans raison qu'elle a donné aux deux planètes entre lesquelles nous errons
les qualifications qui les caractérisent. Depuis qu'elle est au monde, notre étrange
espèce ne i,'ravite-t-elle pas, eu effet, entre Mars et Vénus: ne passe-t-elle pas une
niKitiéde son temps dans les batailles et l'autre dans les guirlandes de Cypris? La
statistique montre que depuis la guerre de Troie, triomphe inoubliable de la belle
Hélène, l'humanité n'est pas l'ucorc restée une seule année sans guerre. Mars détruit
re que Vénus produit, et réciproquement Vénus so hâte sans trêve de combler tous les
vides. Singulière planète!...
I»K M Ali S A VÉKt'S
Replaçons, en effet, sous nos yeux, le petit plan du système solaire
relatif aux planètes voisines de l'astre ilhuninateur, nous Ynyuus
que la Terre gravitant entre Mars et \ènus, après avoir visité
Mars, nous devons traverser l'orbite terrestre pour arriver à celle
de Vénus : Mars circulant à la distance moyenne de 56 millions de
lieues et la Terre à 37 millions, Vénus circule, dans une orbite
intérieure, à la distance moyenne de 26 millions. Elle est donc plus
proche de nous que le monde de Mars; mais nous la connaissons
^,^.s et Neptune. ,^^^
Fig. 9G. — Plan du système solaire pour les planètes voisines du Soleil.
moins bien cà certains égards, nos études sont moins avancées en ce
qui concerne sa géographie et sa météorologie, parce que nous la
voyons moins bien. Il suffit, en effet, de se reporter encore à ce
même petit plan pour remarquer que lorsque Vénus se trouve à
sou minimum de distance, à son plus grand rapprochement pos-
sible, c'est lorsqu'elle passe entre le Soleil et la Terre. Mais,
évidemment, dans ce cas, tout son hémisphère éclairé étant tourné
du côté du Soleil, nous n'avons de notre côté que son hémisphère
obscur, et par conséquent nous ne pouvons rien voir de sa surface.
Nous ne voyons cette surface éclairée par le Soleil que lorsque la
planète forme un angle plus ou moins grand avec cet astre et nous
LA PLANÈTE VÉNUS
et se trouve, par conséquent, à une distance sensiblement supé-
xrieLire à son mouvement. Pratiquement, pour observer la surface
de Vénus, il faut que sa distance soit non pas de 1 1 millions de
lieues, mais de 14, 15 ou davantage; de telle sorte qu'en fait elle
n'est pas plus proche de nous que son émule guerrière lorsque
ses conditions d'observations peuvent être fertiles en bons résultats,
exception faite de l'étude spéciale des passages de Vénus devant le
Soleil et de celle de son atmosphère.
Nous pouvons, sans métaphore, la qualifier de « notre jeune
sœur », car, selon la théorie cosmogonique la plus probable, les
planètes se sont détachées de la nébuleuse solaire dans l'ordre
inverse de leurs distances au Soleil, les plus éloignées étant les plus
anciennes. Vénus est donc née après la Terre, et Mercure est plus
jeune encore.
Ainsi, la première cité céleste que nous rencontrons dans notre
voyage, en quittant la Terre et en nous dirigeant vers le Soleil, c'est
la ville sidérale consacrée depuis les premiers cages du monde à la
blonde déesse de la beauté et de l'amour. Blanche et brillante étoile
du soir, allamée la première après le coucher de l'astre-roi, elle a
frappé les premiers regards qui se sont élevés vers le Ciel, a été
la confidente des cœurs et la divinité tutélaire des douces espé-
rances; et si les premiers autels ont été élevés au Soleil, dieu du
jour, et à la Lune, divinité de la nuit, la première étoile admirée
et adorée a été la douce étoile du berger. Ses rayons célestes se
sont mariés à bien des regards rêveurs, et l'éternelle adolescence de
l'amour a voyagea travers le monde sous sa bénédiction lointaine.
Qui ne se souvient de l'invocation du chantre de lioUa à la belle
planète :
Etoile qui descend sur la verte colline,
Triste larme d'argent du manteau de la nuit,
Toi que regarde au loin le pâtre qui chemine
Tandis que pas à pas son long troupeau le suit.
Étoile! où t'en vas-tu dans cette nuit immense?
Cherchcs-tu sur la rive un lit dans les roseaux?
Ou t'en vas-tu, si belle à l'heure du silence,
Tomber comme une perle au sein profond des eaux?
Ah! si tu dois mourir, bel astre, et si ta tête
Va dans la vaste mer plonger tes blonds cheveux,
Avant de nous quitter, un seul instant arrête :
Etoile de l'amour, ne descends pas des cieux!
VÉiNUS VUE A L'OEIL NU
Mais ne nous attardons pas, même dans les sentiers les plus
fleuris, ot observons Vénus en astronomes.
Nous avons vu qu'elle est placée entre Mercure et nous, puisque
Mercure est la première et la Terre la troisième des provinces de
la grande république solaire. Tandis que Mercure tourne autour
de l'astre du jour à la distance de 14 300000 lieues, et notre monde
à la distance de 37 000 000, Vénus gravite à la distance de 26 760 000
lieues.
C'est pour nous l'astre le plus brillant du ciel. Son orbite étant
inférieure à celle de la Terre, et beaucoup plus petite que la nôtre,
Vénus reste toujours, comme Mercure, dans les environs du Soleil,
dont elle nous réfléchit la lumière avec une grande vivacité
d'éclat; mais elle peut s'éloigner de lui beaucoup au delà de la
plus grande élongation de Mercure. Lorsqu'elle se trouve dans la
moitié de son orbite qui précède le Soleil, elle se montre le matin
à l'orient, avant le lever de l'astre radieux, le précédant plus ou
moins, selon sa distance angulaire, tantôt de une heure, tantôt
de deux heures, tantôt même de trois heures. Aussi l'a-t-on, dès
une haute antiquité, distinguée sous les noms d'étoile du matin,
de Lucifer. — Lorsqu'elle se trouve dans la moitié de son orbite
qui suit le Soleil, elle se montre le soir à l'occident, allumée dans
le ci'èpuscule avant tous les autres astres du firmament, et restant
en retard sur le Soleil, de une, deux ou même trois heures, suivant
sa distance angulaire à cet astre. C'est ce qui l'a fait nommer
aussi étoile du soir, Vesper, et qui lui a donné son nom plus
populaire encore d'étoile du berger. Parmi les anciennes men-
tions, remarquons entr'autres celle du grand orateur romain :
« Stella Veneris , quse Lucifer dicitur cum antegreditur
Solem, cum subsequitur autem Hesperus » (').
Il est certain que c'est la plus anciennement connue de toutes
les planètes, d'abord parce que c'est la plus brillante, ensuite
parce que c'est la plus remarquable par ses mouvements. Comme
elle tourne en 224 jours autour du Soleil, elle ne reste pas
deux semaines de suite à la même place. Dès l'époquu inconnue
où l'humanité terrestre commença d'élever les yeux au ciel,
(') Cicéron, De naiurà deorum, lib. II.
l/ÊTOlLK 1 V BEKGKll.
TERRES DU CIEL.
2â
VÉNUS DANS L'ANTIQUITÉ
et chercha les moyens de se former une mesure du temps, de
se diriger dans ses émigrations, de régler ses fôtes patriarcales,
elle ne put s'empôcher de remarquer avant toute autre planète
celle qui s'allumait la première dans les cieux et paraissait
l'avant-courrière du cortège de la nuit. C'était la plus blanche
et la plus douce des étoiles : on la proclama déesse de la beauté
et de l'amour. Le signe 9 sous lequel nous la représentons
depuis le moyen âge paraît symboliser un miroir. (Cet objet n'est-il
pas, en effet, l'attribut le plus caractéristique de la femme?)
Peut-être aussi est-ce le signe de la vie, l'attribut de la fécondité,
formé par la réunion primitive d'un trait droit et d'un petit cercle :
dans les hiéroglyphes égyptiens, la croix ansée est le symbole de la
vie; elle désigne le Capricorne, dans les signes du zodiaque, et il
semble que l'une des divinités qui la portent à la main, sur le?
monuments égyptiens de l'époque romaine représente la planète
Vénus en diverses attitudes.
Depuis combien de milliers d'années Vénus est-elle connue?
Nous retrouvons son nom et son culte dans toutes les langues
anciennes. Mais il a fallu une longue série de remarques pour
constater que l'étoile du matin et l'étoile du soir ne sont qu'un
seul et môme astre, dont les apparitions sont successives. Il
est même probable que dans cette œuvre d'identification, les
apparitions de Mercure ont dû nuire et retarder la découverte de
la vérité. Aussi voyons-nous qu'en effet les cultes et les attributs
de Mercure et Vénus sont parfois confondus.
Pythagore paraît être le premier chez les Grecs qui ait enseigné
l'identité de Vénus et d'Hesperus, identité dont il avait sans doute
puisé la connaissance en Orient.
Elle est la seule planète dont Homère ait parlé; il la désigne
par l'épithète de Callistos, la Belle :
Esnepoî, S« xàXXioxo; tv oùpavi}) «iTaTai aiTiip.
Vesper, le plus bel astre étincelant dans le Ciel (')
Dans un autre chant de VIliade ('), Homère parle encore de
(«) Iliade, XXII, 318.
(«)/6., XXIII, 226.
VÉNUS DANS LANTIUL'ITÉ
Vrnus (( rétoile inatinale », E^s^opo;, (jui auiioncc l,i lumière aa
monde et parait suivie de l'Am'ore.
Ou lit aussi dans la Bible ces mots qui paraissent se i'ai)[>oil(n'
à Vénus : k 0 Luciler, loi qui paraissais si brillant au [Kjiut du
jour! » [']
Chez les Égyptiens, elle èUiii nommée P-)ioi/(('i--/iani/, le dieu
du matin, et « Vennou hesiri », l'oiseau Vennou d'Osiris. Les
hiéroglyphes la représentent sous la forme de cet oiseau, et aussi
sous celle d'une étoile accompagnant le symbole d'Osiris. Nos lec-
Fig. 98. — Hiéroglyphe égyptien représenlanl la planète Vénus « l'Oiseau d'Osiris. »
teurs trouveront ici l'un de ces hiéroglyphes, qui est bien (;aractô-
ristique.
Chez les Indiens, Vénus était appelée Sukra, c'est-à-dire
l'éclatante, Daitya-Guru, la souveraine des Titans. Chez les
Babyloniens, elle portait le nom d'Anadid, mot écrit plus tard
Nana dans le livre des Machabées (^) et Nahit dans les Actes des
martyrs. On l'appelait Nahid chez les Persans. Chez les Arabes,
elle portait le nom de el Zohra, qualification qui appartient à la
même racine que l'hébreu Zohar, « splendeur du ciel ». Dans les
livres religieux des Sabéens, elle est nommée « tlamme, clialeur,
esprit ». Sa qualification orientale ordinaire était « la lumineuse ».
Il y a bien des siècles que son nom a été donné par les astronomes
chaldéens au sixième jour de la semaine, le vendredi : Voifris
dies.
Phosphoros, Lucifer; Espéros, Vesper; Vénus, Junon, Isis, sont
les noms mythologiques qui la désignaient il y a trente siècles et
plus.
Parmi les tablettes assyriennes brisées dont nous avons parlé à
propos de Mars (p. 79) et dont la rédaction orig-inale remonte au
moins au XVIP siècle avant notre ère, on remarque des observa-
(') Isaie, XIV, 12.
(') Liv. I, chap. V, 13 l't 13
VÉNUS DANS L'ANTIQUITE
lions (le Vénus faites à cette époque en Babylonie, et notamment le
fragment suivant:
LA PLANÈTE VÉNUS
ELLE PASSA A TRAVERS
LE SOLEIL
A TRAVERS LA FACE DU SOLEIL.
Il serait assurément difficile de rétablir aujourd'hui les mots
absents. Mais la dernière ligne surtout semble bien indiquer qu'il
s'agit de l'observation d'un passage de Vénus devant le Soleil,
observé en Babylonie il y a plus de 3500 ans. — Ces passages
peuvent être observés à l'œil nu. Mais le fait seul de suivre ainsi
régulièrement le cours d'une planète, même en ses passages devant
le Soleil, dénote une organisation astronomique plus avancée qu'on
ne serait porté à le croire pour une époque aussi reculée.
Nous possédons aussi une ancienne observation datée. Elle est
de l'année 685 avant notre ère, provient aussi des astronomes
babyloniens, et est également conservée sur les tablettes de terre
cuite qui sont au British Muséum (').La voici:
« Le 25 du mois de Thamuz, Vénus cessa d'être visible à l'ouest, rest^
invisible pendant sept jours, et le 2 du mois d'Ab elle reparut à l'orient
— Le 26 du mois d'Ellul, Vénus cessa de paraître à l'occident, resta
invisible pendant onze jours, et le 7 du deuxième EUul on la revit
à l'est. »
Ptblémée nous a conservé dans V Almageste plusieurs observa-
tions égyptiennes de la môme planète, dont la plus reculée date
du 17 Messcri de la 13' année du règne de Ptolémée Philadelphe,
la 476° année de l'ère de Nabonassar, date qui correspond au
12 octobre de l'an 271 avant notre ère : c'est une conjonction de
Vénus avec une étoile de la Vierge, avec l'étoile yj, qu'elle a éclipsée.
A ces époques lointaines, les hommes vivaient beaucoup plus
que nous au milieu de la nature et suivaient plus attentivement
les grands spectacles que nous offrent le Ciel et la Terre. Aux
observations purement scientifiques s'ajoutaient d'ailleurs les
déductions singulières qu'on en tirait au point de vue astrologique
(') Voy. Montly Notices, ]mn 18G0
VÉNUS DANS L'ANTIQUITÉ
fîUr l'influence des aspects célestes dans les affaires humaines.
Les Égyptiens avaient reconnu que Mercure et Vénus tournent
autour du Soleil, système qui, développé, conduisit Copernic à
placer l'astre du jour au centre de toutes les orbites planétaires (').
Combien il est intéressant pour nous de retrouver aujourd'hui
les antiques vestiges de ces usages disparus et de relire, sur les pièces
originales, les lignes écrites du temps de Jésus-Christ, de Trajan ou
de Marc-Aurèle ! Les langues se sont éteintes, les idées ont changé,
les hommes ont disparu, les pays ont perdu leurs noms, le temps a
tout emporté dans sa marche; mais les symboles astronomiques sont
restés, avec la pensée de nos aïeux incarnée dans ces symboles. A
l'époque dont nous parlons, l'astrologie régnait en souveraine sur
toute la contrée arrosée par le Nil; les applications astronomiques
étaient mêlées à tous les usages de la vie, aux naissances, aux
mariages, aux ensevelissements et aux funérailles ; les astrologues
étaient aussi nombreux que les prêtres aujourd'hui, et, avec bonne
foi également, ils interprétaient les apparences célestes qu'ils avaient
appris à commenter dans leur éducation au séminaire. On a retrouvé
quelques-uns de leurs petits cahiers sur lesquels ils inscrivaient
avec soin les positions des planètes dans les constellations zodia-
cales, afin d'avoir sous la main ces positions pour le calcul des
horoscopes. Un savant archéologue allemand, M. Henri Brugsch, a
eu, sur ce point, la bonne fortune de posséder quatre petites tablettes
de bois garnies de plâtre, sur lesquelles, au verso comme au recto,
sont inscrits, à l'encre noire et rouge, des tableaux disposés en
colonnes. Un côté de la bordure de ces quatre tablettes est percé
en trois endroits de deux trous, ce qui fait croire que dans l'origine
(') S'il fallait on croire le témoignage de l'antiquité, la planète amoureuse aurait subi
des modifir;; jo i'^ extraordinaires. Saint-Augustin {Cité de Dieu, liv. XXI, chap. viit), rap-
porte, d'après Varron, qu'elle aurait changé de couleur, de grandeur, de ligure et de
cours. Ce fait serait arrivé du temps du roi Ogygès, dont le déluge asiatique a conservé
le nom, vers l'an 1796 avant l'ère chrétienne.
Ce récit de Varron n'offre pas assez de garanties pour être admis. Si le souvenir des
peuples a vraiment conservé quelque trace d'un événement analogue, il n'est pas néces-
saire d'attribuer de pareils changements à la planète (ils seraient d'ailleurs impossibles
quant au changement de cours); mais on peut les expliquer en admettant qu'une
comète s'est montrée le soir au couciiant quelques jours après que Vénus eut disparu
vers sa conjonction, qu'on l'a prise pour Vénus elle-même, et qu'on a attribué à ceU»»-
c' les aspects plus ou moins bizarres de la comète.
VÉMS DANS 1, AMiyl m-;
elles étaient liées par des fils, de manière à former une sorte de
livre. Ces tablettes ont été rapportées d'Égyiite par un touriste
anglais, M. Henry Stobart, avec une collecliuii d'oJtjets d'art qu'il
recueillit en 1854.
Nous reproduisons par ciiriosilé liislori(pu' l'une de ces tablettes,
de grandeur naturelle (on voit que l'écriture en était très fine). Si
quelques-uns de nos lecteurs s'intéressaient à la lire, ce n'est pas
\)
.-^v
v>.l«î
S^ iv?
4 v-l
:. f^si
'»a
^ V _r.'^^ "^ s.n>o îsxj ^^4?-
5^-^_î^\J- |-V'^
+--< ^
i -v^tAMA I
Fig. 99. — Un maïuiscrit de dix-huit siècles, sur les positions des planètes.
absolument difficile, grâce aux découvertes de Champollion et de
Lepsius, et grâce surtout à l'application que M. Brugsch en a conclue
pour ce cas spécial. On sait que la lecture se fait non de gauche à
droite, comme dans notre écriture, mais de droite à gauche. La
première ligne de la colonne I, ainsi écrite : ^>) ^k J se lit Sewek
(Mercure). Pour lire les lignes suivantes, considérer d'abord le
VÉNUS DANS L'ANTIQUITÉ
dernier signe vers la gauche. Nous avons, en descendant, la série que
voici :
.o.
Ces lignes représentent :
etc.
= Le Verseau.
cf Les Poissons.
•f Le Bélier.
CZ Le Taureau.
^ Les Gémeaux.
^ Le Cancer
V Le Lion.
Maintenant, les signes à droite des précédents sont des chiffres
qui désignent, le premier le jour du mois et le second le mois de
l'année, et qui se lisent ainsi, à partir de la seconde ligne (la première
étant occupée par le nom de la planète) :
i.
La
Vierge.
.0.
La
Balance.
>s
Le
Scorpion.
— .
Le
Sagittaire.
^
Le
Capricorne.
*-
Le
Sagittaire.
*
Le
Capricorne.
2" ligne.
3* —
4- —
5* —
6* —
7" —
8' —
Jours.
Mois.
1
9
1"
2"
9* ligne
10* —
29
id.
If —
19
3'
12" —
9
4'
13' -
20
id.
li« —
14
5'
15' -
Jours.
Mois
9
6'
15
7-
15
id.
27
8'
7
10'
21
id.
6
ir
Ainsi, les notes inscrites sur ce carnet représentent les dates de
l'entrée des planètes dans les constellations zodiacales. Nous pour-
rions donc lire, par exemple, les premières lignes de ce petit tableau
dans les termes suivants :
La planète Mercure est entrée dans La Vierge le 1" jour du 1" mois de l'année.
— — — da-ns La Balance le 9* jour du 2' mois —
— — — dans Le Scorpion le 29' jour du même mois.
Etc., etc.
De quelle année s'agit-il? Sur ces quatre tablettes doubles, sur
VENUS DANS L'ANlIQUITE
ces huit pages, il y a 29 années d'inscrites avec les positions zodia-
cales des planètes, de l'an VIII à l'an XIX d'un règne, et de l'an I
à l'an XVII du régne suivant. Les notes dont il s'agit commencent
1 1 ans avant la mort de Trajan, c'est-à-dire l'an GV de notre ère,
et finissent 17 ans après cette mort, c'est-à-dire l'an CXXXIII.
Voici la traduction complète de cette petite tablette :
I
li PLiNÈT! IKRCIIRI
Jouri Uols Zodlugue
I 1 Vierge.
9 2 Balance.
19 — Scorpion.
19 3 Sagittaire.
i Capricor.
iO — Sagittaire.
U 5 Capric.
6 Verseau.
■28 — Poissons.
5 7 Bélier.
!7 8 Taureau.
7 10 Gémeaux.
II — Cancer.
6 11 Lion.
U PliNÈIS SiTDRNB
1 1 Balance.
1 2 Seorpioii.
U fmin mm
1 1 Lion.
i 12 Vierge.
U PLiNiTE liRS
1 1 Vierge.
12 » Balance.
27 2 Scorpion.
4 Sagittaire.
17 5 Capric.
25 6 Verseau.
3 8 Poissons.
U 9 Bélier.
2o 10 Taureau.
Il 12 Gémeaux.
II
li PUNÈIJ TÉNUS
1 1 Mon.
16 — Vierge.
10 2 Balance.
b 3 Scorpion.
29 — Capric.
21 4 Verseau
15 5 Poissons.
9 6 Bélier.
4 7 Taureau.
28 - Gémeaux.
23 8 Cancer.
18 9 Lion.
13 10 Vierge.
9 U Balance.
21 12
U PLANEII MKKCgRS
1 1 Lion.
12 — Vierge.
2 2 Balance.
21 — Scorpion.
13 3 Sagittaire.
18 5 Capricor.
5 6 Verseau.
21 — Poissons.
10 7 Bélier.
12 9 Taureau.
— Gémeaux.
12 10 Cancer.
4 11 Lion.
LAN XV
U PLlNiTS SiTDRNS
1 1 Scorpion.
III
U PUNiTI JUPITER
Jours Mois Zodiaqui
1 I Vierge.
U !Umi MARS
1 1 Gémeaux.
23 2 Cancer.
24 4 Gémeaux.
27 7 Cancer.
21 9 Lion.
12 11 Vierge
28 12 Balance.
U PL&Nm TENDS
1 t Balanco,
23 — Vierge.
1 3 Balance.
14 4 Scorpion.
U 5 Sagittaire
5 (6) Capricor.
30 — Verseau.
24 7 Poissons.
19 8 Bélier.
14 9 Taureau.
8 10 Gémeaux.
4 11 Cancer.
26 — Lion.
20 12 Vierge.
U PL&NiTE MERCURE
1 1 Lion.
8 — Vierge.
18 — Balance.
17 2 Scorpion.
4 Sagittaire.
IV
U FUtiÉIE HERCURE
Jours Mois Zodiaque
4 Capric.
5 Verseau.
6 Poissons.
8 Bélier.
9 Taureau.
- Gémeaux,
10 Cancer.
12 Lion.
L'AN XVI
U PUtliTS SiTURNE
1 1 Scorpion.
'■i 4 Sagittaire
4 9 Scorpion.
Il PHNSTE JUPITER
4 1 Balance.
H PUMilE MARS
1 1 Balance.
9 2 Scorpion.
8 3 Sagittaire.
27 4 Capric.
4 6 Verseau.
11 7 Poissons.
22 8 Bélier.
3 10 Taureau.
19 11 Gémeaux.
li PUNÉTE TÉ.fUS
8 1 Balance.
8 2 Scorpion.
27 — Sagittaire.
3 Capric.
4 Verseau.
5 Poissons.
U FUNÈTI TÉNUS
Mois
Zodlaqu<
6 6 Bélier.
1 l 7 Taureau.
10 9 Bélier.
2 10 Taureau.
16 U Gémeaux.
2 12 Cancer.
U PUKÈTI HERCURE
3 1 Vierge.
24 — Balance.
U 2 Scorpion.
16 4 Sagittaire.
3 5 Capric.
20 — Verseau.
8 6 Poissons.
8 7 Verseau.
15 — Poissons.
9 8 Bélier.
26 — Taureau.
12 9 Gémeaux.
5 10 Cancer.
U 12 Lion.
30 — Vierge.
L'AN XVII
Li PliNÈTE SiTURNE
21 1 Sagittaire.
Li PliNÈT! JUPITER
1 1 Balance.
i 2 Scorpion.
29 6 Sagittaire
14 8 Scorpion.
On voit parce tableau que les planètes sont inscrites pour chaque
VÉNUS DANS L'ANTIQUITÉ
année dans l'ordre de l'ancien sysLcme : Saturne — Jupiter —
Mars — Vé/ius — Mercure. Les identifications sont bonnes, car
elles correspondent bien aux mouvements apparents : pendant ces
27 années (la première tablette ne donne que Mercure pour
l'an VllI), Saturne n'a fait qu'un seul tour du zodiaque, car en
l'an IX il est inscrit dans le Sagittaire, et en l'an XVII du second
règne il y est revenu; Jupiter, dans le Lion l'an IX, y revient au
bout de douze ans. Ces mouvements seuls auraient suffi pour
l'identification. Mars est parfois très rétrograde. Vénus et Mercure
se déplacent dans le ciel avec rapidité. Les noms égyptiens des
cinq planètes sont respectivement :
Saturne = Hor-ka
Jupiter = Hor-sat
Mars = Hor-tos
VÉNUS = Pnouter-ti
Mercure = Sewek
Les trois premières commencent par le même nom Hor {Horus)
et sont qualifiées d'étoiles du Sud, de l'Ouest et de l'Est. Nous
avons déjà vu tout à l'heure que sur plusieurs monuments pha-
raoniques, Vénus est appelée « Venaou-hesiri », l'oiseau Vennou
d'Osiris, en même temps que « Pnouter ti », le dieu du matin.
Quant à la nature et à l'usage de ce carnet, l'auteur de ces
recherches, M. Brugsh, en a conclu que ce sont là des observations
astronomiques et non des calculs faits d'avance, comme dans nos
calendriers. Nous ne pouvons admettre cette conclusion. On n'ob-
serve pas l'entrée d'une planète dans un signe du zodiaque, par la
bonne raison que les limites des constellations zodiacales ne sont
pas marquées dans le ciel. Tout ce qu'on pourrait observer, ce serait
la conjonction des planètes avec les étoiles, et ce n'en est pas le cas
ici. D'un autre côté, quand on observe, on ne peut pas suivre l'ordre
théorique du placement des planètes dans un système. En troisième
lieu, la forme même de ce petit carnet ne rappelle en rien un
registre d'observation. Serait-ce un recueil d'èphémérides calculées
d'avance? Pas davantage, sans doute, car on ne calcule pas d'avance
28 années d'èphémérides. Et pourquoi les aurait-un calculées
TERRES DU CIEL. 29
VENl'S DANS l/AiNTMJlITE
d'avance? Ces not(!s ne peuvent pas servir à, des observations,
puisque les positions précises n'y sont pas indiquées.
Ni>us [)ensons que ce uc, pouvait être là que le carnet d'un astro-
logue, donnant les positions zodiacales passées des planètes, pour
servir à la construction des horoscopes. Il aura été écrit en l'an
GXXXIII de notre ère. Ces positions rétrospectives étaient indispen-
sables, entre autres, pour les théines astrologiques que l'on plaçait
souvent dans les momies et qui se rapportaient à la naissance et aux
I)rincij)aux actes de la vie des morts.
Dès cette époque, les planètes avaient les domiciles suivants :
Cancer
Gomcaus
Ta
Bélier
Poissons.
Vei
MERCURE
yTlNUH
MAR&.
JUPITER
?
Liou
V^iei-o-f
^
M-j^-e.
Balance
Scorpion
Satfi((au-c HJ— ^
f| .wrr/e.v/sJf^ C.tpiMcornc^
Le Soleil avait son domicile dans le Lion et la Liîne dans le
Cancer. En inscrivant ensuite les cinq planètes dans l'ordre de leurs
distances, on leur donnait respectivement pour domiciles les signes
du zodiaque qui leur correspondaient : comme on le voit, chaque
planète avait deux domiciles. Par la combinaison des influences
imaginaires attribuées aux planètes avec celles des constellations,
VKMS DANS L'AMiimiTI-:
on croyait pouvoir calculer los destinées individuelles ot même
guérir les maladies. Les douze signes se partageaient le corps
Fig. 100. — Fragment d'un planispht-ie du ooiiiinentcinent de noire ère : correspondance astrologique
dos planètes avec les signes d» zodiaque.
humain dans tous ses détails. L'histoire nous prouve qu'il y avait
des prêtres et des médecins qui pratiquaient l'astrologie de très
bonne foi.
.^ la même série de monuments appartient le planisphère de
VÉNUS DANS L'HISTOIRE
Bianehini, i)aLliù dans l'Histoire de l'Académie des Sciences de 1708
et qui a fait, surtout au temps de Dupuis, l'objet d'un grand
nombre de dissertations contradictoires. Quel que mutilé qu'il soit,
ce planisphère astronomique, que nous reproduisons ici {fig. 100),
est encore, par un heureux hasard, assez complet pour pouvoir
être entièrement restitué. En examinant cette figure, on remarque,
en effet, au centre, la Grande Ourse et la Petite Ourse enlacés dans
le Dragon. Autour de ce cercle central, dans un premier anneau,
sont gravés 12 animaux qui ne sont pas les signes du zodiaque, à
l'exception du Cancer : on croit reconnaître, dans ce qui n'est pas
mutilé, un chien, un crabe (ou le Cancer), un serpent et un loup (')
Sur les deux cercles suivants sont, doublés l'un au-dessus de l'autre,
les douze signes du zodiaque. Puis on rencontre un cercle noir caba-
listique orné de caractères grecs et latins difficiles à déchiffrer.
Extérieurement à cet anneau on voit une large zone sur laquelle
sont dessinées trente-six figures de décans, de style égyptien gré-
cisé, et enfin, comme circonférence extérieure, les têtes des pla-
nètes, de style grec. Les planètes restées visibles sont : Mars, le
Soleil, Vénus, Mercure, la Lune, Saturne, Jupiter : elles sont donc
placées dans l'ordre de l'ancien système : Saturne — Jupiter —
Mars — Le Soleil — Vénus — Mercure — La Lune. Il y a dans ce
planisphère trois influences artistiques bien marquées : l'ensemble
dérive avec évidence de l'astronomie grecque, et les tètes des pla-
nètes sont bien de style grec; la tète de Jupiter est celle d'un
empereur romain couronné de lauriers; trois figures au moins des
personnages sont d'origine égyptienne. Il est donc probable que ce
monument date du premier ou du second siècle de l'ère chré-
tienne — époque où, comme chacun le sait d'ailleurs, cette ère
n'existait pas f).
En examinant ces vestiges d'archéologie astronomique, nous
renouons dans notre espi'it la chaîne en apparence interrompue des
siècles passés, nous vivons un instant de la vie de nos aïeux, et la
(') On peut voir dans V Astronomie populaire un zodiaque chinois qui offre certaines
ressemblances avec cette série d'animaux : un dragon arrangé comme vestige d'un
crabe; un seupent; un cheval; etc.
(-) L'ère chrétienne n'a été imaginée que 550 ans après la mort de Jésus et adoptée
que du temps de Charlemagne.
VÉNUS DANS L'HISTOlllE
science d'Urauie nous paraît encore plus grande, d'aiw. part, plus
Uganda est sait proxmms. cwm Solcin aatecedit mane J>Mcifzi
LjuasL laceritjèrensicwrriqj. cundernsecJLutur'^cspe.ri^IijèsGenLS
sympatliique d'autre part, parce qu'elle nmis met en communication
avec les savants, les artistes, les peuseiu's (jui, avant nous, vivaient
VÉNUS DANS L'HISTOIRE
comme nous le faisons aujourd'hui, dans la contemplation des
beautés et des réalités de l'univers.
Avant d'oublier ce fragment de planisphère, remarquons encore
que la première planète de chaque section donne le titre des jours
consécutifs de la semaine :
Mars = Mardi
Mercure = Mercredi
Jupiter :^ Jeudi
Etc..
C'est évidemment par l'astrologie que les noms des planètes ont été
donnés aux jours de la semaine, et peut-être est-ce là l'origine môme
de ces jours, comme usage astrologique. Quoi qu'il en soit, c'est là
une explication à ajouter à celles que nous avons données dans
l'Astronomie populaire (p. 135), et peut-être est-ce la meilleure.
L'art nous a transmis ces divers souvenirs. Dans sa galerie
planétaire, Raphaël lui-même a pris soin de bien indiquer les
constellations favorites de chacpie planète. On peut voir sur le
dessin reproduit plus haut que Vénus, la gracieuse déesse, avait
pour signes privilégiés le Taureau et la Balance; cette gravure du
dix-septième siècle mérite d'être placée en regard de celles de Mars
et du Soleil, précédemment publiées.
Mais c'est assez nous arrêter au vestibule de l'histoire. Pénétrons
dans le sanctuaire de l'observation astronomique et faisons con-
naissance intime avec la belle planète. Est-elle aussi ravissante
qu'elle le parait? Si nous l'habitions, trouverions-nous fondés ces
regrets exprimés par le poète Moore dans les Amours des Anges :
« Oh ! disait-elle, pourquoi mon destin ne m'a-t-il pas fait naître
« Esprit de cette blanche étoile, habitant sa sphère brillante,
K Pure et isolée comme les anges, sans autre emploi que de prier,
« Et d'allumer mon encensoir au Soleil ?
Le séjour de l'astre de Vénus est-il véritablement un séjour
enchanteur? Ou bien, la blanche et mystérieuse étoile du soir
ne serait-elle pas plus belle de loin que de près?
Examinons sa situation dans la province solaire, et rendons-nous
compte d'abord de son mouvement autour du foyer central
CHAPITRE fl
Mouvement de Vénus autour du Soleil. — Phases. — Éclat.
Lumière cendrée.
Lu brillauto planète, l'étoile du malin et du soir, tourne autour
du Soleil en une révolution de 224 jours 16 heures 49 minutes
8 secondes, dans le même sens que la Terre elle-même. Telle est
la durée do son année et la première base de son calendrier. Les
années sur ce monde ne durent donc environ que sept mois et
demi. Elles sont, comme on le voit, beaucoup plus courtes que
les uôlics. Dans le même temps que nous arrivons à l'âge de vingt
ans sur notre planète, un habitant de Vénus a déjà dépassé sa
32' année; (juand nous comptons 40 ans, il en compte prés de 65;
quand nous comptons cent ans, nos voisins en comptent 162, et
ceux d(î Mercure 415! Est-ce un bien, est-ce un mal? Au point de
vue bioliigiquc connue au point de vue du progrés, cette rapidité
constitue assurément un désavantage.
L'orbite de Vénus autour du Soleil n'est pas excentrique comme
celle de Mais, mais pr(\squc circulaire et à peine elliptique :
l'excentricité n'est que de 0,U07. Si l'on représente par 1000 la
distance de la Terre au Soleil, la distance périhélie de Vénus sera
iu(li((uée par le chiffre 718, la distance aphélie par 7.28, et la
distance moyenne par 723. Exprimés en lieues, ces nombres
nous donnent :
Distaiici! pc'-rilu'-lii"
— inoyciHK'
— a|j|u'lic .
La Terre étant 1
En kilomètres.
En lieues.
0,718
100 .'tO:t 200
26 .Ï75 800
0.7-23
107 001 000
26 7oO iOO
0.T2S
107 700 000
26 '.12;; 000
La dillercnce n'est que de 350 000 lieues entre le périhélie et
l'aphélie. Si nous calculons le développement total de l'orbite,
MdllVt.MENÏ UE VKNIS AlïOlU DU SOI.tIL
nous tniuvitiis (|ih' s;i lidiniiciir est ûr KiS luillioiis de lii'iios.
l'iiis(|iif la pi;iii(''t(' Icri i)urcuui-L en v'v*'! jniirs, clli.' vuliiu,' donc
aiitnin- (lu Soleil ù raison de ToUUOU lieues pai' joiu', <iu de ;]i(3()(J
luétfes par seconde. Elle court un peu plus vite que la Terre,
la vitesse des planètes sur leurs orbites étant d'autant plus grande
((ue ces plauéfes sont plus proches de l'astre central.
Xuus pouvons nous représenter la relation qui existe entre l'orbite de
Vénus et celle de la Terre. Traçons à l'échelle d'un niiUiuiétre pour un
million de lieues, deux courbes dessinant les orbites de Vénus et de la
Terre. L'ellipticité de l'orbite de Vénus est si faible qu'elle n'est pas sensible
Vlcdpja j.
Fig. 103. — Relations entre l'orbite de Vénus et celle de la Ton
à cette échelle, mais celle de la Terre est sensible, car il y a deux millions
de lieues (soit 2""") de différence entre la distance du périhélie ^h' jan-
vier) et celle de l'aphélie (I" juillet). Le plus grand écartemeut que Vénus
puisse former avec le Soleil arrive lorsque la planète se trouve à angle
droit avec lui et nous : cette plus grande élongation est de '(8°. Aussi
Vénus peut-elle retarder le soir beaucoup plus que Mercure sur le
(uucher du soleil, et a-t-elle été connue longtemps avant lui. On peut
remanpier en même temps que Vénus passe très près de nous au moment
oia elle coupe la ligne qui joint le Soleil à la Terre.
MOUVKMliNÏ DE VKMS AirolK i)V SOLEIL
La combinaison du mouvement de Vénus autour du Soleil, en
22i jours, avec celui de la Terre en 365 jours, fait que la planète
revient au môme point tous les 584 jours; c'est ce qu'on nomme
sa révolution synodique. Le plan dans lequel Vénus se meut ne
coïncide pas avec celui de l'orbite terrestre (sans quoi la planète
passerait tous les 584 jours devant le Soleil), mais est incliné sur
lui de 3° 23'.
Si l'on voulait représenter le mouvement apparent de Vénus
Fig. ini. _ Mouvement apparent de Vénus par rapport à la Terre.
par rapport à la Terre supposée fixe, on construirait le diagramme
de la figure 104, analogue à celui que nous avons construit pour
Mars, et sur lequel on peut se rendre compte des variations de dis-
tances qui s'opèrent pendant le cycle de cette période. On voit
que la belle planète revient à sa plus grande proximité de la Terre
aux dates suivantes : déceml»re 1882, juin 1884, janvier 188G, etc.
Si l'on conçoit bien le mouvement de Vénus dans une orbite infé-
rieure à celle de la Terre, on comprendra par ce fait mèm(> ([u'elle
TERRES DU CIEL. 30
MOUVK.MENT DE VÉNUS AUTOUR DU SOLEIL
est luur il luui' étoile du matin et étoile du soir. Ainsi, elle est
passée devant le Soleil, le 6 décembre 1882, après avoir été étoile
du soir; ;ï partir de cette date elle s'est écartée du Soleil, pour devenir
étoile du matin, tourner autour de lui et aller passer derrière lui
le 20 septembre 1883 : c'est ce qu'on appelle sa conjonction supcV
rieure. A partir de cette date, elle s'écarte de nouveau du Soleil,
devient étoile du soir, revient vers nous et, de mois en mois, lirille
dans le ciel du crépuscule pour régner en souveraine pendant les
soirées d'avril, mai et juin 1884. Puis elle se rapprochera du Soleil
pour passer entre la Terre et lui (mais non juste devant lui) le 1 1 juil-
let; c'est sa conjonction inférieure, qui arrive 294 jours après la
conjonction supérieure. La plus grande élongation peut atteindre 48°,
et la planète peut alors se coucher après le Soleil, ou se lever avant
lui avec une différence de quatre heures et demie. Sur ce cycle de
584 jours ou de 19 mois et demi, Vénus est invisible en moyenne
pendant quatre mois (un mois avant et après chaque conjonction), et
visible pendant sept mois comme étoile du soir ou comme étoile du
matin. On a toujours, à peu près, la répétition du cycle suivant •
CYCLE DU MOUVEMENT UE VENUS
Conjonction inférieure .... 6 décembre 188-2. , \ Invisible.
■' 71 jouis.) .
PI. gr. élongation du matin . 15 février 1883. ! 290 jours. \ Etoile du matin.
Conjonction supérieure ... 20 septembre 1883. \5S1 jours. Invisible.
PL gr. élongation du soir.. 2 mai 1884 j ' ~ ]291 — 1 Étoile du soir.
Conjonction inférieure . ... 11 juillet 1884.' "" ~ ^ / Invisible.
Nos pères aimaient personnifier les astres, les planètes, les objets
divers de la nature, les phénomènes célestes, et nous trouvons, par
exemple, dans les ouvrages du XVIIP siècle, notamment dans V Atlas
cœlestis de Doppelmayer (Nuremberg, 1742), une représentation
assez curieuse de Vénus gravitant autour du Soleil en compagnie
de Mercure et de la Terre. L'amour, guidé par deux colombes,
dirige Vénus, et la Terre, accompagnée de la Lune, est emportée
dans une calèche aux roues géographiques. Les mouvements sont
judicieusement représentés. Les artistes ne seront sans doute pas
fâchés de retrouver ici cette ancienne figure.
Vénus passe de temps à autre juste devant le Soleil, et alors
elle paraît glisser devant lui comme un petit disque noir. Ces
MdlVKMK.NT DK MiNlS Al II) II! lU
passages ont une grande iniportaucc ilans les niùLhodes astrono-
miques (') parce qu'ils servent à nu'sun'r lu distance du Soleil, buse
de notre connaissance de la consLruclion de l'univers. Les deriners
ont eu lieu le 8 décembre 1874 et le 6 décembre 1882 : là planète
>■>■ ili' 1.1 l.iini', Wun- it MiTi-iirc. tournant autour du Soleil.
(Figure Uu XVI 11' siècle).
a suivi sur le disque solaire les routes tracées sur notre figure lO't.
Les prochains auront lieu le 7 juin 2004 et le 5 juin 2012. Ces
passages sont régis par une curieuse périodicité : ils reviennent
aux intervalles de : 8 ans; 113 ans ^ + 8 ans (ou 121 ans ^);
8 ans; 113 ans i — 8 ans (ou 105 ans {), etc.
Lorsqu'on se représente l'orbite de Vénus et cell(.> de la Terre
tracées autour du Soleil comme centre, il semble que Vénus devrait
(') Ces passages de Vénus sont obsen'ables à IVi>il nu, soit au lover ou au coucher du
soleil, soit il travers le hroiiillard, soit à l'aide de verres noircis, comme une petite tache
noire bien ronde. Or les Chinois ont observé à r<pil nu un trrand nombre de taches
MOLVEME.NT DE VENLS Al'TOLK 1)U SOLEIL
sp montrer devant le Soleil toutes les fuid qu'elle passe entre lui
et nous. Gomme elle ne met que huit mois pour accomplir sa
translation autour de l'astre radieux et que la Terre emploie une
année jioiu' parcourir la sienne, il semble que ce phénomène ne
devrait pas être rare. Tous les 584 jours, il est vrai, la belle planète
passe entre l'astre radieux et nous, mais un peu au-dessus ou
nu peu au-dessous du disque solaire, de sorte qu'elle ne se pro-
jette point sur lui et reste invisible. Pour que la planète passe
juste devant le disque solaire, il faut que les centres des trois
astres : Soleil, Vénus et Terre, se placent sur une même ligne
droite. Or, par suite de la disposition des orbites des deux planètes,
ce fait n'arrive qu'aux rares intervalles que nous venons de
signaler.
De même que Vénus est portée par son mouvement à passer
quelquefois juste devant le Soleil, de même, parfois et plus
souvent, à cause du mouvement rapide de la Lune, elle passe
derrière notre satellite, ou, pour mieux dire, la Lune passe juste
solaires, notamment depuis l'an 301 de notre ère jusqu'à l'an 1205. En Europe,
Conrad Lycosthène parle, dans son
i< Livre des prodiges », d'un pas-
sage de Mercure observé l'an 778
de notre ère, et une Histoire
(le la vie de Charleniagne si-
i;nale une observation faite en
mars 887 de Mercure vu pendant
liuit jours sur le Soleil. Mercure
doit être écarté, puisque ses pas-
sages ne peuvent pas être vus à
l'œil nu et qu'il n'y avait pas
alors de lunettes d'approche. Res-
tent les taches du Soleil, et tel
est certainement le cas de la der-
nière observation de huit jours.
Reste aussi Vénus, qui peul avoir
été vue quelquefois comme tache
solaire. Avec une attention suffi-
sante cependant on ne peut pas
confondre ces passages avec des
taches solaires, car celles-ci ne
sont jamais aussi rondes ni aussi
bien définies. Elles se présentent sous l'aspect caractéristique rappelé ici. Nous
avons signalé plus haut une observation probable d'un passage de Venus, qui date
de dix-sept siècles avant notre ère.
:t des taches solaires.
MOrVEMKNT DE VÉNUS AUTOUR DU SOLEIL
devant elle et produit une occultation. Ces spectacles sont également
lU". — Les passages de Vénus devanl lo Soleil i
fort intéressants à observer. Nous signalerons ici l'observation de
ce genre que nous avons faite le 14 octobre 1874.
Co jour-là, à 3 heuros do l'aprés-midi, la Lune devait occuller Vénus;
mais la lumière éblouissante du ciel et les nuées blanches (jui occupaient
le sud rendaient l'observation difficile. La Lune n'était qu'à son quatrième
jour, et n'offrait qu'un mince croissant à peine visible à l'est du Soleil;
Vénus offrait dans la lunette un croissant du même ordre que celui de la
Lune, un peu plus large relativement, très visible et nettement dessiné
dans le cliamp de l'instrument. L'observation a été faite avec une lunette
de 108°"" d'ouverture, munie de son plus faible oculaire (grossissant
53 fois seulement).
Le croissant de Vénus était très pur, et sa limite intérieure était aussi
nette que sa limite extérieure, ce qui n'a plus eu lieu depuis. La Lune
devait, pendant 1 heure 14 minutes, passer devant la planète et lui faire
décrire en apparence derrière elle la corde tracée sur notre figure 108,
Vénus paraissant se mouvoir de droite à gauche, ou do l'ouest à l'est,
pénétrer derrière la Lune par son côté obscur et en sortir par son côté
éclairé. Ici l'image est renversée telle qu'elle est vue dans la lunette
astronomique.
J'étais occupé à examiner ce petit croissant de Vénus, lorsque soudain
je le vis diminuer par son arc inférieur ot se laisser manger graduellement
MOUVEMliNT DE VKNLS AUTOUR DU SOLKIL
j)ur K' Ijord ubscur t'I nbsulmnoit inrinihlc de la Liiiic Mu .siirprisu fui si
gnindi.', (iuoi(^ue je m'attendisse à cotte disparition, ijue je ne sungeai pas
;ï coni[)ter les secondes, et que je me bornai à crier: » Elle entre! » Les
[)ersonnes qui se trouvaient à mon modeste observatoire et ([ui venaient
d'admirer Vénus dans le ciel étaient des plus surprises de ne l'y plus
trouver, sans pouvoir apercevoir le corps qui l'ëclipsail, car le ciel parais-
sait d'un bleu laiteux, égal en intensité des deux côtés du croissant
lunaire.
L'immersion s'est faite sans que la plus légère pénombre ni déforma-
l'i^'. 108. — Occultation do Venus iiar la Lune, lu II octobre 1871 j
tion ait décelé l'indice do la moindre atinosplière lunaire. Le disiiue lunaire
coupa successivement le croissant de Vénus dans le sens indiqué.
Au dernier moment de l'immersion, on ne voyait que la corne supérieure
du croissant : sa disparition eut lieu à 3 heures 'i3 minutes 29 secondes,
temps moyen de Paris.
A 4 heures 55 minutes 20 secondes, Vénus reparut comme un point
lumineux sur le bord occidental du pâle croissant lunaire et s'en dégagea
peu à peu. La sortie dura plus d'une minute. Au milieu de l'émersion,
quand la corne supérieure du croissant commença à se dégager, on vit
comme un point se dessiner sur le limbe lunaire. Ce point s'allongea
et s'arrondit. Le croissant fut enti(M-ement dégagé à 4 heures 56
MOUVEMENT DE VENUS AITOIK DU SOLEIL
minutes 28 secondes. La constatation des moments m'a paru plus farile
que lors du passage de Mercure, quoiqu'il me semble difficile toutelois
d'en être sûr à moins d'une seconde près.
Ju.xtaposée comme elle l'était à l'hémisphère lunaire éclairé, on pouvait
facilement comparer la lumière de Vénus à celle de la Lune, et constater
qu'elle est incomparablement plus blanche et plus intense. Cette énorme
différence devint surtout très sensible le soir, vers 6 heures, lorsqu'un
put voir les deux astres à l'œil nu.
On comprend sans peine que Vénus, gravitant comme Mercure
dans une orl)ite intérieure à celle de la Terre, doit tourner vers
nous tantôt son hémisphère éclairé par le Soleil, tantôt son hémi-
sphère obscur, tantôt une partie de l'un et de l'autre, et par
conséquent présenter comme la Lune des phases correspondant
aux angles qu'elle forme avec le Soleil et la Terre. Ces phases
sont invisibles à l'œil nu (') à cause de la petitesse à laquelle se
réduit pour nous le disque de la planète. Aussi se servait-on de
cette absence de phases visibles pour contester la vérité du système
de Copernic. On rapporte même que Copernic lui-même, entendant
cette objection, aurait répondu que « Dieu se réservait peut-être
de les révéler un jour ». Le siècle suivant, la lunette d'approche
les montrait à Galilée.
C'était au mois de septembre lOKJ. L'immortel astronome, qui
venait de construire de ses mains le premier instrument d'optique
qui ait été dirigé vers le ciel contemplait le soir avec extase les
merveilles du firmament, agrandies et multipliées par ce nouvel
organe; l'atmosphère transparente de l'Italie lui permettait de
sonder les profondeurs de l'espace, et souvent il s'arrêtait, comme
il nous le raconte lui-même, ébloui et fasciné. Vénus, la belle
planète descendait dans les foux éteints du crépuscule lorsqu'en
dirigeant sa petite lunette vers elle, il crut reconnaître une phase
rappelant tout à fait celles de la Lune. Malheureusement, la
brillante planète disparut, et le ciel se couvrit les jours suivants,
sans qu'il ait eu le temps de vérifier sa découverte. Soucieux,
toutefois, d'en conserver la priorité, l'astronome toscan l'enferma
(') Sauf pour des vues exceptionnelles, servies par des circonstances spéciales (Voir
plus loin).
240 LES PHASES DE VENUS
SOUS un anagrainnie dont lui seul avait la clef, et envoya cet ana-
gramme à Ki'iilcr. Le voici :
Ilu'c iinniatiua à mejam frustra Icgmitiif, o. y.
phrase assez obscure qu'on peut traduire par :
Ces choses non mûries ont déjà ('tt' lues, mais en vain, par moi.
Il reste deux lettres superflues. En reprenant toutes ces lettres,
et en les plaçant dans un autre ordre, on reconstruit la phrase
suivante, qui est la véritable :
Cyntiiiœ figuras eniulalur mater Amorum.
La mère des Amours est l'émule de Diane dans ses aspects.
Remarque curieuse, ces fameuses phases de Vénus, dont l'anti-
quité ne s'est pas doutée, à l'objection desquelles Copernic n'eut
rien à répondre, et que Galilée prenait tant de peine à cacher
pour se garder l'honneur de leur découverte, ces phases de Vénus
peuvent être, dans des circonstances exceptionnelles, visibles à
^'œil nu. Des vues particulières peuvent les reconnaître. Webb
•ious apprend que Théodore Parker les a remarquées, en Amérique,
au Chili, lorsqu'il n'était âgé que de douze ans et ignorant de leur
existence, et (ju'on les a vues en Perse on se servant d'un verre
foncé. Au mois de mai 18G8, on les a distinguées, et, parait-il,
sans trop de diihcultés, sous l'atmosphère si rarement limpide de
France (') : plusieurs personnes en ont constaté la forme. 11 en a
été de même à l'Ile de la Réunion au moi.s de juillet 1883 (-) et,
d'après les rapports des observateiu's, ce fait n'y est pas très rare.
C'est là néanmoins une preuve visuelle d'une extrême rareté.
Nous venons de voir que dans les conditions de grande transpa-
rence atmosphérique le croissant de Vénus peut être distingué à
l'œil nu. C'est dire que le plus modeste instrument sutlit, en
général, pour en permettre l'observation, soit au crépuscule, soit
pendant le jour. Lorsqu'on a observé la belle planète le matin
avant le lever du soleil, on peut continuer de la suivre dans une
lunette dont le champ soit assez vaste pour la retrouver facilement
si les vapeurs du matin la laissait perdre, et dans ces conditions,
il est facile de l'oljserver en plein soleil. Si on possède un
(>) Voir nos Éludes sia- l'AsImnomie, t. III, p. 17o.
(') Voir la Ileviie mensuelle L'AsIruiioinie, octobre 1883.
LES l'HASKS I)K VKMS
rquiUiirial on iiiic liiiicfti' iiuM'idienne, c'est encore plus facile.
L'astronoiue Ilawes assiuv ([u'on peut observer la planète à la
conjonction siipriiciire, jusiprà une minute seulement du bord du
soleil.
Ces phases de Vénus sont chaniiautes à observer, même à l'aide
du plus modeste! instrument. Pâle sur le ciel bleu, cr. Irixov
crnissanl semble flntter comme un rêve. La première fois qu'on
Fig. 100. — Ori;rL> des phases de Vénus.
!'(ilis(n've, on n(^ peut se dcfeudiT de l'idée que c'est la Lune que
l'on a sous les yeux. Un grossissement de 50 fois donne, du reste,
au croissant de Vénus la dimension apparente sous laquelle nous
voyons la lune à l'œil nu (').
La distance de Vénus à la Terre variant considérablement selon
les positions qu'elle occupe sur son orbite, son diamètre varie dans
la même proportion. Lorsqu'elle se trouve à sa plus grande distance
de la Terre, c'est-à-dire derrière le Soleil, elle est éloignée de nous
de toute la largeur de son oibid', plus de la <listancc de son orbite
(') Comme t'tiuli' de la planMc, on ne pont rioii tin-r di-s observations laites lorsque
le soleil est assez haut sur l'hori/.on. l.";itniospliére est trop brillamment éelairée, et sim
agitation devient trop apparente, pour qu'un astre, mènie aussi lumineux que Vénus,
puisse être observé avec fruit. Il est vraiment surprenant que de pareilles conditions
aient été' recommandées pour ce jjenre de travaux.
La période du temps la plus favorable s'étend depuis une demi-heure avant jusqu'à
une demi-heure après li' couchei- du soleil : c'est à ce moment que les im.iLtes sont
les meilleures.
TKcr.Ks Dr rMF.t. îH
I.KS l'IlASKS DE VKNUS
à celle de la Terre, ce qui donne 64 millions de lieues environ. Son
diamètre n'est alors que de 9",5. Lorsqu'elle se trouve à sa plus
petite distance, c'est-à-dire entre le Soleil et nous, elle n'est plus
éloignée de nous que de 10 millions de lieues, et son diamètre
s'élève à 63". Son diamètre varie comme sa distance entre ces deux
limites. C'est comme si nous disions que la largeur de son disque
varie pour nous depuis 9 millimètres et demi jusqu'à 63. La
figure précédente fait comprendre au premier coup d'oeil la cause
de ces phases, leur ordre et leur succession.
Les phases de Vénus ne s'accordent pas toujours avec le calcul. A
l'époque de ses plus grandes élongations, le disque de la planète de-
vrait être exactement coupé en deux comme une demi-lune. Or, au
mois d'août 1793, Schrôter trouva le terminateur légèrement con-
cave, et ce n'est que huit jours plus tard qu'il devint rectiligne.
Màdler fit une observation identique en 1836, et arriva à la con-
clusion que l'aspect de demi-lune se présente six jours avant ou
après l'époque calculée, suivant la direction du mouvement de la
planète; le même observateur remarqua une différence analogue
dans la largeur du croissant. En 1839, le P. de Vico, directeur
de l'Observatoire du collège romain, constata cette même différence,
mais pour trois jours seulement. Le 6 mars 1833, Wehb avait fait
la même remarque à l'aide d'un médiocre instrument et sans
savoir que d'autres avaient remarqué cette différence. C'est là
une anomalie qu'il n'est pas facile d'expliquer, quoique les mon-
tagnes et l'atmosphère de Vénus doivent jouer le principal rôle
dans la production de ce phénomène. Nous y reviendrons plus loin.
La lumière de Vénus est si forte, qu'il arrive parfois qu'elle porte
ombre. J'ai un soir constaté ce fait sans m'y attendre, et sans y
avoir aucunement songé. Revenant d'un voyage en Italie, au prin-
temps de 1873, je m'arrêtai à Vintimille, où le train d'Italie passait
vers neuf heures du soir. C'était le 23 mars. Conduit par un guide
à travers la ville obscure, je m'aperçus un moment que trois ombres
nous suivaient à notre gauche le long d'un mur de jardin près
duquel nous marchions. Fort surpris de cette ombre produite sans
clair de lune et sans réverbères, je la fis remarquer à mes deux
compagnons, qui la reconnurent aussi bien que moi. Elle était très
LES PHASES DE VÉINIÎS
nottciiicnt et fortement accusée. Le ciel était peuplé d'étoiles
brillantes. Mais il n'y avait à notre droite que Vénus comme astre
de première grandeur, et brillant au surplus d'un tel éclat, que ses
feux paraissaient plus éclatants à eux seuls que tous ceux du firma-
ment réunis. Le mur était d'un blanc sale et presque gris; s'il eût
été blanc, nos ombres eussent été beaucoup plus marquées encore.
Les semaines suivantes, à Nice, je renouvelai l'expérience sur du
papier; l'ombre des doigts, d'un crayon, d'un objet quelconque, s'y
dessinait avec la plus grande netteté.
Depuis, j'ai souvent remarqué le même fait, et chacun peut l'ob-
server facilement, surtout en en étant prévenu.
A quelle phase Vénus est-elle la plus brillante?
Si elle n'avait pas de phases, si elle brillait par elle-même, son
plus grand éclat arriverait naturellement à l'époque où elle se trouve
à sa plus petite distance. Mais comme elle ne fait que réfléchir la
lumière qu'elle reçoit du Soleil, il est facile de voir que lorsqu'elle
passe à sa plus petite distance de la Terre, entre le Soleil et nous,
file tourne précisément de notre côté son hémisphère non éclairé,
de sorte qu'elle cesse d'être même visible pendant quelques jours. De
plus, alors, elle est si voisine du Soleil, qu'on ne saurait la découvrir.
La phase de plus grand éclat de Vénus arrive à l'endroit où sa
digression orientale ou occidentale est de 39" j, position où elle
se montre dans les lunettes avec le quart de son disque illuminé,
comme la Lune à son quatrième jour. La planète passe par cette
position 69 jours avant et après sa conjonction inférieure. Son dia-
mètre apparent est alors do 40", et la largeur de sa partie éclairée
est à peine de 10". Ce maximum d'éclat correspond à la troisième des
phases représentées à la figure suivante. En cette position, Vénus est
beaucoup plus proche de la Terre que lorsqu'elle est à sa plus grande
distance apparente ou à son élongation orientale et occidentale.
Mais lorsqu'elle s'approche davantage de nous, la diminution de
largeur de son croissant fait plus que contrebalancer l'accroisse-
ment de lumière du à sa plus grande proximité. D'un autre côté,
lorsqu'elle s'éloigne, la phase augmente de largeur et devient
bientôt semblable à celle de la lune en quadrature, et elle s'accroît
davantage encore à mesure que la planè!e s'éloigne de nous. Mais
néanmoins sa grandeur apparente et sa lumière diminuent rapide-
vKNis vl:k kn plein .midi
iiu'iil. llr l'ait, la phase qui correspond à celli' de la Lune en qua-
drature, et qui se présente à l'épocpie des plus grandes élongations,
nous envoi(! environ les trois ipiails de la luniiére, qui marque
l'épocpie de l'éclat maximum. Si nous pouvions voir la planète
lorsqu'(dle arrive à sa plus grande dislance au delà du Soleil, et
que son disque est circulaire, son éclat serait réduit au (juart du
maximum signalé plus haut.
Comme contraste avec Vénus, on peut remari|uer (|ue le plus
grand éclat de Mercure arrive à une phase bien dillérente, à une
l'ig. ilil. — Gnindeui- com|iarée des quatre phases principales de Vérms
phase qui correspond à celle de la Lune le lendemain du premier
quartier, lorsque la planète arrive dans la section de son orbite la
plus éloignée de la Terre, car pour Mercure la diminution de
lumière due au décroissement du diamètre apparent du disque,
est plus que compensé par l'accroissement de la largeur de la
phase. Une planète qui graviterait à la distance de 66 millious de
kilomètres du Soleil donnerait son maximum d'éclat à la phase de
la quadrature; une idanéte plus éloignée donnerait ce maximum
pour une phas(> en croissant, comme c'est le cas de Vénus, et une
moins éloignée lors(pie la phase surpasserait la quadrature, comme
il arrive pour Mercure.
Le pejple ila Paris prenanl Venus p;-ui- • réloik de bouujxuie i
\ KM .s \ 11. L.N l"l.tl.N Mllll
Ce plus grand éclat doit arriver à peu prés tous les huit ans,
parce que la situation de Vénus et de la Terre l'une par rapport à
l'autre se retrouve à peu près la môme après cet intervalle. Mais la
saison, l'état du ciel, la hauteur de la planète au-dessus de l'hori-
zon, apportent autant de causes de variations dans cette visibilité.
Lorsque ces diverses circonstances sont réunies, Vénus est visible
en plein jour.
Les anciens l'avaient déjà reinanpié. Varron rappurte qu'Énée,
dans son voyage de Troie en Italie, apercevait constamment cette
planète, sa patronne, malgré la présence du Soleil.
Les années 398, 984, lOOS, 1014, 1077, 1280, 1363, 171(3, 1750,
1797, 1857, sont restées remarquajjles à cet égard.
En 1716 et en 1750, il y eut à Paris et à Londres un bruit consi-
dérable à propos de cette visibilité de la planète en plein jour: on
la prenait pour une étoile nouvelle.
En 1797, le général Bonaparte, se rendant au palais du Luxem-
bourg, fut fort étonné de voir que le peuple fixait son attention
sur le ciel au lieu de le regarder lui-même. Il questionna son état-
major, et apprit que les curieux voyaient avec surprise, quoique
ce fût en plein midi, une étoile qu'ils prenaient pour celle du
vainqueur de l'Italie : c'était Vénus elle-même brillant non loin
du Soleil.
En 1857, au mois d'avril, l'éclat de la même planète traversa de
nouveau la lumière du jour, et les vues perçantes pouvaient la
distinguer en plein midi, brillant à 40 degrés à l'ouest du Soleil.
On s'arrêtait à Paris, notamment sur la place de la Concorde, où
des observateurs, cx'oyant avoir affaire à une comète, ajoutaient
même qu'on eu distinguait la queue.
On a remarqué aussi ce brillant éclat en mai 1868, juin 187G et
février 1883 (').
Vénus est le seul astre qui puisse être vu à l'œil nu en plein
midi.
(') Au mois de février 4883, Vénus s'est montrée admirablement visible pendant le
jour, de diverses contrées où l'atmosphère était bien pure. Nous signalerons, parmi les
observations qui nous ont été transmises, celles de M. folaché et des membres de la
Soc<éli scif.iiUfique Flammarion do laën (Esp;iyne), et celles de M. Du Buisson, à l'île
de la Réunion. Remarque assez curieuse, ces deux observations ont été faites le même
VK.NUS VUE EN l'I.EI.N MIDI
Mais le soir i>\\ Ir in.iMii, avi.iit li' coucher ou a[)rés le lever du
Soleil, on a {[m'iiiiiefnis apcrcii .Iii[)ilcr, Sirius, (_!lanoi)us d Vi\l;;i.
En la ciimparaiil à la hunirrc ilc la l'Ieine-Luni', nn trouve i[ue
la clarté que imus recevons de Vénus esl environ lOOII lois plus
faible.
\ oici niaiuLenaul un fait d'observation bien ùnignuiliqu'^ eu
lui-même et fort ditBoile à exiili({uer.
Tout le monde a pu remanjuer que lorsque, le troisième et le
quatrième jour di^ la lunaison, la Lune brille dans le ciel du soir
sous la forme d'un croissant lumineux, on distingue dans l'intérieur
du croissant le corps tout entier du glolie lunaire, non pas lumi-
Fig. 112. — Le Soleil, la Lune et VOniis vus à l'œil nu, le 4 février 1883.
neux comme le croissant, mais presque aussi obscur que le ciel,
et teinté d'une faible lumière grise. Il en est de même lorsqu'avant
la nouvelle Lune, notre satellite lirille le matin sous la forme d'un
croissant opposé à celui du soir.
Cette lumière secondaire, noiimiée hintirrr ccii'lrrc, u'appai-
tient pas à la Lune elle-même : elle est due à la réllexinn de la
lumière île la Terre éclairée.' par le Soleil : c'est le rjeflet d'un
reflet.
Or, cette liiniièiv cendrée a été vue sur Vénus comme sur la
Lune. Oiniiiieiit cela peut-il se faire? 11 n'y a pas auprès de Vénus
un astre (pii joue [loiir elle le n'ije de la Terre à l'éganl de la
jiMir. il' t l'iM-icr. ù |)iii|Mis (lu passage de Vénus tout prés de la Lune, en plein midi.
Tout le iiuimli', unis iLiil nu. pouviiit lain- cette observation. Xcuis reproduisons iei le
dessin lait en Kspai^ne, luonlraut lu posiliou de la liiillaute plaïu'-te. ;i •.•' ii droitiMle la
l.une et à 37' du Soleil, à 11 lieure> du lualiii (heure de laën). Dans une lunette, Vénus
otTrait l"as|ieet rrprési'iili' ti^uri" II:!.
LA Ll.MlKKK CKMlUKK I) F. VE.MS
Liiiio l't (|ni iV-flrcliissL' quelque lumière sur son hémisphère non
éclairé, (jui'lle peut être la cause de cette singularité? Mais
avant de sUccniier des explications, l'important est de savoir
si réellement cette lumière secondaire existe. Comme notre hut
dans cet oiivrayc est de connaître tons les détails qui intéressent
chacun des inumles de notre syst''Mne sfijaire, voyons quelles sont
l.;t Lune vue à l'œil nu
Vénus observée ù la lunette (-t lé
ISS3).
les ohservations certaines qui ont été faites sur cette clarté mysté-
rieuse.
La première en date se trouve dans la Thôolorfw astronomique du
recteur anglais Derham, publiée en 1715 et traduite en français en l??',).
On y lit le passage suivant : « Lorsque la planète (Vénus) paraît sous la
forme d'une faux, on peut voir la partie obscure de son globe, à l'aide
d'une lumière d'une couleur terne et un peu rougeâtre. »
Dans l'ordre des tliites, la seconde observation de la partie uliscurc de
Vénus appartient à André Mayer: la voici: « Le '20 octobre 1759, à midi
45 minutes, passage au méridien de la corne inférieure: la partie lumi-
neuse de Vénus était très mince, cependant le disque entier apparut de
la même façon que la portion de la Lune vue à l'aide de la lumière
réfléchie sur la Terre. »
Ainsi Mayer observa le phénomène pendant le jour, au moment du
passage au méridien, et à l'aide d'une lunette de force très médiocre.
En 180t). Hardiua vit trois fois le disque entier de Vénus à des époques
LA MIJIIÈRE CENDRÉE DE VÉNUS
OÙ, par l'éclairement ordinaire, il auraiL dû n'en apercevoir qu'une très
petite partie. Le 24 janvier, à nuit close, la lumière exceptionnelle se
distinguait de celle du ciel par une teinte gris cendré très faible, et dont
le contour parfaitement déterminé paraissait éclairé par le soleil. Le
28 février, la lumière de la région obscure, vue dans une faible lueur
crépusculaire, semblait légèrement rougeàtre. Le 14 mars, dans un
crépuscule sensiblement plus fort, Harding fît une observation analogue.
Le 11 février de la même année, sans avoir eu connaissance des
observations du professeur de Gœttingue, Schrœter aperçut aussi à
Lilienthal la partie obscure de Vénus, qui dessinait dans le ciel une lueur
terne et mate. Ultérieurement, Gruithuisen, de Munich, fit une obser-
vati^on analogue à celle de son collègue de Lilienthal, le 8 juin 182.5, ù
quatre heures du matin.
Pastorff a observé deux fois cette vague clarté. Guthrie et d'autres l'ont
notifiée en Ecosse pendant l'année 1842. De Vico et Palomba déclarent
l'avoir vue plusieurs fois à Rome en 1839.
Voyons les observations faites en ces dernières années sur ce
même sujet (').
Le 14 janvier 1862, M. Berry, oncle de l'astronome anglais Knott, ne
connaissant pas d'avance cette visibilité, la remarqua en observant la
planète dans un petit télescope grégorien de 4 pouces, dont l'oculaire
grossissait 160 fois. La partie oculaire du disque était parfaitement visible
et comme teintée d'une lumière cendrée.
Plusieurs observateurs ont également notifié ce phénomène en 1862
et 186.3.
Le 5 février 1870, M. Langdon, dont nous rapporterons plus loin les
observations relatives aux taches de la planète, vit, ainsi que plusieurs
autres personnes, le disque entier éclairé par la lumière cendrée.
Le capitaine Noble, dont l'observatoire est situé au comté de Sussex
(Angleterre), l'observa le 22 février 1870, la veille du jour de la conjonc-
tion. Le croissant ne s'étendait pas tout à fait jusqu'à un demi-cercle.
En diminuant le champ de la lunette, il parvint à distinguer tout le corps
de la planète, mais sans une limite nette au contour. Le ciel n'était pas
très pur.
Le 25 septembre 1871, à Sti'asbourg, l'astronome allemand Winnecke
distingua parfaitement en plein jour, comme André Méier en 1759, le
corps obscur de Vénus éclairé d'une faible lumière. C'était un peu avant
midi. L'atmosphère était extraordinairement pure.
Le 22 mars 1873, à 6 heures 40 minutes du soir, la phosphorescence
(') Consulter les Monthly Notices of the Royal Aslronomical Society, et la Revue
mensuelle L'Astronomie.
TERRES DU CIEL. 3S
I.A LUMIÈRE CENDKÉE DE VENUS
du disque non éclairé était parfaitement visible, dans une lunette
achromatique de 4 pouces d'ouverture, pour M. Elger, dont nous rappor-
terons plus loin aussi les observations variées.
Le 19 avril 1873, le corps entier de la planète était visible dans le
télescope à miroir à verre argenté de M. Langdon.
Pour ma part, je n'ai vu qu'une fois ce même aspect, le 2 avril 187(3, à
l'aide d'une lunette de 4 pouces, et encore était-il peu prononcé. Obser-
vation faite au crépuscule.
M. ArcimisetM. VanErtborn, en 1876, ont observé cette lumière pendant
le jour, comme Méier l'avait fait en 1859, ainsi que Winnecke en 1871.
Comment ces observations peuvent-elles s'expliquer?
Cette visibilité de la portion non éclairée du disque de Vénus est
-in problème difficile à résoudre, d'autant plus que l'observation de
cette lumière cendrée a plutôt été faite pendant le jour ou au cré-
puscule que pendant la nuit ('). Si l'intérieur du disque de Vénus
n'avait été vu qu'à l'époque de la conjonction, on pourrait fort
Itien attribuer cette visibilité à l'anneau atmosphérique qui
entoure la planète lorsqu'elle est proche du Soleil. — Nous en
reparlerons plus loin à propos de l'atmosphère de Vénus. — Mais
il n'en est pas ainsi pour toutes les observations.
Olbers, dans son mémoire sur la transparence du firmament,
adopte l'opinion que la lumière qui nous fait voir ce disque opaque
provient d'une sorte de phosphorescence.
Cette même opinion avait été antérieurement professée par
William Herschel, qui, en rappelant dans un mémoire de 1795,
que la portion de Vénus non éclairée par le Soleil a été vue par
ditïérents observateurs, croit ne pouvoir rendre compte de l'existence
du phénomène qu'en l'attribuant à quelque propriété phospho-
rique de l'atmosphère de la planète.
Arago se demandait si ce rare et curieux phénomène ne pourrait
pas être expliqué à l'aide d'une certaine lumière cendrée analogue
(') On peut signaler à ce propos une curieuse observation faite par M'"° Webb le
30 juin 1880, à 7 heures 30 minutes du malin, près du lac Majeur. La Lune était alors
en son dernier quartier, à 21 iieiires et demie après la quadrature, et encore à une grande
liautcur dans U: ciel, mais pile dans la lumière du jour : l'observa t.rice constata avec
étonnement que le côté non éi'lairé de la Lune était visible, de couieur lilas sur le fond
bleu du ciel, et irrégulièrement ombré, plus blanc vers le sud-ouest, comme cela
devait être, en effet. M"' Webb confirma son observation à l'aide d'une jumelle. Pour-
tant, ni M. Wclili, ni leur domestique, ne purent rien distinguer.
LA I.UMII';i!K CENDREE DE VÉ.MS
a cello de notre Lune, et qui aurait sa cause dans la lumière réflé-
chie par la Terre ou par Mercure vers la planète. Mais ce ne serait
pas là une lumière suffisante, et Arago concluait lui-même que
l'explication est difficile à donner. « Si la phosphorescence était
toujours visible dans les circonstances favorables, écrit-il, on
pourrait certainement l'admettre; mais elle est si rarement observée
que l'on se demande comment une cause occasionnelle pourrait
agir ainsi à la fois, sur toute la surface d'une planète aussi vaste
que la nôtre. De plus, une telle phosphorescence devrait être
mieux visible la nuit que le jour. Si donc le phénomène est réel,
pourquoi n'est-il pas visible lorsque les circonstances sont les
plus favorables? On serait donc porté à attribuer cette visibilité à
une illusion d'optique ».
Nous pencherions plutôt vers l'explication suivante :
Chacun a pu remarquer que pendant la nuit étoilée la plus
profonde il y a assez de lumière diffuse pour que l'on distingue
parfaitement les objets de la campagne, le chemin que l'on suit,
et surtout les objets blancs, particulièrement la neige.
Or, le globe de Vénus a une très grande intensité de réflexion :
il est très blanc, sans doute environné de nuages à surface neigeuse.
Ce globe si blanc ne peut-il réfléchir vaguement la lumière stellaire
répandue dans l'espace, tandis que l'espace reste absolument
noir? Ne suffirait-il pas que cette clarté fût faiblement accusée
pour que l'œil continuât instinctivement le contour du croissant et
devinât le reste du globe, qu'il ne distinguerait pas sans cela? Cette
lumière cendrée ne serait visible que lorsque ce globe serait entiè-
rement couvert. Peut-être ces nuages sont-ils doués d'une certaine
phosphorescence, comme les nôtres en montrent parfois, notam-
ment au printemps. Peut-être aussi assistons-nous d'ici à des
aurores boréales de l'atmosphère de Vénus. Les nuages si blancs
qui entourent constamment la planète, leur phosphorescence
possible, ou des aurores boréales, forment un ensemble d'expli- .
cations que l'on peut accepter provisoirement. — Peut-être sera-ce
ici comme en politique, où c'est le provisoire qui reste
'jovj'^rîînîav^^
CHAPITRE III
Dimensions. — Surface. — Volume. — Poids.
Densité. — Rotation. — Inclinaison de l'axe. — Jours et nuits. — Années.
Saisons. — Climats. — Satellite.
Cette brillante étoile du soir^ qui verse sa douce lumière du haut
des cieux, est loin d'être un point lumineux comme elle le paraît à
l'œil nu. La distance seule qui nous en sépare produit cette exiguïté.
En réalité, c'est un globe énorme, sur lequel nous pourrions mar-
cher et voyager comme sur la Terre. L'imagination pourra en faire
le tour, et le mesurer par la pensée, si nous supposons qu'un Océan
entoure entièrement la planète Vénus, et que le plus rapide de nos
navires à vapeur soit lancé sur ses eaux : il emploierait plus de deux
mois à en faire le tour; pendant 70 ou 80 jours l'hélice mordrait les
eaux, et les ondes du sillage bouillonneraient à la poupe du navire
dans ce voyage de circumnavigation, avant que nous eussions ac-
compli notre traversée autour de ce vaste globe, qui est à peine infé-
rieur à celui que nous habitons.
Toutes les observations et tous les calculs s'accordent à donner à la
Terre vue du Soleil le diamètre de 17",72. C'est la grandeur angulaire
d'une bille de 10 centimètres de largeur placée à 11 64 mètres de l'œil.
Les mesures micrométriques faites depuis plus d'un siècle sur la
planète Vénus, corrigées de toutes les causes possibles d'erreur, re-
commencées et vérifiées de toutes les façons, nous démontrent que
cette planète est à peu près de mêmes dimensions que la Terre.
Voici les nombres obtenus pour exprimer l'angle qu'elle sous-tend,
vue à la distance qui nous sépare du Soleil, distance prise pour unité
VÉNfS. — VOLUME. SURFACE
dans les mesures interplanétaires. William Herschel avait trouvé
18",7fl, ce qui donnait un diamètre un peu plus grand que celui de
la Terre. M. Main avait trouvé un diamètre un peu moins grand que
celui d'Herschel, mais cependant encore plus grand que celui de la
Torro. Longtemps on s'est demandé si décidément cette planète est
plus grosse que la nôtre. Dans tous les cas, la différence ne pouvait
être bien grande. Les dernières mesures sont : Stonc, 1865 (Obser-
vatoire de Greenwich) : 16"/J4; — Powalky, 1871 (Passages de Vénus
de 1761 et 1769) : 16",92; — Tennant, 1875 (Passage de Vénus de
1874): 16",90; — Hartwig, 1881 (Mesures micrométriques) : 17"55(').
La discussion définitive donne l'avantage au globe que nous liabi-
tons. Mais notre supériorité sur lui n'est que de quelques centaines
de lieues carrées; encore faudrait-il savoir si les trois quarts de sa
surface sont comme ici, rendus inhabitables par l'envahissement des
eaux.
Comme dimensions, Vénus est la planète qui ressemblf le [dus à
la Terre. Son diamètre est de 0,954 en prenant celui de la Terre
pour unité, c'est-à-dire qu'il est de 1-2000 kilomètres; sa circonfé-
rence mesure par conséquent 9500 lieues; son volume est égal aux
87 centièmes du volume de la Terre ; sa surface dépasse les 90 cen-
tièmes, c'est-à-dire qu'elle est presque égale à celle de notre planète.
Aucun autre globe du système ne pourrait offrir une telle similitude
avec le nôtre. Jupiter, par exemple, est 1230 fois plus volumineux que
la Terre, Saturne 675 fois, Neptune 85 fois, Uranus 75 fois : ce sont des
colosses auprès de nous. Le volume de Mars au contraire n'est que
les 16 centièmes de celui de la Terre, et le volume de Mercure les
^') Afin que nos lecteurs puissent se rendre compte de la nuinière Ires simple
dailleurs, dont ces mesures sont obtenues, nous dirons que le micromètre se compose
essentiellement de deux fils mobiles, entre lesquels on place la planète. Ces fils sont
montés sur deux petites plaques qui jilisspnt
dans un cadre à l'aide d'une vis. Les fils
peuvent être placés juste l'un devant l'autre,
j puis s'écarter à volonté. On met li' bord de
la planète juste tangent au fil de gaurlie, par
exemple, puis on tourne la vis de droite jus-
qu'à ce que le fil de droite vienne toucher
le bord droit de la planète. Connue on a
d'avance la valeur ilu tour de vis, on conclut du nombre des tours faits la
;éométrique du diamètre de la planète. On voit combien toutes ces mesures
vnismc du mien
calcul
valeui
sont simples, tout en étant très précises
VÉNUS. — POIDS. DENSITÉ
5 centièmes. Celui de la Lune n'est que la 49° partie du volume de la
Terre, c'est-à-dire un peu plus du tiers de celui de Mercure, et son
diamètre mesure 870 lieues. Enfin les plus grosses des minuscules
planètes qui circulent entre Mars et Jupiter ne mesurent qu'une cen-
taine de lieues, et les plus petites descendent même à un diamètre
de quelques lieues seulement. On voit que dans toutes ces diversités,
Yènus peut vraiment être nommée la sœur jumelle de la Terre.
Tel est le volume de notre planète voisine. Quel est son poids ?
Si elle avait un satellite tournant autour d'elle, nous pourrions faci-
lement calculer ce poids, comme nous l'avons fait plus haut pour
Mars, par la vitesse de son mouvement. Mais nous verrons tout à
l'heure que les observations qu'on a cru faire de ce satellite ne
sont rien moins que concluantes.
En l'absence de ces observations, on a donc dû peser le globe de
Vénus par les perturbations que son attraction fait subir à ses deux
planètes voisines, la Terre et Mercure : lorsque Vénus passe entre
le Soleil et nous, par exemple, elle nous tire légèrement vers elle
et dérange notre globe tout entier, comme le fait la Lune qui, au
premier quartier, nous tire en avant, et au dernier quartier, nous
retarde comme un frein. Merveilleuse légèreté des mondes ! la
Terre est pareille au ballon d'enfant qui flotte dans l'air : la moindre
influence la dérange de son cours, et c'est en observant minutieuse-
ment ces dérangements qu'on a pu faire la part précise de Vénus
dans les perturbations apportées, et en conclure sa puissance, c'est-
à-dire son poids. La masse du globe de Vénus peut se déduire
de la précession des équinoxes comme du mouvement de Mercure.
Les calculs s'accordent à prouver que cette planète pèse moins
que la nôtre. En représentant par le chiffre 1000 la masse de la
Terre, celle de Vénus est représentée par 787. La connaissance de
son volume permet d'en conclure la densité moyenne des
matériaux qui la composent : elle est un peu plus faible que
celle de notre globe (= 0,905). Enfin la pesanteur des corps est
également plus faible sur cette planète que sur la nôtre; car en
désignant par 1000 l'intensité de la pesanteur à la surface de la
Terre, cette même force est sur Vénus repi'ésentée par le chilîre
864. — Les habitants de ce monde sont un peu plus légers que nous.
VÉNUS. — POIDS. DENSITÉ. ROTATION
En résumé, nous voyons que Vénus et la Terre sont deux mondes
remarquablement rapprochés par leurs éléments astronomiques
comme par leur position dans le système solaire. En est-il de même
des conditions physiologiques?
Et d'abord, cette planète tourne-t-elle sur elle-même comme
la nôtre? Possède-t-elle comme la nôtre des alternatives de jours
et de nuits qui rappellent de près ou de loin ce qui se passe chez
nous? Oui, malgré les doutes que l'on a émis sur les résultats
obtenus, nous pouvons considérer comme très probable, sinon
comme tout à fait certain, que ce monde voisin tourne sur son
axe en 23 heures 21 minutes 22 secondes. La durée du jour et de
la nuit réunis y est donc à peu près la même qu'ici . la différence
n'est que de 34 minutes en moins.
Pour les régions équatoriales de Vénus, comme pour celles de la
Terre, le jour est pendant toute l'année égal à la nuit; sa durée y est
constamment de 11 heures 40 minutes. Mais, sous toutes les autres
latitudes, cette durée varie considérablement suivant les saisons,
comme chez nous, et plus encore. Nous en verrons les détails en
nous occupant de l'intensité des saisons et des climats de cette
planète.
Gassini est le premier qui, étant parvenu à remarquer quelques
taches sur son disque, en suivit le mouvement, et conclut à l'exis-
tence d'une rotation, que ses mesures, commentées par son fils,
portaient à 23 heures 15 minutes. Ces observations datent de plus de
deux siècles, de 1666. Elles ont été faites en Italie, avant que
Louis XIV eût appelé cet astronome à la direction de l'Observatoire
de Paris, qui venait d'être fondé. On trouvera les principales à la
figure suivante, d'après l'ouvrage du fils de Gassini : les dessins de
1666 et 1667 sont de Gassini; les deux de 1728 sont une reproduc-
tion de ceux de Bianchini, que l'on trouvera plus loin, au chapitre
de la Géographie de Vénus.
Soixante ans plus tard, en 1726, Bianchini, autre astronome ita-
lien, trouvait 24 jours 8 heures pour cette même durée de rota-
tioT? Cette énorme différence provenait de ce qu'il avait observé la
mère tache revenue à une position identique après une période de
25 rotations entières, ce qui donne, par la division, 23'' 22°" pour la
durée de chacune d'elles, nombre très voisin de celui de Gassini.
VÉNUS. — ROTATION. DURÉE DU JOUR
A la fin du siècle dernier, l'astronome allemand Schrœter trouva
par ses comitaraisons â.S heures -21 minutes f^ seciuidcs.
Fu/iirr cico' Cac/ics J^ l'cnu^-.
ltJi>UilciatU
elevc cU6''^
Fig. 116. — Oh^iM-valion des taches et de In rotation de Vénus. (Cassini, IClM-lUin et Uianchini, 17-iti.)
La période a été définitivement déterminée en 1841, grâce à une
\ KM ^. — l; (ITA I ION. 1)1 llKK II r Joli;
belle série d'oliservations organisées sous le ciel ordinairement très
pur de Rome par le P. de Vico, et fixé à
23 heures 21 mi nu les 22 secondes.
Ces observations étant liées à la géographie de Vénus, on en
trouvera le détail au chapitre qui concerne ce sujet. C'est, comme
nous l'avdus vu pour Mars, jiar le déplacement des taches obser-
vées sur la i)lanéle, que cette durée de rotation a été déterminée
^^iM
i'i^' 117 - In.'Salitrs oll-
l;i phijiMc Vrniis.
et aussi par le retour de certaines échancrures reconnues le long
du croissant. Notre figure 117 donne une idée de ces diverses
inégalités observées au croissant, à la quadrature, après la quadra-
ture et vers la ennjonction supérieure.
Ajoutons que cette rotation diurne de la planète a produit sur ce
gl<)l)(; le même elîet que la rotation de la Terre a produit sur le
nôtre; elle l'a légèrement aplati aux deux extrémités de l'axe et,
légèrement gonflé à l'équateur. Mesuré par M. Tennant pendant ^
le passage de 1874, cet aplatissement polaire a été évalué à ~U.
Trr.tiES DU ciEi.
:t:t
VÉNUS. — ROTATION. DURÉE DU JOUR
Cette valeur est un peu supérieure à celle de l'aplatissement
terrestre, qui est de tj-k-
L'année de cette planète se composant de 224 jours terrestres, en
compte 231 des siens propres : 231 jours sidéraux, ou rotations.
Mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer à propos de Mars,
il y a dans l'année un jour solaire de moins que de jours sidéraux.
L'année des habitants de Vénus compte donc, en définitive,
230 jou7's solaires ou civils; le jour solaire y est de 23 heures
27 minutes 6 secondes : telle est la durée du jour et de la nuit
réunis. Les saisons n'y durent chacune que 56 de ces jours.
Ces saisons sont beaucoup plus marquées que les nôtres, car Taxe
de rotation de la planète est certainement beaucoup plus incliné
que celui de la Terre : au lieu d'être de 23° -3, l'inclinaison de l'équa-
teur sur le plan de l'orbite paraît être de 55°. Il en résulte une
complication extrême dans la distribution de la température et des
climats à la surface de cette planète. (Les anciennes observations de
Bianchini avaient indiqué 75° pour ce dernier angle; mais les
mesures modernes de Vico l'estiment avec une très haute pro-
babilité à 55°.) Les saisons de Vénus sont plus intenses que les
nôtres.
Les régions polaires de ce globe doivent s'étendre jusqu'à 35 de-
grés de son équateur, de même que les régions tropicales doivent
aussi s'étendre jusqu'à 35 degrés des pôles, de sorte que deux
zones, beaucoup plus larges que nos zones tempérées, empiètent
constamment l'une sur l'autre, appartenant à la fois aux climats
polaires et aux climats tropicaux. Laquelle de ces zones est la
mieux appropriée au séjour de la vie?
Tout habitant des régions voisines de l'un et l'autre pôle est
exposé à supporter tour à tour les plus grands extrêmes de chaud
et de froid. Pendant l'été, le soleil tourne continuellement autour
du pôle, s'élevant en spirale et brillant avec une intensité de cha-
leur et de lumière presque deux fois plus élevée que celle qu'il nous
envoie. Seulement pendant un temps très court, en automne et au
printemps, il se lève et se couche pour ces régions. Un jour de prin-
temps ou d'automne, comme un de nos jours en ces saisons, dure
environ douze heures, mais le soleil ne s'élève à midi vers ces dates
qu'à quelques degrés au-dessus de l'horizon. Cette diminution de
VEiNib. — INCLINAISON DE L'AXE. SAISONS
la durée du jour est le signal avant-coureur d'un hiver teirihle qui
va régner pendant trois mois, et dont le froid sera beaucoup plus
intense et beaucoup plus dur que la longue nuit d'hiver de nos
propres régions polaires : car dans nos contrées circumpolaires, le
soleil s'approche de l'i orizon [(tus les jours à l'heuro (pii corres-
pond à midi, sans s'éL ver au-ilessus et sans se mnnlror, il est vrai,
mais cependant en envoyant une certaine lumière et une certaine
chaleur dont l'influence sr f.iit sentir; tandis que pendant In plus
Fit; lis.
liicl-iKusun de l'axo de rotation de Venus comparée à celle de la Terre.
grande partie de la longue nuit des régions polaires de Vénus, il
n'approche pas du tout de l'horizon et reste considérablement au-
dessous. A moins donc que le ciel polaire de Vénus ne soit illuminé
par des aurores boréales, une obscurité absolue doit s'étendre sur
cet hiver glacial et en augmenter encore la profondeur. Il est cer-
tain qu'aucune de nos races humaines ne pourrait ainsi supporter
les alternatives de ces froids noirs et de ces chaleurs tropicales qui
s'y succèdent tous les quatre mois.
Les régions équatoriales sont- elles plus favorisées?
Là il y a deux étés chaque année, qui correspondent au prin-
temps et à l'automne des régions polaires. En ces saisons, le soleil
s'élève chaque jour presque au zénith, et la température y dépasse
celle ([ui existe dans nos régions tropicales. Mais entre ces saisons
l'astre du jour passe alternativement au nord et au sud de l'équateur.
LES SAISONS SUR VÉNUS
A l'époque qui correspond à l'été, un habitant placé sur la limite de
la zone équatoriale voit ce flambeau tourner au-dessus de l'horizon
pendan! ,'3 heures un quart, et se coucher pendant quelques mi-
nutes seulement sans nuit, car la forte réfraction de l'atmosphère
de Vénus relève cet astre presque à l'horizon. A l'époque oppo-
sée, en hiver, il ne se lève que pour quelques minutes et reste
constamment couché. Cette situation nous donne la curieuse et ori-
ginale succession de saisons que voici :
A l'équinoxe de printemps, un été beaucoup plus chaud que nos
chaleurs tropicales; 56 jours plus tard, au solstice d'été, un temps
analogue au printemps de nos régions tempérées, avec cette diffé-
rence que la nuit y est très courte; encore 56 jours plus tard, un
second été aussi ardent que le premier, qui arrive à l'équinoxe
d'automne; enfin, au solstice d'hiver, les jours sont plus courts et
le froid non moins intense peut-être que vers notre cercle polaire.
Ces variations sont pittoresques; mais pour qu'elles soient subies
sans détriment, il faut que les êtres vivants y soient organisés au-
trement que nous. Enfin les larges zones qui s'étendent entre les
deux précédentes, et qui sont tout à la fois tropicales et polaires, ont
des climats intermédiaires entre les deux limites que nous venons
de considérer. Qu'on habite prés des régions équatoriales ou des
régions polaires, on a donc à subir de très fortes alternatives de cha-
leur et de froid, de sécheresse et de pluie, de vents et d'orages.
Si nous prenons la Terre pour point de comparaison, le soleil ar-
rive l'été jusqu'au-dessus de Syène en Egypte, ou de Cuba en Amé-
rique. Pour Vénus, l'obliquité est telle, que l'été le soleil atteint des
latitudes plus élevées que celles de Belgique ou même de Hollande :
55 degrés. Il en résulte que les deux pôles, soumis tour à tour à un
soleil presque vertical et qui ne se couche pas (et cela à moins
de quatre mois de distance, puisque l'année de cette planète n'est
pas de huit mois), ne peuvent laisser la neige et la glace s'accu-
muler. La fonte des neiges y arrive vite, et le printemps passe
comme un rêve. Il n'y a point de zone tempérée ; la zone torride
et la zone glaciale empiètent l'une sur l'autre, et régnent tour à
tour sur les régions qui chez nous composent les deux zones tem-
pérées. De là des agitations d'atmosphère constamment entretenues,
et d'ailleurs tout à fait confox'mes à ce que l'observation nous ap-
LES SAISONS SUR VÉNUS
prend sur la difficile visibilité des continents de Vénus à travers le
voile de son atmosphère, incessamment tourmentée par les varia-
tions rapides de la hauteur du soleil, et par les transports d'air et
d'humidité dus à l'influence des flèches ardentes du brillant
Apollon.
Il résulte donc de toutes ces circonstances des saisons et des cli-
mats plus violents et plus variés que les nôtres. Les agitations des
vents, des pluies et des orages doivent surpasser tout ce que nous
voyons et ressentons ici. Les saisons de cette planète ne ressem-
blent point à celles de la Terre et de Mars ; son atmosphère et ses
mers subissent une continuelle évaporation et une continuelle pré-
cipitation de pluies torrentielles, et son ciel est couvert de nuages
qui ne laissent que rarement apercevoir le sol géographique de la
planète. Ces nuages, du reste, étendant presque constamment leur
voile sous la lumière solaire, ont pour résultat d'abaisser la tempé-
rature moyenne du monde de Vénus, de telle sorte qu'elle doit
être sans doute peu difîérente de celle de la Terre.
Remarquons ici la puissance des symboles mathématiques, et
combien est vraie cette assertion de Pythagore, que « les nombres
régissent le monde » . Un cosmographe s'épuisera à énumérer tout
ce que les saisons de la Terre ou de Mars offrent de particulier; il
montrera les deux régions polaires de ces planètes tour à tour ren-
dues à la végétation et à la vie; il dira la longueur des jours pour
chaque climat. Le mathématicien n'a besoin, pour énoncer tous ces
faits, que d'un seul nombre. Ainsi, quand à côté du nom de la troi-
sième planète, la Terre, il a inscrit l'angle 23*27', tout est dans ce
nombre : saisons, climats, longueurs de jours, aspects célestes,
végétation, vie animale, sans compter bien d'autres influences que
le génie de l'homme n'a point encore découvertes. Les chiffres ont
leur réelle éloquence. Seulement, il faut savoir les lire; ce qui est
beaucoup plus simple qu'on ne le croit en général.
Ainsi, en résumé, au point de vue des saisons et des climats, la
planète Vénus est dans une situation moins agréable que la nôtre :
c'est la plus grande différence qui distingue les deux mondes, car,
nous l'avons vu, son volume, sa densité, la pesanteur à sa surface,
la durée du jour et de la nuit, y sont à peu près les mêmes que
chez nous.
LE SATELLITE DE VÉNUS
• Nous parlions tout à l'heure d'observations problématiques faites
sur le satellite de Vénus. — Vénus a-t-elle un saiellite ?
— Elle en aurait plutôt deux qu'un, répondaient au temps de
la régence les astronomes qui se souvenaient de leur mythologie.
— Elle n'en a probablement aucun, répondons-nous aujourd'hui.
Il faut avouer néanmoins que cette non-existence du satellite de
Vénus n'est pas tout à fait prouvée, et que le sujet reste assez
perplexe. Nous résumerons ici l'ensemble des observations (').
Fontana, l'un des plus habiles astronomes de son époque, en annonça
la découverte faite par kii le 15 novembre 1645.
Quoique l'observation de Fontana fût précise et certaine, les astro-
nomes, pendant vingt-sept ans, cherchèrent sans résultat le petit astre
qui, le 15 novembre 1645, s'était montré tout auprès et au-dessus de
Vénus. Dominique Gassini, dont l'habileté et la circonspection n'ont pas
besoin d'être rappelées, aperçut, en 1672, un point lumineux d'un dia-
mètre apparent égal au quart environ de celui de Vénus et distant de la
planète d'un diamètre seulement de celle-ci. Les astronomes, encou-
ragés par l'annonce de Gassini, cherchèrent sans doute à renouveler l'ob-
servation; leurs efforts furent inutiles, et c'est quatorze années plus tard
seulement, le 27 août 1686, que Gassini retrouva un point lumineux
analogue au précédent, égal en diamètre au quart de Vénus, et situé,
comme distance, aux trois cinquièmes environ de ce diamètre.
Un demi-siècle s'écoula, après cette observation de Gassini, sans qu'au-
cun astronome signale le compagnon de Vénus. Le 3 novembre 1740,
Schort aperçut, à 10' environ de la planète, un astre d'un diamètre un peu
inférieur au tiers de celle-ci, et qui semblait l'accompagner dans le ciel.
L'observation ne put être renouvelée les jours suivants.
Après l'observation de Schort, nous en trouvons une d'André Meier à
Greifswalde en 1759; quatre de Montaigne à Limoges, le 3, le 7 et le
Il mai 1761 ; sept, enfin, de Ro<lkier et de Horrebow, à Copenhague, et
de Montbarron, à Auxerre, les 3, 4, 10, 11, 15, 28 et 29 mars 1764.
Les astronomes que nous venons de citer, sans être de premier ordre,
sont dignes de confiance. Schort était, en même temps qu'excellent obser-
vateur, le plus habile opticien de son temps ; on lui doit d'excellentes
déterminations micrométriques de Jupiter et la mesure de son aplatisse-
ment. Très habitué à l'emploi des instruments qu'il construisait lui-même,
il est difficile de le supposer dupe d'une illusion.
{*) Voir l'article de M. Joseph Bertrand, secrétaire perpétuel de rAcadémie des
sciences, dans la Revue mensuelle VAatronomie (août 1882),
LE SATKLMTK DE VÉNUS
Montaigne découvrit deux comètes, en 1772 et en 1774; observateur
zélé du ciel, il avait l'iiabitude des instruments.
Horrebow, élevé dans l'Observatoire de Copenhague, dont son père,
avant lui, était le directeur, alaissé la réputation d'un astronome conscien-
cieux et habile.
M. Schorr, dans son récent ouvrage .illcniand sur « le satellite de
Vénus », assure (jue André Meier a prouvé sa capacité par plusieurs bons
travaux; mais il n'en cite aucun, et ce nom ne ligure pas dans la biblio-
graphie astronomique de Lalande. Rodkier et Montbarron, enfin, ont été
de simples amateurs de la science astronomique, mais leurs observations
acquièrent un grand prix par leur accord avec celles d'Horrebow, qui sont
à peu près simultanées.
On s'est demandé si ces apparitions singulières ne devaient pas être
attribuées au passage d'Uranus, alors inconnu des astronomes, dans le
voisinage de Vénus. Le docteur Koch, de Dantzig, qui a laissé d'excellents
travaux d'astronomie stellaire, a trouvé qu'Uranus, le 4 mars 1764, jour
de l'observation de Rodkier, était distant de Vénus de 16'i seulement. La
tentative de Koch pouvait être renouvelée pour les nombreuses petites
planètes découvertes depuis un quart de siècle, et si, pour chaque appari-
tion signalée, l'une d'elles était trouvée dans le voisinage de Vénus, le
problème semblerait complètement résolu. La recherche est facile, quoique
d'une e.xécution uu peu longue; plusieurs jeunes astronomes pourraient
utilement se la partager.
Le Père Hell a cru, en 1757, apercevoir près de Vénus un point brillant
dans le ciel; mais un e.xamen plus attentif lui en fit découvrir l'origine
dans la lumière réfléchie par son œil même et renvoyée de nouveau par
l'oculaire du télescope ; un déplacement de l'image accompagnait en effet
chaque mouveuieut de son œil : l'astre supposé un instant n'avait donc
aucune réalité. Schort et Gassini ne mentionnent pas, il est vrai, l'épreuve
du déplacement de l'œil faite par le Père Hell, mais il est difficile d'ad-
mettre que d'aussi habiles observateurs aient pu, pendant plus d'une
heure, se laisser prendre à une illusion aussi grossière.
Le Père Hell, tout en signalant la cause possible, suivant lui, des obser-
vations prétendues du satellite, engageait cependant, en 1761, tous les
observateurs du [lassage de Vénus à chercher soigneusement la trace du
satellite sur le disque solaire. L'insuccès des recherches le confirma dans
son soupçon, et il le communiqua à Lacaille en le priant de garder sa
lettre pour lui seul; mais, en 176'2, après la mort de Lacaille, il reçut
d'une main inconnue la traduction en langue française de sa propre lettre,
accompagnée d'une réfutation de Montaigne. Il publia idors, dans les
Éphémérides de Vienne pour 1766, une dissertation Dr satpUitc Venens),
dans laquelle il s'efforça d'expliquer toutes les apparitions par des illusions
d'optique.
LE SATtLLlTIi DE VÉNUS
Le passage de Vénus, eu 1769, n'ayant montré le prétendu satellite à
aucun observateur, les astronomes paraissaient adopter l'interprétation
i.Ui Père llell, lorsque Lambert, reprenant la question et acceptant comme
exactes les observations de 17(34, en déduisit la position et la grandeur de
l'orbite à cette époque, renseignement précieux qui aurait dû stimuler de
nouvelles recherches. Les calculs de Lambert, quoique reposant sur des
observations douteuses, sont complets el précis.
L'existence de ce satellite était alors considérée comme si vraisem-
blable, que le roi Frédéric II, de Prusse, fort enthousiasmé des philoso-
phes français , proposa de lui donner le nom de dAlembert. L'illustre
géomètre s'en défendit fort par une lettre spirituelle où l'on remarque le
remerciment suivant : « Votre Majesté me fait trop d'honneur de vouloir
baptiser en mon nom cette nouvelle planète. Je ne suis ni assez grand
pour devenir au ciel le satellite de Vénus, ni assez bien portant pour l'être
sur la Terre; et je me trouve fort bien du peu de place ([ue je tiens en ce
bas monde pour en ambitionner une au firmament. »
L'astronome Lambert appliqua particulièrement ses calculs à l'époque
de l'observation deCassini, de Schort et deFontana. La théorie lui montra
<iue, pendant les passages de 1761 et 1769, le satellite n'a pu paraître sur
le disque solaire, étant au-dessus en 1761 et au-dessous en 1769. Il peut
arriver, au contraire, que le satellite se projette sur le Soleil quand la
planète reste en dehors. Le 8 juin 1753, par exemple, si les tables de
Lambert sont exactes, l'orbite du satellite coupait le disque solaire ; mais
hi position occupée ne le plaçait pasdans la partie commune. Le l"juinl777,
Lambert annonçait un passage du satellite sur le Soleil non seulement
jiossible, mais réel, et, s'il ne se produit pas, dit-il, les tables auront besoin
de fortes corrections. « J'annonce ce passage, ajoute-t-il, tout au moins
comme possible. Les astronomes qui observent souvent le disque du Soleil
trouveront sans doute qu'il y a convenance à choisir ce jour, dans l'espoir
d'y trouver une observation plus fructueuse et plus agréable que de cou-
tume. »
Cet appel ne donna aucun résultat.
L'excentricité de l'orbite calculée par Lambert est de 0,195, un peu
moindre que celle de Mercure. L'inclinaison de l'orbite sur celle de la
planète, 64°, dépasse de bien loin toutes les inchnaisons connues.
La plus grande distance de Vénus au satellite sous-tendrait un angle
de 19' à la distance qui sépare la Terre du Soleil, et l'on pourrait, par con-
séquent, lorsque Vénus se rapproche de nous le plus possible, si laposi-
. ion du satellite est favorable, l'apercevoir à une distance de 42'. Une des
observations de Montaigne le place à 25'.
La dimension du satellite et celle de la planète seraient à peu près dans
le mémo rapport que celui de la Lune à la Terre. On sait, en eflet, que le
diamètre de Vénus est presque égal à celui de la Terre, et que celui de la
1.E SATICLI-ITE DK VIÎ.MS
Lune est de 0,27, comparé au iliamèlre de notre planète ; celui du satellite
de Vénus serait de 0,28.
L'insuccès du l"juin 1777 découragea sans doute les astronomes; on
n'a plus revu ni cherché le salelUle de Vénus, et les traités d'Astronomie
n'en font mention que pour prémunir les ohservateurs contre une illusion
semblahle à celle du Père Hcll.
Ajoutons qu'on n'en a pas trouvé traces pendant les deux derniers pas-
sages de Vénus devant le Soleil, en 1874 et 1882.
Telles sont les observations et les discussions suggérées. La sincé-
rité des astronomes en général, et en particulier celle de Fontana,
Fi.ï ll:i — niiscrvaliuM |)rol)ir-inatir|iiu ilu >atellilf de V.-iius iCassini, 1G72.)
Schort, Cassini, Horrebuw et Montaigne, ne saurait être révoquée
en doute. Nous restons en face de trois explications possibles.
La première est que le satellite existerait réellement, mais serait
très petit et ne pourrait être oljservé qu'en des circonstances rares,
à des époques d'élongations exceptionnelles. Ce n'est pas probable.
La seconde explication est celle des fausses images f) qui se ju-d-
(',1 Un jour, le 30 mars 1881, M. Dcnninj;, obsenant Vénus, remarqua que deux
croissants étaient visibles dans le cbanip de la lunette : lim larire et pi\ie, presque au
rentre du rhamp. et l'autre petit et lirillant, un peu à l'ouest du premier: ce dernier
était la \éritaMc iniap' de la phiiii'lr lis deux emissants étaient tournés du même côté
et leur phase était la même : luu semblait la repniduetion exacte de lautre. M. Dennins"
estima que le diamètre du plus petit était à peu près le ; ilii diamètre de l'autre. Il lit
tourner l'oculaire sans produire aucun déplacement dans la position relative des deux.
TtnnES 1)1' eiEi. n'i
LE SATELLITE DE VÉNUS
duisent dans les instruments, provenant soit de la réflexion de l'œil
dont il a été parlé plus haut, soit d'un ajustement défectueux dans
les lentilles de l'oculaire et de certains effets d'optique dus au jeu
des rayons lumineux dans l'instrument lui-même. La troisième
explication consiste à considérer ces observations comme celles de
petites planètes qui seraient passées au delà de Vénus et se seraient
trouvées fortuitement sur le même rayon visuel. Ces deux dernières
hypothèses sont les plus vraisemblables et peuvent s'appliquer l'une
(!t l'autre à ces observations énigmatiques.
images, guis il le retira. Regardant alors dans l'intérieur du tube, il découvrit l'explica-
tion du phénomène. Les rayons du Soleil entrant par l'ouverture principale de la
lunette venaient tomber en partie sur le petit tul»; mobile qui porte l'oculaire et y for-
maient du côté de l'Ouest un petit croissant brillant, lequel, faiblement réfléchi et ren-
versé par l'oculaire, devenait l'origine de l'image.
Dans le grand équatorial de Washington (l'un des meilleurs qui existent), l'un des
oculaires a constamment montré à M. Newcumb un petit satellite à coté d'Uranus et de
Neptune, lorsque l'image de la planète était anivee juste au centre du champ ; mais ce
satellite disparaissait aussitôt qu'on remuait la lunette. '
L'explication est fort simple et rend compte des apparitions du .satellite àc Vénus;
pourtant il est difficile de penser que l'origine de pareilles illusions aient pu échappera
des observations soigneuses.
.Mouvement de Vénus auluui- du suleil et inclinaison de l'axe de rotation
CHAPITRE IV
Géographie de Vénus.
Topographie.
Continents.
Montagnes.
Mers.
La l'urinsKr et la persévérance des astronomes am])itieux de
srniter les mystères du véritable ciel sont parvenues à lever un coin
du voile nuageu.x de l'atmosphère de Vénus et à reconnaître les plus
importantes variétés de nuances de son sol. La première obser-
vation de ces taches date de plus de deu.K siècles : elle est due au
jireiiiier directeur de l'Ohservatoin» de Paris, à Jean Dominifpie Cas-
sini, avant son arrivée en France. 11 déctjuvrit une tache lirillante le
14 octohre 16()(j et en observa une seconde h? 28 avril I(j(j7. Celle-c-i
montra un déplacement sensible pendant la durée d(;s observations,
un nouveau déplacement le iendemam, et encore un le surlende-
main. Les observations des 9, 10 et 13 mai, des 5 et 6 juin IGtJT,
confirmèrent ce mouvement, et l'observateur en conclut la durée de
rotation que nous avons signalé(> plus haut.
Sous ce même ciel d'Italie, Bianchini parait av(jir été, en 172()-27,
tout particulièrement favorisé, soit [tar la pureté accidentelle du
ciel ou par la puissance de sa lunette, soit à raison d'autres circon-
stances inconnues. A l'aide d'une colossale lunette de 150 palmes, ou
de ?•'.) mètres environ de loniçueur, eet observateur aperçut, vers le
milieu de la planète, sept taches qu'il qualifia de mers, counuu-
ni([uant entre elles par des détroits et offrant huit promontoires dis-
tincts. 11 en dessina les figures et leur assigna le nom d'un roi de
Portugal, Jean Y, son bienfaiteur, et les noms des navigateurs les
GÉOGRAPHIE DE VÉNUS
plus célèbres par leurs voyages, auxquels il ajouta ceux de Galilée et
de Cassini. Bianchini a cru ces taches assez invariables et assez sùre-
rjit VL Ali
JP/nijiTj. rr (LÂt,iri,/.T m ^/jficOi '-Vanfru- rt/:-r-vaC-.r^
tvr </«• .7 CFehfuiu-if aJ y QM.xj-tti MBCCXXVI
jfftrr arce^.riim^m Vfj-tp^fù^iun ait So/lt Synaau/n.
l'ig, 1-21. - Dessins (li> la jilanéte Vénus faits en 1726-1727,
Jiai' liianchiui, à l'aide d'une lunette de 30 mètres.
ment observées pour dessiner lui-même nn planisphère géocra-
pliique de la planète. Nous reproduisons ici [fig. It?l et l-?-2) les deux-
planches sur lesquelles il a dessiné vingt de ses observations, en
C.KOORAI'HIE DE VENUS
numérotant les taches grises qu'il considère comme des mers, et
[fig. 123), le globe de Vénus dont il a dessiné lui-même les fuseaux.
in rniintttna (t/^partttone ax 0. s '^^au. aet 1 1 /unii ly^LS
rtinVcs^rana elan^atian€ a Scie ex j fui ad^ Septemhru i
et rurjits tn matuàna ^ULiœne 7 /iLnuaj-u n Q.V
SPuiu-r excBoreuj dtiu^ -,
Fif. 1-ii — Dessins do lu pV.mhw Vénus fiiils en ITiG-lïîï,
par Bianchini, à l'aide d'une lunette de M mètres.
En coupant ces fuseaux, et en les collant sur un globe de 81 milli-
mètres de diamètre, on construirait le globe géograpliique de V.-nus
préparé par l'astronome italien. Ses mers portent les noms respec-
CÈOCUAl'IllL bK VENUS
tifs de : I, Jean V; — II, l'Infant Henry; — III, le Roi Eramanacl;
— IV, le Prince Constantin; — V, Colomb; — VI, Vespuce; — VII,
Galilée; — la mer boréale ou de Marco Polo; — la mer australe ou
de Magellan. — Sur le frontispice de son ouvrage [fig. 124), on
voit Uranie tenant à la main un petit système solaire dans lequel
le cœur du roi tient la place du Soleil (les courtisans ne connais-
sent pas de limites), tandis qu'un amour à genoux offre au roi un
globe géographique de Vénus, fort élégant d'ailleurs.
Malheureusement, depuis plus d'un siècle et demi que ces
observations ont été faites, elles n'ont pas été perfectionnées,
comme on aurait pu s'y attendre, par les progrés de la science. Au-
cun instrument moderne n'a montré ces taches aussi nettement que
Bianchini les a vues, et, soit que plusieurs d'entre elles varient, soit
que l'atmosphère de Vénus ait été au temps de cet astronome plus
transparente que de nos jours, les taches sombres de cette planète
toujours éblouissante ne se sont jamais montrées que vagues et
incertaines. Le planisphère de Bianchini ne peut être considéré que
comme un premier rudiment de la géographie de Vénus. Nous ne
devons mettre en doute ni la bonne foi ni l'habileté de cet astro-
nome, d'autant plus que ces taches ont été revues en Italie même;
mais elles sont loin d'avoir la précision et la sûreté de celles qui
constituent la géographie de Mars.
D'après ces dessins, les taches grises considérées comme des mers
se prolongeraient le long de l'équateur de Vénus et formeraient trois
océans, dont l'un serait presque circulaire et dont les deux autres
seraient divisés en trois parties à peu près égales. On remarque
de plus deux taches grises allongées, dont l'une occupe tout le pôle
nord (inférieur), et dont l'autre dessine un demi-cercle autour du
pôle sud. Les taches sombres, en effet, doivent être des mers, parce
que comme nous l'avons constaté à propos de Mars, Ueaif absorbe
plus la lumière que les terres et la réfléchit moins.
A la fin du siècle dernier, Schrôter fit plusieurs dessins du disque
de Vénus; mais les taches qui s'y trouvent ne rappellent que de loin
celles de Cassini et de Bianchini.
Il est remarquable que Dominique Cassini n'ait jamais réussi à
apercevoir à travers l'atmosphère de Paris aucune trace des taches
qu'il avait observées en Italie.
GÉOGRAPHIE DK VÉNUS
En 1837, Gruithuisen fît un certain nombre d'observations, et
Sfhuinacber remarqua spécialement une tache sombre qui était
bien visible pendant le crépuscule et qui une demi-heure après se
perdait dans l'éclat de la planète; il en écrivit au P. de Vico, direc-
teur de l'Observatoire du Collège romain, en le priant de profiter
de la pureté du ciel d'Italie pour vérifier les observations de Bian-
chini. L'astronome romain se servit d'une excellente lunette de
Cauchoix, de 158°"°, armée de grossissements portés parfois jus-
qu'à 1128, et observa surtout pendant le jour, attendu que pendant
la nuit la vivacité de l'éclat de la planète interdit à peu près
toute observation. Six observateurs se mirent à l'œuvre pendant
rannée 1839; leurs observations sont nombreuses, et l'on en jugera,
si nous remarquons que l'un des assistants, Palomba, ne fît pas
moins de 11800 mesures, dont 10000 furent employées pour la
détermination de la rotation. Sur ces six observateurs, ceux qui dis-
tinguaient le mieux les taches, étaient ceux qui avaient le plus de
difficulté à découvrir les petits compagnons des étoiles doubles;
c'est là un fait assez curieux, qui s'expliquera peut-être, si l'on
réfléchit qu'un œil très sensible, qui découvrirait les taches immé-
diatement, serait plus facilement ébloui par la lumière d'une étoile
brillante, et n'apercevrait pas un petit point lumineux dans son
voisinage. Les observateurs romains confirmèrent les assertions de
Bianchini, et retrouvèrent ses taches, à l'exception d'une petite.
Leurs dessins de la planète s'élèvent au chiffre de 145; nous en
reproduisons ici quatre (fig. 125) qui, en effet, rappellent bien les
mers circulaires de Bianchini. Dans son excellent recueil Celestial
objects for common télescopes, M. Webb assure que quoiqu'un
très grand nombre d'observateurs n'aient pu parvenir à distin-
guer aucune de ces taches, cependant elles ont été revues, sans
être pour cela identifiées, par MM. Delarue, Huygens, Worthington,
Seabroke, Terby, Denning, Safarik et Van Ertborn. With et
Browning ont remarqué des taches blanches comme les neiges de
Mars. « Que ne pouvons-nous voir ces détails plus facilement,
s'écrie à ce propos M. Webb, quel intérêt n'y aurait-il pas à mieux
connaître cette charmante planète, surtout lorsqu'on pense que
c'est la seule de tout le système dont le volume soit presque exac-
tement égal à celui de la Terre. »
TEI'.nES DU CIEL
F.uuwspici.- di> II. vr.ge de BùD^'hini.
PRÉSENTATION DD SL08E DE 7ÉNDS AB ROI JE*M T
35
CEOCRAI'llIK KK VKNLS
Lu vLsiliilitr des tiichcs do Vriiiis dépend surtout de l'état de
l'atmosphère terrestres l't l'ommt^ la surface de cette planète est
très lirilhuitc, il faut ({u'iuie certaine lumière l'environne pour
que ces taclu's sdiiMit distiiirU's. On l(,'s a observées à Rome dans
'une p(^tite liinctli! de ;* pdaccs sculcnicnt. Ou les a vues en
Angb^torre daas iiu ancien Li''l('sci)p(> {rr/lrc/o/') grossissant 200 fois,
le 2.S janvier 1730, à travers les lueurs rouges d'une aurore boréale,
beaucoup plus nettement ([ue lorsque le ciel n'était pas éclairé.
(^luanl à moi, je n'ai jamais pu les distinguer que pendant le jour
et cela deux fois seulement : en juillet 1871, dans le grand équatorial
12j. — Aspects géographiques de la planète Vénus [Uà Vico. 18391.
de l'Observatoire de Paris, et, quelques jours après, dans nn téles-
cope Foucault de 20 centimètres.
L'atmosphère de Vénus est, d'ailleurs, si souvent couverte de
nuages, que ces taches sont très rarement visibles; plusieurs
astronomes très habiles ne sont jamais parvenus à rien distinguer
sur cette planète. L'astronome anglais Dawes, dont la vue était si
perçante, n'a jamais pu rien y découvrir, et William Herschel n'est
parvenu, après bien des recherches, (ju'à constater une légère
supériorité d'éclat sur les bords du disque comparés au cercle
intérieur.
On a remarqué que les télescopes sont préférables aux lunettes
pour l'observation de Vénus, et depuis que le procédé Foucault
a permis de construin^ facilement des télescopes en verre argenté.
CKOr. n AI'IIIK \)K VKM'S 27a
l'oljsrrviiljuii (le l;i, |ilaiu''ti' .i rir licaïu'oiip plus ravnris(''(' et [ilus
IVéquonto; aussi pussrddiis-iiuiis, depuis uue dizaine (ranni''Os
surtout, un très beau choix de dessins de cette planète, moins
détaillés certainement (pie ceux de Mars et même que ceux de
.lupiter, mais enliu déjà safisiaisants pour notre instruction,
l'iusieurs de nos collègues d'où Ire-Manche, entre aulres, se sont
livrés à {]{'<• (jbservations continues et persévérantes, dont nous
somni(!S heureux de signaler ici les principaux résultats:
Le l''' mai 1871. M. Langdon, astronome anglais, étant [larvenu à
diminuer l'éclat de Venus à l'aide d'un diaphragme de carton noirci jilacé
WÊÊBB^^^B^ÊÊÊÊ^^^^^^Ê
Fig I2G. — Aspects géographiques de lu pUuièle Vi
[1. Cassiui, ItiUO. — i. S et l. Larigdoii, IS7I.
dans l'oculaire, réussit à distinguer ces taches. La phase était celle de la
Lune le lendemain du premier ([uartier. Il aperçut d'abord très distincte-
ment une tache oblongue, s'étendant parallèlement au bord, courbée
comme lui, traversant une partie du disque et se terminant en pointe à
ses deux extrémités. A l'est de cette tache oblongue, on en remaniuait
une autre plus large qui semblait la rejoindre. Cet aspect fut observé ot
dessiné pendant une demi-heure. Nous en avons reproduit le dessin
ci-dessus i/if/. 12G . Il est fort intéressant de le comparer au dessin n" I,
</iii a clé fait par Cassinl /e 14 octobre IG66, à deux cent cinq ans d'in-
tervalle. La similitude des formes est curieuse.
Le 0 mai suivant, plusieurs taches se voyaient à la surface de la
planète, notamment une longue ligne droite, sombre, traversant le
disque, et une espèce de golfe s'étendant jusqu'au centre.
Le 13 mai, à 7 heures .30 minutes du soir, on remarquait une tache
sombre, en forme de poire, commençant du coté du bord occidental et
CÉOCRAI'IIIE DE VEM'S
s'étondant jusqu'aux deux tiers du dis([uo; cette tache était moins fuiicée
que celle du 1" et du (j, mais beaucoup plus large.
Le 28 juillet, à 8 heures du soir, on voyait cinq taches sombres
dentelant le cercle terminateur de l'hémisphère éclairé, et non loin de
là une autre, pkis longue et ovale. Ce qu'il y avait de plus remarquable
ce soir-là, c'est (jue la corne australe (supérieure) du croissant était
arrondie, tandis (jue la corne boréale était [)ointue et finissait [)ar un
angle aigu.
Le 25 octobre, à 8 heures 10 minutes (hi malin, observation faite en
plein jour. Dans cette circonstance, on put mieux que jamais constater
la nature dentelée du cercle terminateur, dont l'inégalité était évidente,
Fig. 1"27. — Asppcts géographiques do lu plani'tf Vi'iin
(Dessins de M Denning. 1881 )
mais ce qu'il avait de plus étrange, c'est que la corne boréale était courbée
dans la direction du centre de la planète : son aspect était le même que si
une entaille avait été enlevée dans l'intérieur et comme si une tranche
avait été coupée à l'extérieur. Cette singulière pointe est du reste très
visible (intentionnellement exagérée) sur la figure.
Le 2 janvier 1873, à \ heures de l'après-midi, un autre astronome
anglais, M. Elger, observant la planète, remartjua une tache très nette
qui s'étendait du limbe boréal jusqu'au centre.
Le même jour, M. Langdon observait la planète, et remarquait aussi
cette tache sombre demi-circulaire, qui s'étendait jusqu'au centre; le
disque illuminé était lui-même singulièrement dentelé.
Le 20 février, vers 3 heures de l'après-midi, la corne australe était
r.Éor.RAl'llIK DK VKNUS
277
plus longue et plus pointue (pe la boréale; celle-ci était évidemment
tronquée\(i même jour, à 6 heures et demie, la planète présentait deux
taches très visibles: une longue bande sombre coneentriiiue avec le
bord, et une tache isolée située près du centre.
Le 23 février, à -5 heures, on voyait une tache faible et très distincte.
La corne boréale était /ronr/uée.
Le 27 février, de 3 à 4 heures, on ne distinguait aucun vestige de
taches; mais, à 7 heures, on put dessiner une tache irrégulière fort bien
définie. Les deux cornes étaient aiguës, mais l'australe se projetait plus
loin.
Le 28 février, à G heures 'i7 minutes, un oliserva non loin du iinrd de
l-i». — .\spccls géogrupluqucs du lu iJUiièli; Viiius.
(Dessins de M. Deniiing, 1881 )
la planète une tache tout à fait semblable de forme à celle (ju'on avait
vue le soir précédent. Trois petites taches blanches se montraient près
du cercle terminateur. Les deux cornes étaient très affilées et l'australe
se prolongeait au delà du demi-cercle.
Le 17 avril, à 8 heures du soir, on remarquait deux taches très brillantes
sur le croissant de Vénus : l'une au milieu, et l'autre, vers la corne
orientale, près du cercle terminateur. Ces taches blanches faisaient l'effet
de deux gouttes de rosée, et elles brillaient d'une lumière si blanche, que
la région du croissant lumineux qui les entourait paraissait sombre par
contraste.
En I87C), nous souuues parvenus, mes amis MM. Paul et Prosper Henry,
astronomes de l'Observatoire de Paris, et moi, à distinguer une traînée
cF.or.nAriiiF. hk venus
lé'ïèrement foncée le long du bord intérieur du croissant, et de rares
échancrures, mais sans ([uo jamais la tache allongée ait offert un carac-
tère d'authenticité incontestable.
De mars à juillet 1881, MM. Niesten et Stuyvacrt ont fait uneL
série de beaux dessins du croissant de Vénus à l'aide du nouvell
équatorial de 0'°,S& de l'Observatoire de Bruxelles. Leurs dessins des
30 mars, 4 avril et 30 juin offrent une frappante analogie avec
ceux de Gruythuisen, surtout en ce qui concerne les taches
polaires.
La même année, M. Denning, astronome à Bristol, entreprit une
série d'observations suivies, dans le but de retrouver les détails
délicats signalés par les anciens astronomes. (Télescope de
10 -j pouces = 0"',2&; grossissement = -400 fuis.) Nous résumons
ici les principales observations de notre éminent collègue.
22 mars 1881, de 5 heures à 7 heures. — Les cornes sont remarquable-
ment brillantes, ainsi que la l'égion qui avoisine le limbe occidental ; la
partie intérieure est plus sombre. L'espèce de bouillonnement que
présente la surface de la planète, surtout quand l'air est agité, donne
naturellement au bord cette apparence dentelée et au disque entier
cet aspect granulé qu'ont noté plusieurs observateurs.
26 mars, de 6' 30"" à T*" 15°". — Images moins nettes que l'observation
précédente, où la vision était presque parfaite. Le disque présente une
apparence granulée avec des espaces gris et des veines ou stries lumi-
neuses; mais cet aspect est vraisemblablement dû aux tremblements de
l'image. Les cornes, très brillantes et très efQlées, s'étendaient consi-
dérablement au delà du demi-cercle, très différentes en cela des cornes
du croissant lunaire; mais on ne doit pas s'attendre à voir deux corps
aussi différents dans leur constitution physique présenter des apparences
absolument semblables.
La réfraction atmosphérique autour d'une planète enveloppée d'une
couche dense et profonde de gaz doit nécessairement diffuser la lumière
du Soleil sur une vaste étendue. Vénus doit réfléchir cette clarté au delà
de la moitié de sa surface, et telle est, sans doute, la cause du prolonge-
ment anormal des cornes, qui a été si souvent remarqué, ainsi que de
la possibilité d'apercevoir la circonférence entière de la planète aux
époques voisines des conjonctions inférieures.
28 mars, de 6 à 7 heures. — On remarque une petite région brillante
tout près de la corne boréale, ainsi qu'une tache un peu foncée s'éten-
dant depuis le bord intérieur jusqu'au bord occidental, dans l'hémisphère
austral. Il y a aussi dans l'hémisphère boréal, une ombre grise qui court le
GÉOOKAI'IIIE DE VÉNUS
long du bord intérieur. Les images sont splendides avec un grossis-
:sement do 400 fois.
30 niiu'ri, de 6'' 30'" à 7 heures. — La tache brillante est encore
visible près de la corne du nord, ainsi que la région obscure et
diffuse dans l'hémisphère sud. La forme réelle du bord intérieur est
évidemment ondulée. Elle présentait une entaille obscure près de la
corne nord, dans le voisinage de la tache brillante dont il est ques-
tion plus haut. Celte enlaille est extrêmement petite et ressemble à un
cratère.
31 mars, de 6'" 15° à ô' 4.5°". — L'aspect de Vénus est à peu près sem-
blable à celui des soirées précédentes ; mais les taches semblent s'être
légèrement déplacées vers l'Occident. La tache brillante et l'échancrure
qui avoisinent la corne boréale sont toujours visibles, quoique la pre-
mière ne soit pas aussi distincte que la veille. Les images sont bonnes
avec des grossissements de 200 et 290 fois, très belles avec un gros-
sissement de 400 fois.
5 avril, de 6 heures à 6'' 30'". — Le croissant devient évidemment plus
étroit. Il y a une ombre faible sur l'hémisphère nord, et, près de la corne
boréale, une échancrure qui paraît très nette, quoiqu'elle paraisse plus
éloignée de la corne que le 30 ou le 31 mars; ce n'est peut-être pas la
même. On soupçonne sur le disque la présence de régions obscures et
lumineuses, et sur le bord intérieur l'c.Kistence de petites taches bril-
lantes. A plusieurs reprises, on en remarque une entre la corne boréale
et le milieu du bord : elle apparaît comme une boucle allongée, parlant
du contour obscur de l'hémisphère non éclairé. Les deu.x cornes sont
très brillantes : leur lumière est véritablement éclatante quand on la com-
pare à celle des régions voisines du bord extérieur, lesquelles sont invaria-
blement beaucoup plus sombres. Il est très difficile de se prononcer d'une
manière positive sur l'aspect granulé du disque de la planète et sur la pré-
sence d'objets semblables à des cratères le long du bord intérieur. L'ex-
trême petitesse de ces détails et l'instabilité de l'image constamment
agitée par les ondulations de l'atmosphère sont deux causes qui doivent
commander une extrême réserve. On ne peut jamais voir la surface
de la planète complètement dégagée de ces bouillonnemenls ou trem-
blements produits par le passage continuel des vagues aériennes; d'aussi
minuscules images, constamment influencées par des courants d'air
chargé d'humidité sont peu distinctes et peu certaines.
Eq résumé, il résulte des observations précédentes qu'il y a cer-
tainement sur le disque de Vénus des taches sombres et des régioni
claires, ainsi que des points brillants qui se présentent de temps en
temps prés des cornes. Ces derniers sont très lumineux.
CÉOCRAPHIE DE VENDS
Les dessins do M. Denning, et notamment ceux des 30 et 31 mars,
mettent en évidence le t'ait que les positions des taches, examinées
à la même heure pendant plusieurs nuits consécutives, révèlent un
léger mouvement vers l'Occident, qui confirme approximati-
vement la durée de 23 heures 21 minutes. L'axe est certainement
très incliné, car la direction du mouvement des taches par rapport
à la lipne des cornes est du sud-sud-est au nord-nord-ouest.
Un observateur qui noterait le mouvement apparent des taches,
d'une soirée à l'autre, en les observant chaque soir environ dix-
neuf minutes plus tard que la veille, trouverait certainement une
durée de rotation fort voisine de celle qu'a conclue Bianchini. S'il
observait tous les soirs exactement à la même heure, il trouverait
une rotation de trente-six jours environ, tandis que pendant trente-
six jours la planète aurait accompli en réalité trente-sept rotations
complètes. Mais si les taches sont suivies d'heure en heure pen-
dant la même soirée, on s'aperçoit bien vite que le mouvement
est de beaucoup plus rapide. Il ne faut pas cependant se dissimuler
que l'on éprouve de réelles difficultés à suivre ainsi, pendant une
assez longue période de temps, ces taches si délicates. Quoiipi'ii en
soit, l'observation de Vénus pourrait et devrait être continuée régu-
lièrement par quelques astronomes amateurs.
Ces diverses séries d'observations soigneuses nous montrent qu'il
y a sur la planète Vénus des taches permanentes et des taches
passagères, fort difficiles à distinguer les unes des autres. Nous
pouvons être assurés, toutefois, que les points brillants qui vien-
nent échancrer le bord de l'hémisphère éclairé sont des chaînes de
montagnes très élevées. Il est certain aussi que l'hémisphère bO'
réal est plus tnontagneux que r hémisphère austral, puisque le
croissant boréal est presque toujours plus irrégulier et plus tronqué
.que le croissant austral (cela se voit surtout sur la figure du 2J oc-
ftobre 1871). Les grandes taches sombres observées à plusieurs re-
I prises depuis plus de deux siècles doivent représenter des mers,
et les grandes taches blanches des continents. Mais il se forme en
outre dans l'atmosphère de Vénus, assez souvent (et probablement
même tous les jours, comme sur la Terre), des nuages et d'im-
menses régions nuageuses très étendues, qui sont visibles d'ici sous
la forme de taches brillantes variées. Nous pouvons même con-
1 Ol'Ocr.AIMIIK. MO mai; NES
dure, d'après l'éclat tout particulier de la planète et d'après les
difficultés des observations, que l'état ordinaire de son atmosphère
est d'être couverte de nuages; de sorte qu'en général nous ne
voyons que la surface extérieure formée par ces nuages et non i)as,
comme sur la Lune ou sur Mars, le sol lui-même.
Telles sont nos connaissances actuelles sur la géographie du
H'J. — Irri'gukirili's observées sur le contour intérieur des phases de Vénus,
Madier. 1833 et 1$3C).
monde de Vénus. L'examen de ses conditions d'habitabilité nous
amène maintenant à l'étude de sa topographie.
Les premières observations attentives ont montré à sa surface des
irrégularités considérables pour son volume, formées par d'im-
menses et hautes chaînes de montagnes, bien supérieures à nos
Andes et à nos Cordillères. Mais il a fallu les soins les jiliis minu-
tieux pour s'assurer de ces particularités, et surtout pour en me-
surer la valeur.
La principale difficulté d'une observation précise de la surface de
Vénus vue au télescope vient de la lumière excessive qu'elle nous
envoie, quoiqu'elle ne fasse que refléter hi liuuière qu'elle reçoit du
TEnitES DU CIEL îîC
T 0 l' O (; lï A l> Il l E .\1( I N TA(; N E S
Suk'il. Cette éclatante lumière est bien supérieure à celle que nous
recevons de Jupiter, et au télescope, comme à l'util nu, elle est
incomparablement plus blancbe. La valeur intrinsèque de cette
réflexion est prodigieuse. Pour le bien concevoir, supposons que le
soleii de midi darde perpendiculairement ses rayons sur le flanc
d'une montagne, et que cette surface soit couverte de sable blanc:
l'éblouissante lumière qui nous serait ainsi réflécbie n'égalerait
même pas la moitié de celle que Vénus nous renvoie.
L'astronome ZoUner a calculé que la planète Mars nous réfléchit
un peu plus de lumière solaire que si sa surface était recouverte
de sable blanc. Supposons qu'il èn_soit de même de Vénus. Comme
elle est plus proche du Soleil, et qu'elle reçoit à surface égale deux
fois plus de lumière que la Terre, son disque doit paraître plus de
deux fois plus brillant que du sable blanc illuminé de face. La
distance n'est pour rien dans la proportion; elle peut diminuer
l'éclat des objets vus à travers une atmosphère plus ou moins opa-
que, mais elle ne l'atténue pas à travers le vide.
Ce grand éclat de Vénus apporte un singulier obstacle à la netteté
des détails de sa surface, qui éblouit l'œil, même en réduisant
l'ouverture des lunettes et en diminuant la lumière. Mais quoique
cette planète soit si difficile à observer, il y a cependant une circon-
stance de son mouvement qui met en évidence le relief géologique
de sa surface : ce sont ses phases, analogues à celles de la Lune,
comme nous l'avons vu. Lorsqu'elle arrive entre le Soleil et nous,
elle nous apparaît sous la forme d'un croissant de grande dimen-
sion. Nous ne voyons malheureusement pas sa partie centrale, dont
l'observation serait alors si utile; mais son bord illuminé dessine
pour nous les irrégularités de sa surface, et nous permet d'es-
sayer sur elle l'observation que nous avons faite depuis longtemps
sur la Lune, c'est-à-dire de mesurer la hauteur de ses mon-
tagnes.
Sur la Terre, sur la Lune, sur Vénus, sur un globe quelconque
éclairé par le Soleil, le cercle intérieur qui limite une phase, la
ligne qui borde le croissant éclairé, dessine la région sur laquelle le
soleil se lève ou se couche. Les sommets des montagnes sont illu-
minés au lever du soleil avant la plaine qui s'étend à leur pied, et le
contraire a lieu au coucher du soleil. C'est ce qui rend si remar-
VÉNUS. — TOPOGRAPHIE. MONTAGNES
(funlilo la VTic triescopique dos paysages lunairrs le, long des iripri-^
diens situés à la limite do rillumination solaire. Aux environs du'
premier quartier notamment, le bord intérieur de la Lune est frangé
d'échanorures nettes et profondes causées par les aspérités du ter-
rain, qui produisent l'effet d'une admirable dentelle, lorsque le
grossissement qu'on emploie pour les observer n'est pas assez fort
pour en révéler la véritable nature. En réalité, un des plus beaux
spectacles de l'astronomie pratique et en même temps un des plus
faciles à se procurer, c'est sans contredit de diriger une lunette sur
l'astre argenté de la nuit dans les beaux soirs qui précèdent le premier
quartier : l'œil émerveillé voit se détacher dans le ciel un croissant
d'argent fluide, dont la contemplation élève notre pensée bien au-
dessus des choses ordinaires de la vie terrestre. Une telle heure
d'étude est, ne craignons pas de l'avouer, tout simplement déli-
cieuse.
Nos lecteurs savent que c'est en mesurant la distance qui sépare
le sommet ainsi éclairé d'un pic lunaire de la limite de l'ombre,
que les astronomes ont pu calculer la hauteur précise de toutes les
montagnes de la Lune.
Des phénomènes analogues sont présentés par la planète Vénus,
seulement sa grande distance les rend difficiles à observer; tandis
que nous avons pu mesurer les hauteurs de toutes les mdulagucs de
la Lune à quelques mètres près, nous n'avons encore pu distinguer
que les hauts plateaux qui hérissent le sol de la planète, comme
l'Himalaya, les Andes, les Alpes, le font sur la Terre, mais dans des
proportions plus considérables encore. Si le globe de Vénus était
parfaitement uni, la limite entre l'hémisphère éclairé et l'hèi ai-
sphère obscur serait toujours nette et uniforme; ces montagnos la
rendent au contraire fort irrégulière.
Dés l'année 1700, Laliiro, astronome français, observant Vénus
pendant le jour, près do sa conjonction inférieure, aperçut sur la
partie intérieure du croissant des inégalités qui ne pouvaient être
produites que par des montagnes plus hautes que celles de la Lune.
La lunette dont il se servait avait 5"',20 de distance focale et grossis-
sait 90 fois.
Dans la première moitié du siècle dernier, le pasteur anglais
Derham, auteur de la « Théolo£!;i« astronomique », fît remarquer
V r: M' s. — r 0 1' I m; K A l' Il 1 K. >i 0 .N r a c n k s
aussi qu'on (ilisf'i-vniit 1p ornissant do Yôniis dans le télescope de
Huygciis, il avait vu des sinuosités et des inégalités analogues à
celles que nous observons dans le croissant lunaire.
L'astronomie est redevable à Scbrôter d'une excellente série
d'observations faites ;ï la fin du siècle dernier. En portant son atten-
tion sur la partie du croissant voisine des cornes, il les vit quelque-
fois tronquées, et même, le 28 décembre 1789, le 31 janvier 1790 et
le 27 février 1793, il aperçut prés de la corne méridionale un point
lumineux tout à fait isolé, séparé du reste du croissant par un
espace obscur. Ces irrégularités variaient de forme précisément
comme elles doivent le faire, suivant l'inclinaison des rayons so-
laires et le relief du sol. Ici une plaine ou une mer, plus loin un
haut plateau qui s'interpose comme un pont entre la lumière et
l'ombre; ici des vallées, là des pics montagneux découpant une bor-
dure variée à la limite de l'hémisphère éclairé. Plusieurs des effets
observés par Schrôter furent si remarquables, qu'ils lui firent tout
de suite conclure que les chaînes de montagnes de Vénus doivent
être beaucoup plus élevées que celles de la Terre.
Ces irrégularités lui avaient paru assez marquées et assez évi-
dentes pour permettre d'en conclure la durée de la rotation, qu'il
trouva de 23 heures 21 minutes 8 secondes. Il alla même jusqu'à
évaluer la hauteur de ces montagnes et à leur attribuer une élé-
vation de 43 kilomètres, conclusion très incertaine d'ailleurs. "Wil-
liam Herschel attaqua ces découvertes dans les « Transactions philo-
sophiques » de 1793; mais Schrôter réfuta cette attaque dans le
volume de 1795.
Pendant les anné "s 1833 et 1836, les astronomes Béer et Mâdler
se sont occupés spécialement du même sujet, et ont vérifié que
les courbes qui bordent le croissant intérieur de la planète n'ont
pas exactement la configuration mathématique qu'indique la
théorie. Ils ont dessiné une série de figures, dont nous avons repro-
duit plus haut {fig. 129) les huit principales d'après leurs dessins
originaux. Sans entrer dans les détails d'observations et de dates de
ces huit phases, qu'il nous suffise de prier le lecteur de considérer
attentivement les lignes intérieures des croissants : on remarque
une différence essentielle entre ces lignes intérieures et la courbe
extérieure. Tandis que celle-ci est toujours ronde et nette, l'autre
VENUS. — TOPOGRAPHIE. MONÏAONliS
est irrégalière, et ses échancrures, faibles en apparence, fortes si on
les analyse avec soin, en tenant compte de leurs proportions relati-
vement au diamètre de la planète, prouvent irréfutablement le
relief géologique du sol de Vénus et l'importance de ce relief.
De ces observations ils n'ont pas essayé do déduire une période
de rotation à cause de l'incertitude des taches et des échancrures
observées. Cependant la comparaison de ces aspects les ont con-
duits à regarder la période de Cassini comme probable, et malgré
les incertitudes, ils n'en considèrent pas moins comme incon-
testables les échancrures observées. « Nous accordons volontiers,
écrivent-ils dans leurs Fragments sur les corps célestes (Paris,
1840), qu'il puisse exister certaines illusions d'optique dans les
déterminations de la forme des cornes et de la figure elliptique de la
phase de Vénus, qui ne reposent que sur des appréciations ; mais
que l'on soit en droit d'envisager sans autre motif une série entière
de semblables observations comme des erreurs réelles, c'est ce que
nous regardons comme impossible. Surtout les variations remar-
quées dans la corne australe ne peuvent point du tout être causées
uniquement par l'atmosphère ou le télescope, car dans ce cas elles
auraient dû aussi se présenter de la même manière dans la corne
boréale. »
A propos de la différence signalée plus haut entre la phase cal-
culée et la phase observée, ils ajoutent :
Lorsqu'on cvaiiiioe, même à l'œil nu, que la lune croissante ou décrois-
sante, surtout pendant le jour, la largeur de la partie visible, prise per-
pendiculairement à la ligne qui joint les cornes, apparaît sensiblement
diminuée, et l'on remarque une concavité très prononcée dans la limite
de la lumière, lorsque l'astre est déjà réellement dans sa quadrature. Les
grandes ombres noires des hautes montagnes de la lune entre lesquelles
on ne peut apercevoir près de la limite de la lumière que de petites éten-
dues peu nombreuses, et pour la plupart très éclairées, produisent une
impression générale tout à fait semblable à celle que produit le fond
obscur du ciel, et ce n'est qu'au moyen du télescope qu'on peut les distin-
guer l'une de l'autre. Si maintenant, par un grossissement encore appli-
cable, Vénus est placée pour nous à peu près dans le même rapport
optique que la Lune vue à l'aul nu, et si sa surface est ainsi couvert* de
montagnes, le phénomène devra se présenter tel que nous l'avons
observé.
V K m: S. — T (» p (ici; a p h i e. m u n tag n li-
Si ces montagnes étaient proportiomiellement -àWAsi liau! es que celles
de la Lune, et si elles atteignaient, par conséquent, sur Vénus un
maximum de 5 à G lieues, la limite de la lumière devrait se montrer iné-
gale et dentelée, comme celle de la lune à i œil nu. Quelques observa-
teurs priHendent avoir constaté et mesuré ces échancrureo ; mais nous
pouvons assurer que tout en les ayant remarqués nous n'avons pu pren-
dre aucune mesure certaine. Gonpme en outre l'état de ralmos[)lière, la
réfraction, etc., peuvent avoir et ont très probablement en etlet une
grande part à cette variation dans les limites de la lumière, il serait
inutile de vouloir tirer quelque déduction sur la hauteur précise des
montagnes de Vénus (').
Bocr et Miidler ont observé une courbure singulière de la corne
méridionale correspondant avec une dépression déjà remarquée
par Sclirôter. Le même fait a été vérifié par divers observateurs,
notamment par Flaugergues et Valz, en France, et par Breen à Gara-
bridge. Mais les plus curieuses observations sur ce point, comme
sur l'examen général de la planète, ont été faites en 1841, à Rome,
par le P. de Vico et ses assistants. Parmi leurs descriptions,
on remarque, en effet, celle A'une vallée entourée de mon-
tagnes, ressemblant beaucoup aux types des cratères lunaires, et
mesurant 4",5 de diamètre. Le croissant était étroit, et près de
la corne boréale ils aperçurent d'abord une tache noire oblongue
qui se borda ensuite d'une forte lumière, puis empiéta de la moitié
de sou anneau sur l'hémisphère obscur, et linit par former une
ècbancrure noire entre deux projections brillantes, oITrant l'aspect
d'une corne à triple pointe. En 1857, le P. Secclii, au même
observatoire, à l'aide de son équatorial de 9 pouces, étudia le
(') Lps mûmes observateurs ajoutent:
Vénus et !a Terre peuvent être regardées comme ayant un diamètre à peu près
égal. Or, l'ombre qu'une montagne haute de 8000 mètres répand sur la Terre, lorsqu'elle
se projette sur une surface tout à fait plane et qu'elle atteint jusqu'à la limite de la
lumière, couvre 2', 50' de l'équateur et est aperçue sous un angle de 0",594, lorsque le
demi-diamètre de la planète apparaît à une grandeur de 12", ce qui est justement
le cas dans les quadratures de Vénus; et pour une montagne dont la hauteur sera
, 80(10 . 0",;>'.)i
de mètres, la grandeur de l'ombre sera environ = , . Donc, pour expliquer
la (liuiinution de largeur de la partie visililc, comme nous l'avons trouvée plus
haut, rien ne nous engage à donner à Vi'nus de pins hautes montagnes ipi'à la
Terre.
V É N r s. — T l> 1' 0 C. r, A P II 1 E. MON TAC. N K S
croissant Idi-sipi'il ii'.ivait oncoi'c que Û",4 de largeur, et constata
qu'il prés(MitaiL iiuc (l(''pressiou diminuant encore sa largeur.
La poiuli' auslnilc du croissant de Vénus a été vue énioussée par
plusieiu's observateurs, nolamment par Gruithuisen en 1847. II
en est de nièuie des dentelures, qui ont été remarquées par un
grand umuliri' d'aslrimomes. Nous reproduisons ici deux dessins de
Gruilluiiscu, (pu munirent (exagérées sans doute) les écliancrures
du Ijdi'd el, les taches polaires.
Eu lS7(i, le liai'nu Van Ei'HtDrii a o])sei'vé plusieurs fuis un point
Ki;;. loO. — A^pocl^ léloscopiqucs du lu pluut'le Véuus, par Oiuilli
brillant détaché de la corne australe. La même année, M. Aiciiuis,
à Cadix, a signalé une échancrure dans la même région. Du reste,
cette échancrure de la corne australe peut être observée assez fré-
quemment, et elle est parfois si évidente que des personnes qui
n'ont pas l'habitude des observations la remarquent immédiate-
ment, l'autre corne du croissant, beaucoup plus unie, servant de
comparaison inévitalde. Quant à la hauteur de ces irrégularités,
évaluée par Schrôter à 43 000 métrés, il faudrait de nouvelles
mesures, concordantes et précises, pour la certifier.
Ces observations ont été maintes fois répétées et confirmées en
ces dernières années. Ces irrégularités du sol se manifestent plus
facilement et plus fréquemment que les taches dues aux continents
et aux mers, même en écartant les ondulations optiques produites
par les vagues de l'air. En l<S7G, l'u itarticulier, époque où la planète
V É N U s . — T( 1 1' 0 (; It A l' H 1 K. M 0 N TAC N K S
s'est présentée en d'excellentes cunditions d'observation, je n'ai pu
parvi'nir, pour ma part, à distinguer aucune tache sur son croissant,
à l'aide d'un très bon télescope de 2U centimètres de diamètre
armé d'un grossissement de 40U fois, tandis que j'ai plusieurs fois
remarqué les irrégularités dont il vient d'être question, et l'atlai-
blissement de lumière sur le contour intérieur, du à l'atmosphère
de Vénus. 11 en a été de même pour les observateurs des équato-
riaux de l'Observatoire de Paris, et pour ceux du puissant télescbpe
de 80 centimètres de l'Observatoire de Toulouse.
En I8(S[, M. Niesten a fait à l'Observatoire de Bruxelles les quatre
«81. 1" juillet. 4 juillet. Uju.llet.
Fig. 131. — Aspocis lélescopiques de la plunùte Vénus. Dessins de M. Niestfii
dessins que nous reproduisons ici (/?//. llil) et qui montrent liien
ces ècliancrures caractéristiques. Dans les figures du 30 juin et du
14 juillet, le pointillé indique la tache blanche polaire.
Les mesures prises sur ces irrégularités s'accordent pour [irouver
que le monde de Vénus, quoique de mêmes dimensions que le
nôtre, possède des montagnes beaucoup plus élevées. Ce n'est pas
dépasser les limites de la vraisemblance d'imaginer (|u'un observa-
teur placé dans l'hémisphère austral de la planète, à l'heure du
lever du soleil, aurait devant les yeux, non pas une plaine indéfinie,
analogue aux steppes de la mer Caspienne ou même siin[)Iement à
celles de la Beauce ou de la Champagne, mais apercevrait au loin
d'abruptes chaînes de montagnes, produits des soulèvements an-
tiipies (le la planète, dominant les campagnes comme des géants
Le« montagnes <le Vénus, au levrr du soleil.
TERRES DU CIEL ST
MONTAGNES I)F. VENUS
restés debout devant l'histoire de la nature. Les nuages qui ceignent
leurs fronts, et dont l'éclatante blancheur envoie ses reflets jusqu'ici,
doivent donner à ces panoramas un aspect plus grandiose encore
que celui de nos Alpes au soleil levant, d'autant plus que la lumière
y est plus intense et que, sans doute, les forces volcaniques n'étant
pas éteintes sur cette terre plus jeune que la nôtre, de récentes com-
motions doivent laisser voir leurs profondes et vives déchirures, si
môme toutes ces cimes ne sont pas autant de cratères aux panaches
enflammés.
Ainsi, déji'i nous avons vu que Vénus est un globe opaque comme
la Terre, sans lumière propre, éclairé par le Soleil, offrant diverses
phases suivant sa position, possédant un volume et un poids peu
différents de ceux de notre globe, ayant des années de 224 jours
et des journées un peu plus courtes que les nôtres; montrant enfin
que sa surface est diversifiée, comme celle de notre planète, par
des montagnes et des vallées, des hauteurs et des plaines analogues
à celles qui forment la base de nos sympathiques paysages ter-
restres. Allons un peu plus loin encore dans l'étude de ce monde
voisin, et occupons-nous maintenant de son atmosphère. Quels
renseignements l'observation nous fournit-elle sur ce sujet si
important?
CHAPITRE V
L'atmosphère de Vénus.
Jusqu'en ces dernières années, on pouvait douton- de l'existence
de l'atmosphère de Vénus; mais aujourd'hui nous avons en mains
les preuves irrécusables de la similitude complète de ce monde
avec le nôtre : non seulement nous savons que cette atmosphère
existe, mais encore nous avons mesuré son épaisseur, sa densité,
et même sa constitution diiiuiiiue et physique.
Les premières prohabilités en avaient été données au siècle
dernier par les observations du passage de la planète devant le
Suli'il iMi I7(jl et I7()'.); maison pouvait attribuer les effets observés
à di'^ ilhisioiis d'optique. A la fin du siècle dernier, Schrôter
remarqua sur l'une des phases de ce globe, le long du bord éclairé,
une faible lumière paraissant dénoter un effet crépusculaire. Les
dessins du même observateur montrent des bandes sombres
traversant le disque et dues évidemment à l'existence d'une
atmosphère. Ces mêmes bandes ont été vues depuis, notamment
par lord Rosse, De la Rue et Buffham. Une autre preuve peu
contestal)le de l'atmosphère de Vénus avait été donnée par l'allon-
gement du croissant dans .^a longueur comme dans sa largeur,
allongement proihiit par la kimière du Soleil éclairant soit une
atmosphère, soit des nuages; — ce qui revient au même, car
il n'y a pas de nuages sans atmosphère.
Parmi les astronomes qui ont examiné cette belle planète avec
attention, il n'en est aucun qui n'ait remarqué combien la partie
i.'Aï.MdM'iii.Ki; m: vkms
(lu croisrfaut extérieure ou tournée du côté du Soleil est plus
brillante que la courbe elli[itiiiuc intérieure (|ui numjue la ligue
de séparation d'ombre et de lumière. Cet uiïaiblissement prouve
l'existence de l'atmospliére de Vénus. Les rayons venus du Soleil
qui sont réflécbis sur le sol de la planète tormant le bord circulaire
(lu croissant ont traversé en effet une moindre épaisseur d'atmo-
spliére que ceux qui arrivent sur des parties plus nu moins
voisines du cercle terminateur. Un se rendra conqite de cet effet à
l'inspection du petit dessin ci-dessous.
Le bord intérieur du croissant de Vénus montrant u;:e y.ijue
prise, une pi''nr>m]ire. prodni^" par ce t'ait que le loni:- de ce
niériilieu le Soleil n'éclaire pas
le sul de la planète, mais seu-
lement l'atmospbère, comme il
arrive ici au lever et au couclier
du soleil, nous pouvons en con-
clure que nous apercevons d'ici b's
crépuscules du ynondede Vénus,
l'aube et le déclin du jour.
On pourrait objecter que le dé-
croissement de lumière observé
entre le contour extérieur du crois-
sant et le contour intérieur i)eut
être causé par la largeur du dia-
mètre du Soleil, suivant qu'il est
plus ou moins élevé au-dessus de l'horizon de la zone où se
montre la pénombre. La géométrie répond catégoriquement à
cette supposition. Le Soleil, étant plus grand que Vénus, éclaire
un peu plus d'un hémisphère de cette planète; la ligne passant par
les deux cornes ne doit pas être un diamètre de l'astre, mais bien
une corde située un peu au delà du centre. Le diamètre du Soleil,
vu de Vénus, est de 44'. Il en résulte que vers la ligne de séparation
d'ombre et de lumière, il y a des parties du sol éclairées seulement
par une portion presque insensible de cet astre, tandis que d'autres
parties reçoivent les rayons émanés du disque entier. Mais, tout
compte fait, sur le globe de Vénus, les premiers de ces points, ceux
qui sont à peine éclairés, ne doivent paraître distants des points
CroissaLl de Vénus, moiiliaiU l'effet du crépuscule.
L'ATMOSPHÈRK DE VEMS
que le Soleil éclaire entièrement que d'un tiers de seconde environ :
c'est imperceptible. L'amplitude angulaire dans laquelle s'opère
ie décroissement d'intensité observé est bien autrement considé-
rable.
La discussion des observations prouve que cette pénombre ne
peut être -causée que par une atmosplière entourant le globe de
Vénus, et peu différente de la nôtre comme épaisseur, — plutôt
plus élevée que moins.
D'autre part, la ligue qui partage ces deux portions, et qui doit
être droite au moment de la quadrature n'arrive pas, en générai^
aux dates calculées : il y a souvent une différence, d'un côté ou de
l'autre, de trois ou quatre jours avec la date indiquée par le calcul.
Ces deux faits doivent avoir pour cause l'atmospbère de Vénus et
les nuages qui flottent dans les hautes régions de cette atmosphère.
Ces premières mesures rudimentaires étaient faites, quand la
merveilleuse découverte de l'analyse spectrale fut donnée à la
science. Les astronomes s'empressèrent de l'appliquer, et ce n'est
pas sans un sentiment de grande satisfaction que nous avons
appris C) que c'est après avoir lu notre ouvrage sur « la Pluralité
des mondes habités » que M. Huygens commença, en Angle-
terre, cette importante étude des atmosphères planétaires. Lf^^
premières recherches de- cet habile astronome donaèrent les
résultats suivants (1866) :
« (Juoique le spectre de Vénus soit brillant, et que l'on y voie très bien
les raies de Fràunhofer.je n'aipu y découvrir aucune raie additionnelle
révélant la présence d'une atmosolière. L'absence de ces raies peut être
due à ce que la lumière est probablement rétléchie non par la surface de
ce globe, mais par des nuages situés aune certaine hauteur. La lumière
qui nous parviendrait aixsi par réflexion sur les nuages n'aurait pas été
exposée à '"îction absorbante des coucbes plus denses de Talmosphere de
la planèlt
Ces premiers résultats n'avançaient pas beaucoup la question.
M. Huygens, ayant recommencé ces expériences en diverses condi-
tions, finit par découvrir dans ce spectre des raies s'ajoutaut a
celles du spectre solaire.
{'J Voir le Cosmos, année 1807.
LATMOSPIIÉKE DE VÉNUS
Depuis , les observations de Vogel ont confirmé l'existence de ces
raies, analogues aux raies d'absorption de l'atmosphère terrestre.
« Les modifications apportées par l'atmospiière de Vénus au spectre
solaire sont très faibles, dit-il; il faut en conclure que les rayons solaires,
qui nous sont renvoyés par cette planète, sont réfléchis pour la plupart
à la surface de la couche de nuages qui l'enveloppe, sans pénétrer dans
l'intérieur. Cependant, il y a des raies particulières, parmi lesquelles on
reconnaît celles de la vapeur d'eau. On peut donc admettre comme très
probable que l'atmosphère de Vénus renferme de l'eau, cet élément si
indispensable à la vie. »
Telles sont les propres expressions de l'astronome allemand.
En Italie, le P. Secchi avait trouvé de son côté les lignes suivantes
dans le spectre de la planète :
RAIES d'absorption DANS LE SPECTRE DE LATMOSPHÈUE DE VÉNUS
k dans le rouge 1,72 b' dans le vert a, 09
» — — 2,16 X — le bleu 5,62
C — l'orangé 2,50 F — — 6,27
D' — le jaune 3,22 G — le violet 7,98
S — — 3,31 H — — 9,40
E — — 4,S3 w — — 10,00
' .-i dernière colonne de ce petit tableau indique la position
ây:à i.^jL':i '^n parties du micromètre employé pour les mesurer.
La conclusion a été que la vapeur d.eau agit dans l'atmosphère
de Vénus pour absorber la lumière reçue du Soleil.
De plus, M. Respighi, directeur de l'Observatoire du Capitole
à Rome, y a trouvé les raies de l'azote.
M. Huygens a repris, en 1879, l'analyse spectrale des planètes
Vénus, Mars et Jupiter, et y a retrouvé les raies atmosphériques que
l'on voit dans le spectre de l'atmosphère terrestre. En même temps
il a examiné au spectroscope différentes régions de la surface
lunaire, et toujours le résultat a été négatif quant à l'existence
d'une atmosphère.
Ainsi : 1° la planète Vénus est certainement entourée d'une
atmosphère ; 2° cette atmosphère est aussi épaisse ou plus épaisse
que celle que nous respirons ; 3° elle est formée d'un gaz qui paraît
analogue au mélange qui forme notre air :^ 4" elle est parsemée de
nuages, en très grand nombre.
L'ATMOSPHÈKE DE VÉNUS
Mais continuons notre étude : on doit aux derniers passages de
Vénus devant le Soleil des documents plus nouveaux et plus pré-
cieux encore.
Comme nous l'avions prévu, les expéditions envoyées pour
l'observation de cet important phénomène céleste ont trouvé, en
dehors du but spécial de leur mission , des résultats étrangers à ce
but et tout à fait inattendus. Parmi ces résultats, l'un des plus
importants et des plus intéressants, est sans contredit la vérification
de l'existence de l'atmosphère de Vénus, sa mesure définitive et son
analyse chimique.
La première relation des observateurs du passage de Vénus, du
8 décembre 1874, qui ait eu pour objet l'atmosphère de cette
planète, est celle de l'astronome Tacchini, de l'Observatoire de
Palcrme, chef de la mission italienne envoyée à Muddapur (Bengale).
Dans une lettre écrite, le lendemain môme du passage, au Ministre
de l'instruction publique d'Italie, et publiée dans le Bulletin de la
Société des spectroscopistes italiens, le savant observateur exposait
le fait dans les termes suivants :
« Avant l'heure à laquelle Vénus allait sortir du Soleil, par un ciel très
pur, j'ai examiné le spectre solaire dans le voisinage de la magnifique
bandé obscure formée par Vénus. Ce spectre se présentait partout à l'état
normal, à l'exception de deux positions, dans lesquelles, après le passage
de la bande de la planète, on voyait un léger obscurcissement en deux
points du rouge correspondant aux lignes d'absoption de notre atmosphère :
le phénomène parait donc dû à la présence de P atmosphère de Vénus,
probahlemeyit de même nature que la nôtre ('). »
Spécialement versés dans l'étude de l'analyse spectrale du Soleil,
et habitués depuis plusieurs années à faire journellement cette ana-
lyse, les astronomes italiens avaient surtout pour but d'appliquer le
spectroscope à l'observation du passage de Vénus. Dans cette obser-
vation, ils ont inopinément non pas vu dans une lunette, ik.ùs
constaté au spectroscope l'existence de l'atmosphère de cette
(') « Prima del terzo contatto » dit-il, « in un intervallo di cielo purissimo, esaminai
lo spettro del Sole in vicinanza délia mac;nifica banda oscura di Venere, e trovai che in
tutto rcstava normale ail' infuori di due posizioni, nelle quali dopo passata la banda
délia pianota, si vedeva ancora un leggicro offuscamento in due punti del rosâo, che cor-
rispiindano aile bande nere della nostra atmosfera : il fcnomeno dunque sembrerebbe
dovuto alla presenza deU'atmosfera di Venere, probabilmente del génère della nostra. »
L'ATMOSl'HÈtiK I) K VÉNCS
planète voisine, et une analogie chimique avec celle que nous res-
pirons. La figure suivante représente le passage du disque noir de
Vénus derrière la fente du spectroscope et donne une idée de la
méthode employée pour surprendre la présence de la plus mince
atmosphère sur le hord de la planète.
Pendant que cette remarque se faisait au Bengale, on ohsorvait
au Japon, à mille lieues de là, et dans l'Indo-C.hine, un fait hien
différent du précédent, mais qui le conlinue singulièrement. A
Fig. 135. — Expérience spectroscopique pendant le passage de Vénus devant le .Soleil.
Saigon, les astronomes de la mission française n'ohservaient pas au
spectroscope, mais dans des lunettes ordinaires. Or voici ce que nous
remarquons dans la relation du chef de l'expédition, M. Héraud :
C'est qu'on n'y a pas constaté de la môme façon- l'action de l'atmos-
phère de Vénus sur la lumière solaire ; mais qu'on l'a vue elle-
même, cette atmosphère, directement et dans une circonstance
également inattendue. On lit en effet dans la relation envoyée à
l'Académie :
« A 21 h. 17 min., la planète étant déjà entrée de plus des deux tiers
sur le disque solaire, je remarque que la partie extérieure non encore en-
trée sur le Soleil est nettement indiquée par vui filet lumineux pâle, qui,
réuni aux franges de l'image intérieure, forme un cercle parfait. Ne m'at-
tendant pas à ce phénomène, je ne puis noter l'instant précis de son ap-
parition... »
L'ATMOSPHERE DE Vp.MIS
Quel était ce filet lumineux environnant la planète et dessinant
sur le ciel, à côté du Soleil, la partie de la planète entrée ? C'était
l'atmosphère de Vénus elle-même éclairée par le Soleil et réfractant
vers nous la lumière de l'astre du jour. C'est la seule explication
possible du phénomène.
Le fait était signalé également à Saigon, par un autre observateur,
M. Bonifay, dont voici la relation :
« A 21 h. 17 min., le contour de Vénus extérieur au disque solaire
s'illumine légèrement, à commencer par le bas de l'image, qui reste
constamment plus visible que le haut. La circonférence planétaire parait
ainsi complétée d'une manière très visible sur le ciel par cet arc lumi-
neux, qui semble la continuer exactement. Cet effet subsiste quand la
planète avance. Quand le moment du contact approche, on continue à
voir le bord de la planète, qui reste légèrement lumineuse... »
Remarque curieuse, ce phénomène de l'illumination du contour
de Vénus ne s'est pas reproduit à la sortie de la planète. Les deux
observateurs précédents, croyant le voir se renouveler, le cher-
chèrent en vain. A quelle cause cette différence est-elle due? L'at-
mosphère de Vénus n'était-elle pas également transparente sur le
méridien oriental et sur le méridien occidental? Était-elle pure
dans le premier cas (réfraction visible) et chargée de nuages dans
le second ?
Quoi qu'il en soit, telles sont les observations directes de ce fait
inattendu. Mais ce n'est pas tout. Pendant que les astronomes
italiens installés au Bengale et les astronomes français installés au
Japon confirmaient ainsi l'existence de l'atmosphère de Vénus, une
constatation analogue était faite en Egypte par les astronomes an-
glais. A Luxor, entre autres, l'amiral Ommanney, le colonel Camp-
bell et Madame Campbell, avaient chacun leur télescope. Je citerai
ici le passage du rapport de l'amiral qui concerne le sujet qui nous
occupe, rapport publié par la Sociâté royale astronomique do
Londres :
« Au moment où la planète eût entamé le boni du Soleil pour sortir, un
phénomène remarquable se présenta. La portion du disque de Vénus qui
était sortie du disque solaire s'illumina d'une bordure blanche, et resta
visible et très lumineuse sur tout le coutour de Véuus, jusqu'au moment
TERRES DD CIEL 38
l/AïMOSl'HÈltl!; I>F. VÉNUS
OÙ la moitié de la pianote fut sortie. Alors la lumière diminua, et elle
dispai'ut environ sept minutes avant le dernier contact externe ^'j. »
Ainsi, dans ce cas, l'observation a été faite, non avant l'entrée,
comme à Saïgon, mais après la sortie. L'entrée était du reste invi-
sible en Egypte. Pourquoi l'illumination de l'atmosphère de Vénus
par le Soleil, vue à la sortie par les astronomes de Luxor, n'a-t-elle
pas été vue par ceux de Saigon ? La cause est peut-être non astro-
nomique, mais terrestre, et peut tenir à l'état de notre atmosphère
à Saigon à l'heure de la sortie.
En outre de ces quatre observations différentes sur l'atmosphère
de Vénus, on trouve une cinquième remarque un peu moins directe,
dans un rapport postérieur, dans celui de M. Jarissen, établi à Na-
gasaki (Japon). Lorsque la planète arriva en contact avec le Soleil,
l'image de Vénus se montra très ronde, bien terminée, et la marche
relative du disque de la planète par rapport au disque solaire
s'exécuta géométriquement. Mais il s'écoula un temps assez long
entre le moment où le disque de Vénus paraissait tangent intérieu-
rement au disque solaire et celui de l'apparition du filet lumineux
qui apparaît au moment où Vénus, étant tout à fait entrée, quitte
le bord du Soleil pour traverser l'astre. « Il y a là, écrivait M. Jans-
sen (Académie des sciences, 8 février 1875), une anomalie apparente
qui, pour moi, tient à la prése?ice de Vatmosphère de la 2)la-
nète. »
Une photographie prise au moment même où le contact paraissait
géométrique montre qu'en réalité le contact réel n'avait pas encore
lieu en ce moment. Le fait est facile à expliquer, si l'on suppose
que les couches inférieures de l'atmosphère de Vénus étaient plus
ou moins chargées de brouillards ou de nuages formant écran. Dans
une atmosphère pure même, la réfraction seule peut produire des
différences analogues.
L'atmosphère de Vénus a été également vue par M. Mouchez,
(') « Immediatcly after the internai contact for egress, a remarkable phenomenon
presented itseir:that portion of Venus wliich liad emerged from the Suns's linib became
illuminated with a wliite border, which liglit continued on the edge of the cusp of Venus
with greal clearncss, until the time when a half of the planet liad crossed the Sun's
limb ; then'the light diminished and disappeared about seven minutes before the last
cxfernal contact. «
L'ATMOSl'IlEIil'; UK VENUS
chef de la mission française de l'île Saint-Paul. (Nous suivons
dans cet exposé l'ordre chronologique des documents reçus ;
celui-ci a été publié dans les Comptes rendus du 15 mars 1875. j
« Un quart d'heure après le premier contact, quand la moitié de la pla-
nète était encore hors du Soleil, ou aperçut subitement tout le disque
entier de Vénus, dessiné par une pâle auréole, plus brillante dans le voi-
sinage du Soleil qu'au sommet de la planètu.
« A mesure que Vénus entra sur le disque solaire, les deux parties
extrêmes plus visibles de l'auréole tendirent à se réunir en enveloppant
d'une plus vive lumière le segment encore extérieur de la planète, et cette
réunion anticipée des cornes par un arc de cercle lumineux fut rendue
plus complète encore par un petit rebord très brillant de lumière termi-
nant l'auréole sur le disque de Vénus.
« Pendant presque toute la durée du passage, la planète a paru d'un
noir très foncé et un peu violette, tandis qu'une auréole d'un jaune très
pâle l'entourait sur le disque du Soleil. »
Le même fait de la visibilité de Vénus en dehors du Soleil s'est,
produit pour les astronomes installés à "Windsor (Nouvelle-Galles
du Sud). On trouve en effet dans les Astronomische Nachrichten
du 4 mars 1875, n» 2027 (Schreihen des Herrn J. Tebbutt an den
Herausgeber), un passage caractéristique dont voici la traduction :
« Aucune partie de la planète n'a pu être découverte avant l'entrée,
en dirigeant le télescope vers le point oii elle devait se trouver dix mi-
nutes avant ce*momeut. L'observation fut très précise. Mais lorsque la
planète fut entrée de moitié sur le disque solaire, la moitié encore exté-
rieure au Soleil se dessina par une courbe de lumière grise, de moins
d'une seconde d'arc d'épaisseur. Ce halo s'accrut graduellement, tant en
largeur qu'en éclat, jusqu'à ce que le bord extérieur de Vénus fût arrivé
en contact avec celui du Soleil. Cependant la planète projetée sur le
disque solaire ne parut entourée d'aucun halo ni d'aucune pénombre. On
ne put découvrir sur elle aucun point lumineux, ni aucune apparence de
satellite. »
Cette illumination de l'atmosphère de Vénus a été également
visible à la sortie. En voici les détails :
h. m. s.
A 3.53. la Vénus arrive en contact avec le bord du Soleil.
3.35.38 On aperçoit le bord sorl'i /aiblemenl éclairé.
3.i)9.lj8 La partie boréale du limbe de Vénus sortie du Soleil est très lumineuse , la
parliez australe l'est moins.
4. y.is L'eclaireuient boréal est encore visible, l'austral ne l'est plus.
300
L'ATMOSl'IlliKE DE Y KM' S
4.11.38 Li' ilisiiiif (le Vl'iiiis est absolimieiit iiivisililc fii dehors ilu Soleil, sur le fond
noir du ciel.
4.22.43 Dernier contact de la planète avec le Soleil.
A Pékin, l'astronome amiTicain Watson a observé ce même phé-
nomène de l'anneau atmosphérique entourant la planète sur tout
son C(jntour extérieur au Soleil.
De Svdney, AustraUe, M. Russel envoyait, de son côté, la relation
suivante :
On a vu apparaître, aussitôt après l'entrée de Vénus, un mince anneau
de lumière dessinant la circonférence de la planète^ autour de la partie du
disque qui n'était pas eiicori' cnin'c sur le Soleil. Tous les oliservateurs
ilj Vénus (.Nice, B dÙLt'mbre ISS-.V.
l'estimèrent d'environ une seconde de large. Plusieurs plaques pholo-
grapiiiques montrent une mince ligne d'argent bordant la planète.
Dans cet anneau de lumière, on remarque un élargissement, une sorte
détache, qui se trouve vers la place du pôle de la planète. Un assistant
qui regardait le passage, et qui n'avait pas remarqué l'anneau, avait re-
marqué celte tache lumineuse vers le pôle. Les meilleurs dessins de cet
élargissement de l'anneau lumineux ont été faits à une station élevée
de 2"20Û pieds au-dessus du niveau de la mer, à l'aide d'un équatorial de
(juatre pouces et demi et dans une atmosphère si claire, que le bord du
Soleil était d'une netteté parfaite.
On constate sur ces photographies australiennes que la partie du disque
de Vénus qui était visible hors du Soleil, devait cette visibilité à l'anneau
de lumière dont elle était entourée, et non pas à un contraste qui aiu-ait
existé entre cette partie du disque et le ciel environnant. Cet anneau ^
était certainement causé par la réfraction des rayons solaires à travers
l'atmosphère de Vénus. La région plus brillante remarquée près du pôle
de la planète est particulièrement intéressante, d'autant plus qu'elle a
été observée par divers observateurs tout à fait indépendants les uns des
1. ATM KSI- Il Kl; K lit VKM'.S
autres. Elle suggère la conclusiou (jaci ratinos[)hère de Vénus jxjssèdc
une puissance de réfraction plus grande dans ces froides régions po-
laires, produisant une plus grande extension du crépuscule visible pour
nous alors sous la forme d'une ligne brillante.
Lors du dernier passage de Vénus (6 décembre 188-2j tous les
observateurs se sont accordés pour décrire l'apparition de cette
auréole atmosphérique. On sait que ce passage était astronomi-
quement visibl(> de la France, de l'Italie, de l'Espagne, de l'Angle-
Fig. 137. — L'miréolo :itniospli.rii|ue de Vùiius tOi'géres, C décembre ISSi).
terre, de la Belgique, de l'Allemagne, de l'Algérie, et surtout de
l'autre hémisphère (Améri(|ue du Sud, États-Unis, etc.) ; nous
disons « astronomiquement )>, car « météorologiquement » la visi-
bilité dépend de l'état de notre atmosphère, et, en France, par
exemple, le ciel a été presque partout couvert d'une épaisse couche
de nuages. A Paris, il nous a été impossible de distinguer même la
place du soleil, et, pour compléter notre désappointement, cette
capricieuse atmosphèn; s'est ironiquement éclaircie aussitôt après le
coucher du Soleil : dés 5 heures 30 minutes, on pouvait voir briller au
ciel Jupiter, Saturne, les Pléiades et la plupart des constellations!
Quoique le ciel fut à peu près couvert cette journée-là sur la
France entière, l'Angleterre, la Belgique, l'Allemagne, l'Autriche,
l'Italie et l'Espagne, d'heureuses éclaircies ont pu permettre à quel-
L'ATMOSl'HÈIiE BE VÉNUS
ques fervents de constater la présence de Vénus sur le Soleil, et
d'assister à ce rarissime spectacle, qui ne se renouvellera plus
maintenant qu'en l'an 2004 (le 8 juin, de 5 heures à il heures du
matin).
A Nice, M. Paul Garnier pouvait observer le phénomène à l'aide
d'une petite lunette de 95 millimètres d'ouverture et dessiner les
trois phases reproduites ici : l'arc lumineux est évidemment dû à
l'atmosphère de Vénus.
A Orléans, et dans presque tout l'Orléanais, tout le monde a pu
observer le phénomène, grâce à une éclaircie fort étendue, A Or-
gères, le docteur Lescarbault a suivi le passage depuis 2 heures
9 minutes jusqu'à 3 heures 12 minutes, à l'aide de sa lunette de
5 pouces (135°""), armée d'un grossissant de 250. « Le bord du Soleil
était très ondulant, nous écrivait-il le soir même. Lorsque Vénus
fut avancée d'un peu moins de son diamètre, son bord projeté
sur le Soleil parut faiblement frangé, sur le contour de l'arc
engagé, d'une auréole large de quelques secondes. Quand les
trois quarts du diamètre furent engagés sur le disque solaire, la
frange lumineuse, d'un jaune grisâtre, faisait le tour complet du
cercle noir {fig. 137), même sur le contour extérieur au Soleil,
où elle était encore plus lumineuse. Ce phénomène persista jus-
qu'à l'entrée complète. Je l'attribue comme vous à l'atmosphère
de Vénus. »
A Rome, MM. Tacchini et Millosevich, favorisés par une heureuse
éclaircie, ont obtenu d'excellentes observations. M. Tacchini est
parvenu à voir arriver la planète en dehoi-s du' Soleil, sur les
pointes aiguës des flammes chromosphériques de l'astre radieux.
Peu après le premier contact, M. Millosevich s'aperçut le premier
de l'atmosphère de Vénus. A l'aide du spectroscope, les observateurs
ont constaté l'absorption produite dans le spectre solaire par cette
atmosphère.
A Palerme, M. Gacciatore a vu l'auréole de Vénus en dehors du
disque solaire au moment de l'entrée, et, pendant le passage,
M. Ricco a observé, au spectroscope, que cette atmosphère donnait
naissance a une faible raie d'absorption situ^pe près de la raie B du
spectre solaire, et même à une seconde raie plus faible, située prés
de la ïwinQ, G.
L'ATMOSPHÊUE DE VENUS
En Angleterre, MM. Denning, à Bristol, Dreyer, à Armagh, ont
observé, en dehors du Soleil, la même auréole lumineuse.
Les diverses missions françaises envoyées au loin pour les mesures
de la parallaxe solaire ont décrit le même phénomène ('). Leurs
descriptions sont toutes indépendantes les unes des autres, et néan-
moins d'une concordance remarquable. Après les avoir réunies et
comparées, le doute n'est plus possible sur l'existence de cette atmo-
sphère, n'y eut-il que ces seules observations pour la démontrer.
Les estimations sur l'épaisseur ne sont pas concordantes. D'ailleurs
cette épaisseur n'était pas la même partout, et, de plus, elle a varié
pendant la durée de l'entrée du disque de Vénus sur le Soleil.
M. Tisserand l'a estimée entre 0"5 et V'O; M. Bouquet de la Grye
à 0"6, et M. d'Abbadie à 2" à sa plus grande épaisseur.
Les observations s'accordent sur le fait que l'auréole a été beau-
coup plus marquée pendant l'entrée que pendant la sortie. L'atmos-
phère de Vénus était-elle plus pure sur son bord oriental que sur
son bord occidental, ou peut-être les observateurs n'ont-ils pas
observé plus minutieusement à l'entrée qu'à la sortie?
M. Langley, directeur de l'Observatoire d'Allegheny (Pensylvanie),
a fait les curieuses observations suivantes :
Lorsque la planète fut entrée de presque la moitié de son diamètre sur
le disque solaire, on put apercevoir un contour extérieur tracé par une
légère auréole lumineuse. De plus, on remarqua une traînée de lumière
s'allongeant sur une longueur de près de 30° de la circonférence de la
planète et s'étendant dans l'intérieur de son disque depuis sa périphérie
jusque vers un quart de rayon. Cette lumière a été vue par moi à travers
le grand équatorial. Muni d'un oculaire polarisant, dont le pouvoir gros-
sissant était de 244, j'ai estimé son angle de position à 17S".
Dans le même temps, mou assistant, M. Keeler, observant avec une
lunette de 2 1/4 pouces seulement d'ouverture et un grossissement de
70 fois, aperçut la même lumière et estima sa position à 168°. L'angle de
position de la planète elle-même sur le disque solaire était approxima-
tivement de 147°; il en résulte que cette lumière énigmatique se trouvait
au bout d'une ligne menée du centre du Soleil au centre de Vénus.
A l'Observatoire de Milan, le deuxième contact de l'entrée a pu
être observé, à travers une éclaircie, par MM. Schiaparelli, Coloria
(') Pour les détails, voy. notre Revue mensuelle d'Astronomie populaire, K° du
1" octobre 1883.
I/ATMOSPIICUE DD VENVS
et Rajua, qui estimèrent l'instant de ce contact à "2 heures 57 mi-
nutes "24 secondes ; 2 heures 57 minutes 23 secondes, et 2 heures
57 minutes 21 secondes 5 respectivement. Les deux premiers obser-
vateurs aperçurent tout autour du disque de Vénus, à partir du
moment où elle fut à moitié entrée sur le Soleil, une auréole lumi-
neuse, parfaitement nette contre la planète, mais nébuleuse sur son
contour extérieur, M. Schiaparelli attribue aussi cette lueur à la ré-
fraction de la lumière solaire dans l'atmosphère de Vénus.
M. Birmingham a observé le passage à Millbrook, Tuam (Angleterre).
Vénus (Allegheny, G décembre ISSi).
Lorsque la planète fut entrée de moitié sur le disque solaire, il
aperçut une faible ligne courbe, lumineuse sur le bord sud-est exté-
rieur au Soleil. Cette ligne ne tarda pas à s'allonger et à compléter la
périphérie de la planète. Il semble qu'au commencement de l'obser-
vation, le point du contour de la planète où la lumière était la plus
vive indiquait une atmosphère très pure et une très grande réfraction
en cette contrée de la planète. L'auréole disparut aussitôt que la pla-
nète fut complètement entrée sur le Soleil; mais le tour de la pla-
nète paraissait beaucoup plus sombre que la partie centrale, laquelle
était absolument noire.
M. H.-C. Vng(-1, à l'Observatoire de Potsdam, a fait des observa-
tions qui offrent un intérêt particulier au point de xue de l'atmo-
L'ATMOSPHÈRE DE VKNIS
sjtlu'TO de la planète. Le professeur Vo;.fol nliservaif avec un ivfrac-
teur de presque 30 centimè-
tres d'ouverture et un grossis-
sement de 170 fois. ASMO^S,
la partie du disque non encore
entrée sur le Soleil (environ 90"
de la périphérie de Vénus) pa-
rut bordée d'un mince filet
lumineux; le disque même de
le planète était parfaitement
noir. A 3'' 11™ 6', cette lumi-
nosité fut notée comme étant
« très intense ». Cette lueur
était plus accentuée à l'inté-
rieur et pouvait avoir de I''
à l" 5 de largeur; elle se dé-
gradait vers l'extérieur tout
en étant également distribuée
autour de la circonférence de
Vénus.
La figm-e ci-dessus rcprodui.
les dessins très précis et ti'è
minutieu.x de M. Vogel. Sur
les trois premiers, l'atmos-
phère de la planète se montre
comme un arc vaporeux ii'-
fractant la lumière solaire;
sur le quatrième, la planète
est complètement entrée e[
l'on ne distingue plus aucun
phénomène atmosphérique.
Ces observations sont trop
nombreuses et trop précises
pour ne pas être prises en
haute considération. Nous
pouvons même dire qu'au point de vue de l'astronomie physique,
elles sont plus intéressantes que celles de la parallaxe solaire, qui
TElilîK.S DU riEr. «Ijl
Kig. loti. — I.'iiiirûolc atmosphcrique deVùuus
(Postdam, 6 décembre t88i).
L'ATMOSPHÈRE DE VÉNUS
n'ont apporté aucun document nouveau à la connaissance que nous
en avions déjà pai* les autres méthodes. Elles nous permettent
d'affirmer d'une manière absolue l'existence de V atmosphère de
Vénus. Son épaisseur moyenne paraît être de 1" ('). De plus, pen-
dant ces doux passages devant le Soleil, cette épaisseur a été vue
plus grande dans une région qui paraît correspondre avec cellc^
des pôles de la planète, où la lumière crépusculaire serait plus
étendue. Ce sont là de précieux documents pour notre connaissance
de ce monde voisin.
En voici un plus important encore : c'est l'observation faite en
Amérique, par le professeur G. S. Lyman, de Vénus sous la forme
d'un anneau lumineux.
Déjà au moment de la conjonction inférieure de Vénus en 1866,
l'auteur était parvenu à voir la planète sous la forme d'un anneau
lumineux très mince : il avait suivi attentivement et de jour en jour
son croissant à mesure qu'elle s'était approchée du Soleil, et avait
constaté que les deux extrémités de ce croissant s'étaient allongées
et étendues graduellement au delà d'un demi-cercle, puis avaient
atteint trois quarts de cercle, et avaient fini par se rencontrer et
former un anneau lumineux.
Aucune occasion ne s'était présentée pour répéter ces observa-
tions, jusqu'au passage de Vénus du 8 décembre 1874. A cette
époque, la planète étant de nouveau à une très grande proximité du
Soleil, l'auteur a réussi à découvrir l'anneau argenté délicat qui en-
veloppait son disque, même lorsque la planète n'était éloignée du
bord du Soleil que d'un demi-diamètre de celui-ci. C'était à 4 heures
du soir, ou un peu moins de cinq heures avant le commencement du
passage. La partie de l'anneau la plus proche du Soleil était la plus
brillante. Sur le côté opposé, le filet de lumière était plus terne et
d'une teinte légèrement jaunâtre. Sur le bord, au nord de la pla-
nète, à 60 ou 80 degrés du point opposé au Soleil, l'anneau dans un
petit espace était plus faible et en apparence plus étroit qu'ail-
leurs. Une apparition semblable, mais plus marquée, avait été
observée sur le même limbe en 1866.
(1) La plani'te mesurant alors 62" à 63", l'épaisseur de cette atmosphère serait
d'environ ^ du diamètre de la planète, c'est-à-dire de 194 kilomètres, plus ou moins
L'ATMOSPHÈRE DE VÉNIS
Le surlonilemain du passage (10 décembre), le croissant de Vénus
s'ôtendail à plus des trois quarts d'un cercle : ou le voyait avec une
netteté parfaite dans l'équatorial. Ce jour-là et les deux suivants, des
mesures ont été prises au micromètre pour déterminer l'étendue
des cornes, et la réfraction horizontale de l'atmosphère qui la pro-
duit. Voici les résultats précis de ces observations. Chacun d'eux
8 décembre. 10 décembre. 11 décembre,
Fig. MO. — Vénus vue sous la forme d'un anneau lumineux.
est la moyenne du nombre des mesures séparées indiqué dans la
dernière colonne :
Dates.
h. m.
Distances
des
centres de la Terre
et de Vénus.
Etendue
du
croissant.
Réfraction
horizontale
de
l'atmosphère.
Nombre
des
observât.
des cornes
S tltVcmbre ;
i .3. 0
soir.
0° 30',fi
360°
10 —
11.30
matin
2' 31 '.7
aTO» 28'
40', 6
4
Il —
10.16
—
4" 2'.4
233" lo'
43'.0
f,
11 —
2.40
soir.
4° 20'.4
231° 16'
4;r.:-i
ir.
12 —
2.45
—
.S» 58',3
2i;;° 21'
Movcnno
42'.9
: 44'..T
22
Ces observations donnent une moyenne de 44',o pour la réfraction liorizonfale de
ratmosphèrc de Venus. Les observations de l'auteur, en 1866, avaient donné 4o',3.
Les premières recherches de ce genre ont été ftiites par Schrôler.
Le 1-2 août 1790, il trouva les cornes prolongées au delà de
leur limite géométrique, en un léger rayon de lumière, mani-
festant aiiisi l'existence d'une illumination atmosphérique et prou-
vant l'existence de crépuscules analogues aux nôtres, proliable-
ment plus longs et indiquant une atmosphère plus donne. En 1S49,
L'AÏ.MOSl'Uir.E DE VÉNUS
Madler trouva ces pointes du croissant allongées jusqu'à 200° et
mèrae jusqu'à 240", ce qui indiquait une refraction environ -j- plus
forte que celle de notre atmosphère : il avait conclu 43', 7 poui
cette réfraction à l'horizon. En 1857, Secchi évalua l'épaisseur du
crépuscule à 19°^.
En appliquant aux mesures de M. Lyman la correction du
supplément de l'angle, on trouve que la réfraction horizontale
de l'atmosphère de Vénus doit être élevée au chiffre de 54'. Celle de
l'atmosphère terrestre étant de 33', il en résulte qu'en désignant
par 1000 la densité de notre atmosphère, celle de l'atmosphère de
Vénus, à la surface de cette planète, serait représentée par le
norribre 1890.
En Angleterre, M. Noble a fait la môme observation que M. Lyman :
il a vu le disque entier de Vénus entouré d'un anneau lumineux.
U atmosphère de Vénus est donc presque deux fois plus dense
que la nôtre. La réfraction de l'atmosphère qui, pour nous, élève
le disque du Soleil au-dessus de l'horizon, tandis qu'il est encore
au-dessous, et qui élève tous les astres au-dessus de leur position
réelle, est encore plus grande sur Vénus qu'ici, et y allonge un peu
plus la durée du jour.
L'air que l'on respire sur ce monde n'est pas très différent, physi-
quement et chimiquement, de celui que nous respirons. 11 est de
plus imprégné, comme le nôtre, de vapeur d'eau, et les variations
de température y produisent des nuages, des courants atmosphé-
riques, des venls, des pluies, en un mot, un régime météorologique
offrant de grandes analogies avec le nôtre.
CmPITUE M
Les habitants de Vénus. — Conditions de la vie sur ce globe.
Analogies entre cette planète et la nôtre.
Le ciel et la Terre vus de Vénus.
La planète Vénus présente, comme nous venons de le voir, les plus
frappants caractères de ressemblance >avec celle que nous habituns.
Mêmes dimensions à peu près; même poids, même densité; menu-
pesanteur à la surface; môme durée du jour et de la nuit; mèi:;;'
atmosphère; mêmes nuages, mêmes pluies; années, saisons, relief
géologique, n'y manifestent pas non plus de différences capitales :
en un mot, Vénus offre plus de ressemblance avec la Terre que nul
autre monde de la famille solaire. On ne pourrait choisir dans tout
le système aucun couple de planètes aussi rapprochées. Uranus et
Neptune se ressemblent à plusieurs égards, mais diffèrent considéra-
blement d'autre part. Jupiter et Saturne sont certainement les deux
frères géants de la famille solaire, de même que les petits mondes do
Mars et Mercure offrent entre eux de grandes analogies; mais nous
rie pourrions trouver entre ces mondes associés les points nombreux
de similitude qui caractérisent Vénus et la Terre, et il y aura:*;, au
contraire, entre eux, plus de différences réelles que de véritables
similitudes. 11 no manque à Vénus qu'un satellite pour ressembler
tout à fait au monde que nous habitons; et si (comme on a cru
l'observer quelquefois) elle avait vraiment un com-^iagnon dans sa
marche céleste, Vénus et la Terre seraient sans doute les deux
mondes les plus semblables de l'univers tout entier.
Vénus est-oUo dniic une ferre tnut ;i fait identique à celle que
1. 1; .s H A 1! I r A N 1 s II i; \ i; n c s
nous habitons, avec les mêmes paysages, les mêmes mers, les
mêmes rivages, la même nature, les mêmes plantes, les mêmes
animaux, la même humanité? — Non; car si nous abordons sur
cette planète, nous trouvons certaines différences essentielles, prin-
cipalenuîut dans la météorologi(;.
Ce qui nous frappe tout d'abord, c'est la grandeur et la chaleur du
Soleil. Le soleil du ciel de Vénus a en effet un diamètre un tiers plus
large que le nôtre, et sa surface apparente, à laquelle correspond sa
valeur calorifique et lumineuse, est plus grande que celle du nôtre
l'ig. II"-'. — Grandeur comparée liii Soloil vu ilc Vûnus et vu de la Terre.
(Écbtllo : l""" = 1)
dans la proportion de seize à neuf. Un tel soleil, comparé au
nôtre, brûlerait ses régions équatoriales, si elles étaient revêtues
de la môme vie que les nôtres. Mais ses régions tempérées ne
jouissent- elles pas d'un climat analogue à celui de nos régions tro-
picales ? et ses zones polaires ne correspondent-elles pas à nos zones
tempérées et ne sont-elles pas le séjour des races les plus actives et
les plus entreprenantes de l'humanité de cette planète ?
Il pourrait en être ainsi, en effet, si les saisons de Vénus avaient
la mémo intensité que les nôtres, c'est-à-dire si son axe de rotation
était incliné comme le nôtre sur le plan dans lequel elle se meut.
Mais nous avons vu que l'inclinaison est Itien plus forte et que les
saisons y sont beaucoup plus disparates .
La zone f( irride s"étond jusqu'à la zone glaciale et même au delà.
Li:s 11 Ai; i TA .NT. s DK VE.MIH
et réciproquement la zone glaciale s'étend jusqu'à la zone torride, et
empiète même sur elle de telle sorte qu'il ne reste plus de place pour
la zone tempérée. Il n'y a donc sur Vénus aucun climat tempéré,
mais toutes ses latitudes sont, tour à tour, tropicales et arctiques.
Or, sous les tropiques, le soleil darde, deux fois par an, ses rayons
perpendiculairement au-dessus de la tête, tandis que, dans les régions
arctiques, il y a des jours où l'astre lumineux ne se lève pas du tout
et des jours où il ne se couche pas davantage. Quelles ne doivent donc
pas être les vicissitudes de contrées qui sont, tour à tour, arctiques et
tropicales? A une certaine époque de l'année, le soleil reste plusieurs
jours sans se lever; à une autre époque, il reste plusieurs jours sans
se coucher, et, entre ces deux saisons, il plane verticalement au-
dessus de la tète. Le contraste entre la température glaciale de la
saison privée du soleil et les feux ardents de celle où le soleil de
Vénus, deux fois plus étendu et plus chaud que le nôtre, verse
du haut des cieux sa hrùlante chaleur, ne constitue certainement
pas une perspective bien agréable. On ne sait vraiment quelle est
'la région de Vénus la moins désagréable à habiter, et il n'y a
presque pas plus d'avantages cà élire domicile vers l'équateur plutôt
que vers les pôles.
Cependant, les recherches géographiques qui ont été faites à son
égard s'accordant suffisamment pour nous apprendre que ses mers
s'étendent principalement le long de l'équateur, et que ce sont plutôt
(les méditerranées que de vastes océans, les extrêmes de chaleur et
de troid sont tempérés par l'influence de ces eaux, et nous pouvons
penser que ses régions les plus favorisées sont les rivages de ces mers
intérieures. On peut admettre sans témérité que s'il y a là des peuples
civilisés, c'est en ces contrées que vivent les nations les plus floris-
santes de la planète. Ces mers ont des marées plus faibles que les
nôtres, causées par l'attraction seule du Soleil, et leurs vagues sont
agitées comme les nôtres par la brise.... Les effets de lumière et
d'ombre qu'on y admire, les colorations de nuages au coucher du soleil,
les brises ondoyantes du soir, les plaintes du vent dans les bois, les
murmures des ruisseaux, enfln les mille bruits de la vie, doiveni y
développer des panoramas, des situations, des scènes offrant d'intimes
harmonies avec les paysages terrestres et maritimes de notre planète.
L'atmosphère, l'eau existent là comme ici. D'après ce que nous
LES HABITANTS DE VENUS
avons vu plus haut sur Jcs saisons rapides et violentes de cette
planète, nous pouvons penser que les agitations des vents, des
pluies et des orages doivent surpasser tout ce que nous voyons et
ressentons ici , et que son atmosphère et ses mers doivent subir une
continuelle évaporation et une continuelle précipitation de pluies
torrentielles, hypothèse confirmée par sa lumière, due sans doute
à la réflexion de ses nuages supérieurs et par la multiplicité de ces
nuages eux-mêmes. A en juger par nos propres impressions, nous
nous plairions beaucoup moins dans ces pays-là que dans les nôtres,
et il est même fort probable que notre organisation physique,
tout élastique et toute complaisante qu'elle soit, ne pourrait pas
s'acclimater à de pareilles variations de température. Mais il ne
faudrait pas en conclure pour cela que ce monde fût inhabitable
et inhabité. On peut même supposer, sans exagération, que ses
locataires naturels, organisés pour vivre dans leur milieu, s'y
trouvent à leur aise comme le poisson dans l'eau, et jugent que notre
Terre est trop monotone et trop froide pour servir de séjour à des
êtres actifs et intelligents.
Ah! la nature nous apprend bien à ne pas fonder nos jugements
sur des impressions superficielles et à ne pas nous hâter de con-
damner un monde parce qu'il ne possède pas identiquement les
conditions d'habitabilité qui caractérisent le nôtre. La vie paraît
être le but inéluctable, la loi absolue de la création, et l'antique
commandement de Jéhovah qui flotte comme un ordre perpétuel
dans les légendes bibliques du paradis terrestre : « Croissez et mul-
tipliez! » représente bien réellement la raison d'être de l'existence
des choses. Que ceux qui doutent de l'universalité de la vie et qui
craignent une abstention quelconque des forces vitales de la nature
prennent un microscope et regardent une poussière fossile de diato-
mées, une aile de papillon, une rondelle de plante, un fragment de
langue de limaçon, une goutte d'eau, un rien perdu dans les soli-
tudes oubliées, et devant le spectacle merveilleux, éblouissant, fan-
tastique, de l'infiniment petit, ils sentiront que partout l'atome se
marie à l'atome, que partout le travail moléculaire unit et féconde,
que l'inorganique et l'organique ne sont pas séparés, et que la vie se
multiplie sous mille formes dans une énergie sans fin. Certes, rela-
tivement à leurs impressions personnelles, les êtres variés qui vivent
...La population d'une goulle deau représenie loui uo monde.
TERFIES DU CIEX 40
LES IIAlilTANTS DE VÉNUS
dans une goutte d'eau; qui s'y cherchent, s'y fuient, s'y désirent,
s'y combattent; qui naissent, agissent et meurent dans leur élément;
ces êtres sont, relativeme^it à leurs facultés, non moins émus que
nos soldats lancés sur un champ de bataille, qui se précipitent les
uns sur les autres sans se connaître, en se frappant mutuellement,
d'aprôs la seule couleur des uniformes. La population d'une goutte
d'eau représente tout un monde.
Et l'on aura beau supposer que les conditions de la vie sur le globe
de Vénus étant plus grossières que les nôtres, selon toute apparence,
ses liabitants doivent être sensiblement moins intelligents que nous;
avons-nous le droit d'être bien fiers? Nous ne sommes assurément
pas fort élevés dans la hiérarchie de la raison (').
(') Les habilants de la planète terrestre sont encore dans un tel état d'ineptie, d'inin-
telligence, de stupidité, que l'on voit, dans les pays les plus civilisés, les journaux quo-
tidiens rapporter, naïvement, sans discussion et comme une chose toute naturelle, les
arrangements diplomatiq es que les chefs d'Etat font entre eux, les alliances contre nn
ennemi supposé, les prép , atifs de guerres. Les peuples permettent à leurs chefs de
disposer d'eux comme d'un bétail, de les conduire à la boucherie, de les réduire en
hécatombes, sans paraître se douter que la vie de chaque individu est une propriété
personnelle et que c'est une action criminelle, de la part d'un homme quelconque,
d'assassiner cent mille êtres humains dans le but de recevoir le titre de prince ou d'af-
fermir une dynastie. Les habitants de cette singulière planète ont été élevés dans l'idée
qu'il y a des nations, des frontières, des drapeaux; ils ont un si faible sentiment de
l'humanité, que ce sentiment s'efface entièrement, dans chaque peuple, devant celui
de la patrie, et qu'ils reçoivent, non pas avec résignation, mais avec joie, avec bonheur,
avec délire, les excitations puériles de vanités nationales susceptibles de préparer une
guerre prochaine. C'est là l'état normal de l'humanité terrestre, il n'y a pas à s'en
prendre aux princes, aux rois, aux empereurs; ni aux députés, aux états-majors ou
aux généraux : c'est le plaisir du peuple de se faire tuer. La race humaine n'a absolu-
ment que ce qu'elle mérite, et nous ne devrions même pas nous en étonner. Mais
comment ne pas le regretter pour elle, au point de vue de la raison et du bon sens?
Ces réflexions s'appliquent surtout, parmi les nations européennes, à la nation alle-
mande, qui est encore absolument barbare à ce point de vue. Ses citoyens sont encore
des esclaves sous le joug de la discipline militaire. Et c'est là, malheureusement,
tristement, ce qui constitue la force intrinsèque d'un peuple. Tout peuple dont les
citoyens arrivent au sentiment de la dignité humaine, cesse de posséder les qualités
intellectuellement négatives et matériellement brutales qui font les bons soldats : parle
fait même île son progrès moral, il devient pacifique et est destiné à se laisser dominer
par le plus batailleur. La force prime le droit. Tel est l'état de notre humanité. Nous
n'avons donc pas le droit d'être fiers.
Il est bien vrai que si les esprits qui pensent voulaient s'entendre, celte situation
changerait, car, individuellement, nul ne désire la guerre. Kais la majorité turbulente
ne tient ni à penser, ni à être raisonnable. Et puis, il y a des engrenages politiques qui
foni vivre toute une légion de parasites.
Au moment où nous corrigeons cette épreuve (octobre 18S3), nous recevons les
LES HABITANTS DE VENUS
La race supérieure qui tient daus cette planète les rênes de l'intel-
ligence, et au sein de laquelle s'est incarnée l'âme raisonnable,
diffère probablement de forme avec la nôtre, car elle descend zoolo-
giquement des espèces animales qui l'ont précédée sur ce monde, et
elle en a gardé la forme organique générale. Toutefois, comme
l'intensité de la pesanteur est la même sur Vénus que sur la Terre,
et comme la respiration y a joué aussi le principal rôle, l'espèce
humaine de cette planète peut moins différer de la nôtre que celle
qui habite Mars, celle-ci devant être douée d'un mode de locomotion
tout différent de celui que nous possédons ici-bas. C'est le climat
surtout qui est différent. Mais déjà sur la Terre nous avons de si
étonnantes différences de climats, que si les voyages ne nous avaient
pas appris que certaines régions, soit tropicales, soit polaires, sont
habitées, nous n'imaginerions point qu'elles le fussent. Supposons
qu'on nous annonce qu'il y a sur notre planète des contrées où le
Soleil reste invisible pendant des mois entiers et sur lesquelles il
brille ensuite également pendant plusieurs mois, et que la tempéra-
ture de ces contrées est si froide, qu'au milieu de leur été on y en-
dure un froid encore plus glacial que celui que nous subissons dans
nos hivers, nous ne supposerions point assurément que des familles
humaines puissent habiter là, et s'y trouver mieux à l'aise que lors-
qu'on les transporte dans nos régions tempérées. Le même réiison-
nement pourrait être appliqué au séjour des peuplades qui habitent
rapports relatifs aux grandes manœuvres. Chaque pays vient de s'exercer à faire la
guerre, et, dans cet exercice, a invité des représentants militaires des pays voisins (qui
viennent là dans le seul but d'espionner les forces dont la nation dispose, de prendre
des notes sur les corps, les armes et les manœuvres, et de les envoyer à. leurs gouver-
nements). C'est ainsi que les officiers allemands désignés par l'empereur d'Allemagne
ont été invités par le gouvernement de la République française à examiner njtre situa-
lion militaire, avec la mission logique d'en découvrir les côtés faibles. En Buurgogne,
aux lieux mêmes de nos défaites de 1870, les officiers prussiens étaient groupés
derrière nos lignes de tirailleurs et écrivaient leurs rapports. Cet échange de prorédés
est fait par toutes les nations dites civilisées, et on l'estime comme galanterie, comme
témoignage de qualités chevaleresques. Cela rappelle le commencement de la bataille
de Fontenoy : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » et la déchargé qui s'ensuivit
abattant des centaines d'hommes. — Pour un esprit raisonnable et indépendant, il n'y
a là ni chevalerie, ni diplomatie, il y a simplenie:it sottise, ineptie, barbarie, anima-
lité. L'humanité terrestre n'a pas le sens commun, et nous oserions imaginer que les
habitants de Vénus en eussent encore moins que nous, parce que leurs saisojis sont
grossières! Mais les saisons de Vénus sont moins grossières que nos sentiments et nos
absurdités.
SIS LES HABITANTS UE VÉNUS
la zone torride, et qui ne peuvent que dillicilem(Mit aussi s'accli-
mater sous nos latitudes.
Que sorait-ce si nous considérions la diversité des espèces ani-
males? Quoique toute la vie terrestre soit organisée sur le même
mode et par les mêmes forces, cependant nous trouvons une variété
si grande entre les espèces vivantes, qu'elles se développent sur une
échelle de prés de 100 degrés de température. 11 ne nous reste donc
qu'un effort bien léger à faire pour concevoir l'état de la vie à la
surface de la planète voisine que nous venons d'étudier.
Fontenelle avait imaginé Vénus peuplée de Philémons et de
Baucis, sans cesse rajeunis par les flèches magiques d'Apollon,
vifs, remuants, pleins de feu, pétillants d'esprit, — « toujours
amoureux, continuait la marquise, faisant des vers, aimant la
musique, inventant tous les jours des fêtes, des danses et des
tournois. »
C'était suivre les inspirations de la tradition ancienne. Déjà, dans
son Iter extaticum céleste, le bon Père Athanase Kircher, qui ne
permet pas aux astres d'être habités par des hommes, parce que ce
serait contraire à la doctrine du péché d'Adam et de la rédemption,
rencontre néanmoins dans Vénus des anges des deux sexes d'une
inqualifiable beauté :
Des parfums de musc et d'ambre y caressent l'odorat; les végétaux
semblent des édifices de pierres précieuses, une immense variété de
couleurs les décore, et les rayons du soleil, en s'y reflétant, en aug-
mentent encore la magnificence par leurs jeux infinis. Mais l'homme
cherche, cherche une créature vivante et n'en trouve pas : la nature
inanimée répond seule à ses regards... Cependant, voici que d'une colline
de cristal sort un chœur de jeunes gens d'une beauté incomparable;.
essayer de décrire leurs perfections serait un dessein inutile, nulle parole
humaine ne serait capable de dépeindre une telle élégance. Ils sont vêtus
de robes blanches où les rayons du soleil font naître de tendres nuances-
et de chatoyantes couleurs; ils descendent de la colhne : les uns tiennent
des cymbales et des cythares, et des flots d'harmonie s'élèvent dans les
airs; les autres portent d'admirables corbeilles de fleurs oii les roses et
les lis, les hyacinthes et les narcisses se marient et s'harmonisent...
A la vue d'un pareil spectacle, captivé sous le triple charme des
parfums, de la musique et de la beauté, le voyageur s'apprête à
Les liabi:ants de Venus imagiius pui Uciuaidiu de SuiolCicrra.
LES HABITANTS DE VENUS
saluer les illustres représentants de la race humaine en ce Monrle
splendide; mais son génie Gosmiel l'arrête en lui ftiisant com-
prendre que ces êtres n'appartiennent pas à la faniilb^ des homnifs.
La Terre est l'habitacle de l'homme; ici, ce sont des anges, dos •
ministres du Très-Haut préposés à la garde du monde de Vénus, ce
sont eux qui le guident dans sa route à travers, le monde des
espaces, afin d'accomplir les dessins de la nature. Puis le génie
expose comment lesdits anges versent sur la Terre l'influx propice
de la planète de Vénus, grâce auquel les êtres qui naissent sous
cette bonne étoile deviennent beaux, gracieux et doués d'un excel-
lent caractère.
La conversation se continue ensuite en discutant si le vin fourni
par les vignes de Vénus serait, comme celui des vignes de la Terre,
susceptible d'être changé en Dieu par le mystère de l'eucliaristie.
Le Père conclut en faveur de l'affirmative.
Plus tard Swedenborg, qui se disait en correspondance avec les habi-
tants des planètes, assure que nos voisins de Vénus sont à peu près
organisés comme nous et même presque vêtus de la même façon.
Dans ses Harmonies de la Nature, Bernardin de Saint-Pierre
a fait une peinture véritablement fort poétique de la planète qui
nous occupe. Pour lui, Vénus serait une terre tropicale analogue à
Vile de France qu'il a si merveilleusement décrite dans Paul et
Virginie. Écoutons-le un instant :
« Vénus, dil-il, doit être parsemée d'iles qui portent chacune des pies
cinq ou six fois plus élevés que celui de Téuéritfe. Les cascades brillantes
qui en découlent arrosent leurs flancs couverts de verdure et viennent
les rafraîchir. Ses mers doivent offrir à la fois le plus magnifique et le plus
délicieux des spectacles. Supposez les glaciers de la Suisse, avec leurs
torrents, leurs lacs, leurs prairies et leurs sapins, au sein de la mer du
Sud: joignez à leurs flancs les collines du bord de la Loire couronnées de
vignes et de toutes sortes d'arbres fruitiers; ajoutez à leurs bases les
rivages des Moluques plantés de bocages où sont suspendues les bananes,
les muscades, les girofles, dont les doux parfums sont transportés par les
vents; les colibris, les brillants oiseaux de Java, les tourterelles qui y font
leurs nids et dont les champs et les doux murmures sont répétés par les
échos. Figurez- vous leurs grèves ombragées de cocotiers, parsemées
d'huitres perlières et d'ambre gris; les madrépores de l'océan Indien, les
coraux de la Méditerranée, croissant par un été perpétuel, à la hauteur
. des plus grands arbres, au sein des mers qui les baignent, mariant leurs
LES HABITANTS DE VÉNUS
couleurs écarlatcs et pui'purin(\s ;ï la verdure des palmiers, et enfin des
courants d'eau transparente qui reflètent ces montagnes, ces forêts,
ces oiseaux, et vont et viennent d'île en lie, vous n'aurez ({trnne
faible idée de ces paysages de Vénus! Le pôle doit jouir d'une teni[HM'a-
ture beaucoup plus agréable que celle de nos plus doux printemps.
Quoique les nuits de cette planète ne soient point éclairées par des lunes,
Mercure par son éclat et son voisinage, et la Terre par sa grandeur, lui
tiennent lieu de deux lunes. Ses habitants, d'une taille semblable à la
nôtre, puisqu'ils habitent une planète de même diamètre, mais sous une
zone céleste plus fortunée, doivent donner tout leur temps aux amours.
Les uns, faisant paître des troupeaux sur les croupes des montagnes,
mènent la vie des bergers; les autres, sur les rivages de leurs îles
fécondes, se livrent à la danse, aux festins, s'égayent par des chansons
ou se disputent des prix à la nage, comme les heureux insulaires de Taïti. »
Mais l'examen télescopique nous éloigne de ces deseriiitions
imaginaires. L'admiration que nous ressentons d'ici pour cette
blanche étoile du soir, et qui s'est traduite dans tous les âges par
les noms les plus gracieux dont cette planète a été décorée, n'est
causée que par son aspect lointain et par le radieux éclat dont elle
brille avant toutes les autres beautés du ciel. Elle a toujours été,
comme la Lune, la compagne et la confidente des rêveries du soir;
mais c'est là un aspect trompeur. Nous avons vu que la Terre produit
le même effet aux habitants de Mars, et que, selon toute probabilité,
nous avons reçu là des noms analogues à ceux dont nous avons
gratifié Vénus; et pourtant, en réalité, notre pauvre petit globe
couvert de batailles, de ruines et de misères, n'est pas absolument
un séjour angélique ou charmant.
Loin de jouir des délices d'un printemps perpétuel et de vivre
dans un véritable Éden, ces frères d'une autre patrie ont à subir
comme nous, et plus que nous, les alternatives de l'hiver et de
l'été dans leurs plus rudes contrastes. La différence physiologique
entre les deux planètes ne doit pas être considérable, et quoiqu'il
puisse exister là comme ici certaines latitudes privilégiées, l'en-
semble de la sphère est soumis à un régime assez rude. L'atmo-
sphère épaisse qui l'environne, les nuages fréquents qui la par-
sèment, les courants atmosphériques qui la sillonnent, les vents
et les pluies, les neiges et les brouillards, les météores, les
tempêtes, les orage?, les phénomènes aériens, depuis les magni-
LES HABITANTS DE VÉNUS
fîcences des levers de s(jl('ils jusqu'aux suaves coloralions do
rarc-cn-ciel, tous ces mouvements,' toute cette vie, reproduisent
sur ce monde un ensemble de choses peu différent de ce que
nous contemplons autour de nous. En effet, les nuages que nous
ol)servons dans son atmosphère ne peuvent provenir que de l'éva-
poration de ses océans; et d'autre part l'existence de ces mers est
démontrée par l'observation, et par le relief géologique si accentué
da sol de la planète. Ce relief a produit, comme ici, des montagnes
et des vallées, des plateaux et des pleines, des paysages variés où
se joue la lumière du soleil aux différentes heures du jour, des
campagnes qui s'endorment le soir après le coucher de l'astre royal,
des lacs qui réfféchissent pendant la nuit les étoiles scintillantes du
firmament. Peut-être ne serions-nous pas très dépaysés en arrivant
devant un paysage de Vénus. Et pourtant, selon toute probabilité,
c'est un monde plus sauvage, plus chaud, plus changeant et plus
primitif que le nôtre.
Les premières combinaisons organiques du carbone, en ouvrant,
par la formation des premiers tissus végétaux et animaux, la série
des espèces vivantes dont le lent et progressif développement a
constitué la vie terrestre tout entière, ont dû commencer dans les
eaux fécondes de la planète Yénus un travail analogue à celui qui a
été accompli au fond des océans terrestres de la période primaire, et
les éléments vitaux (composition chimique, densité, pesanteur,
lumière, chaleur, durée du jour, saisons, etc.) n'étant pas sensible-
ment différents de leur état terrestre, les espèces ont du se dévelop-
per à peu près suivant la môme série que chez nous, et peut-être les
formes anatomiques végétales, animales et humaines y présentent-
elles les mêmes types essentiels que les nôtres.
L'humanité qui règne sur le monde de Vénus doit donc offrir les
plus grandes ressemblances physiques avec la nôtre, et probable-
ment aussi les plus grandes ressemblances morales. On peut penser
néanmoins que Vénus étant née après la Terre, son humanité est
plus récente que la nôtre. Ses peuples en sont-ils encore à l'âge de
pierre ? Toutes conjectures à cet égard seraient évidemment super-
flues, les successions paléontologiques ayant pu suivre une autre
voie sur cette planète que sur la nôtre. D'un autre côté, ce n'est pas
sous les plus doux climats que rhun:?.uité est la plus active, et si le
...ivul-are ne serions-nous pas très dqiav.s.s en arrivant dcvam uu |la^^a,,•, .,i \,,iu..
TERRES Di: CIEL
41
LES HABITANTS DE VÉNUS
monde de Vénus était aussi charmant que le dépeignait plus liaut
un pinceau trop poétique, peut-être serait-il endormi dans la mol-
lesse inactive, comme le sont les peuples qui habitent les régions
chaudes, calmes et monotones. C'est un monde plus varié et sans
doute plus passionné que le nôtre.
En définitive, la meilleure conclusion à tirer des considérations
précédentes, c'est que la vie doit être sur Vénus peu différente
de ce qu'elle est ici, taudis que sur Mercure elle doit en ditïérer
davantage. Les humains peuvent y offrir avec nous une grande res-
semblance organique.
Toute proposition relative à la manière d'être des habitants des
autres planètes paraît téméraire aux esprits qui ne s'écartent point
dans leur marche paisible des lisières de la timidité classique. Si par
exemple nous émettions l'idée que les habitants de Vénus volent
dans leur atmosphère, et (i;;e pour éviter le rude contraste de leur
hiver avec leur été, ils émiyrent en automne d'un hémisphère à
l'autre et reviennent au printemps, cette proposition, qui n'est en
elle-même ni absurde ni choquante, leur paraîtrait fantastique et
insensée. Pourquoi ? Parce que ces esprits léthargiques n'ont même
pas l'attention d'observer ce qui se passe autour d'eux sur la Terre
même. Chaque automne nos oiseaux abandonnent nos contrées bo-
réales pour se diriger, guidés par un instinct merveilleux, vers les
régions du soleil où les fruits sont toujours mûrs et les fleurs tou-
jours épanouies, et ces chantres ailés de nos bois reviennent vers
leurs anciens nids à l'heure où le joyeux printemps se réveille sous
nos latitudes que l'hiver avait endormies. Cette merveille de l'émi-
gration des oiseaux se renouvelle chaque année sous nos yeux sans
nous fi-apper, et lorsque la première hirondelle trace dans le ciel
d'avril son rapide et doux sillage, nous la voyons revenir à son toit
et voleter autour de son habitation dernière sans nous demander en
quel heureux pays et près de quelles familles humaines elle a habité
pendant son absence de nos climats.
Aussi, lorsque nous supposons que dans tel ou tel monde diffé-
rent du nôtre l'espèce humaine pourrait être douée simplement
du même privilège, on parait tomber des nues en entendant
formuler cette supposition pourtant si naturelle, et l'on ne
songe même pas que ce privilège est accordé sur notre propre
LES HABITANTS DE VENUS
planète à des êtres qui, dans l'ordre intellectuel, sont inférieurs
à nous.
Ce monde flottant dans los mêmes régions célestes que nous, les
nuits étoilées y sont les mêmes que les nôtres : les constellations y
présentent les mêmes dispositions et le même cours, comme déjà
nous l'avons remarqué pour Mars. Les planètes aussi offrent
en général les mêmes aspects, à l'exception de deux, qui y sont par-
ticulièrement brillantes : la Terre d'une part, et Mercure d'autre part..
Pour les habitants de Vénus, Mercure et la Terre sont deux magni-
fiques étoiles. Non seulement le premier paraît beaucoup plus écla-
tant qu'à nous-mêmes, mais il est pour eux la plus brillante étoile
du matin et du soir qu'on puisse imaginer ; il s'éloigne dans ses plus
grandes élongations jusqu'à 38 degrés du Soleil, un peu moins que
Vénus ne le fait à notre égard. Pour nous, nous brillons dans
leur ciel pendant toute la nuit avec un éclat beaucoup plus lumi-
neux que celui dont Vénus nous gratifie, car l'éclat maximum delà
Terre arrive lorsque celle-ci est à sa distance minimum et est éclai-
rée en plein par le Soleil : le diamètre de notre globe vu de Vénus
est alors de 65".
Comme nous l'avons fait pour Mars, nous avons essayé de repré-
senter par un dessin l'aspect de la Terre vue du monde de Vénus, à
minuit. Notre planète brille alors au sein de la nuit silencieuse
comme le plus splendide des astres du firmament, surpassant ea
éclat Sirius lui-même. Sur ce dessin (p. 329) on peut se rendre
compte de l'aspect stellaire de notre planète perdue au milieu des
étoiles : elle brille dans la constellation du Scorpion, non loin d'Anta-
rès. Mais elle n'est pas fixe; elle marche, au contraire, avec rapidité
dans le ciel de Vénus. Pendant l'année 1884, par exemple, elle suit
la route tracée figure 146 ('). C'est ainsi que les astronomes de Vénus
nous observent. Devinent-ils qu'un si petit point est pour ses habitants
le prétexte de tant de tourments? S'imaginent-ils que le but priri'
('} M. Viinont, fondatour de la Société scientifique Flammarion d'.\rgentan, a bien
voulu, sur notre demande, construire ces intéressantes petites cartes de la marche de
la Terre daus le ciel de Mars, de Vénus et de Mercure. Nous sommes heureux de lui ea
témoigner publiquement ici nos remerciements, et de lui adresser nos sincères félici-
tations pour le zelc qu'il déploie à aider sous toutes ses formes la popularisation de
la plus belle et de la plus utile des sciences.
LES IlAlîlTANTS DE VENTS
cipal de la majeure partie de ces indigènes est d'entasser pendant
soixante ou quatre-vingts ans des pièces de monnaie et des valeurs
en banque destinées à... leurs héritiers?
La TerrS vue de Vénus est certainement un des plus beaux spec-
tacles que l'on puisse contempler dans le système solaire tout entier;
elle surpasse en éclat l'étoile la plus brillante, et offrirait à une vue
de même valeur que la nôtre urt disque parfaitement appréciable.
Ce disque doit changer de couleur av(^i:' ia rotation de notre globe
Fig. liG. — Marche de la planète Terre dans le ciel des habitants de Vénus.
sur son axe, et paraître vert, bleu, jaune ou blanc, suivant que sa
région centrale est occupée par les continents verdoyants, par la
mer, par des déserts ou par des nuages. Les habitants de Vénus
peuvent ainsi avoir remarqué, à l'œil nu, la rotation de notre globe
en une période peu différente de celle de leur propre monde. En
même temps la Lune doit être visible comme un petit point brillant
accompagnant l'astre-Terre dans sa marche céleste, et tournant au-
tour d'elle en vingt-sept jours, mais presque Invariable dans sa
blancheur. La distance apparente qui la sépare de la Terre à
l'époque de leur plus grande visibilité est un peu plus grande que
le diamètre apparent de notre satellite tel que nous le voyons. La
lumière envoyée alors par ce couple céleste est très intense, car elle
s'élève presque aux cinq centièmes de celle que nous recevons de
LES HAlîITANTS DE VEM'S
la pleine Luue. Ces voisins du ciel ont, de plus, sur nous l'avantage
de voir « l'autre côté de la Lune » que nous n'avons jamais vu, et
que nous ne verrons jamais de notre planète.
Notre figure l-iT donne une idée de cet aspect de la Terre vue de
Vénus lorsqu'elle se présente à elle sous une phase analogue à celle
que Mars nous présente aux époques de ses plus fortes distances
angulaires. Nous supposons l'observateur muni d'une petite lunette
d'approche, comme nous l'avons fait lorsque nous nous sommes
occupés de l'aspect astronomique de la Terre vue de Mars. Sans
1 .^. ij
doute les astronomes vénusiens ont-ils déjà pu construire une carte
très exacte de notre planète, y compris les pôles et les régions
encore inconnues de nous-mêmes. Peut-être ont-ils enregistra nos
hivers les plus rigoureux par l'abondance des neiges, nos inondations
les plus étendues, les marées du mont Saint-Michel, et même quel-
ques-uns de nos grands travaux de l'isthme de Suez.
Les habitants de Vénus ont dû naturellement se croire au centre
du monde. Pour eux, le globe qu'ils illustrent a été considéré comme
fixe au milieu du système, et leur Ptolémée a fait tourner le ciel
autour d'eux: le Soleil et Mercure en •2-24 jours, la Terre et la Lune
en 365 jours, et les planètes suivantes selon leur ordre. Il i-st bien
LES HAlilïANTS DE VENUS
pn)l);il)l(! aussi iju'ils auront considéré la circoniV'i'cuco extérieure
tic luaivcrs L'oiiiine la base de l'empyrée et du séjour des bien-
heureux. En résumé, c'est sans doute sous la turnie ci-dessous
(lig. l-'i8) que les traités de cosmographie en usage dans les lycées
et les séminaires de la planète ont longtemps représenté la construc-
tion de l'univers pour l'instruction de leurs jeunes élèves.
Eig. 118. — Système du monde pvobal.lcmejit .ni iis
aux temps priiiiilifs
chez les habitants de Vénus
Toutefois, ils ont pu arriver plus rapidement que nous à la con-
naissance du véritable système du monde, puisqu'ils en ont une
miniature permanente dans le couple que la Terre (>t la Lune
fornu'ut povu- eux au ciel, et dans le mouvement mensuel do Phœbé
autour de Cybéle. — Sous quels noms mythologi(]ues nous
désignent-ils?
Eu tt-rminant le livre consacré à Vénus, récapitulons les eondi-
LES HABITANTS DE VENUS
tions astronomiques, climatologiquos et physiologiques de cette
planète voisine, — la plus proche de la nôtre, et certainement celle
qui, avec Mars, lui ressemble \o plus.
ÉTAT PARTlCCLIf.R DU MONDE DE VÉNUS.
Durée de l'annco 224 jours torrostres, ou environ 7 mois et lo jours.
Durée de la rotation
Durée du jour et delà nuit. . . 23 heures 21 minutes 22 secondes.
Nombre de jours dans l'année. 231.
Saisons Plus prononcées que celles de la Terre.
Atmosphère Composée des mêmes gaz que la nôtre, mais presque
deux fois plus dense.
Température moyenne Paraît analogue à la nôtre.
Densité des matériaux Un peu moindre qu'ici = 0,903.
Pesanteur à la surface Un peu moindre qu'ici = 0,864.
Dimensions de la planète A peu près égales à celles de la Terre ; diamètre
=0,954, ou 3000 lieues.
Tour du monde de Vénus. . . . 9300 lieues.
Géographie Les mers s'étendent principalement vers l'équateur.
Orographie Montagnes plus élevées que les nôtres.
Diamètre du Soleil Un tiers plus large que d'ici = 43'.
Diamètre maximum de la Terre. 6S". Visible à l'œil nu dans le ciel de Vénus comme
une étoile de première grandeur très lumineuse.
Pendant que notre pensée anxieuse cherche à soulever un coin
du voile, pendant que nos âmes ardentes s'envolent vers le premier
rayon de jour, ouvert sur l'infini et se demandent comment sont or-
ganisés ces êtres habitant Vénus, nos voisins de traversée, comment
ils pensent, comment ils nous voient dans leur ciel ; sans doute, à
cette heure, il y a là aussi des âmes pensives qui se demandent pré-
cisément de leur côté quels êtres habitent notre planète, et devisent
entre elles, comme nous le faisons en ce moment entre nous, pour
deviner si notre organisation corporelle ressemble à la leur, si nous
jouissons de la faculté de penser, si nous connaissons rastrouoniie,
et si nous les voyons aussi dans notre ciel.
Des liens mystérieux relient entre eux les différents mondes de
l'espace. La douce mais irrésistible loi d'attraction les enlace de ses
chaînes magnétiques, et chacun d'eux reste sous l'influence cons-
tante de cette grande harmonie. A deux cents millions de lieues de
distance, la Terre ressent l'attraction de Jupiter, et s'incline vers lui
dans sa marche céleste ; à plus d'un milliard de lieues, Neptune
reste subjugué par la puissance du Suleil; à trente et quarante mil-
LES HABITANTS DE VENUS
liards de lieues, de faibles comètes sont saisies par cet irrésistible
aimant et tombent échevelées dans ses serres; à des trillions de
lieues, les étoiles se soutiennent entre elles au sein du vide im-
mense. En même temps que cette souveraine force d'attraction
exerce son empire d'un monde à l'autre, et que le cours de l'Uni-
vers est irrésistiblement mené par l'Harmonie, la lumière à sort
tour tisse les fils délicats de sa toile gigantesque étendue à travers
les cieux, mettant ainsi tous les astres en communication mutuelle,
comme sur un réseau télégraphique occupant l'Univers entier, et
inscrivant l'histoire de tous les mondes sur des archives impéris-
sables ('). Les mondes se sentent ainsi à travers la nuit par l'attrac-
tion, se voient par la lumière, se contemplent, se connaissent et
fraternisent. Mais pensez-vous que ce soient là les seuls liens qui
solidarisent entre elles les différentes provinces de la création?
Est-ce que les palpitations vitales qui vibrent à travers l'es-
pace ne disent rien de plus à votre esprit? Est-ce que cette unité
visible dans l'organisation de l'Univers n'est pas le témoignage exté-
rieur d'une unité invisible, reliant entre elles toutes les humanités
et toutes les âmes de l'infini ?
Il y a quelques semaines, par une tiède soirée d'août, je contem-
plais l'Océan immense après l'heure sublime du coucher du soleil
au sein des flots endormis. Pas un souffle d'air ne traversait l'at-
mosphère échauffée; pas un bruit ne se faisait entendre, hormisla
plainte éternelle de la vague qui s'avance et se retire; pas une feuille-
ne s'agitait sur les tiges des dernières plantes qui xégètent sur le ri-
vage sablonneux et désert : c'était un grand silence et un grand
recueillement, car il n'y avait d'autre mouvement apparent dans la
Nature que celui des eaux attirées par la Lune. Elles s'avançaient
comme de vastes nappes de mercure qui auraient mesuré plusieurs
centaines de mètres d'étendue, se retiraient, se superposaient et se
fondaient l'une dans l'autre. Depuis que le dernier segment rouge
du Soleil s'était enfoncé dans la nappe liquide, les nuées légères
éparses dans les hauteurs glacées de l'air, au-dessus du couchant,
s'étaient empourprées comme une moire écarlate éblouissante, et la
mer s'était colorée à l'occident des nuances chatoyantes d'un feu
(•) Voy. notre ouvrage Récits de l'Infini, Lumen, histoire d'une ;ime.
1. 1 TiTi'i', vu.i (io Vénus, brille dans le ciel comme une étoile Ue première gramlcur
TEKRES DU CIEL ^2
LA NATUBE
liquide, tandis que sur le reste de sa surface elle continuait de réflé-
chir doucement le ciel bleu dans sesflota verts.
Et comme la nuit tombait, Jupiter s'alluma dans le ciel, perçant
l'atmosphère de ses feux orangés. Une lunette de moyenne puis-
sance eût suffi pour admirer ses quatre satellites gravitant autour de
lui. L'eau que les vagues laissent sur la plage unie à chacun de leur
retrait en faisait un miroir tel, que le ciel s'en réfléchissait avec
toutes ses nuances, et que Jupiter lui-même scintillait sur le sable
comme un feu d'or allumé près de la liquide bordure.
Puis ce fut le tour d'Arcturus, brillante étoile avant-cuurrière de
l'armée de la nuit. Véga, Altaïr, parurent bientôt ; puis les trois
premières étoiles du char du Septentrion, puis les sept; puis Saturne
à l'orient, et successivement toutes les constellations, rayonnantes
ce soir-là, dans leur céleste splendeur; diamants de toutes grosseurs
et de tout éclat, pierreries scintillantes apparaissant lentement l'une
après l'autre, et peu à peu constellant le ciel entier de leurs feux
multipliés. La Voie lactée elle-même s'étendait le long de la voûte
étoilée comme un fleuve de lait parsemé d'îles, et son intensité
était si frappante, qu'elle se réfléchissait elle-même, avec toutes les
étoiles, dans la mer calme comme dans un lac et sur la plage de
sable mouillé par la dernière nappe retirée.
A chaque moment une étoile filante glissait eu silence dans les
hauteurs azurées, laissant sur son sillage une traînée lumineuse qui
s'éteignait lentement. Messagères des autres régions de l'espace,
elles apportaient et abandonnaient dans notre atmosphère de la sub-
stance céleste venue des autres univers, formant ainsi une autre
sorte de communication entre notre monde et ses frères de l'Infini.
Parfois la voix grandiose de l'Océan se taisait, et la Nature parais-
sait suspendre son cours pour écouter le sublime silence des cieux.
Mais les vagues reparaissaient ici et là, s'approchaient l'une de l'autre
comme d'ondoyantes caresses, se cherchaient ou se fuyaient tour à
tour, et par leurs jeux ramenaient le bruit grandissant des ondes,
des lames et des flots qui retombaient en cascades sur les vagues
dominées. Des lueurs phosphorescentes, d'abord rares et pâles, puis
fréquentes et brillantes, et aussitôt immenses et étincelantes comme
de la poussière d'étincelles, couraient en frissonnant sur la crête des
vagues et projetaient leurs feux sur la mer, comme pour accroître
LA NATLKE
le reflet des étoiles et pour reprorluire en bas une image des splen
deurs qui scintillaient dans les hauteurs étoilées...
Ah ! combien on sentait alors la parenté de la Terre avec le Ciel !
Combien la voix de l'Infini parlait éloquemment a'u fond de la
conscience, et combien cette immense harmonie était facilement
recueillie dans l'âme contemplative!...
On sentait que l'univers n'est pas un morne désert au sein
duquel flottent des pierres, ni un tableau noir sur lequel courent
des chiffres plus ou moins brillants: on sentait l'univers vivant!
De chaque soleil rayonnant dans l'éther, s'élancent sans cesse les
vibrations lumineuses multipliées qui vont illuminer et échauffer
les mondes de leurs fécondes effluves; et chaque monde dans
chaque système gravite autour de son foyer, tourne sur son axe,
présente tour à tour ses divers méridiens à la lumière, forme le
jour et la nuit, les saisons et les années, reçoit la force émanée de
son soleil, et la transforme en manifestations vitales, qui diffèrent
d'un monde à l'autre suivant l'intensité et la combinaison des élé-
ments de la vie sur chaque sphère. C'est en ces heures de contem-
plation que l'on comprend que la science astronomique complète,
la science intégrale, consiste non pas seulement dans la connaissance
des grandeurs, des distances, des mouvements et des masses, mais
encore et surtout dans l'étude de la constitution physique des
astres, et en définitive dans celle des conditions de la vie à leur
surface.
Oui, tel est le véritable but philosophique de l'Astronomie.
L'existence de la vie universelle et éternelle dans l'Infini constitue
en réalité la synthèse capitale et le but définitif de toute science.
Qu'est-ce que l'Astronomie en elle-même à côté de ce but? Qu'est-
ce que le sujet de toutes les autres sciences? Qu'est-ce que
l'histoire de France, l'histoire d'Angleterre, l'histoire d'Italie,
d'Espagne ou d'Allemagne? qu'est-ce que l'histoire de l'Europe,
qu'est-ce que l'histoire de la Terre entière devant la Pluralité des
mondes? — C'est l'histoire d'une fourmilière comparée à l'histoire
d'un continent; c'est l'histoire d'une seule famille comparée à celle
de la race humaine tout entière?
Oui, nous vous comprenons, ô mondes suspendus dans l'éther,
dont la lumière et l'attraction se font sentir jusqu'il nous ! Oui, nous
LA NATUIIE
VOUS voyons d'ici par la pensée, luimanités nos sœurs, qui avez
dressé vos tentes sur ces terres célestes analogues à la nôtre! 0 toi,
colossal Jupiter, qui brilles là-haut d'un si splendide éclat; toi qui
t'élèves en ce moment au-dessus de l'horizon, pâle Saturne enve-
loppé d'énigmes; et toi, blanche Vénus, belle étoile du soir; je vous
salue, ô planètes nos compagnes! car vous accomplissez à côté de
nous, dans l'espace, la destinée que la Terre accomplit en son cé-
leste sillage! Il a fallu l'aveuglement volontaire de l'esprit humain
sur notre infortunée planète, il a fallu les ténèbres de l'erreur, de
l'ambition et du mensonge, pour que l'on ait cessé d'aimer la Na-
ture e( de contempler le véritable Giel, et (pie l'on ait inventé à côté
de vous, dans le vide, des paradis imaginaires où la divine et éter-
nelle Nature est oubliée pour des ombres et des fictions extra-natu-
relles. Mais la science vous a désormais saisies pour ne plus vous
laisser obscurcir, et c'est en vous que nous voyons à jamais la con-
tinuation de la vie terrestre, l'universalisation de cette harmonie,
dont un chant seulement se fait entendre ici-bas. Tout le reste n'est
qu'illusion. La Vie, pauvre hameau sur ce petit globe, devient cilé
dans vos vastes provinces, nation dans l'ensemble du système pla-
nétaire, et elle s'entend, couronnement de la matière, au sein des
régions profondes de l'infini et de l'éternité. Non, vous ne nous êtes
point étrangères, ô nos sœurs de traversée ! une même destinée nous
emporte tous; et devant cette destinée, tous les dogmes intolérants
au nom desquels le fer, le sang et le feu ont si souvent désolé l'hu-
manité, toutes les prétentions des pontifes, toutes les promesses
faites dans tous les âges et dans toutes les contrées par de pauvres
mortels déguisés sous mille costumes divers, toutes les craintes
de l'aveugle ignorance, toutes les pusillanimités de l'oypocrisie, en
un mot toutes les erreurs séculaires de religions aussi puériles
qu'audacieuses s'évanouissent enfumée. Oui, c'est toi, c'est toi seule
que nous aimons, ô divine et éternelle Nature! c'est toi seule ijui
est vraie, toi seule qu'il faut entendre, toi seule qui nous régit el
nous emporte, en nous berçant dans ton attraction caressante,
mais inexorable; car nous sommes tous, savants ou ignorants,
pontifes ou troupeaux, des atomes flottant au sein de ton rayon-
nement immense comme de la poussière dans un rayon de soleil!...
et c'est ta parole sacrée qui est la vraie, l'unique révélation de Dieu.
LIVRE III
LA PLANÈTE MERCURE
LIVRE III
LA PLANÈTE MERCURE
CIIAl'ITRE PREMIER
Aspect de Mercure à l'œil nu. — Son mouvement autour du Soleil.
Connaissances des anciens sur cette planète.
En quittiinl la planète Vùnns ponr continuer notre voyage céleste,
la première et, du reste, la seule planète que nous rencontrons av:;i.t
d'arriver au Soleil, est, comme chacun de nos lecteurs le saitùèjji,
la planète Mercure.
Peut-être existe-il entre elle et le Soleil un ou plusieurs cor] s
célestes, très petits, et invisibles d'ici; peut-être la minuscule planète
déjà nommée Vulcain et vue un jour par mon excellent ami le doc-
teur Lescarbault existe-t-elle réellement, quoique le même jour Liais
observant le Soleil au Brésil nous assure qu'il n'a rien remarqué, et
quoique nul astronome, môme en la cherchant exprès, ne soit par-
venu à la retrouver depuis; mais nous ne pouvons parler dans co
livre que des astres que nous connaissons, et dont l'existence au
moins est certaine.
Mercure est donc la seule planète que nous connaissions dans le
voisinage lumineux et brùlanl de l'astre du jour. Ellr L-ravite .-^ur
I. A l>I,ANf;TK .MKKc.i-i;i;
une orbite tracée à la distance moyenne de 57 250000 kilora. ou
l 'i .iOOOOO lieueri. Nous disons distance moyenne, car cette orbite
est loin d'ôtro cii'culaire; elle est au contraire fort elliptique et
très allongée, de toile sorte qu'à son périhélie, la planète se
rapproche jusqu'à 11375 000 lieuos, tandis qu'à son aphélie,
elle s'en éloigne jusqu'à 17 250000 : la différence est de six mil-
lions de lieues. Comme l'intervalle entre le périhélie et l'aphélie
n'est (jiic (le six semaines, on voit que la planète consacrée
au dieu du commerce et des voleurs passe rapidement par de
T>i>it;iOCc. .
«at 3CmSJ<""
Fig. 151. — Les orbites de Mercure, Vénus et la Terre.
Échelle : 1""" = 1 million de lieues.
curieuses alternatives de lumière et de chaleur. Si Ton représente
par 1 000 la distance moyenne de la Terre, celle de Mercure sera
représentée par 387, sa distance aphélie par 467, et sa distance pé-
rihélie par 307. L'excentricité («) ou l'allongement de l'ellipse est de
0,205 : c'est la plus allongée des orbites planétaires.
(') Rappelons qu'on nomme excentricité la distance du centre de l'ellipse au foyer,
en fonction du demi-grand axe. Ainsi, dans le cercle, l'excentricité est 0, puisque le
centre et le foyer ne font qu'un. Si l'excentricité est 0,2 c'est que la distance du centre
(C, fig. 152) de l'ellipse au foyer S est égale aux deux dixièmes du demi-grand axe CA
ou CP.
LA l'LA.NÈTL .MKliC.l Ki:
Lii plaiirtc n'emploie que 88 jours pour parcourir cette orbite,
dont le prriniètre mesure 8î) millions de lieues. Elle vogue dans le
ciel avec une vitesse de 'ili 811 mètres par seconde, plus d'un million
de lieues par jour.
La révolution, ou Vannée précise c' cette planète, est de 87 jours
23 heures 15 minutes 46 secondes.
Le petit plan tracé ci-dessus (//"//. 151) ..nrésente, ;i réchellc de
1 millimètre pour 1 million de lieues, les orbites de Mercure, de
Vénus et de la Terre, se suivant concentriquenient autour du Soleil,
aux distances respectives de 14, 26 et 37 millions de lieues. On voit
que ces deux terres du ciel gravitent dans la même région de l'espace
que nous et sont, par leur situation et par leur proximité, véritable-
ment sœurs de celle sur laquelle
se joue en ce moment le jeu de
nos destinées.
A cause de son rapprochement
du Soleil, Mercure n'est visible
pour nous, habitants de la Terre,
que le soir ou le matin, jamais au
milieu de la nuit, et toujours dans
le crépuscule. Cet astre ne peut ja-
mais s'éloigner pour nous à plus de
28 degrés et demi du Soleil, ni le
précéder à son lever ou le suivre à son coucher de plus de deux
heures environ (le maximum s'élève parfois à 2'' ih"' jiour la latitude
de Paris). Il n'est donc jamais visible au milieu de la nuit, mais
seulement à l'aurore ou au crépuscule, ou, au maximum, d(Hix
heures environ avant ou après le coucher du soleil. On aura une
idée exacte de la plus grande élongation qu'il peut offrir, en exami-
nant la petite figure précédente, tracée également à l'échelle de
1 millimètre pour 1 million de lieues. Lorsque Mercure est à son
périhélie (P) il est de deux fois la distance ("S, ou de deux fois
2 930000 lieues plus près du centre du Soleil que lorscpi'il est à sr»n
aphélie (A). Il est sensible que le plus grand angle que la planète
puisse faire avec le Soleil relativement à la Terre arrive lorsque
Mercure étant vers son aphélie, la Terre peut se trouver foniicr
un angle droit avec lui et le Soleil, et être elle-même vers son
TERRES DU CIEL. 43
Fig. 15Î.— Relation entre l'orbite de Mercure
et celle de la Terre.
LA l'LANLïE MEUCLRE
pt'""';-'.lc; : alors la distance angulaire de Mercure au Soleil atteint
zS degrés et demi.
Si le lecteur veut bien supposer que Mercure roule autour du
Soleil dans le sens indiqué par la flèche, il remarquera que sa
distance à la Terre varie considérablement selon sa position. Son
diamètre apparent varie dans la même proportion : à sa distance
maximum, il descend à 4",5; à sa distance minimum, il s'élève
à 12",9. C'est comme si nous disions que la largeur de son disque
varie pour nous depuis 4 millimètres et demi jusqu'il presque
13 millimètres.
Si Mercure tournait autour du Soleil dans le même plan que la
Terre, il passerait exactement devant son disque toutes les fois qu il
passe entre lui et nous, c'est-à-dire à peu près tous les ans, dans un
intervalle de temps combiné entre les 88 jours de sa révolution et
les 365 jours de la révolution de la Terre, aux points nommés ses
conjoiiclions inférieures. Mais le plan dans lequel il se meut ne
coïncide pas avec celui de l'orbite terrestre : il est incliné de 7 degrés.
Il en résulte qu'ordinairement la planète passe à sa conjonction in-
férieure, non juste devant le Soleil, mais au-dessus ou au-dessous,
et par conséquent reste invisible.
Toutefois, elle passe de temps en temps juste devant le Soleil, et
même beaucoup plus fréquemment que Vénus, car ses passages
reviennent à des intervalles irréguliers de 13, 7, 10 et 3 ans. Voici
leurs dates pendant trois siècles :
DIX-HUITIÈME SIÈCLE
DIX
-NEUVIÈME SIÈCLE
VINGTIÈBE SIÈCLE
1707.
. . 6 mai.
1802. . .
9
novembre.
1710.
. . 6 novembre.
1813. . .
12
novembre.
1907.
. . . 12 novembre
1723.
. . 9 novembre.
1822. . .
S
novembre.
1914.
. . . 6 novembre
1736.
. . H novembre.
1832. . .
5
mai.
1924.
. . . 7 mai.
1740.
. . 2 mai.
183o. . .
7
novembre.
1927.
. . . 8 novembre
1743.
. . 5 novembre.
ISia. . .
8
mai.
1937.
. . . 10 mai.
1753.
. . 6 mai.
1S48. . .
9
novembre.
1940.
. . . 12 novembre
1756.
. . 6 novembre.
1861. . .
12
novembre.
1953.
. . . 13 novembre
1769.
. . . 9 novembre.
1868. . .
5
novembre.
1960.
. . . 6 novembre
1776.
. . . 2 novembre.
1878. . .
6
mai.
1970.
. . . 9 'mai.
1782.
. . . 12 novembre.
1881. . .
7
no\embre.
1973.
. . . 9 novembre
1786.
. . . ■!• mai.
18ÏI1. . .
10
mai.
19811.
. . . 12 novembre
1780.
. . . 0 novcmiirc.
189i. . .
10
novembre.
1999.
. . . 24 novembre
1799.
. . 7 mai.
I.A PLANICTK MF.nr.UUK
339
La figure suivante montre chacun des passages de notre sicch;
dans sa forme et dans sa grandeur. Le grand cercle représiuite le
disque du Soleil, et les lignes qui le traversent indiquoni, les mutes
suivies par la planète devant lui.
On voit que la longueur comme l'inclinaison de ces routes difrèrnit
considérablement d'un passage à l'autre. La j)lanète entre t(jiijiiur.s
à gauche, par l'est, pour sortira droite, par l'ouest. A travers cette
complication apparente, on peut néanmoins facilement remarquer
un (inlre réel : tuus les passages qui arrivent au mois de mai sont
Fiï. VSi. — Passages de Mercure devant le Soleil pendant le XIX' siècle.
parallèles imtre eux; tous ceux qui arrivent en novembre sont
également parallèles entre eux.
Le passage du 5 novembre 1868 a été visible à Paris, au lever du
Soleil. C'était là un spectacle fort intéressant et assez rare; aussi
les astronomes étaient-ils à leurs lunettes au moment calculé pour
l'apparition du phénomène. J'ai pu observer et dessiner avec exac-
titude ce petit événement astronomique, fait assez rare en lui-
même, car il n'est pas visible chaque fois à Paris. Voici un résumé
de cette observation :
Ce jour-là, raliuosphèro était loin d'être favorable à l'astronomie. Entré
pendant la nuit, à ô heures 3't minutes du matin, sur le Soleil, Mereuro
LA l'LVNÊTE MERCURE
avait déjà accompli près de la moitié de sa course au lever de l'astre
radieux. Astre radieux! c'était une métaphore en ce temps de brumaire.
Des wCages épais étendaient dans l'atmosphère leur vuile lugubre et im-
pénétrable. L'œil le plus attentif ne pouvait découvrir la moindre éclaircie
dans le ciel entier.
Pendant plus d'une heure et demie l'atmosphère garda son épais rideau
désespérant, qui flottait sous le souille humide d'un vent d'ouest. Pour
condjlc de malheur, ce n'était pas seulement une simple couche de nuages
qui pesait ainsi sur la tète inquiète de l'observateur, mais deux immenses :
la plus haute formée de cirri blancs disséminés en forme de larges ba-
layures, la plus basse formée de cumili-strati sombres.
Arago avait bien raison de dire, dans sa notice sur Sylvain Bailly, que
l'astronomie est un dur métier, et que nos con-
naissances actuelles ne sont dues qu'à une série
étonnante d'efforts persévérants est di:
tigable patience, et j'ai pu constater un
fois de plus pour ma part que l'attente
en plein air des conditions de l'obser
vation d'un phénomène céleste est un
peu plus rude que la description de
ce phénomène devant la cheminée
d'un salon. Mais, il faut tout dire,
on est si heureux au moment oii
l'on a le privilège de contempler
ces merveilles, que soudain, toute
fatigue oubliée, les murmures sur
notre triste Terre (si peu faite pour
l'astronomie) cessent comme par
enchantement. Ainsi, le voyageur arrive au sommet des Alpes oublie
tout à coup, dans l'admiration du spectacle, les durs sentiers l't les
précipices de l'ascension.
Ce n'est qu'après sept grands quarts d'heure d'une attente constante,
durant laquelle l'œil perplexe épie, de seconde en seconde, sans percer
les nuages mobiles, que le Soleil lit enfin son apparition dans une belle
éclaircie. La planète était là, se détachant en noir non loin du bord occi-
dental vers lequel elle approchait lentement.
A première vue, on aurait pu facilement prendre pour Mercure une
tache pres(iue ronde ijui planait dans la région opposée du discpie. Cette
tache était en effet de dimension égale à la projection de la planète; mais,
en l'examinant attentivement, on ne tardait pas à découvrir autour d'elle
une pénombre, et dans son noyau des formes irrégulières.
La planète Mercure était exactement ronde, et je n'ai pu rc^connaitre
aucune trace d'a[)latissement à ses pèles, même en employant de forts
— Quart nord-ouest du Soloil
le suivie par Mercure devant le Soleil.
LA PLANÈTE MKKCUUE
341
grossissements. Elle était bcuuroup plux noin; i[uc les taches so-
laires.
A partir de 8 heures 'i5 minutes, h; ciel, rapidement éclairci, garda
toute sa pureté jusqu'au delà de la lin du phénomène.
C'est vers 9 heures 9 minutes 30 secondes (jue la planète arriva en
contact interne avec le limhe lumineu.x du Soleil et commença sa sortie.
Je n'ai point donné cet instant comme rigoureusement déterminé, et sur-
tout je me suis bien gardé d'inscrire des di.xièmes de seconde ; car l'obser-
vation soigneuse de ce phénomène m'a convaincu qu'il est absolument
impossible d'être sur de l'instant précis du contact, à moins de plusieurs
secondes près. L'esprit hésite pendant longtemps, avant d'être bien assuré
([ue le disque solaire est entamé. Huant au dernier contact, ou à la sortie
(îéfinitivc de la planète au bord échancré du Soleil, ce moment est plus
difficile à décider encore. C'est vers 9 heures 1 1 minutes 50 secondes
([ue la planète cessa d'échancrer le limbe solaire; cL parut tout à fait
sortie. J'ai tracé </ig. 154) comme une corde traversant la région
nord-ouest du disque solaire, la route suivie
par Mercure pendant son passage, avec les
circonstances principales de l'observation.
L'image est renversée, comme dans toutes les
observations faites à la lunette astronomique,
et le Soleil est incliné, comme il l'est à son
lover relativement à la verticale sud-nord et
midi.
Tandis qui; Mercure sortait du disque bril-
lant du Soleil, pendant "2 minutes et 20 se-
condes, le bord solaire parut échancré comme
une balle. L'échancrure devint bientôt demi-
circulaire, puis diminua de plus en plus. La
ligure J55 montre cette échancrure produite [)ar la planète sur le
bord du disque solaire.
Fig. \.y>.
Mercure sortant du disque solaire.
Le passage du 6 mai 1878 eût été également visible à Paris, si des
nuages n'étaient venus interposer leur voile dans notre atmosphère
inconstante : on a pu l'étudier en Belgique et en Angleterre. Celui du
7 novembre 1881 n'était pas visible en France; m.ais on l'a soigneu-
sement observé en Australie. Ceux de 1891 et 1894 seront visibles
en France, le premier au lever, le second au coucher du Soleil.
L'année de Mercure est de 87 jours et 97 centièmes de jour,
ou 2 mois t?7 jours 23 heures 15 minutes et 46 secondes. C'est
muins de tmis de nos mois. Les lialiitants de cette planète ont.
LA PLA>:£TE MEUCUUE
donc leur vie mosurôe par des années quatre fois plus rapides
que les nôtres. Un centenaire de Mercure n'a vécu que vingt-
quatre de nos années ; autrement dit, un «jeune homme » de vingt-
quatre ans est un ■ -ntenaire de Mercure et une « jeune fille » de vingt
ans doit y être bisaïeule. Si la biologie y est réglée comme en notre
monde, les impressions doivent y être plus rapides et plus vives, les
actes vitaux doivent s'y accomplir avec une grande célérité ; on y de-
vient adolescent dans un intervalle de cinq ans terrestres, mûr en
douze ans, vieillard en vingt années de notre calendrier.
11 résulte de cette circulation si rapide que Mercure est constam-
ment en voyage, et ne reste pas immobile un seul instant dans
l'année, tandis que Saturne, par exemple, nous paraît endormi
dans la même constellation pendant des mois entiers. Ainsi, il
atteint sa plus grande élongation du soir, le 4 janvier 1884,
retardant de 1 heure 38 minutes sur le Soleil, passera entre cet
astre et nous (mais non juste devant le Soleil) le 20 janvier,
deviendra étoile du matin et atteindra sa plus grande élongation le
13 février, passera derrière le Soleil le 29 mars, redeviendra étoile
du soir et atteindra de nouveau son plus grand éloignement angu-
laire du Soleil le 25 avril, et ainsi de suite, revenant aux mêmes
positions tous les quatre mois environ et passant trois fois par
an à sa plus grande proximité de la Terre, avec une agilité qui
lui a fait mettre des ailes aux pieds par l'antique mythologie
et qui lui adonné les attributs et le culte de messager des dieux.
En comparant notre figure 156 à celles de Vénus (p. 233), et de
Mars (p. 87), on jugera au premier coup d'œil des différences
qui caractérisent les mouvements apparents de ces trois planètes.
Cette rapidité du mouvement de gerçure autour du Soleil, jointe
à sa proximité de l'astre radieux, fait que pour nous cette planète
semble se balancer, comme Vénus, à l'est et à l'ouest du Soleil, mais
en périodes plus courtes et plus rapides. Nos pères aimaient se re-
présenter ces mouvements planétaires sous une forme pittoresque,
et il faut avouer que ces modes de représentation étaient bien faits
pour parler aux yeux et animaient d'une certaine vie les aspects que
la géométrie pure laisse toujours froids et indifférents. Jetez, par
exemple, un coup d'œil sur notre figure 157, fac-similé d'un dessin
du XVllI" siècle, représentant les élongations de Mercure et de Vénus,
IX PLANÈÏK MKr.CUKE
de part et d'autre du Soleil ; ne semlde-t-il pas qu'on assiste à un jeu
charmant dont Apollon, Mercure et Vénus sont les héros volontaires?
Vénus tient dans sa main un cœur emhrasé et Mercure un caducée.
Une figure du XVIP siècle {fig. 158) traduit la mènie impression
Fig. 156. — Mouvement do Mercure par rapport fi la Terre.
sous une forme non moins ingénieuse. Ces sinuosités significatives
donnent bien une idée du mouvement de Mercure.
La planète Mercure fait partie des cinq planètes connues de toute
antiquité ; mais elle a été sans doute la dernière découverte et iden-
tifiée. Nous avons publié plus haut (p. 222), un manuscrit égyptien
de dix-huit siècles, qui commence précisément par cette planète
(^Sewek). La plus ancienne mesure astronomique qui soit arrivée
jusqu'à nous date de 265 ans avant notre ère, de l'an 494 de l'ère de
Nabonassar, soixante ans après la mort d'Alexandre le conquérant.
Le 19 du mois égyptien Thoth, jour correspondant au 15 novembre,
les astronomes observèrent la planète passant près des étoiles {3 et o
LA l'I.A.NKTK MKKCl lit
(lu Si'di'pinii. Nous possédons aussi sur McTcure des observations
ehinoisos, d(jnt la plus ancienne appartient à l'année 1 18 avant notre
ère : le 9 juin de cette année, on l'observa prés de l'amas d'étoiles
de la constellation du Cancer nommé Prœsepe ou la Crèche. Pour
reconnaître que c'est le même astre qui apparaît tantôt h; matin,
précédant le Soleil, tantôt le soir suivant son coucher, il a fallu
Fig- 157. — Les éloiigations de Mercure ot Je Vénus de part et d'autre du Soleil.
(Figure du XVI 11' siècle).
une longue suite d'observations, et dans un climat favorable, soit
en Chaldée, soit en Egypte. Cependant elle a été identifiée à
une époque très ancienne : nous avons vu plus haut, à propos
de Mars et de Yénus, que les astronomes chaldéens (Accadiens)
l'observaient à Ninive au vingtième siècle avant notre ère, ainsi
que Vénus, Mars, Jupiter et Saturne ; il y a bien des siècles que
son nom a été donné à l'un des jours de la semaine (le mercredi :
Mereurii dies).
Aux temjis des premières observations, on avait cru à l'existence
de deux planètes différentes, l'une du matin, l'autre du soir, et l'on
I.A PLANÈTE MKIîCUliK
avait nommé séparcmcuL cliacaiu! d'elles. C'étaient Set et Horus
chez les Égyptiens, Boudha et Rauhineya chez les Indiens, Apullon
et Mercure chez les Grecs. Ces dieux sont restés distincts dans le.-?
Fig. l'oS. — Image des sinuositiîs du mouvement de Mercure.
(Figure du XVll' siècle).
mythologies, quoique l'Astronomie ait depuis plus de quatre mille
ans reconnu leur identité. Les religions ne suivent que de loin les
progrès des sciences.
TKnr.ES DU CIEL
-54
SfC
I. A PLANÈTE MERCUKE
Outre les noms mythologiques des planètes, que nous ont con-
servés Platon, Aristote et Diodore de Sicile, il y a eu aussi des épi-
tliètes en rapport avec liîs aspects de ces astres : ainsi Mercure fut
nommé Stilbôn, « l'éclatant ». Quant à son nom sanscrit très ancien,
« Boudha », il a la môme racine que celui du législateur Bouddha :
budh, qui signifie savoir. Le mot saxon Wuotan (Odin) a la même
étymologie et désigne aussi le dieu du mercredi : Wodawes-dag en
Fig. 159. — Pierre fcTavée, de IVpoque romaine, portant les planètes et ics signes du zodiaque.
vieux saxon, Budha-wâra en indien. Mercure est resté d'ailleurs le
dieu du savoir, entre autres celui de la médecine, et le signe ^ par le-
quel on le représente depuis le moyen âge rappelle le caducée. Ainsi
l'ohservation du ciel est liée à l'origine môme des langues, des reli-
gions et des histoires.
Sur une pierre gravée datant de l'époque romaine (très bel onyx
qui appartenait au siècle dernier à la collection de la maison d'Or-
léans et à son musée du Palais-Royal et qui a été achetée par Cathe-
LA IM.ANftTK MK.P, nillE
rino II de Russie), on voit, gravées en fort bon style, les planètes
suivant l'ordre ancien : La Lune — Mercure — Vénus — le Soleil —
Mars — Jupiter — Saturne — dans un cercle intérieur à celui des
signes du zodiaque. Au centre, le dieu Pan avec sa flûte, modéra-
teur du mouvement et de l'harmonie des sphères. Le revers de cette
pierre porte une tête de Méduse. C'est là un monument astrono-
mique qui mérite d'être conservé. Mercure est conduit par deux
(le la iiiênic pierre.
coqs et armé du caducée. On y reconnaît aussi l'épée de Mars, la
foudre de Jupiter et la faux de Saturne.
Mercure avait pour domiciles astrologiques la Vierge et les Gé-
meaux. Dans sa magnifuiue galerie planétaire, dont nous avons
déjà donné des spécimens, sur Mars et sur Vénus, Raphaël a re-
présenté le messager des dieux armé du caducée et se préparant à
prendre son vol pour aller transmettre aux mortels les ordres de la
cour céleste. Ces représentations, fort révérées autrefois (Socrate a
bu la ciguë pour avoir mis en ddute leur valeur), sont aujourd'hui
LA l'LANP.TE MEUClîllF.
pour nous de rarohéologio, comme le seront pour nos descendants
Fis. IBI.
Q^yiôrGuriiiS
(Juief^H/cfierem. ctJ-Ainarfi apparet.CDomus cfus prinapaus
^hpjo , minus pnncipalis Çrcmuit.
l'ascension de Jésus dans un ciel qui n'existe pas, ou sa descente aux
enfers dans des régions souterraines qui n'existent pas davantage.
CHAPITRE II
Rotation de Mercure sur lui-même.
Durée du jour et de la nuit sur ce monde. — Nombres de jours
dans son année. — Calendrier de Mercure. — Phases. — Irrégularités.
Montagnes. — Volume. — Densité. — Pesanteur.
Ce n'est que depuis rinvention des lunettes d'approche que la
constitution physique des planètes a pu être étudiée, et ce n'est ({ue
depuis la fin du siècle dernier qu'on a pu parvenir à distinixuer
quelques détails sur le disque de Mercure, si difficile à voir. La
question de savoir si ce glohe est doué d'un mouvement de rotation
sur lui-même a tout d'abord attiré l'attention des astronomes.
L'orbite de ^Mercure étant intérieure à celle de la Terre, ce monde
se trouve tantôt entre nous et le Soleil, tantôt de l'autre côté du
Soleil par rapport à nous, tantôt à angle droit, etc. 11 en résulte des
phases analogues à celles de la Lune. Lorsqu'il est entre le Soleil et
la Terre, position nommée sa conjonction inférieure, nous ne pou-
vons le voir dans le ciel, puisque c'est alors son hémisphère obscur
qui est tourné vers nous. (Il ne brille, comme la Lune, et comme
toutes les planètes, que par la lumière qu'il reçoit du Soleil et qu'il
réfléchit dans l'espace.) Lorsqu'il fait un angle léger avec le Soleil,
avant et après sa conjonction, nous A-oyons un peu de son hémis-
phère éclairé, et un croissant très délié se dessine dans la lunette.
Lorsqu'il se trouve à angle droit, il ressemble au premier ou au
dernier quartier de la Lune, etc. On ne le voit jamais parfaitement
rond au télescope, parce qu'aux époques où il nous montrerait
outièrcnu'iit son lirriiisphèro éclairé, il se trouve derrière le Soleil,
i[in l'éclipsé.
Les phases de Merciu-e ont été vues pour la première fois par
ITortensius, vers 1630. Galilée avait essayé de les reconnaître avec
les instruments primitifs dont il faisait usage, mais comme on peut
le lire dans son troisième Dialogue, il ne parvint pas à en constater
l'existence.
Comme celles de Vénus, ces phases ne correspondent pas avec
précision aux phases calculées. On a trouvé plusieurs fois la largeur
du croissant inférieure à ce qu'elle aurait dû être d'après la position
de la planète et l'éclairement du Soleil. Le 29 septembre 1832,
Fig. 1C3. — Les phases de Meifure.
entre autres, Màdler, observant une conjonction de Mercure avec
Saturne, remarqua que la largeur de la phase était de \,-2o au lieu
de 1,45 (le rayon du disque étant pris pour unité).
Si la planète était sans aspérités sensibles, son croissant serait
toujours terminé par deux cornes également aiguës, formées par la
limite régulière de rhémisphère éclairé par le Soleil ; mais on
remarque, en certaines circonstances, que l'une des cornes, la
méridionale, s'émousse assez fortement, et présente une véritable
troncature. Ce fait a conduit à admettre que, près de cette corne
méridionale, il existe un plateau montagneux très élevé qui arrête
la lumière du Soleil et l'empêche d'aller jusqu'au point auquel la
corne aiguë s'étendrait sans cette proéminence.
Observé dès 1801 par Schrôter, à Lilienthal, cet émoussement de
la corne australe du croissant a été revu entr'autres par MM. Noble
et Burton, en 1864, et par M. Franks en 1877.
La réapparitiou régulière de ce plu-nomèno ilo troncature montre
en même temps le mouvement de rotation de la planète et le
retour de la montagne au bord du disque. La comparaison des
moments où elle se manifeste a conduit, en 1801, Schrôtor
k la conséquence que cette rotation s'effectue en 24 heures
0 minutes 30 secondes. En 1810, Bessol, d'après cinq observations
de Schrôter faites pendant une période de 14 mois, a trouvé
•^i heures 0 minutes 53 secondes, et en 1816, Schrôter reprenant
ui-même les calculs de Bessel et les comparant aux siens, a trouvé
24 heures 0 minutes 50 secondes. C'est cette dernière valeur que
nous adopterons, sans la considérer tou-r
tefois comme aussi certaine que celles de.
Mars et de Vénus, et en en désirant la
vérification.
Le nombre de jours solaires de l'année
mercurienne est de 86 et deux tiers
(86,637), et chacun de ces jours est de
24 heures 21 minutes. Les habitants de
Mercure ont dû, en formant leur calen-
drier, faire deux années bissextiles de
87 jours sur trois, et une de 86 jours.
Nous verrons plus loin, en examinant
le mouvement de rotation de la Terre,
«[ue pour chaque planète ce mouvement de rotatiim qui ramène
les étoiles au méridien après sa période exacte, n'y ramène le
Soleil qu'après un intervalle un peu plus long, à cause de la trans-
lation de la planète autour du Soleil. Le nombre de jours solaires
dont se compose l'année est toujours inférieur d'une unité à celui
des jours sidéraux, et le jour solaire est par conséquent plus long que
■e jour sidéral. Sur Mercure, le jour solaire est de 24 heures 21 mi-
nutes : telle est la durée du jour civil. Il n'y a donc que 21 minutes
<le différence à cet égard entre Mercure et la Terre. La division
<iu jour y est à peu près la même qu'ici, et si l'on y a partagé
comme ici la journée entière en vingt-quatre heures, ces heures y
sont seulement un peu plus longues que les nôtres.
Ce qui nous frappe d'abord, par conséquent, dans la division du
temps sur cette planète, c'est que les journées y ont la même lon-
F'S. irti.
Phase de Mercure.
Troncature de la corne australe.
3ai .MERCI liK. — JOCIIS KT MITS. — ANNKi:. — C. A LKNOIl I KR
gui'Lir qu'ici, tandis que les années y sont quatre fois plus courtes.
Tels sont les premiers éléments du calendrier de Mercure. Cette
brièveté de l'année de Mercure saute aux yeux à l'examen du petit
diagramme {fig. 165) sur lequel on a représenté les douze mois de
l'année terrestre et les trois mois du l'année de Mercure. Pendant
que nous parcourons les trois premiers mois de notre année, ^Icrcure
est déjà arrivé au bout de la sienne.
La proximité où la planète se trouve toujours du Soleil et la blan-
cheur de sa lumière rendent extrêmement difficile l'observation de
sa surface. Néanmoins Schrôter et Harding ont reconnu l'exis-
'.ence de bandes obscures sillonnant le disque, et qui sont dues
probablement à des zones de nuages, que des courants analogues
aux vents alizés formeraient à peu près parallèlement à l'équateur.
1
2
1
•;
'■,
7
8
n
10 1
1 12
"■'! '
1
j
i
j
1
i
1
Fig. IC3. — Longueur comparée de l'année de Mercure et de l'année terrestre.
Les échancrures observées à l'une des cornes du croissant indi-
quent que le sol de Mercure est accidenté, qu'il existe de fortes
aspérités à sa surface. Les dentelures de la ligne de séparation de
l'ombre et de la lumière témoignent de même de l'existence de
hautes montagnes, qui interceptent la lumière du Soleil, et de
vallées plongées dans l'ombre, qui empiètent sur les parties éclairées
lu sol de la planète.
Ainsi Mercure a des montagnes. La mesure de la troncature du
croissant a même conduit Schrôter à évaluer leur hauteur, qui
paraît être de la 253° partie du diamètre de la planète : ce serait
environ 19 kilomètres ! Or, la plus haute montagne du globe ter-
restre, le Gaurisankar de l'Himalaya, s'élève à 8 840 mètres au-des-
sus du niveau de la mer; mesuré du plus bas fond des mers, il en
aurait le double, soit environ 17 000, ce qui n'est encore que la
sept-centième partie du diamètre de la Terre. Les montagnes de
Mercure seraient donc, d'après cette évaluation (qui n'est pas très
précise), relativement trois fois plus élevées que celles de la Terre.
MKRCUnE. — VOMMi;. l'Oins.
Nous avons vu plus haut qun Mercure passe quelqueiuis juste entre
Je Soli'il et nous, et apparaît, alors (•(uuine une petite tache ronde et
très noire glissant à la surlaee de l'aslrc du jour. Pendant l'un de ces
passages, le 7 mai 1799, Schrotcr a vu ou cru voir sur le disque noir
■de la planète un point lumineux. Une observation toute semblable
a (Hé faite, le 5 novembre hSGH, par M. Huggins, qui, pendant toute
la durée du passage, a vu un point lumineux sur le disque obscur,
il peu de distance de son centre. Ou avait conclu de l'observation de
Schrôter qu'il existe à la surface de M(n'cure des volcans en ignition.
Ce serait une analogie de; phis entre la, constitution pliysique de
cette planète et celle de la Terre. SchruLer était un observateur
haliile, et le même témoignage doit être porté en faveur de mon
savant ami M. Huggins. Cepen-
dant, malgré le désir tout par-
ticulier que j'aurais de cons-
tater une nouvelle analogie
entre Mercure et la Terre, je
dois avouer que les deux oli-
servations précédentes ne me
paraissent pas sûres. Il doit y
avoir eu là quelque illusion
d'optique. J'ai observé avec
]joaucoup de soin à Paris ce
passage de Mercure du 5 novembre 1868, et j'ai expressément
cherché s'il n'y avait pas, comme l'avait vu Schrôter, quelque point
Iumiu(>ux qui put être distingué sur lo disque noir : le résultat a
été qu'il n'y avait rien de visible. Tous les autres astronomes qui
ont observé le passage, à l'aide d'instruments de grossissements
très variés, n'ont rien vu non plus.
Nos connaissances actuelles sur la géologie de Mercure, se résu-
ment donc à savoir que cette planète est hérissée de très hautes
montagnes; mais nous ne pouvons pas encore affirmer qu'on y ait
réellement vu des éruptions volcaniques.
La Terre est aplatie à ses pôles de ^. Mercure peut avoir la même
figure, mais la proportion est si faible, qu'elle est insensible aux
meilleurs instruments.
Le diamètre de cette planète n'est égal qu'au 38 centièmes de celui
Fig. lOG. — Uranaeur comparée do Jlfrcurc
et de la Terre.
TERRES DU CIEL
45
354 MERCIJUK. — VOLUMK. POIDS.
de notre globe. Ce diamètre réel se calcule d'après le diamètre ap-
parent combiné avec la distance. Nous avons vu, à propos des pas-
sages de Vénus, que les conclusions relatives à la parallaxe solaire
donnent le nombre 17"72 pour le diamètre de la Terre vue du
Soleil. C'est à cette unité que les diamètres de toutes les planètes
sont rapportés, en les supposant toutes vues à la même distance.
Voici ces diamètr(>s angulaires :
Mercure 6"70 Jupiter 197"75
Vénus 16,90 Saturne 168,82
La Terre 17,72 Uraiius . 74.82
La Lune 4,&4 Neptune 78,10
Mars 9,57
Nous savons par là que le volume de Mercure n'est que les 5 cen-
tièmes de celui de notre globe : c'est la plus petite des planètes
(exception faite des fragments qui gravitent entre Mars et Jupiter).
En volume, il est dix-huit fois plus petit que la Terre; sa surface
est sept fois moindre; son diamètre dépasse à peine le tiers de celui
de notre monde : il est à celui de la Terre comme 376 est à i 000, et
mesure 1200 lieues; d'où il suit que ce globe compte seulement
15000 kilomètres de tour.
L'un des points les plus curieux à connaître des conditions d'ha-
bitation de cette planète, serait de pouvoir mesurer l'état de la
pesanteur à sa surface. Mais comment déterminer avec précision le
poids de ce globe? S'il était accompagné d'un satellite, le problème
serait facile à résoudre; car la vitesse du mouvement de ce satellite
indiquerait le poids de cette planète, de même que la vitesse du
mouvement de la Lune est en correspondance avec le poids de la
Terre. Mais malheureusement Mercure n'est pas accompagné du plus
petit satellite tournant autour de lui. D'un autre côté, s'il était plus
lourd qu'il n'est, son attraction dérangerait visiblement Vénus et
la Terre dans leur marche autour du Soleil, et en analysant avec
précision ce dérangement, on pourrait aussi déterminer la masse de
Mercure. Il est si faible, que son action est presque insensible. Cepen-
dant, en poussant l'analyse à ses dernières limites, Leverrier est
parvenu à trouver une valeur mathématique. On avait, auparavant,
cherché à découvrir son action perturbatrice sur les comètes qui
passent près de lui; ce n'est pas là une balance bien sensible ni bien
MERCUliK. — MASSE. ItKNSITE.
rigoureuse : elle avait d'abord fait supposer à la planète une
densité égale à celle du plomb. Avec l'opinion qui était encore
générale, il y a un demi siècle, sur cette densité, il eut été bien
difficile de se former une idée de son état d'habitation. On évaluait
en elfet, cette densité, à plus de seize fois que celle de l'eau,
c'est-à-dire qu'on la faisait près de trois fois plus forte que celle de la
TeiTe : elle tenait à peu près le milieu entre celle de l'or et celle
du métal consacré à l'astre dont nous nous occupons.
Un pareil état du sol eût été bien difficilement assimilable à des
organismes analogues à ceux que nous connaissons, mais il eût peut-
être donné raison à l'hypothèse imaginée par Huygens, qui suppose
que les habitants de Mercure reçoivent du Soleil une chaleur si brû-
lante, qu'elle embraserait d'elle-même des herbes comme celles qui
croissent sur notre globe. Ajoutons toutefois que le même astronome
ne voyait pas là un motif suffisant pour laisser cette planète déserte
et stérile, car il s'empressait d'ajouter que l'organisation de ses
habitants doit être appropriée à celle de la planète.
Le calcul de la densité a pu être repris il y a quelques années, et,
d'après une étude plus complète des perturbations produites sur la
comète d'Encke, on a été conduit à la conclusion (jue le globe de
Mercure pèse environ quinze fois moins que le globe terrestre. 11
en résulte que la densité des matériaux qui le composent surpasse d'un
sixième seulement celle des matières terrestres, comme moyenne
générale, car il y a là comme ici des différences dans les substances.
La pesanteur à sa surface est presque moitié moindre de ce qu'elle
est ici : un kilogramme transporté sur Mercure n'y pèserait que
52 1 grammes. Cette faiblesse de la pesanteur fait que des êtres lourds
et énormes comme l'éléphant, l'hippopotame, le mastodonte ou le
mammouth, pourraient avoir sur Mercure l'agilité de la gazelle et
de l'écureuil! L'imagination peut facilement supposer quelle mé-
tamorphose cette différence de pesanteur doit apporter dans les
œuvres matérielles et même intellectuelles de l'humanité à la surface
d'une autre planète.
Sa densité est un peu plus furte que celle des matériaux consti-
tutifs de la planète que nous habitons : en représentant la densité
terrestre par 1 OUU, celle de Mercure est représentée par le chiffre 1 376.
C'est la plus élevée de tout le système solaire.
MERCURE. — DENSITÉ. PESANTEUR.
Ainsi, quoique les êtres et les choses qui existent sur ce globe soient
d'un tiers jilus denses que les nôtres, ils pèsent près de moitié
moins. Un objet qui tombe ne parcourt que 2'°,55 pendant la pre-
mière seconde de chute.
Voici, à ce propos, la valeur calculée de l'intensité de la pesanteur
sur les différents globes du système solaire, comparée à celle de la
pesanteur terrestre prise pour moitié.
INTENSITÉ COJIPAHATIVE DE LA PESANTEUR A LA SURFACE DES MONDES
Le Soleil 27,474 Uranus 0,883
Jupiter 2,581 Vénus 0,864
Saturne 1,104 Mercure 0,321
La Terre 1,000 Mars 0,382
Neptune 0,953 La Lune o,lG4
Ainsi, c'est sur la Lune que l'intensité de la pesanteur est la plus
faible et c'est sur le Soleil qu'elle est la plus forte. Tandis que, trans-
porté sur le premier de ces astres, un kilo terrestre ne pèserait que
164 grammes, il pèserait plus de 27 kilos sur le Soleil, 2 kilos et demi
sur Jupiter, etc. Mais nous apprécierons mieux ces différences d'in-
tensité si nous les traduisons par le chemin que parcourrait un corps,
une pierre par exemple, qu'on laisserait tomber du haut d'une tour.
Voici le chemin qui serait parcouru dans la première seconde de
chute sur chacun des mondes que nous considérons :
' ESPACE PAUCOL'KU PAR UN CORPS QUI TOMBE, PENDANT LA PREMIÈRE SECONDE DE CHLTB
Sur la Lune.. 0",80
■^ Sur Mars 1",86
Sur Mercure 2", 55
Sur Vénus. . . .■ 4°.21
Sur Uranus 4°,30 .
Sur Neptune. ............. 4",80
Sur la Terre. .. i ......... . 4"',90
Sur Saturne. . . u . ^ ".i. ;.■*...' . i ... 5°, 34
Sur Jupiter. . ... ; . . ., . ...... 12'",49
Sur le Soleil ........ J ... ■ 134 ',02
On voit que cette intensité ne diffère pas considérablemeni. sur la
Terre, Vénus, Uranus et Neptune, mais que, sans être aussi faible
sur Mercure que sur Mars, elle est néanmoins beaucoup plus faible
qu'ici. !
Un habitant de la planète Mercure arrivant sur la Terre éprouverait
dans ses mouvements la résistance du nageur plongé dans l'eau. .
On ne connaît pas de satellite à Mercure.
CHAPITRE III
L'atmosphère de Mercure. — Météorologie.
Climats et saisons. — Inclinaison de l'axe- — Lumière. — Chaleur.
Conditions de la vie sur le monde de Mercure.
Notre conci'pLion générale do l:i vie à la surface des autres pla-
nètes se rattachant très intimement à l'existence d'une atmosphère,
l'une des premières questions que nous nous adressons naturelle-
ment lorsque nous nous occupons de riiabitabilitè des autres mondes,
est de nous demander s'ils sont gratifiés d'une atmosphère analogue
à la nôtre. Cette tendance de notre espxùt n'est peut-être pas absolu-
ment irréprochable, car nous n'avons aucune certitude que la vie ne
puisse pas exister en des conditions tout à fait diiTèrentes de celles
où elle se trouve ici-bas ; mais elle est naturelle et logique, puisque
le système organique terrestre tout entier, aussi bien végétal qu'a-'
nimal, a pour base essentielle l'air et la respiration. L'étude des
atmosphères planétaires a donc un double intérêt pour nous : un in-
térêt astronomique, d'une part, en ce qui concerne la connaissance
que nous voulons avoir de la constitution physique des autres
mondes; un intérêt physiologique, d'autre part, en ce qui concerne-
l'analogie d'habitation humaine que ces mondes peuvent offrir avec
celui que nous habitons en ce moment.
Eh bien ! la première planète du système solaire, la plus proche
de l'astre radieux, celle qui reçoit la plus grande somme de chaleur
et de lumière, la planète Mercure, a-t-clle une atmosphère?
l.'AT.MOSl'HKIiK DK MERT.CKE
Aujourd'hui, nous pouvons répondre afBrm;itivement à cette in-
téressante question, quoique sa solution ait été lente et traversée
d'illusions de toutes sortes, semées sur son passage. L'observation
de la planète est si difficile en effet que la constatation de son at-
mosphère a été, comme on le devine sans peine, plus difficile
encore.
C'est pendant les passages de Mercure devant le Soleil, que le
premier indice de l'existence de l'atmosphère de ce petit monde a
frappé l'attention des astronomes.
Un faible anneau nébuleux entourant la planète a été décrit par
Plantade, lors du passage de
17.3G. Le même phénomène a
été remarqué par Flaugergues,
dans l'observation des passages
de 1786, 1789 et 1799; il l'a
signalé sous le nom d'anneau
lumineux. Messier, Méchain et
Schrœter rapportent avoir aper-
çu dans ce dernier passage un
anneau mince et lumineux,
qu'ils ont attribué à l'influence
d'une atmosphère. En 1832, le
docteur Moll l'a aperçu comme
un cercle gris d'une teinte som-
bre un peu violette. Les uns
l'ont vu plus lumineux , les
autres moins lumineux que le Soleil lui-môme.
Pendant le passage de 1868, l'astronome et physicien anglais
Huggins, a décrit ce même anneau atmosphérique ('), et en a dessiné
la figure ci-dessus. « En examinant attentivement, dit-il, le voisinage
immédiat de la tache noire formée par Mercure, dans l'idée de
rechercher s'il existe un satellite, je constatai que la planète était
entourée d'une auréole de lumière un peu plus brillante que le
Soleil. La largeur de l'anneau lumineux était environ le tiers du
diamètre apparent de la planète. Elle ne s'évanouissait pas au bord,
Fig, 168.
l'Ole lumineuse observée autour de Mercure.
(I) Monihly Notices of the Royal Astronoinical Socieli/, novembre 1868.
LATMOSI'HÈUE DE MEKCUUE
mais avait un contour bien arrêté, et était sans couleur aucun(;.
Presque au même moment où je vis cet anneau, mon attention fut
frappée par un point lumineux brillant vers le centre de la planète. »
C'est le point dont nous avons parlé au chapitre précédent.
Après avoir décrit longuement les phénomènes dont nous résu-
mons ici la description, l'astronome anglais examine s'ils peuvent
être causés par une illusion d'optique et conclut qu'ils sont bien
réels.
Combien la vision humaine est singulière ! Pendant que M. Hug-
gins observait en Angleterre ce passage de Mercure devant le Soleil,
je l'observais à Paris, comme je l'ai dit plus haut, avec toute l'at-
tention possible également, et je n'ai pu apercevoir, ni point lumi-
neux, ni trace d'atmosphère. Et cependant je les cherchais avec une
idée préconçue. Cela ne veut point dire que l'astronome anglais et
tous ses prédécesseurs se soient trompés ; mais ces différences nous
apprennent à ne pas trop nous fier à la vue dans certains cas spé-
ciaux, comme dans ceux où le contraste joue un grand rôle. Non
seulement la vue, la sensation de la rétine, le jugement, différent
d'un observateur à l'autre, mais l'instrument employé entre lui-
même pour une large part dans les résultats de l'observation (').
(') Le passage de Mercure du jj novembre 1868 a été observé par plus de cinquante
astronomes, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Russie, i Italie, en Espagne,
et M. Iluggins est le seul qui ait vu l'auréole et le point lumineux.
11 en a été de même dans les passages antérieurs. Tandis que les astronomes cites
plus haut décrivaient les piiénomènes en question, les autres affirmaient n'avoir
rien vu.
Ainsi, en 180i, William Herschel assura avoir constaté que le contour de Mercure
resta parfaitement terminé pendant toute la durée du passage. Or, on sait que la
lumière s'alTaiblit et se colore inévitablement en traversant une atmosphère. Le fait
qu'on n'a pu apercevoir autour de la tache aucun anneau qui fût différent, par l'in-
tensité ou par la teinte, du disque solaire, infirmerait l'existence d'une atmosphère un
peu épaisse. .Mais il est bien probable que dans ces circonstances nous ne voyons pas
l'atmosphère de Mercure elle-même, car elle doit être couverte de nuages, et au-dessus
de ces nuages il ne doit rester qu'une couche aérienne trop peu sensible pour produire
de notables effets de réfraction. Si cette atmosphère était pure et entourait le disque de
la planète, les rayons lummeux éprouveraient en la traversant une déviation qui
déformerait le bord du Soleil, .\ucune déformation de ce genre ne s'est fait remaniiier.
.\u dernier passage de 1878, ce point lumineux a été revu et absolument constaté,
notamment par mon savant ami .M. de Boé, astronome belge. Le fait le plus cujieux,
c'e>t que, pendant les passages de Mercure qui arrivent en mai, ce point lumineux
se trouve à l'ouest du centre de la plain'li", taudis que, pendant les observations faites
en novembre, on l'a toujours vu à l'est. 11 n'est pas juste au centre, ce qui prouve que
L'ATMOSPHÈKE DE MEIiCUIlE
On a attribué l'auréole à une atmosphère immense et ce point
lumineux à un volcan. 11 serait singulier qu'il y eût justement
un volcan d'allumé sur Mercure vers le milieu de l'hémisphère
tourné vers la Terre aux jours et aux heures des passages de cette
planète devant le Soleil ; il ne serait pas moins étrange que cette
planète fut environnée d'une enveloppe atmosphérique égale au
tiers de son diamètre ; c'est comme si notre atmosphère avait
plus de mille lieues de hauteur L'explication la plus simple est
d'admettre que Mercure n'étant sur l'éblouissant Soleil qu'un mi-
nuscule point noir invisible à Vœil nu, la difficulté de l'observa-
tion dans un tel état de contraste produit des phénomènes pure-
ment optiques.
Quoi qu'il en soit, ces observations contradictoires, que nous
signalons ici en toute sincérité, ne prouveraient rien sur l'existence
d'une atmosphère autour de la planète Mercure, si nous n'en avions
pas de plus convaincantes.
Une des meilleures est celle qui nous montre que le cercle termi-
nateur des phases de Mercure n'est pas net et arrêté comme sur la
Lune, mais diffus et estompé, comme on l'a vu sur la figure 164
(p. 351). Cette pénombre ne peut être produite que par une atmos-
phère. C'est le crépuscule du commencement et de la fin du jour
que nous apercevons d'ici. L'atmosphère est éclairée par le Soleil,
ce n'est pas un efifet optique dû à la dififraction. Une autre observation non moins
curieuse, c'est l'auréole dont la planète paraît entourée pendant soa passage sur le
Soleil. Parfois cette auréole est plus lumineuse que le Soleil lui-même et parfois elle
est d'une teinte grise un peu violette. En général, le premier cas s'est présenté au
mois de novembre et le second au mois de mai. (Le fait est assez bizarre. J'ai observé
en ballon un effet analogue : plusieurs fois, l'ombre de l'aérostat voyageant sur les .''
prairies s'est montrée encadrée d'une auréole lumineuse) (').
Remarquons maintenant qu'à l'époque des passages du mois de mai Mercure est à sa
plus grande distance du Soleil, tandis qu'au mois de novembre il est dans le voisinage
de son périhélie, c'est-a-dire vers sa plus petite distance. 11 pourrait exister une relation
entre cette distance et la position de la tache lumineuse et l'aspect de l'auréole. Sans
doute l'ardeur du Soleil, quatre fois et demie plus grand et plus chaud que le nôtre
lorsque Mercure est à son aphélie, et dix fois et demie plus immense et plus intense
lorsqu'il est à son périhélie, produit-elle dans l'atmosphère de cette planète des phé.
nomènes météorologiques, magnétiques et électriques tout à fait étrangers à ceux
que nous connaissons sur la Terre.
Mais ne nous hâtons pas d'expliquer des faits qui peuvent être purement subjectifs.
(') Voy. mes Voyages aériens, troisième ascension.
... Les jeux d'oplique aérieaue se pioJaiieal sur Mercure avec intensité...
TEr.ltES DU CILL 46
L'ATMOSPHEftE DE MEUCIIRE
sans que le sol le soit, et produit cette légère lumière qui sépare
l'hémisphère éclairé de l'hémisphère nocturne.
D'un autre côté, le calcul d'une phase de la planète pour une date
donnée (23 septembre 1832) a montré à Béer et Madier que cette
phase calculée était supérieure à la phase visible. De là, en attribuant
à un défaut de diaphanéité une plus grande influence qu'à la réfrac-
tion, on est arrivé, par une voie totalement différente des déductions
précédentes, à la conséquence que Mercure est entouré d'une atmos-
phère assez épaisse.
Un autre indice est fourni par ce fait que la lumière du disque de
Mercure va en diminuant du centre vers les bords, diminution causée
aussi par la présence de l'atmosphère autour de la planète.
Une autre preuve encore résulte de la formation subite des bandes
obscures, qu'on a quelquefois remarquées sur ce globe. Ces bandes
occupent souvent des espaces considérables et présentent des varia-
tions très sensibles d'éclat. Les premières observations qu'on en ait
faites appartiennent à Schroter et Harding, et sont de l'année 1801.
Elles ont été renouvelées depuis. Ainsi, le 11 juin 1867, par un ciel
d'une grande pureté, M. Prince a constaté la présence d'un point
brillant situé un peu au sud du centre de la planète, accompagné
de légères traînées divergeant vers le nord-est et le sud. Le 13 mars
1870, M. Birmingham a observé une large tache blanche près du bord
oriental. M.Vogel signale également l'observation de certaines taches
aux dates des 14 et 22 avril 1871. Dans le grand télescope newtonien
d'Oxford, de 13 pouces d'ouverture, construit par M. De La Rue, le
disque de la planète a présenté une légère teinte rosée.
L'atmosphère de Mercure doit être surtout composée de vapeur
d'eau, ou, dans tous les cas, de vapeurs plutôt que de gaz, attendu
que ses mers, ses lacs, ses rivières et ses sources doivent contenir,
non pas de l'eau fraîche comme ici, mais de l'eau chaude. Si ce
n'est pas de l'eau chimiquement identique avec la nôtre, les liquides
qui la remplacent doivent être, quels qu'ils soient, à un état de
température fort élevée.
Ajoutons enfin que l'analyse spectrale a pu être appliquée à l'exa-
men de l'atmosphère de Mercure. Il résulte des recherches de l'astro-
nome Vogel, que les raies principales du spectre de Mercure coïn-
cident absolument avec celles du spectre solaire. Ce fait n'a rien de
L'ATMOSPHÈRE DE MERCURE
surprenant, puisque cette planète ne l)rille que par la lumière qu'elle
reçoit du Soleil. Mais à ces lignes s'en ajoutent d'autres qui lui
appartionnônt en propre : « Certaines raies qui ne se produisent dans
le spectre du Soleil que lorsque cet astre est très bas sur l'horizon,
et que l'absorption par notre atmosphère est très considérable, se
retrouvent en permanence dans le spectre de Mercure. On doit donc
conclure de là à l'existence d'une enveloppe gazeuse autour de
Mercure, exerçant sur les rayons solaires une action absorbante
égale à celle de notre atmosphère, lorsqu'elle atteint son
maximum. »
Ainsi, ce petit monde est environné d'une atmosphère considé-
rable, dans laquelle flottent des vapeurs absorbantes; son sol est très
accidenté; ses années sont fort courtes et ses saisons rapides; ses
journées sont relativement longues; et le Soleil^ beaucoup plus
proche de lui que de nous, lui distribue une bien plus grande quantité
de chaleur qu'il n'en donne à la Terre. Ce sont déjà là des notions
remarquables sur un globe qu'il est si difficile d'étudier; mais allons
plus loin encore, et utilisons ces notions pour essayer de déterminez
les conditions de la vie apparue à sa surface.
Nous avons vu que l'orbite suivie par la planète est très allongée,
et que le Soleil est de près de six millions de lieues plus proche du
foyer au périhélie qu'à l'aphélie : six millions sur quatorze de dis-
tance moyenne 1 A l'aphélie, l'astre du jour offre à ces indigènes
inconnus un disque quatre fois et demie plus étendu que le nôtre
en surface, et 44 jours après, au périhélie, ce disque énorme s'est
encore agrandi au point d'être dix fois et demie plus vaste que le
nôtre, versant de ce ciel torride une lumière et une chaleur dix fois
et demie plus intenses. La proportion des diamètres du Soleil est la
suivante :
Vu de Mercure périhélie iOV ou 1° 44'
— distance moyenne 83' 1° 23'
— aphélie 07' 1° 7'
Vii de la Terre 32'
La Ogure 170 en donne une idée : elle est construite à l'échelle
(le 1""" pour 2'. Nous nous plaignons quelquefois de l'ardeur
du Soleil; mais qu'est-ce que notre pauvre luminaire à côté de
l'éblouissante fournaise de Mercure! C'est comme si dix soleils dar-
CONDITIONS DE LA VIE SIU .MEKCl'UF.
daient onsemblo leurs rayons au mois do juillet, à midi, sur nos
tt''tcs. Si les habitants do Mercure ont cru comme nous que cet astre
tournait autour d'eux, ils ont dû être bien embarrassés pour expliquer
ces variations périodiques de sa grandeur, ses gonflements et dégon-
flements successifs.
L'astronome de Mercure peut, bien plus facilement que nous,
tirer des variations incessantes du diamètre apparent du Soleil les
valeurs comparatives des distances de cet astre pour chaque jour;
-OS savants de ce monde inconnu sont sans doute arrivés plus tôt
^
^^^^
i
LE SOLEIL 1
^V
^W vu
1
vu DE MEBCDRE
^^B; MERCURE
1
au périhélie ;
^^^k l'aphélie i
lig. KO. — Grandeur comparée du Soleil vu de Mercure et de la Te
que nous à découvrir que leur planète se meut dans une orbite
elliptique dont le Soleil occupe un des foyers, et à connaître ainsi
le premier élément du véritable système du monde.
Nous concevrons peut-être mieux encore l'intensité de la lumière
et de la chaleur envoyée par le Soleil à ce monde en jetant un coup
d'œil sur le petit diagramme ci-dessus (fig. 171), qui représente l'in-
tensité comparée de la lumière et de la chaleur reçues par Mercure
et par la Terre pendant leurs années respectives. Les ordonnées ver-
ticales sont en rapport avec cette intensité. A l'aphélie, cette quantité
est quatre fois et demie supérieure à celle que nous recevons dans le
cours de l'année, et au périhélie elle est dix fois et demie supérieure.
Les efi"cts de lumière doivent être merveilleux dans cette atmos-
phère, et incomparahlement plus intenses que les nôtres. Nos plus
CONDITIONS I>E LA WV. Sllî MEUCUUK
grandioses couchers de soleil, nos plus sublimes levers de soleil,
sont pâles et ternes à côté de ceux de cette planète. La symphonie
de l'aurore éclate là comme une éblouissante fanfare. Il n'est pas dou-
teux que les jeux d'optique aérienne que nous admirons dans nos
arcs-en-ciel, nos halos, nos anthélies, nos mirages, ne se produisent là
comme ici (car les lois de la physique sont partout les mêmes), mais
avec une intensité qui nous ravirait d'admiration. Ce ne serait pas
sortir du cadre de la vraisem-
blance, si nous voulions des- ^
siner, par exemple, un paysage . f
de Mercure après la pluie, d'i-
maginer que les arcs-en-ciel
n'y sont pas ordinairement
simples, comme ici, mais gé-
néralement, triples et souvent |
multiples, à cause de l'inten-
sité de l'illumination solaire.
En voyant le monde de ]\Ier-
cure graviter comme la Terre
autour du Soleil, porté sur l'ail ( •
de la même force qui soutien i
notre planète dans l'espace,
régi par les mêmes lois, baigné
dans les fécondes effluves de la
lumière et de la chaleur solaires; environné d'une atnio;^pliére
dans laquelle flottent des nuages, soufflent des vents, tombent des
pluies; couvert d'un sol accidenté sur lequel de hautes montagnes
dressent leurs cimes élancées; doué enfin de mouvements qui lui
donnent des années, des saisons, des climats, des jours et des nuits,
notre raison, notre logique veut que ces causes aient produit des
effets; et quoique la position défavorable de ce monde à notre égard
nous empêche de distinguer sa surface et nous interdise le captivant
plaisir de dessiner sa carte géographique, cependant les yeux de
l'intelligence complètent ceux du corps, et voient, au-dessous de
cette couche de nuages que nos télescopes ne percent pas encore,
une vie immense et agitée, se déployant sur toute la surface de cette
Fii;. l'I.
IiitL'iisili; comparée dû Ui liiinière et do la chaleur
reçues par Mercure cl par la Terre.
CONDITIONS DE LA VIE SUR MERCURE
planète comme sur la nôtre, et accomplissant ses destinées dans le
même temps que les nôtres s'accomplissent en ce monde-ci. Cette
vie, nous la devinons sans la voir, de même qu'en voyant passer au
loin dans la campagne un convoi de chemin de fer, nous devinons,
sans les voir, que des voyageurs occupent ses différents wagons. Oui,
sans doute, nous constatons avec assez d'évidence les témoignages
de la vie physique sur cette planète Mercure pour supposer un seul
instant que ce soit là un trompe-l'œil, et pour imaginer qu'un mi-
racle permanent de stérilisation empêche l'air, l'eau, le soleil, le
vçnt, la pluie, la chaleur du jour, le calme des nuits, la fraîcheur
des matins, l'embrasement fécond des soirs, d'avoir produit sur ce
globe comme sur le nôtre ces millions d'espèces vivantes qui se
succèdent de générations en générations et pullulent sur la Terre
entière. Mais cette vie éclose sur Mercure, quelle est-elle? Devons-
nous y contempler des paysages semblables à ceux qui se bercent
au miheu de nos belles campagnes? des arbres qui ressemblent aux
nôtres? des fleurs pareilles à celles que nous respirons? des animaux
analogues à ceux qui foulent le sol terrestre, nagent dans les mers
ou volent sur nos têtes? enfin et surtout devons-nous y voir une
humanité identique à la nôtre? — C'est là une question que nous
pouvons étudier, et à laquelle l'analyse et la synthèse scientifiques
nous permettront peut-être de répondre.
Si l'opinion que nous pouvons nous former de l'importance des
mondes était dictée par la considération de l'activité des forces qui
peuvent agir à leur surface, et par celles de la distance du foyer
central, qui distribue la lumière et la chaleur, nous en conclurions
assurément que Mercure est la planète la plus favorisée et la plus
importante de tous les séjours du système solaire. Mais d'un autre
côté, si nous jugions de l'importance d'un monde par sa dimension.
Mercure nous paraîtrait tout à fait insignifiant, car à cet égard il
ressemble plus à la Lune qu'à la Terre, et le troisième satellite de
Jupiter (Ganymède) est même plus volumineux que lui. (Voyez la
figure suivante). Nous ne devons donc jamais, dans cette étude, nous
laisser guider par des considérations isolées, et c'est sur l'ensemble
des caractères d'une planète que nous devons baser notre mode
de raisonnement.
Parmi toutes les causes qui agissent sur chaque planète pour
CONDITIONS DE I,\ VIE SI T, MERfURE
dùLermiuer l'état et les formes do la vie à sa surface, il en est trois
surtout dont l'action est essentielle, et qui sont spécialement dignes
de notre attention. Ce sont : — 1° les dilîérences de chaleur et de
lumière qu'elles reçoivent du Soleil; — 2" les différences dans la
pesanteur des corps à leur surface; — 3° les différences de constitu-
tion physique et de dcusiLé de la matière dont elles sont composées.
L'intensité de la radiation solaire est presque sept fois plus grande
pour Mercure que pour la Terre, et pour Neptune neuf cent fois
moindre; la proportion entre les deux extrêmes étant celle de plus
de 60Û0 contre 1 . Que l'on se représente l'état de notre globe, si le
Soleil était sept fois plus volumineux, ou bien, en sens inverse, si
Kig. 17-2. — Grandeurs comparées de Mars. GanymoJe, .Mercure et la Lune.
sa puissance était réduite aux neuf centièmes de sa valeur actuelle!
D'un autre côté, l'intensité de la pesanteur, ou son efficacité à contre-
balancer la force musculaire et à contenir l'activité vivante, est
environ trois fois plus forte à la surface de Jupiter qu'à la surface
di' la Terre. Sur Mars, elle n'est que le tiers de ce qu'elle est ici; sur
la Lune, le sixième; et sur plusieurs petites planètes le vingtième
seulement : ce qui établit une échelle dont les extrêmes sont dans
la proportion de 60 à 1. Enfin, la densité de Saturne ne va guère au
delà de y de la densité moyenne de la Terre, en sorte que cette
planète doit se composer de matériaux presque aussi légers que
le liège, « Or, au milieu de tant de combinaisons variées d'élé-
ments si importants pour la vie, dirons-nous avec Sir John
Herschel, quelle imnifuse diversité ne devons-nous pas admettre
SAISONS. CLIMATS. CONDITIONS DE LA Vit;
dans les conditions du grand problème de l'existence et de la félicitù
des êtres vivants, but qui semble, autant que nous pouvons en juger
par ce que nous voyons autour de nous sur notre propre planète et
par la manière dont chaque point y est peuplé, faire l'objet constant
de la sollicitude d'une haute Sagesse qui préside à tout. »
Mercure est le monde qui reçoit du Soleil le plus de chaleur et de
lumière. Nous avons dit qu'il gravite autour de l'astre radieux dans
la courte période de 88 jours : son année est donc moins longue
que truis de nos mois; ses saisons, comme nous l'avons déjà vu, ne
durent chacune que 22 jours.
La meilleure série d'observations des taches de Mercure et d'essais
de déterminations de la rotation est encore celle de l'astronome
Schrôter, de Lilienthal, et elle date du commencement de ce siècle. ^
Il a notamment suivi avec soins une bande sombre entourant
comme une ceinture le globe de la planète, depuis le 18 mai jus-
qu'au 4 juillet 1801, et de ces observations il a cru pouvoir conclure
que « l'inclinaison de l'équateur de Mercure sur son orbite est en-
viron de 20" » .
Interprétée d'une manière erronée par le premier traducteur des
Hermographische Fragmente, cette mesure avait été générale-
ment considérée comme indiquant, non l'inclinaison de l'équateur
sur son orbite, mais l'inclinaison de l'axe, ce qui donnait 70° pour
l'obliquité de l'écliptique sur cette planète, et par conséquent des sai-
sons beaucoup plus disparates que celles de la Terre, et encore plus
extrêmes que celles de Vénus, le Soleil devant éclairer en plein l'un
des pôles à l'un des solstices et l'autre pôle au solstice opposé, et
les régions polaires devant être tour à tour brûlantes et glaciales
dans un intervalle d'une demi-année mercurienne ou de 44 jours
seulement !
Nous devons à M. Niesten, astronome de l'Observatoire de
Bruxelles, la rectification de cette interprétation erronée. L'incli-
naison de 70° pour l'axe, ou l'angle de 20° pour l'équateur de
Mercure sur son éclip tique, ramène, au contraire, les saisons
de cette planète à une analogie presque complète avec les nôtres,
et même à des saisons un peu plus douces, puisque chez nous
cette obliquité est de 23° 27',
11 serait bien désirable que des observateurs vérifiassent de nos
MERCUIlli. — SAISONS. CLIMATS. CONDlllUNS DE LA VIE
jours CCS intérossautes ef. (litïicilos mesures de l'astronuine de
Lilienfhal.
Mais cette planète a un autre genre de saisons.
Lors même que son axe serait perpendiculaire au plan dans lequel
elle se meut, et lui donnerait par conséquent une égalité perma-
nente de jours et de nuits et un équinoxe perpétuel, cependant la
variation considérable de sa distance au Soleil pendant le cours de
l'année serait suflisante pour lui causer des saisons très sensibles,
et au moins aussi variées que celles que nous avons en France; il y
aurait môme dans ce cas différents climats pour les différentes ré-
gions de la planète. Près des pôles, l'astre lumineux, quoique visible
pendant la moitié du jour, n'atteindrait qu'une faible élévation
au-dessus de l'horizon, juste comme il le fait le jour du printemps
pour nos cercles polaires. A l'équateur, le Soleil passerait tous les
jours au zénith et verserait dans ces régions une quantité de lumière
et de chaleur beaucoup plus intenses que celle qui inonde nos cli-
mats tropicaux. Un Soleil ainsi vertical, dont le diamètre serait
tantôt deux fois, tantôt trois fois plus grand que le nôtre, serait un
noble mais terrible voyageur dans le ciel de Mercure.
Nous avons vu que la distance de cette planète au Soleil varie consi-
dérablement dans le cours de son année, à cause de l'excentricité de
son orbite. Lorsqu'elle est à son périhélie, elle reçoit dix fois et demie
plus de lumière et de chaleur que nous n'en recevons d'ici, et le
disque solaire paraît dix fois et demie plus étendu en surface. Quel
Soleil ! Mais lorsque Mercure se trouve à son plus grand éloignement,
cette lumière et cette chaleur sont réduites à la moitié de ce qu'elles
étaient dans le premier cas. Alors même, toutefois, l'astre du jour
brille dans le ciel avec un disque quatre fois et demie plus étendu
que celui qu'il nous présente.
La principale différence qui distingue Mercure de la Terre paraît
donc consister dans la température. Mais il ne faudrait pas croire
i[ue cette température dépendit uniquement de la distance au foyer.
Non; Mercure pourrait être un bloc de glace tourcà tour fondue et
congelée, s'il était privé d'atmosphère.
Nous l'avons déjà remarqué à propos des planètes Mars et Vénus,
ce n'est pas tant la distance au Soleil que l'étendue et la transpa-
rence de l'atmosplière qu'il faut coiisidcnn' pour juger d'un climat
TERRES DU ^ IKI.. -ÎT
MEUCIUE. — SAISONS. CLIMATS. CONDITIONS DE LA VIE
planétaire. L'enveloppe aérienne agit autonr du globe comme une
serre chaude qui l'envelopperait. Elle se laisse travi'rser pendant le
jour par les rayons calorifiques lumineux qui viennent du Soleil, et
elle s'oppose à la déperdition des rayons calmiliques obscurs pen-
dant la nuit parle rayonnement nocturne. L'absence d'atmosphère
donnerait à un globe les plus extrêmes contrastes de chaleur et de
froid entre le jour et la nuit, entre l'équateur et les pôles, comme il
arrive précisément pour la Lune, qui passe tous les mois par la
température de l'eau bouillante et par celle de la glace, et plus en-
core. D'un autre côté, l'atmosphère peut avoir une action toute diffé-
rente en tempérant par ses nuages la trop grande ardeur du Soleil.
Or, nous venons de voir que la planète Mercure est environnée
d'une vaste atmosphère : essayons d'en analyser l'influence.
Que le climat d'une planète considéré dans son ensemble soit
largement influencé par la nature de l'atmosphère, nous le consta-
tons directement par les effets que nous observons à la surface de
notre propre terre. Lorsque nous nous élevons au sommet d'une
haute montagne, nous trouvons l'air beaucoup plus froid qu'à sa
base. Le sommet du mont Blanc est toujours glacé, même lorsque les
plus fortes chaleurs de juillet et d'août sont intolérables à ses pieds.
Aux tropiques même et à l'équateur, nous avons des villes
comme Quito et Bogota, des villages et des pays habités, où la tem-
pérature habituelle ne dépasse pas 15 et même 10 degrés, à cause de
leur élévation au-dessus du niveau de la mer. J'ai toujours constaté
en ballon qu'à de grandes hauteurs l'air est glacial, quoique le soleil
soit brûlant; et j'ai vérifié que la différence entre la température de
l'air à l'ombre et celle d'un thermomètre exposé au soleil s'accroît
avec la hauteur et en raison inverse de l'humidité répandue dans
l'air. Plus l'air est sec, moins il peut s'échauffer. Il ne serait pas
impossible d'arriver à faire bouillir de l'eau au soleil à une certaine
hauteur, quoique nous trouvant et respirant au milieu d'un air
glacial, et cela d'autant mieux que la pression atmosphérique et le
degré d'ébullition de l'eau diminuent avec la hauteur. L'air peut
livrer passage aux rayons solaires sans s'échauffer lui-même, et
sans donner à la planète une haute température (').
(') Voy. mon grand ouvrage l'ATMOspiiÊnE, liv. II!, ch. ii.
M i; i; c i; K E. — saisons, climats, conditions de i,a vu;
Ce n'est donc pas seulement la quantité de chaleur directement
reçue du Soleil qu'il faut considérer pour se former une idée exacte
de l'état de la température à la surface d'une planète, mais encore
et surtout l'état physique de l'atmosphère, en ce qui concerne sa
densité et son humidité. Nous ne devons pas nous tromper nous-
mêmes, néanmoins, en calculant que la rareté de l'atmosphère
pourrait à elle seule compenser pleinement l'augmentation de la
chaleur solaire. Il ne serait pas exact de dire que le climat d'un
point situé sur les sommets des Andes et des Gordillières correspondît
tout à fait à celui d'une région inférieure qui aurait la même tem-
pérature, caries circonstances sont très différentes. En bas, l'air est
plus dense et plus humide, les nuits sont plus chaudes, parce que le
ciel est moins clair et que la chaleur rayonnante de la Terre est con-
servée, interceptée par les nuages ou par la vapeur d'eau qui existe
toujours dans l'air, même à l'état transparent; ce qui n'a pas lieu
dans les régions élevées, dont l'air raréfié laisse un libre passage à
la déperdition de la chaleur. Si l'atmosphère de Mercure est assez
rare pour lui donner un climat alpin ou himalayen, au lieu de la
chaleur terrible qui semblerait devoir tomber sur cette planète, il
n'en résulterait pas pour cela une organisation analogue à celle qui
existe autour de nous sur la Terre. Dans notre anxiété de peupler ce
monde d'êtres semblables à ceux que nous connaissons, nous ne
devons pas pour cela nous aveugler sur les difficultés intrinsèques.
Nous ne pouvons raréfier l'air de Mercure sans augmenter les effets
directs de la chaleur solaire sur ses habitants; et les conditions ne
paraîtraient pas préférables, puisque l'action directe des rayons
solaires sur ses régions tropicales privées ainsi de la protection
atmosphérique produirait une chaleur quatre ou cinq fois plus forte
que celle de l'eau bouillante, et à laquelle succéderait pendant la
nuit un froid glacial; condition fort inhospitalière, qui rappelle la
peinture si sombre que fait le Dante dans son Enfer sur les mal-
heureux condamnés à souffrir alternativement les tourments du
feu et de la glace! 11 nous parait difficile d'imaginer des êtres orga-
nisés pour vivre au sein de pareils contrastes.
Examinons donc si une atmosphère construite différemment ne
serait pas meilleure pour l'organisation générale de la planète : au
lieu d'un air raréfié, supposons une atmosphère plus dense que la
CONDITIONS !)E LA VIE SUR MKllClir.E
nôtre. Les effets ordinaires d'une atmosphère très dense étant d'aug-
menter la chaleur, il ne semble pas d'abord que l'idée soit ingé-
nieuse, appliquée à Mercure, d'autant plus que sur la Terre
nous n'avons pas d'excMiiple de contrées garanties des rayons so-
laires par la densité de l'atmosphère. Pourtant il ne serait pas
impossible qu'une atmosphère fût constituée de telle sorte qu'elle
restât constamment couverte de nuages, car une faible différence
entre la chaleur moyenne et l'humidité moyenne de l'atmosphère
terrestre serait suffisante pour nous donner toute l'année un ciel
constamment couvert, conservant éternellement la tristesse et la
monotonie des sombres journées d'automne. La Terre eût facile-
ment pu se trouver dans ce cas. Quelle différence en serait résultée
dans l'histoire de l'humanité ! L'astronomie ne serait probablement
pas encore née, l'humanité n'aurait jamais vu ni le soleil, ni la lune,
ni les étoiles, et les connaissances humaines, la philosophie, les re-
ligions et la politique elle-même, seraient absolument différentes
de ce qu'elles sont sur notre planète.
Mais pour en revenir à Mercure, sans doute l'accroissement de
l'humidité de l'air causerait jusqu'à un certain point une augmen-
tation correspondante de température, parce que la vapeur aqueuse
exerce un plus grand effet en empêchant le rayonnement de la cha-
leur reçue qu'en arrêtant les rayons solaires à leur arrivée. Mais de
même qu'un jour nuageux n'est pas nécessairement ni même ordi-
nairement un jour de chaleur, il pourrait parfaitement arriver
qu'une atmosphère assez dense pour être constamment couverte de
nuages servît de toit protecteur contre l'intensité de la chaleur so-
laire. Ces vues théoriques conduiraient non pas à assigner les at-
mosphères les plus denses aux planètes les plus éloignées du Soleil,
comme plusieurs astronomes l'ont fait, mais à voir au contraire
dans une enveloppe atmosphérique de grande densité, les moyens
de préserver les habitants de Mercure et de Vénus contre la force
rayonnante d'un foyer trop voisin et trop brûlant ('). N'oublions pas
toutefois de remarquer ici que dans toutes ces considérations, nous
agissons en vertu de la méthode scientifique humaine, en nous met-
tant à la place de la Nature, et qu'il est très possible (pour ne pas
(0 Proctor, The Orhs aroimd us.
CONDITIONS DE LA VIE SUR MliUCLKE
dire certain) que la Nature agit sur les autres mondes par do.s
moyens qui nous sont inconnus. Mais c'est la seule manière qui nous
soit donnée d'étudier et de discuter les conditions de la vie à la sur-
face des autres mondes, et quoique nos raisonnements ne puissent
pas être absolus, eux seuls cependant peuvent nous faire approcher
de la vérité.
Quoique la planète Mercure ne suit pas facile à observer, parce
qu'elle s'élève très peu au-dessus des brumes de l'horizon, et que
d'ailleurs c'est la plus petite des planètes (exception faite des frag-
ments qui gravitent entre Mars et Jupiter) ; cependant autant qu'on
en peut juger par son aspect, son atmosphère est en réalité beau-
coup plus dense que la nôtre, et elle paraît couverte de masses
nuageuses considérables. On peut même déjà penser qu'il y a ordi-
nairement dans cette atmosphère, non pas une seule, mais plu-
sieurs couches de nuages, et que ces couches ne sont pas unies et
fermées, mais composées d'éclaircies, les nuages supérieurs proje-
tant de l'ombre sur les inférieurs; car la planète ne nous réfléchit pas
autant de lumière que si elle était entièrement enveloppée dans une
sphère de nuages se touchant. La lumière maximum que nous
puissions recevoir d'un globe d'un volume déterminé, placé à telle
ou telle distance du Soleil, serait celle qui proviendrait d'un globe
environné de nuages blancs. Or Mercure ne nous réfléchit certaine-
ment pas la même proportion de lumière que plusieurs autres
planètes. Il devrait être, dans sa position la plus favorable, le plus
brillant des astres planétaires, quoique vu comme il l'est toujours
sur le fond éclairé du crépuscule ; car le calcul montre qu'au péri-
liélie et à sa plus grande élongation du Soleil, il devrait offrir un
l'clat deux fois plus grand que Jupiter lorsque celui-ci est à son op-
position (en supposant aux deux planètes une égale faculté de
réflexion); mais la planète Mercure est en réalité beaucoup moins
lumineuse. On a pu le constater, entre autres, comme je l'ai fait
moi-môme ('), dans la soirée du 17 février 18(58 : ce jour-là les deux
planètes se sont trouvées voisines dans le ciel (en perspective), et
quoique Jupiter ait été alors fort éloigné de sa période d'éclat
maximum, cependant Mercure, qui était précisément à cette pé-
(1) Voyez mes Études sur FAslrononiie, t. IM, p 1 j7.
CONDITIONS DK LA VIF, SUR MERCURE
riode d'éclat, était beaucoup moins brillant que Jupiter. A la même
époque, Vénus vint à passer aussi près de ces planètes : elle les
éclipsa toutes les deux par sa vive et blanche lumière : à côté de Ju-
piter, elle faisait l'effet d'une lumière électrique à côté d'un bec de
i^az. Elle était blanche et limpide comme un diamant lumineux;
Jupiter, jaunâtre et presque rouge; Mercure, hipn moins brillant
encore que Jupiter, et plus roux.
Dans une autre circonstance, l'éclat de Mercure a pu être comparé
à celui de Saturne : il est plus brillant que cette pâle et sombre
planète. Ces deux astres sont passés l'un devant l'autre en 1832, et
deux astronomes, Béer et Madler, ont comparé leur lumière. Sa-
turne auprès de Mercure présentait un globe pâle et sans éclat.
Celui-ci offrait un éclat inégal, et resta parfaitement visible après le
lever du soleil, tandis que le premier disparut à la vue. Mercure
était alors éclairé d'un peu plus de la moitié.
Cette lumière conduit à penser que l'atmosphère de Mercure est
parsemée de nuages qui forment écran au Soleil si voisin qui l'é-
claire, et qui projettent de l'ombre les uns sur les autres.
L'analyse des détails de l'organisme vital nous invite également à
voir sur ce monde des êtres nécessairement différents de nous sous
le rapport de la différence des milieux. Ainsi, par exemple, les
yeux des Mercuriens s'étant formés au sein d'une intensité lumi-
neuse beaucoup plus élevée que celle qui existe sur la Terre, sont
moins sensibles que les nôtres, soit que l'ouverture de la rétine
soit plus petite, soit plutôt que le nerf optique jouisse d'une
moindre impressionnabilité. Il est probable qu'ils ne distinguent pas
les étoiles de la cinquième et de la sixième grandeur, tandis que les
habitants d'Uranus et de Neptune distinguent sans doute facile-
ment celles de la septième et de la huitième.
Ainsi, en résumé, quant aux conditions de la vie à la surface de
la planète Mercure, elles sont fort différentes de celles de la Terre.
La température doit y être pl^is élevée, malgré les nuages de l'at-
mosphère ; les saisons y sont plus marquées et surtout plus rapides
qu'ici : chaque année ne compte que 88 jours, et un centenaire n'a
que vingt-cinq de nos années ; la planète est petite, et les provinces
qui la partagent ne peuvent avoir qu'une faible étendue. Les maté-
riaux dont sont composés les êtres et les choses sont un peu plus
CONDITIONS DE LA VIE SUR MERCURE
denses que les nôtres, mais la pesanteur y est presque moitié plus
faible qu'ici. Ce monde présente donc de grandes différences avec le
nôtre. 11 serait eu vérité difTicile qu'il en fût autrement. Mais ces
différences doivent-elles nous conduire à l'idée que la vie ne puisse-
pas exister à la surface de cette planète? Assurément non : le spec-
tacle de la Terre seule suffit pour nous montrer que les formes de la
vie dépendent des conditions au milieu desquelles elle se trouve, et
qu'elle varie lorsque ces conditions diffèrent. La vie actuelle de la
Terre n'est pas du tout la même qu'elle était pendant les époques
géologiques, où la température était beaucoup plus élevée et l'at-
mosphère beaucoup plus chargée que de nos jours. Aujourd'hui
même elle varie singulièrement suivant les climats, et surtout sui-
vant les milieux. : un être organisé pour vivre sur la terre ferme
meurt s'il est plongé dans la mer; de même que l'habitant des
eaux rend son dernier soupir lorsqu'il est sorti de son élément. Les
forces de la nature produisent des effets différents suivant les cir-
constances, et ce serait étrangement juger de leur puissance comme
du but général de la création, que de prétendre que le globe de
Mercure ne soit qu'un désert stérile parce que ses conditions vitales
différent de celles de la Terre.
CHAPITRE ÎV
Les habitants de Mercure. — Les forces de la nature et les formes organiques.
Les humanités planétaires. — Le séjour de Mercure.
Le Ciel et la Terre vus de ce monde.
La vie éclose sur Mercure est-elle partagée comme ici en deux
rognes, et le règne animal comme le règne végétal y sont-ils eux-
mêmes partagés comme ici en espèces aquatiques et en espèces
continentales? C'est ce que nous ne pouvons décider, quoique jus-
qu'à présent les naturalistes et les astronomes se soient accordés à
penser que ces distinctions soient forcées et inévitables. Mais pour-
quoi la Nature ne prodairait-elle pas des êtres absolument différents
de tout ce que nous connaissons sur la Terre, et qui ne soient ni
des animaux, ni des plantes? Ici les plantes ressemblent à des êtres
endormis dans l'attente de la vie animale ; ailleurs ne sont-elles
pas animées elles-mêmes ? Sur cette planète comme sur la nôtre, la
division du travail dans la nature a-t-elle abouti à ces distinction'?
si profondes entre les genres : insectes butinant sur les fleurs,
oiseaux s'élevant jusqu'aux nues, poissons habitant sous les eaux?
La vie s'y entretient-elle comme ici par la déplorable destruction
mutuelle des proies? S'y transmet-elle comme ici par l'agréable
séparation des sexes?... Nous avons discuté plus haut dans sa
valeur physiologique générale le problème de la vie extra-terrestre,
et nous avons comprisqueles causes étant différentes d'une planète
à une autre, les effets y sont nécessairement différents eux-mêmes.
Lors donc que nous parlons ici des hommes de Mercure, de Vénus
ou d'uni; autre planète, nous n'entendons point que ces êtres soient
LES HABITANTS DE MERCURE
faits comme nous; qu'ils aient deux yeux, deux oreilles, deux bras
et deux jambes, des poumons, un estomac, un tube digestif (I), ni
que leur physionomie ressemble en aucune façon à la nôtre. Nous
donnons dans chaque planète le nom de race humaine à la race ani-
male supérieure et raisonnable qui s'est élevée au-dessus de ses an-
cêtres et qui vit par l'intelligence. Les hommes des autres mondes
ne peuvent pas nous ressembler.
Si nous connaissions exactement les causes qui ont amené la vie
terrestre à l'état où nous la voyons aujourd'hui, et les causes cor-
rélatives existant sur les autres mondes, nous pourrions par l'ana-
lyse et la synthèse commencera deviner l'état et les formes de la vie
sur ces autres mondes. Pour Mercure en particulier, qui est une
des planètes que nous connaissons le moins, nous pouvons seule-
ment conjecturer que les conditions de la vie y étant moins favorables
qu'ici, ses habitants doivent être inférieurs à nous comme sensi-
bilité et comme intelligence, différer beaucoup de nous par leur
forme, y être plus solidement construits et pourtant plus légers et
plus agiles, et vivre plus rapidement. Toutefois la respiration a dû
jouer comme ici un rôle dominant dans l'organisation des êtres.
On n'a pas toujours compris ces différences inévitables.
Dans son Cosmothéôros, l'illustre astronome Huygens, inter-
prétant un peu trop à la lettre la philosophie de la Nature,
siippose qu'il y a dans les planètes des plantes, des animaux et
des hommes absolument organisés comme nous. On en jugera par
les seuls tit7'es de ses chapitres, que nous traduisons ici. Ils sont
curieux :
« 1" Excellence des choses animées au-dessus des pierres, des mon-
tagnes, des rochers, etc., etc. Les planètes doivent avoir des choses ani-
mées aussi bien que la Terre, et qui soient de la même espèce que celles
que nous voyons ici-bas.
2° L'eau est le principe de tout ce qui s'engendre sur la Terre. Il y a des
eaux dans les planètes; leurs usages pour la production des choses animées.
3° Les animaux croissent, multiplient, dans les planètes, de la même
manière qu'ils croissent et multiplient sur terre. La manière dont ils se
meuvent d'une place à une autre.
4° Diiïérence des animaux, des arbres et des plantes qui sont dans les
planètes, par rapport à ceux qui sont sur la Terre.
5° 11 y a des hommes qui habitent les planètes. Principes qui établissent
TERRES DU CIEL 4S
LES HABITANTS DE MERCURE
cette vérité. L'homme, quoique vicieux, est toujours une créature consi-
dérable et la principale du monde.
6° Les hommes qui habitent les planètes ont la raison, l'esprit, le corps
de la même espèce que ceux qui habitent la Terre.
7* Les sens des animaux raisonnables et de ceux qui sont privés de la
raison, qui vivent dans les planètes, sont semblables à ceux de la Terre.
Explication des sens.
8° Les animaux ne doivent pas être de différentes tailles dans les pla-
nètes, de celles qu'ils ont sur la Terre. La grandeur et l'excellence de
l'homme. Il y a dans les planètes des hommes qui cultivent les sciences.
9' Les habitants des planètes doivent avoir des mains pour se servir des
instruments de mathématiques ; l'usage et la nécessité des mains à
l'homme raisonnable. Dextérité de l'éléphant à se servir de sa trompe
comme d'une main. Supériorité de la main.
10° Ils otit comme nous besoin d habits. Nécessité et utilité des vête-
ments. La grandeur et la forme du corps des habitants des planètes sont
semblables au nôtre.
11° Le commerce, la société, la paix, la guerre, les autres passions et
les charmes de la conversation existent là comme ici.
12° Us se bâtissent des maisons selon tart de F architecture^ connaissent la
marine, la navigation, la géométrie, la musique, etc. »
Un tel anthropomorphisme pèche par la base. Aller aussi loin que
notre astronome et que d'autres colonisateurs sidéraux serait cer-
tainement dépasser les limites de la science; loin de voir partout
des hommes identiques à nous, nous devons, répétons le, être con-
vaincus que la vie revêt toutes les termes imaginables — et même
inimaginables. — Mais Huygens s'est occupé des habitants des pla-
nètes avec autant de soins et de prévenances que s'ils étaient de sa
famille ; il ne les laisse manquer de rien ; à tout prix il faut qu'ils
soient heureux et qu'ils nous ressemblent (la première proposition
lui paraît être la conséquence de la seconde). Il leur donne des
navires avec « voiles, mâts, ancres, cordages, poulies, gouver-
nails » ; mais il n'a pas songé à la vapeur, et peut-être aujourd'hui
nous-mêmes, en les gratifiant de bateaux à vapeur, ne songerions-
nous pas à les munir de moteurs électriques. Il est allé jusqu'à cher-
cher quelles sortes d'instruments de musique a instruments à
cordes, à vent ou à eau » ils ont du inventer, et conclut qu'ils
doivent chanter autrement que nous, puisque les Allemands, les
Italiens, les Grecs, les Chinois, ont des impressions musicales
LES HABITANTS DE MERCURE
différentos dos nôtres, mais que pourtant la nature de leurs instru-
ments ne peut différer beaucoup de celle des nôtres. Il veut aussi
que nos cousins des autres mondes aient du lin, du chanvre, de la
laine, des chevaux et des voitures, ce qui le conduit insensible-
ment à la création de mondes identiques à celui que nous habitons.
Fontenelle avait supposé sur Mercure de petits êtres brûlés par
le Soleil, vifs, agiles, toujours remuant, noirs comme les nègres de
l'Afrique centrale, dépourvus de mémoire, et fous à force de viva-
cité. Au XVIIP siècle, l'auteur anonyme d'un Voyage au monde de
Mercure (1750) est entré dans des détails inattendus, et l'on croi-
rait qu'il a longuement habité cette planète lorsqu'on lit, par
exemple, la description suivante :
Les plus hautes montagnes n'excèdent que de fort peu nos collines ; mais
quelques-unes ne laissent pas d'avoir, dans cette hauteur moyenne, l'air
sourcilleux des Alpes et des Pyrénées. Les arbres les plus élevés le sont à
peu près comme nos orangers en caisse, il y a peu de fleurs plus grandes
que la jonquille et la narcisse. Les montagnes nombreuses répandent
une ombre nécessaire; elles sont presque toutes couvertes d'arbres
chargés de fleurs éternelles.
Les habitants sont moins grands que nos hommes de la plus petite taille,
et ils atteignentau plusà celle d'un enfant de quinze ans. Ils ressemblent aux
idées charmantes que nous nous faisons des zéphyrs et des génies. Leur
beauté ne se fane qu'après plusieurs siècles : la fraîcheur, la santé et la
délicatesse y paraissent comme inaltérables. S'il arrive pourtant, par
quelque erreur de la nature, que quelqu'un ait sujet de n'être pas content
de sa figure, ils peuvent en changer à volonté.
Tout ce petit peuple a des ailes, dont il se sert avec une grâce et une
agilité merveilleuses. Les femmes aiment beaucoup sortir avec leurs
ailes, soit pour satisfaire un nouveau goût, soit pour chercher de nou-
veaux plaisirs.
Un seul souverain règne sur Mercure; les divers royaumes ne sont que
des vice-royautés. La famille souveraine descend du Soleil, et la tradition
conserve le souvenir de l'apparition du premier empereur : une ville
capitale descendit des cieux sur un nuage éclatant, et sous les yeux des
Mercurieus se fixa au centre du continent. Ces empereurs ne régnent
ordinairement que cent ans. Ce teripe e.xpiré, ils retournent au Soleil,
laissant sur Mercure leur corps pétrifié, dans l'attitude qui lui était la
plus ordinaire. Ce corps incorruptible ne perd rien des agréments qu'il
possédait étant animé; excepté la parole et le mouvement, il conserve tout
le reste: le coloris, la fraîcheur, le brillant des yeux et l'éclat du teint.
Tous les empereurs sont gardés dans une galerie destinée à ce seul usage.
380 LES IIABIlAiNTS DE MERCURE
Ce qu'il y a de très remarquable dans la constitution des habitants de
Mercure, c'est qu'ils sont absolument maîtres de tous les mouvements qui
se font dans leur corps. Ils règlent la circulation de leur sang selon ce
qu'ils ont dessein d'en faire; ils entretiennent leur estomac par l'usage
de certains élixirs dont l'effet est immanquable. Tous les ressorts qui refu-
sent si souvent de nous obéir, sont chez eux soumis à la volonté.
Ces habitants ne dorment jamais : la proximité du Soleil entretient un
mouvement perpétuel dans la planète, qui ne peut être ralenti que par
de grands accidents, et alors tout ce qui tombe dans l'inaction se trouve
dans un péril manifeste. C'est pourquoi l'un des plus grands supplices
auxquels on condamne les criminels, c'est de dormir un certain nombre
de jours. L'état de l'âme règle l'état du corps. Un présomptueux, par
exemple, enfle comme nos hydropiques, etc.
La nature a pris soin elle-même de préparer et d'assaisonner d'une
manière exquise les repas de ces heureux habitants. Il n'en coûte point
la vie aux animaux, comme dans notre monde; au contraire, ce sont eux
qui ont soin de la nourriture des hommes. Sur le sommet de chaque
montagne croissent des mets précieux. De grands oiseaux domestiques,
sur un signe, partent à la recherche d'un fruit et le rapportent; de
sorte qu'en se rangeant autour d'une table vide et en envoyant ces
aigles avec la carte, ils rapportent immédiatement de quoi couvrir la
nappe des primeurs les plus succulentes, etc., etc.
On le voit, les colonisateurs de planètes ont beau vouloir s'affranchir
des idées terrestres, leurs créations ne sont jamais que des dévelop-
pements ou des transformations des choses de la nature terrestre.
Heureux quand ce ne sont pas des déformations. Sans reproduire ici
les images sous lesquelles ces colonisateurs ont essayé de représenter
des conceptions qu'ils croyaient étrangères à notre planète, nos lec-
teurs ne trouveront peut-être pas inopportun d'en voir figurer ici,
cntr'autres, deux spécimens assurément fort originaux. Cet Aomme-
plante et cet homme-guitare, sont, peut-être, parmi toutes les
relations de voyages imaginaires, les types qui ont la prétention de
s'éloigner le plus possible des formes physiologiques de l'homme
terrestre; c'est à ce titre que nous les présentons ici. Le premier
coup d'oeil suffit néanmoins pour établir que ce sont là de simples
monstruosités (').
(') Ces deux figures d'hommes extra terrestres, sont tirées de l'ingénieux roman de
Holberg, le Molière danois : Voyage de Nicolas Klimius dans les planètes souterraines.
Copenhague, 1741. Cet ouvrage du baron Holberg est l'un de ceux qui ont eu le plus de
succès au siècle dernier. C'est une fiction fme et profonde.
LKS IIAIUTAMS DE MEUCUHE
11 nous est de toute impossibilité do deviner les formes organiques
qui pi'iiveut peupler les autres planètes; mais ce que nous savons,
c'est (|ue CCS l'ornies sont nécessairement appropriées aux conditions
organiques spéciales de cliaquo monde, et ipie les (/i//crences
inévitables de ces conditions ont amené des dicr/sifés corrélci"
tices dans L'organisation des êtres.
Les corps dill'érent des nôtres, mais non les âmes, ni les principes
cOt^Ca/. ■^
'êêMkà
c^2^aU7'e ~(Ju7t<^'^ûtu.cai ■
- litz^àb itan t au, -pcus
ItCOi
Fig. 171. — litres imaginaires empruntes à un voyage dans les planètes (IIuldciig, l'il.)
de la raison; car il ne peut exister entre les esprits que des degrés,
et non des dissemblances. Tandis que partout les hommes ne man-
gent pas, que partout ils ne marchent pas sur deux pieds, que partout
ils n'ont pas nos dents, notre chevelure, nos oreilles ou nos yeux;
partout au contraire ils raisonnent en vertu des mêmes principes
absolus : sin- tous les mondes 2 et 2 font 4; partout les trois angles
d'un triangle valent deux angles droits; partout aussi la conscience
s'apiu'oche plus ou moins des mêmes vérités morales absolues. Si
les corps différent, toutt^s les âmes pensantes de l'univers sont sœure.
LKS HABITANTS IlE MERCCRK
Les habitants de Mercure ont dû conclure des variations cons-
tantes du disque solaire, l'opinion que l'astre du jiiur ne peut pas
subir lui-même ces variations, mais que c'est sa distance qui varie
d'un jour à l'autre. Ils auront admis que le Soleil tourne autour
d'eux, non suivant une circonférence, îTiais suivant une ellipse,
dans la période de 87 jours mercuriens dont se compose leur année.
Fig. 175. — Le système du monde pour les habitants de Mercure.
Pour les planètes, il les auront fait tourner régulièrement autour
de leur monde pris pour centre. Et sans doute aussi, ils auront
placé le trône du Très-Haut, et le « paradis » au delà de la sphère
des étoiles fixes.
Le ciel étoile est exactement le même, vu de Mercure et vu de
toutes les planètes, que vu de la Terre. Les étoiles sont si éloignées
du système solaire [la j^ht» J)roche gisant au delà de 8000 milliards
de lieues), que les perspectives ne changent pas, qu'on les voie de la
Terre, de Mercure, d'Uranus, ou même de Neptune. Les constellations
LES UAlilTAMS DE MtllCUKb
du ciel do Mercure, sont donc les mémos que les nôtres. Là comme ici
on voit piimer au sommet des cieux les sept étoiles de la grande
Ourse; là comme ici trônent au sein de la nuit silencieuse les splen-
dides étoiles d'Orion, suivies par l'étincelant Sirius, précédées par
les douces et contemplatives Pléiades; là comme ici Arcturus, Véga,
Procyon, Capella, versent du haut des plaines éthérées leur mélan-
colique pluie de lumière. Mais ce ne sont pas les mêmes noms qui
les distinguent. Quelles formes a-t-on reconnues, quelles similitudes
a-t-on trouvées, quelle histoire a-t-on conservée sur ces célestes
archives? et quelle langue ou quelles langues parle-t-on en ce monde
voisin du Soleil?...
Lorsque Mercure se trouve sur son orbite entre le Soleil et nous, on
^. f - (■ »
■■;#
V. .
... ... ...; ; , -4/
t' 1_ ■
Fig. I'6. — Marche de la pianote Terre dans le ciol des babibnls de Mercure.
voit de là notre planète à 20 millions de lieues au minimum. A cette
distance, la Terre est une belle étoile de première grandeur, brillant
dans le ciel de Mercure exactement comme Jupiter brille dans notre
ciel. L'étoile Terre est la seconde étoile de leur ciel, comme éclat,
car Vénus la surpasse et Jupiter ne l'atteint pas; elle se déplace le
long du zodiaque, et c'est ainsi que les astronomes de Mercure
auront reconnu que c'est une planète. Pendant le cours d'une
année merrurienne, elle décrit dans li' ciel la singulière route tracée
ici (^,7. 17G.)
Ainsi la Terre est pour les hal)itanfs de Mercure une planète
extérieure, dont le maximum d'éclat et la meilleure condition de
visibilité se présentent lorsqu'elle se trouve en opposition avec le
LES HABITANTS DE MERCURE
Soleil, c'est-à-dire lorsqu'elle brille au milieu du ciel à m'.nuit pour
l'hémisphère nocturne de Mercure. Elle fait alors à l'œil nu l'effet
d'une magnifique étoile. C'est ce que nous avons essayé de représenter
par notre dessin {fig. 177) où l'observateur, transporté sur Mercure à
minuit, peut chercher et reconnaître à son éclat notre planète brillant
au milieu des constellations zodiacales.
Tel est l'aspect de la Terre à l'œil nu, vue de Mercure. Que pensent
de nous les philosophes de cette planète? Supposent-ils que cet astre
soit habitable et habité? Ont-ils des savants qui démontrent que
la Terre est un désert glacé et stérile à cause de son éloignement du
Soleil? Ou bien permettent-ils à la Nature d'avoir une puissance
suffisante pour peupler tous les mondes? Oui, sans doute, ils croient
la Terre habitée, et comme elle est un astre brillant dans leur ciel,
ils l'ont divinisée, comme nous avons divinisé nous-mêmes leur
planète, et pensent que dans une telle splendeur cette terre céleste
ne peut être que le séjour de la lumière, de la paix et du bonheur...
■Qu'ils seraient désabusés, s'ils pouvaient nous voir d'un peu plus prés !
Si la science de l'optique a fait sur cette planète les progrés
qu'elle a accomplis sur la nôtre, les télescopes des astronomes de
Mercure, grossissant l'image de la Terre, comme nous le faisons
pour Mars et pour Jupiter, auront permis de découvrir nos taches
permanentes, nos continents et nos mers, malgré les nuages qui les
masquent si souvent. L'aspect des deux Amériques est celui qui
aura le premier frappé les astronomes mercuriens. Ils auront pu
dessiner peu à peu la géographie de la Terre, comme nous avons
dessiné celle de la Lune et celle de Mars.
Les bonnes vues doivent distinguer à l'œil nu, à côté de la Terre,
la Lune comme un point lumineux oscillant de chaque côté d'elle, à
l'est et à l'ouest. Mais l'astre le plus magnifique de leur ciel étoile est
sans contredit la planète Vénus, dont l'éclat peut en certaines
époques resplendir d'une lumière dix à douze fois plus grande que
celle que Jupiter nous envoie. Mars y paraît moins brillant que vu
d'ici; Jupiter et Saturne offrent à peu près le même aspect que vus
de notre séjour.
G' est ainsi que toutes les planètes gravitent simultanément dans le
Ciel, et que leurs habitants contemplent, sans se connaître et sans
se voir, leurs séjours célestes réciproques. Ces vérités modifient
LE .MONDE DEM E II C i; I! E
sensiblement les croyances fondées sur la prétendue dualité du Ciel
et de la Terre. Il n'est pas tout à fait indifférent à la philosophie de
savoir que nous sommes actuellement dans le Ciel, oui, actuelle-
ment, tout aussi complètement que chacun de nous pourrait y être
dans un siècle, après avoir quitté la Terre, ou que les êtres qui
habitent Sirius ou les royaumes de la Voie lactée.
En résumé, si nous récapitulons les conditions qui caracté-
risent le si^jour mercurien, nous avons sous les yeux la situation
suivante :
ÉTAT l'AUTICrLIEIl DU MUXUK DE MERCltlE
Durée certaine, de l'année. . . . 8S jours teiTestres, un inuiiis de trois mois.
Durée probable du jour 24 heures 21 minutes.
Nombre de jours dans l'année. 87.
Saisons Analoi^iies aux nôtres, mais très rapides : 22 j;iurs.
Atmosphère Probablement plus dense et plus élevée que la noir ;.
Température moyenne Probablement plus chaude que la nôtre.
Densité des matériaux j plus forte qu'ici = 1,37(), celle de la Terie étant
1,000.
Pesanteur <à sa surface. .... -i^ plus faible qu'ici = (),.j2I, celle de l;i Terri' étant
1,000.
Dimensions de la planète Inférieures à celles de la Terre. Diamètre = 0,378,
ou 1200 lieues.
Tour du monde de Mercure. . . . 3780 lieues.
Diamètre moyen du Soleil. . . . Presque 3 fois plus large que vu d'ici. = 1° 23'.
Diani. niaxinmm de la Terre. . . = 20". Brille dans le ciel comme une étoile de pre-
mière grandeur.
Tel est l'état particulier du monde de Mercure. Il est probable
que la Nature a su approprier à cet état des êtres en harmonie avec
ces conditions d'habitabilité.
A chaque pas, sur la Terre, la contemplation de la nature nous
offre des témoignages nouveaux en faveur de cette belle et grande
doctrine de la vie universelle, témoignages qu'il est difficile de ne
pas recevoir et de ne pas comprendre. Il y a quelques jours encore,
il me semblait entendre une de ces voix de la Nature annonçant la
vérité à tous ceux qui l'écoutent dans la simplicité de l'esprit. Dans
une promenade solitaire le long des plages de la basse Bretagne, je
contemplais l'Océan immense, ayant sous les yeux le golfe qui
s'étend de l'embouchure de la Loire à celle de la Vilaine, et je
m'étais assis au sommet d'un amoncellement de rochers que la
LA NATURE, — CONTEMPLATION
haute mpr couvre de ses flots, mais qui à marée basse restent sur la
rive sablonneuse comme les témoins pétrifiés de; quelque antique
cataclysme. La plage était couverte de coquillages, hier vivants,
aujourd'hui vides; le sable lui-même fourmillait d'animalcules dan-
sant aux rayons du soleil couchant; les flaques d'eau laissées par la
mer entre les roches étaient peuplées de petils poissons, de cre-
vettes sillonnant l'eau limpide, et de crabes qui se poursuivaient les
uns les autres; quelques marsouins, annonçant une tempête qui
éclata la nuit suivante au milieu des flammes d'une mer phospho-
rescente, s'avançaient jusqu'aux derniers rochers battus par les
vagues. On entendait au loin les petits oiseaux des bois gazouillant
leurs dernières notes du soir...
Il n'était pas difficile à l'imagination d'aller au delà du visible, et
de contempler l'Océan tout entier peuplé d'espèces animales et
végétales plus nombreuses que les étoiles que nous voyons au ciel.
Les sondages merveilleux opérés depuis quelques années sous
toutes les latitudes océaniques déroulèrent dans ma mémoire
le riche tableau de leurs découvertes, apprenant à la science
classique qu'elle s'est trompée jusqu'ici en imposant une limite
au développement de la vie, et que les abîmes de la mer sont
peuplés à toutes les profondeurs d'êtres organisés pour vivre dans
leur sein... abîmes noirs, éternellement obscurs, où des mollusques
fabriquent de la lumière et ont des yeux pour la sentir!... profon-
deurs supportant des pressions inouïes capables de faire éclater de
massives pièces d'artillerie ^ et habitées par de charmants êtres,
délicats, frêles, décorés de légères broderies, et se jouant dans ce
lourd milieu comme les papillons sur les fleurs! Et tandis que
l'Océan immense m'apparaissait peuplé comme la terre et l'air
d'êtres sans nombre, depuis la baleine jusqu'à l'infusoire micros-
copique dont les légions brûlent le soir dans les vagues agitées, mes
yeux s'arrêtèrent sur le rocher où j'étais assis, et s'aperçurent qu'il
était vivant lui-même ! Oui, ce bloc de pierre était tout entier
recouvert cV êtres vivants, de la grosseur de grains de chénevis,
amoncelés sur toute sa surface : pas un centimètre carré n'était
perdu, et c'étaient ces petits crustacés qui lui donnaient sa teinte
grise. Mais ce rocher n'est pas unique : toutes les roches qui
m'entouraient offraient le même tableau, étaient habitées par le
LA NATURE. — CONTEMPLATION.
même animal. Or, ces roches occupent tout le rivage, sur une lon-
gueur de plusieurs kilomètres. En ne comptant que quatre coquilles
par centimètre, soit 16 par centimètre carré, on en trouve 160,000
par mètre carré, c'est-à-dire que sur ces seuls rochers, cette espèce
vivante règne sur une couche de milliards de milliards d'individus !
Et qu'est-ce, sur la Terre, que ce point d'un rivage solitaire, remar-
qué par hasard? Un rien en vérité. Mais quoi ! ces rochers eux-mêmes
renferment mille débris d'espèces fossiles qui se sont succédé pendant
les longs siècles des périodes géologiques, et dont les squelettes
entassés forment des montagnes telles que les Alpes et les Pyrénées !
« La pierre, la terre, l'eau, l'air, tout est plein d'êtres ! pensais-jc
en me sentant ainsi entouré de toutes parts par la vie. Dans le temps
comme dans l'espace, la vie règne en souveraine, et lors même que
les corps célestes ne seraient que des rochers comme ceux-ci, la
nature nous témoigne qu'elle ne les aurait point laissés stériles et
déserts. Il faut que la vie apparaisse, il faut qu'elle s'éveille, il faut
qu'elle éclate, il faut qu'elle s'élève dans le Progrès; car c'est elle
vraiment qui existe, et le monde matériel n'est que son support... »
Je pensais ces choses en reprenant le chemin des dunes, quand mes
yeux, s'élevant vers l'occident encore rouge des dernières lueurs du
soleil couché, y reconnurent Mercure, qui brillait comme un phare
dans le crépuscule, où deux étoiles seulement, Arcturus et Véga,
étaient allumées... «Tu nous regardes, m'écriai-je, ô silencieuse
planète! et tu nous vois de loin briller dans ton ciel; mais tu te
caches pour nous dans la lumière de ton beau soleil, et tu voiles
discrètement pour nos yeux mortels la forme de ta patrie. Nous ne
pouvons distinguer tes continents et tes mers, tes forêts et tes cam-
pagnes, ni cueillir encore les fleurs enchanteresses de la vie qui
palpite sur ton sein. Mais la Nature qui t'a enfantée est la même
mère qui a enfanté la Terre, et les leçons qu'elle nous donne ici
sont faites pour nous apprendre à apprécier toutes ses œuvres. En
brillant ce soir au-dessus de cette plage inondée de vie, tu viens
toi-même de compléier ma pensée, et de t'associer à la voix im-
mense qui monte de l'Océan, des rivages et de la Terre vers le Ciel,
pour célébrer V hymne universel de la vie infinie. »
LIVRE IV
LA PLANÈTE QUE NOUS HABITONS
r i'' .f
LIVRE IV
LA PLANÈTE QUE NOUS HABITONS
CHAPITRE PREMIER
La Terre, astre du ciel.
Apivs avoir visité les planètes Mars, Mei-curc et V(''nus, nous al-
lons, sans nous arrêter au Soleil, qui n'est pas une « Terre du eiel »
e^ dont la description a été donnée en détail dans V Astronomie
popuhiirc, nnus diriger vers les planètes extérieures de notre sys-
tème, en nuus arrêtant toutefois un instant sur la Terre et un peu
plus longtemps sur la Lune.
Il peut paraître surprenant aux yeux d'un grand nombre de voir
figurer la Terre que nous habitons parmi les sujets d'un traité d'as-
tronomie, et de la voir classée ici au milieu des astres du Ciel,
comme toute autre planète. Cependant ricMi n'est plus logique, et
cet ouvrage ne serait ni complet ni exact, si ikuis oubliions le globe
qui porte nos destinées.
Notre petit plan 17/7. 170) représente nos stations successives. 11
est tracéàl'échellrdi' 1""" jwiui •> millions de lieues.
Lorsqu'on part du Soleil pour visiter successivement les provinces
^\^' sa répulilique, la Terre est la troisième province que l'on ren-
contre. Elle marche accompagnée de la Lune. C'est uui" planèlr
|.\ TEUlîK, ASÏll K l>r t.ltl-
au .nèrne titre qu. l.s autres, ai plus m muu.s uuportante qu
vo.'ue comme ses sœurs sous la puissante et douce mflueuce .l. a
..rivitati.,n universelle, vibre dans sa note particulière au milieu du
'"l'M.
Pj., ,:;i.-"iWle de la Terre et des planètes voisines.
(Échelle l'»"'=:!™'l'">°"''^ ""'"*'■
divin concert, tressaille sous les ^-'-'''"f ""!■'": "^"Z^
tonmo avec rapidité dans Vespace, et d-'"»»»^ -^ "^^^'^/'i^ nt^s
succession de ses mouvements, leurs années, leurs ^a,sons et
. jours.
LA TERUK, ASTllE DU CIEL
Oui, ce globe autour duquel végètent un milliard quatre cents mil-
lions de petits êtres humains prétendus raisonnables, est un astre
du Ciel, isolé de toutes parts dans le vide infini, situé à 37 mil-
lions de lieues du Soleil, et tournant autour de lui à cette distance,
en une révolution qui demande 365 jours 6 heures 9 minutes
10 secondes pour s'accomplir.
Il y a même une importance philosophique si capitale à considérer
la Terre comme un astre, que ce fait renferme en lui la plus grande
révolution que rimmanité ait jamais accomplie, et que le résumé des
efforts faits par l'esprit humain pour le découvrir et s'en convaincre
donnerait le tableau de toute l'histoire astronomique et religieuse de
notre monde. La première défense que les représentants du dogme
chrétien firent à Galilée, en commettant la faute si grave de le con-
damner, fut de lui interdire de donner le nom d'astre à la Terre,
car ils sentaient déjà que les sublimes vérités de l'astronomie al-
laient modifier profondément les anciennes croyances fondées sur
une prétendue supériorité de la Terre et de l'Homme dans la créa-
tion.
Toutes les idées vulgaires issues des apparences tombent devant
ce simple changement de mot. Il est incontestable que le premier
pas, et le plus difficile, que doit faire tout homme désireux de con-
naître la vérité, c'est de s'efforcer de se représenter exactement
comment la Terre est posée dans l'espace; de s'affranchir absolu-
ment de son patriotisme de clocher; de ne plus se supposer habiter
un séjour privilégié ; et de voir les choses de haut et dans leur en-
semble, comme s'il arrivait d'une autre région de l'infini. Posons-
nous donc ici ces deux grandes questions qui se complètent l'une
l'autre : Qu'est-ce que la Terre et qu'est-ce que le Ciel ?
Parmi les hommes, ou du moins parmi les hommes qui pensent
et qui se sentent à certaines heures de la vie animés du noble désir
de connaître, il en est peu qui ne se soient demandé avec une inquiète
curiosité ce que c'est que ce Ciel dont notre habitation terrestre est
couronnée. Soit au milieu de la splendeur des jours, lorsque ce ma-
gnifique azur plane glorieusement sur nos têtes et qu'à peine de
légers flocons d'argent y dessinent leur contraste ; soit au recueille-
ment du soir, quand l'astre brûlant descend majestueux dans son
lit de pourpre aux franges d'or, et que la lune rougissante apparaît
TERI'.ES DU CIEL. 50
LA TElUtE, ASTQE DU CIEL
au levant derrière les montagnes; soit au sein des nuits silen-
cieuses, lorsque les étoiles scintillantes versent dans l'espace leur
mélancolique pluie de lumière: en ces instants de contemplation et
d'entretien avec la nature, l'âme se sent anxieuse de sonder les mys-
tères de la création ; elle reconnaît que l'ignorance est un état in-
férieur, et qu'il doit être doux et satisfaisant de savoir; elle de-
mande à l'Être universel qui respire en toutes choses la révélation
de ses œuvres, et la curiosité devient presque pour elle un énergique
besoin de sortir des ténèbres et de saisir dans sa grandeur l'ordre et
le cours de l'immense univers.
Efforçons-nous donc de nous élever au-dessus des apparences,
affranchissons-nous des illusions des sens, et apprenons à juger dans
leur beauté les réalités absolues de la création. Les poètes de l'anti-
quité et des temps modernes se sont imaginé que la fiction était
plus belle et plus séduisante que la vérité ; ces poètes se sont trom-
pés. Comme l'exprimait un mathématicien profond, Euler: pour
celui qui sait comprendre la science, la nature telle qu'elle est dé-
passe de cent coudées toutes les fables et toutes les créations hu-
maines.
Notre vue, bornée à la sphère oîi nous sommes, nous montre au-
dessus de nos têtes un pavillon bleu, emnchi pendant les ténèbres
d'une multitude de points brillants. Nous sommes portés à croire
que c'est là une voûte surbaissée, formée d'une substance aèriforme
et enfermant la surface terrestre comme le ferait une coupole im-
mense. Tel est en esquisse le système des apparences. C'est celui
que nous nous représentions lorsque, enfants, nous raisonnions
d'après l'impression des sens. C'est celui que les peuples enfants
avaient adopté, car l'humanité est comme un individu qui grandit
successivement de la faiblesse ignorante au jugement analysateur.
C'est celui qu'un grand nombre d'hommes gardent aujourd'hui
même, parce qu'ils ne réfléchissent pas à sa naïveté et restent indif-
férents aux progrès des sciences. Souvenons-nous des essais anti-
ques de la pensée humaine, depuis les anciens Aryas qui portèrent
leurs tontes de fleuve en fleuve au sein des vastes Indes ; depuis les
Égyptiens dont les sphinx regardent pensivement l'horizon lointain
des grands déserts ; depuis les pasteurs chaldéens veillant la nuit
sur les montagnes, depuis les récits du Pentateuque, jusqu'à la
LA TERKE, ASTIIE DU CIEL
cosmogonie des Grecs, et jusqu'aux craintes léthargiques de notre
somlire moyen âge. Dans cet immense panorama rétrospectif de l'hu-
manilé, nous voyons dominer les idées fondées sur les apparences.
Les systèmes astronomiques diffèrent, il est vrai, dans leur forme,
selon les méthodes de raisonnement, selon les latitudes, les tempé-
raments, les caractères, les croyances religieuses ; mais au fond on
reconnaît que la charpente de tous ces systèmes, estle type que nous
venons d'esquisser : la Terre est une surface place indéfinie, entou-
rée au delà de ses limites inconnues par des abîmes de ténèbres;
le Ciel est un dôme au-dessus duquel les religions ont générale-
ment placé le séjour des récompenses après la mort, cumme elles
ont placé le séjour des châtiments sous les profondeurs du sol : in
inferis.
La Terre était fixe et immobile, au bas du monde. De plus, chaque
peuple avait naturellement la petite vanité de se croire au milieu
de la surface habitée. Au-dessous de cette surface se perdaient les
fondations mystérieuses dont parlait déjà Job il y a trois mille ans,
lorsqu'il s'écriait : « Où étiez-vous quand je jetais les fondements de
la Terre? » On était naturellement convaincu que cette terre était
solide, qu'il n'y avait aucun danger à ce qu'elle s'enfonçât, et qu'elle
était immuable. Quant à ses limites, les uns la voyaient en-
tourée d'océans ou de marais ; d'autres parlaient de ténèbres
mélangées avec du mouvement et du repos ; d'autres plus hardis,
des moines du X* siècle de notre ère, déclarent que, en faisant un
voyage à la recherche du paradis terrestre, ils avaient trouvé le
point où le ciel et la terre se touchent et avaient même été obligés de
baisser les épaules! Le dôme transparent posé sur le royaume des
vivants devint assez sûr lui-même pour servir de base à un royaume
de morts, ou plutôt d'âmes trépassées, et plus tard de ressuscites,
qui devait durer toute l'éternité.
iSos espérances sur la vie future, et notre conception de l'Être
suprême, doivent aujourd'hui prendre une tout autre forme :
empyrée, paradis, purgatoire, enfer, limbes, ont disparu depuis
l'invention du télescope; il n'y a pas d'autre ciel que l'espace
au sein duquel nous planons nous-mêmes, et pas d'autres lieux
de séjour extra-terrestre que les astres qui gravitent dans l'infini.
Comme Mercure, comme Vénus, notre planète plane dans lo Ciel.
LA TERKE, ASTRE DU CIEL
Il faut que nous voyions clairement eu elle un globe suspendu sans
aucune espèce de support, au milieu du vide immense. Nous avons
drja vu que pour les habitants de Mars, Vénus et Mercure, elle brille
de loin comme une étoile.
La, Terre est une sphère isolée dans V espace et cet espace se
prolonge à Vinftni dans tous les sens et tout autour d'elle.
A t'i/ifinil... et tout autour de nous ! en haut, en bas, de côté,
partout. Comment concevoir une telle immensité ? Et qu'est-ce que le
globe terrestre au sein d'un pareil abîme?... Supposons que, voulant
mesurer cet infini, nous partions de la Terre comme point de dé-
part, et que nous nous dirigions vers un jjoint quelconque du
Ciel. Eh bien ! quelle que soit la région de l'espace vers laquelle
nous nous dirigions en ligne droite et sans jamais interrompre
notre course, — lors môme que nous nous enfoncerions dans ce
vide avec la vitesse de la lumière, 75000 lieues par seconde,
450000 lieues par minute, 270 millions de lieues par heure, — quel
vertige!... nous pourrions voler pendant des jours, des semaines, des
mois, des années entières... avec cette vitesse constante... pendant
des siècles, pendant des milliers et des millions de siècles... et nous
n'atteindrions jamais, y«w«/,s, aucune limite à cette immensité...
A mesure que les abîmes se refermeraient derrière nous, d'autres
abîmes s'ouvriraient en avant, perpétuellement, sans fin ni trêve,
quelque soit le nombre des siècles accumulés en notre voyage ; sans
cesse l'immensité resterait béante ; et nous épuiserions plutôt la
série des siècles possibles, nous absorberions le temps, nous nous
identifierions avec l'éternité, plutôt que de vaincre cette puissance
de l'infini, qui, inaccessible, fuirait toujours et toujours...
Enfin, nous arrêtant, exténués, repliant nos ailes fatiguées de cet
essor séculaire, désespérés du but, nous voulons mesurer du regard
et de la pensée l'espace que nous avons parcouru; nous voulons
deviner où nous sommes et nous reconnaître... Mais quoi ! nous
voici seulement au... vestibule de l'Infini... Que disons-nous au ves-
tibule! En réalité, notre long et incommensurable voyage, après des
millions de siècles de ce vol insensé, serait identiquement comme si
nous étions restés dans le repos le plus complet. Devant l'Infini
nous n'aurions pas avancé d'un seul pas ! ! !
Si donc, considérant un instant le globe terrestre comme unique
LA TEURE, ASTRE DU CIEL
dans cet infini qui l'environno do toutes parts, nous supposions
qu'il pût y tomber comme un boulet dans un abîme, ce globe tom-
berait, tomberait pendant des siècles de siècles, et continuerait de
tomber incessamment, toujours, sans que dans toute la durée de
l'éternité il put jamais approclier du fond de l'abîme. Après mille
siècles de chute, il continuerait de tomber pendant mille siècles
encore, et pendant mille siècles, et cela sans jamais descendre
en réalité ! Ce serait absolument comme s'il restait en repos, car,
en fait, le chemin qu'il aurait parcouru ne serait jamais que zéro,
comparé à l'Infini.
Porté dans l'étendue par les lois mystérieuses de la gravitation
universelle, notre globe court dans l'espace avec une rapidité que
notre pensée la plus attentive peut difficilement saisir. Obéissant au
Soleil, il tourne autour de lui à la distance moyenne de 37 millions
de lieues, sur une orbite qui ne mesure pas moins de 232 millions
50O mille lieues à parcourir en 365 jours 6 heures. Pour accomplir
cette translation, il faut voler avec une vitesse de 643000 lieues
par jour, 23800 lieues à l'heure, 29450 mètres par seconde.
Le train express le plus rapide, emporté par l'ardeur dévorante
de la vapeur aux ailes de feu, ne peut parcourir au maximum plus
de 100 kilomètres à l'heure, c'est-à-dire 25 lieues : sur les routes invi-
sililes du Ciel, la Terre vogue avec une vitesse 1100 fois plus rapide.
La différence est telle qu'on ne saurait l'exprimer géométriquement
ici par une figure. Si l'on représentait par 1 millimètre seulement
la longueur parcourue en une heure par la locomotive, il faudrait
tracera côté une ligne de I mètre 10 centimètres pour représenter
le chemin comparatif parcouru par notre planète pendant le même
temps. Nulle vitesse appréciable ne peut nous donner une idée de
celle, de la Terre. Ajoutons, comme point de comparaison, que la
marche d'une tortue est environ 1 100 moins rapide que celle d'un
fiain express. Si donc on pouvait envoyer un train express courir
après la Terre, c'est exactement comme si l'on envoyait une tortue
courir après un train express ! Nous volons, du reste, soixante-
quinze fois plus vite qu'un boulet de canon !... Et c'est ce jouet dont
les Bibles anciennes faisaient la base de toute la création !
Situés comme nous le sommes autour du globe, mollusques infi-
niments petits collés à sa surface par son attraction centrale et
-A TERHE, ASÏRt DU CIEL
emportés par son mouvement, nous ne pouvons apprécier ce mou-
vement ni nous en rendre compte directement. La seule méthode
que nous puissions employer pour sentir exactement la condition
cosmographique de la Terre, serait de nous supposer placés non plus
sur elle, mais à côté, dans l'espace, et immobiles, au lieu d'être,
comme nous le sommes, entraînés par son propre mouvement.
Ainsi isolés de ce globe, nous pourrions l'observer sans parti pris,
sans idée préconçue, et constater son mouvement, étant dans la
situation de celui qui voit passer devant lui un train rapide sur
une voie ferrée.
Ainsi placés dans l'espace, non loin de la route céleste suivie par
le globe dans son cours, nous verrions d'abord ce globe venir de
loin, soies l'aspect d'u7ie étoile grandissante. Son volume appa-
rent s'accroissant à mesure qu'il approche, nous le verrions ensuite
avec le diamètre de la Lune dans son plein. Alors déjà nous pour-
rions distinguer sa surface, les continents et les mers, le pôle écla-
tant de blancheur, l'atmosphère marbrée de nuages. Bientôt le
globe, s'entlant davantage, nous apparaîtrait grandissant toujours.
Nous reconnaîtrions les diverses parties du monde, les deux vastes
triangles verts de l'Amérique, l'Europe déchiquetée dans ses rivages,
l'Afrique ocrée, les bandes nuageuses équatoriaies. Notre attention
chercherait à distinguer les plus petits détails de sa surface, entre
autres, sans doute, une région verdoyante qui n'en occupe que la
millième partie et qu'on appelle la France... Mais quoi ! voilà ce
boulet tourbillonnant qui grossit, qui grossit encore. Soudain il
occupe le ciel entier, se dressant, monstre colossal, devant
notre vision effrayée. Nous percevons un instant le vague tu-
multe des bètes féroces des tropiques et aussi celui de l'artil-
lerie toujours grondante de notre intelligente humanité... Mais
l'immense sphère est passée avec la rapidité de l'éclair : la voilà
qui s'enfonce dans les profondeurs béantes de l'espace; puis,
se rapetissant à mesure qu'elle s'éloigne, elle s'enfuit, diminue,
et disparait en se perdant dans l'infini...
C'est sur ce boulet que nous rampons tous, disséminés autour de
sa surface comme d'imperceptibles fourmis, et emportés dans l'es-
pace insondable par la force vertigineuse de la gravitation uni-
verselle.
LA TlilîUE, ASTRE DU CIEL
Ce boulet mesure 12732 kilomètres, ou 3183 lieues de largeur,
et 40000 kilomètres, ou 10000 lienes de tour. Sa surface est de
509 millions de kilomètres carrés, ou environ 50 milliards (riiec-
tares, terres et eaux comprises. Les terres n'occupent que 130 mil-
lions de kilomètres carrés, c'est-à-dire 13 milliards d'hectares.
Son volume mesure environ 1 000 milliards de kilomètres cubes.
Sa densité surpasse de cinq fois et demie celle de l'eau. Le poids
de ce globe, cinq fois et demie plus lourd qu'un globe d'eau de
même dimension, est de 5 875 scxfiliions de kilogrammes :
5 875 000 000 000 000 000 000 000 .
Ce volume et ce poids nous paraissent énormes! Et pourtant le
volume du Soleil surpasse celui de la Terre de 1279000 fois, et son
poids égale celui de 324000 globes terrestres réunis!
L'atmosphère qui entoure la Terre pèse 6263 quatrillions de kilo-
grammes, c'est-à-dire environ un million de fois moins que le globe.
C'est sous cette couche d'air que nous rampons, comme les huîtres
sous la mer, en supportant sur nos épaules une pression de 1000 ki-
logrammes par mètre carré, ou de 15500 kilogrammes pour la
surface tota^ de notre corps. Et nous ne pouvons pas, même seule-
ment comme les oiseaux, nous élever au-dessus de ces bas-fonds,
auxquels nous retient le boulet de la pesanteur. Q^ielquefois, il est
vrai, l'aérostat céleste daigne nous transporter dans les régions
aériennes, mais ce n'est que pour nous faire regretter davantage
notre condition ordinaire.
En outre du mouvement de tran^^lnfinn qui vient de s'oiïrir s
nos regards, la Terre est le jouet d'un grand nombre d'autres mou-
vements que nous pouvons résumer comme il suit :
D'abord sa rotation la fait tourner sur elle-même, pirouottcr en quelque
sorte, en 24 heures ('), donnant à ses diffpronfes latitudes une vitesse
(') La Terre tourne sur ellp-môme en 23' .ïG" 4'. Ce serait In durée exacte du jour et de
la nuit réunis, si notre îjlobe ne tournait pas autour du Soleil: mais comme il se
déplace dans l'espace, lorsqu'un point quelconque du globe revient au liout de cet
inlcrvalle dans la même position absolue qu'il occupait au comnieucenicnt, le Soleil
parait s'être déplacé en sens contraire du mouvement de translation de la Terre, et pour
(juc notre point arrive de nouveau devant lui, il faut que la Terre continue de tourner
sur elle-même pendant encore 3™ 30'.
C'est ce qu'il est très facile de saisir sur une figure. Considérons le glohe terrestre en
un moment quelconque, et supposons que le point .V se trouve juste devant le Soleil
LA TEIIKE, ASTliE DU CIEL
ditl'ei'L'ute, suivant leur distance à luxe de rotation. A l'équateur, où.
la vitesse est maximum , la surface terrestre est l'orcée de parcourir
iOOOOÛOO de mètres par jour, ce qui donne iO'i mètres par seconde. A la
latitude de Paris, où le cercle est sensiblement moins yrand, la vitesse
est de 305 mètres par seconde; aux pôles mêmes elle est nulle. — L'n
troisième mouvement luit osciller la Terre sur le plan de l'orbite qu'elle
décrit autour du Soleil et diminue actuellement l'obliquité de técliptique
pour la relever dans l'avenir. — Un quatrième fait varier la courbe que
notre planète décrit autour du Soleil, et tempère Xexentricilé de cette
ellipse pour la rapprocher d'un cercle, qui de nouveau s'allongera sous
B^yy//yy/yy/?7'ww^/iiii:n;iTii)!iîii!iiMj!ijij'i:i:iTiTi'ra!i'i'\TïïAvmïVAïïmAA»
Fig. 180. — Translation k-x rotation dp la Terre. — Jour siilé
et jour solaire.
les influences planétaires. — Un cinquième mouvement déplace lente-
ment le périhélie, qui fait le tour de l'orbite en 21000 ans, si bien que
dans cet autre cycle les saisons prennent .successivement la place l'une
de l'autre. — Un sixième mouvement, celui (pii constitue Va prrces^iion àc-s
ifia;iirc 180, position de gauchcV Lorsque la Torrc aura accompli sa rotation, elle se sera
transportée à la position de droite, et le méridien .\ se retrouvera comme il était ; mais
le Soleil aura reculé vers la gauche pendant que la Terre avançait dans son cours vers
la droite, et jiour ([ue le point .\ revienne de nouveau devant le Soleil, il tant ajouter
irilG" ; et cela, tous les jours de l'année, .\insi entre deux midis il y a 2V heures juste,
ou 8G400 secondes ; tandis i[u'entre deux passages d'une étoile au méridien il n'y a que
2.S'' .')G" 4', ou 80164 secondes. Le jour de 24 heures est le Jour solaire ou civil. Le jour
de 23"o0'"4' est le jour sidéral. Il en est de même pour tmiles les planètes : le
l.A TKIÎ l!K, ASÏUK I) i: CIEL
ef/tiinoxes, fait afcomplir à Taxe terrestre une rotation lente (jui ne dure
pas moins de 25765 ans, et en vertu de laquelle toutes les étoiles du ciel
chauffent chaque année de position apparente, pour ne revenir au même
point qu'après ce grand cycle séculaire. — Un septième mouvement, dû
à laction de la Lune et nommé nu/a/ion, fait décrire au pôle de l'équaleu)
sur la sphère céleste une petite ellipse de 18 ans et 8 mois. — Un hui-
tième mouvement, dû à la même attraction lunaire, accélère la mardi,
de notre globe un peu plus vite lorsque la Lune est devant lui (premiei
quartier) et la retarde lorsqu'elle est en arrière (dernier quartier). — U-
neuvième mouvement, cause par l'attraction des planètes, et principa-
^ wlerpepnjçpMî,
y pou'
t'hemisphàre austral
Ki^. 181. — 1..1 Tenr au miIsiui' de juin ; iluri'i' du jour >i'loii les lati'i
nomhro de jours solairos dont se compose leur année est toujours infiTicur d'une
unité à celui de leurs jours sidéraux.
I.e globe terrestre ayant inodO lieues de circonférence, on voit qu'en vertu de sa rota-
tion, un point de l'équateur court en raison de lf)70 kilomètres par heure. Surface du
globe, mers, atmosphère, nuages, ioui ce qui appartient à la Terre est emporté par ce
même mouvement diurne, et par conséquent tout parait en repos autour de nous. Cette
force est si considérable, que si le mouvement de rotation de notre planète était cnniyé
brusquement, si une main colossale Farrêtait, la catastrophe la jdus épouvantable
en serait la conséquence. Tous les êtres vivants en seraient instantanément brisés par
im choc sans cause matérielle apparente ; les mers se jetteraient sur les continents,
qu'elles engloutiraient, et le iiunivement, arrêté, se transformant en chaleur, élè-
verait le globe entier à une si haute température, qu'il brûlerait sur place, dans
une chaleur rouge égale au l'eu d'une niasse de houille quinze fois plus grosse que le
:.'lobe terrestre... Le mouvement de translation est beaucoup plus énergique et plus
lormidable encore. Si une volonté suprême ordonnait à la Terre de s'arrêter dans
son cours autour du Soleil, son mouvement de translation se transformant en chaleur,
notre planète tout entière se volatiliserait et s'évanouirait à l'élat de vapeur, connue une
nébuleuse.
TF.r.RES DU CIEL 51
LA TF.Il r.E, ASTUE DU CIEL
lement par le monde gigantesque de Jupiter et par notre voisine Vénus,
occasionne des 7JP?'<K?-6fl/w/«.s-, calculées d'avance, sur la ligne décrite pat
notre planète dans sa révolution annuelle, la gonflant ou l'aplatissant,
selon les variations de la distance. — Un dixième mouvement fait tournei
le Soleil le long d'une petite ellipse dont le foyer est dans l'intérieur de
la masse solaire, et fait tourner le système planétaire tout entier autoui
de ceceiitre commun de gravité. — Enfin, un onzième mouvement, plus con
sidérable encore que les précédents, nous montre le transport du système
planétaire entier à la remorque du Soleil à travers les cieux incommen-
surables. Le Soleil n'est pas immobile dans l'espace, mais il se meut et
nous emporte avec lui vers la constellation d'Hercule. La vitesse de ce
mouvement général est de plus de 200000 lieues par jour. Les lois
('.u mouvement invitent à croire que le Soleil gravite autour d'un centre
encore inconnu pour nous. Mais peut-être aussi tombe-t-il en ligne
droite dans l'infini, entraînant avec lui tout son système de planètes et
de comètes... Il pourrait tomber éternellement, sans jamais atteindre le
fond de l'espace, et sans que nous puissions même nous apercevoir de
cette chute immense autrement que par l'examen minutieux des pers-
pectives changeantes des cieux.
Avant que ces vérités fussent devenues populaires, on pouvait encore
garder pour notre planète l'illusion patriotique de la croire au milieu
du système solaire, entourée du chœur des harmonies planétaires, comme
le rappelle la vignette placée en tête de ce chapitre, fac-similé d'une
figure composée sous Louis XV. Maintenant notre petite planète ne peut
même plus garder cet apparent privilège.
L'examen de notre planche II (p. 402) fera bien exactement comprendre
le mouvement annuel de notre planète autour du Soleil et l'inclinaison de
son axe de rotation diurne. On voit qu'aux équinoxes le jour est égal
à la nuit pour toute la Terre et qu'aux solstices chaque pôle est tour à
tour plongé dans la lumière et dans la nuit. Si nous suivons la Terre
dans sa marche, nous verrons qu'à mesure qu'elle avance vers l'été, le
pôle nord est de plus en plus éclairé jusqu'au solstice de juin, où le
Soleil illumine tout le cercle polaire. A cette époque nous comptons, à la
latitude de Paris, 16 heures de jour et seulement 8 heures de nuit : le
Soleil est alors élevé dans le ciel de 23°27' plus haut que l'équateur. Puis
la Terre s'avance dans son cours, en abaissant le pôle nord et relevant
le pôle sud, jusqu'à l'équinoxe de septembre, où la situation est symé-
trique à celle de mars, et jusqu'au solstice de décembre, où elle est l'op-
posée du solstice de juin. Alors c'est le pôle sud qui est éclairé, tandis
que le pôle nord est dans l'ombre; la journée n'est plus que de 8 heures
ici, et la nuit règne pendant 16 heures (abstraction faite des crépuscules);
le Soleil ne s'élève qu'à 23°27' au-dessous de l'équateur, c'est l'hiver pour
notre hémisphère et l'été pour l'hémisphère sud.
SOLSTICE DHIVER
?J.3.a 301iS10S
LA TERRE, ASTRE DU CIEL
Pour bien apprécier l'influence de cette inclinaison de l;i Terre sur les
climats et sur les conditions de la vie, il sera utile d'examiner le des-
sin précédent [fig. 181) sur lequel sont inscrites les durées du jour
qui correspondent à chaque latitude.
Cette appréciation de la situation de la Terre dans l'espace sera com-
plétée par l'examen du tableau suivant (yîy. 182 et 183), qui représente,
d'après les croquis de Proctor, la position de notre globe, vu du Soleil à
midi, pour chaque mois de l'année. On voit au premier coup d'oeil le polo
sud se retirer à p-^.rtir du solstice de déaembre, les deux pôles s'effacera
l'équinoxe de Mars, le pôle Nord arriver progressivement devant le Soleil,
pour s'éloigner après le solstice de juin, et ainsi tour à tour les diverses
contrées du globe recevant plus ou moins obliquement l'illumination
solaire. La position de la Terre est donnée pour le 21 de chaque mois.
La rotation de la Terre a produit à ses pôles un aplatissement de ^.
Ces mouvements différents qui emportent l'astre-Terre dans l'im-
mensité sont connus, grâce au nombre colossal d'observations faites
sur les étoiles depuis plus de quatre mille ans, et grâce à la rigueur
des principes modernes de la mécanique céleste. Leur connaissance
constitue la base essentielle de la plus haute et de la plus solide des
scipnces. La Terre est désormais inscrite au rang des astres, malgré
le témoignage des sens, malgré des illusions et des erreurs séculaires,
et surtout malgré la vanité humaine, qui longtemps s'était formé
avec complaisance une création à son image. Sollicité par tous ces
mouvements divers, dont quelques-uns, comme celui des pertur-
bations, sont d'une complication extrême, le globe terrestre vogue
dans le vide, tourbillonnant, se balançant sous des inflexions va-
riées, saluant les planètes ses sœurs, courant avec une vitesse
insaisissable vers un but qu'il ignore. Les ondulations successives
de son cours forment un système continu d'hélices entrelacées.
Depuis qu'elle existe, la Terre n'est pas passée deux fois au
même encb'oit, et le lieu que nous occupons à l'heure môme où
vous lisez ces lignes, s'enfonce avec rapidité derrière notre sillage
éthéré pour ne plus jamais revenir! La surface terrestre elle-même,
du reste, se modifie chaque siècle, chaque année, chaque jour,
et les conditions de la vie changent à travers l'éternité comme à
travers l'espace. C'est ainsi que la marche du monde effectue sou
cours mystérieux, et que les êtres, comme les clioses, ne conti-
nuent d'exister qu'en subissant de perpétuelles métamorphoises.
LA TERRE, ASTRE DU CIEL
Mai. Juiu.
FIg. 18-2. - PosIHou! de la Terre devant réclairenient solaire, à midi, pendant les douze mois de l'année.
LA TERRE, ASTRE DU CIEL
Moïembie. Uccembre.
Flg. 183. — Positions de la Terre devant l'éclaireraent solaire, !k midi, pendant le» douie mois de l'anné»
40é LA TERKK, ASTRE DU CIEL
La Terre où nous sommes est donc un astre. C'est la vérité fon-
damentale dont nous devons bien nous pénétrer une fois pour
toutes. Elle est une planète circulant annuellement autour du Soleil;
en même temps qu'elle, les autres planètes du système jjravitent
dans le même sens, avec des vitesses différentes, formant un har-
monieux concert autour du Soleil illuminateur.
Ainsi, nous sommes actuellement dans le r<>/; nous y avons
toujours été, et nous ne pouvons pas en sortir. Telle est la vÉarrÉ,
importante à plusieurs titres, que la connaissance de l'astronomie
nous invite à comprendre et à méditer (').
Entrons maintenant dans quelques détails sur ces mouvements :
L'obliquité de l'écliptique, c'est-à-dire l'inclinaison de l'équateur de la
Terre sur le plan dans lequel notre planète se meut annuellement autour
du Soleil, diminue actuellement, eu raison de i7" par siècle. Mais cette
diminution s'arrêtera, et l'oscillation est renfermée entre des limites res-
treiii es. L'amplitude n'est que de 2° 37' 22" et ses limites sont :
24" :i;i' o8"
et 21 . ;;8 . 36
Priiiiinales meswes .
ItOO ans avant J.-C. Thou-Kong à Loyang (ChinL"). . . 23'54'2"
3oO — — Pythoas ;i Marseille 23.10.20
140 — — Hipparque à Alexandrie 23. 5t. 20
890 ans après J.-C. .\lbategiii à Antioche 23.35.41
1430 — — Ulugh Beigh à Samarkande. . . 23.31.48
1655 — — Cassini à Bologne i!. 29.15
1757 — — Bradley. Obs. de Greenwich. . . 23.28.14
1841 — — Bouvard. Observatoire de Parus. 23.27.35
1868 — — Airy. Ohs. de Greenwich 23.27.22
Elle est actuellement (1883) d.' 2:j.2T. 7
Cette diminution ne se continuera pas, et nous n'aurons jamais de
printemps perpétuel, de même qu'on en a jamais eu. Cette variation est
due à l'attraction que les planètes exercent sur la Terre, et se trouve ainsi
liée à un cycle de toutes leurs influences réunies. La mécanique céleste
(') Cette VÉRITÉ est si capitale aa point de vue philosophique que le premier soin de
la congrégation de VIndex, a été d'ordonner d'effacer des ouvrages de Copernic et de
Galilée, le mot astre toutes les fois qu'il était appliquée la Terre, et que même au
foyer de Paris, à la Sorbonne, il fut interdit de donner ce nom à notre planète et d'en-
seigner son mouvement. Lorsque, sous la pression de la vérité démontrée, il fut
impossible de continuer ce système, on permit d'enseigner le niouvement de la Terre
comme une hypothèse commode mais fausse!
LA TERRE, ASTRE DD CIEL
démontre que cette diminution s'arrêtera dans les siècles à venir, et
qu'un mouvement contraire du plan de l'écliptique succédera au premier.
Cette variation n'est d'aucune influence sur les climats de la Terre (').
Nous avons vu que l'orbite terrestre n'est pas circulaire, mais ellip-
tique. Son excentricité est de 0,01679. En effet, si nous prenons pour
unité la distance moyenne de la Terre au Soleil, ou le demi-grand axe de
l'orbite, nous avons :
En kilomètres.
nist:inci'pi'rih('lii' 0,98321 146 000 000
— moyenne 1,00000 148 000 000
— aphélie 1,01079 150 000 000
La Terre est donc de -j 000 000 de kilomètres, ou de 1 250 000 lieues
plus près du Soleil lorsqu'elle passe à son périhélie que lorsqu'elle passe
à son aphélie. La première position arrive le 1" janvier, et la seconde le
1" juillet. Cette différence d'éloignement n'empêche pas que la tempéra-
ture ne soit moins élevée sur notre hémisphère boréal à la première de
ces dates qu'à la seconde, parce que cette température est déterminée par
l'inclinaison des rayons solaires et par la durée du jour. Toutefois, comme
l'hémisphère austral a alors l'été, il reçoit plus de chaleur du Soleil que
nous dans la proportion de la différence d'éloignement : environ un
quinzième.
Cette excentricité de t orbite terrestre ii'est pas constante non plus. Elle
diminue lentement de siècle en siècle, \oici quelques chiil'res qui mon-
trent la lenteur de sa variation séculaire :
EXCE.MP.ICITÉ r)E I.'oniilTE TEnnESTr.K.
Il y a 100000 ans (maxiinuiii, 0,0473
70000 ans 0,0.316
«ÎOOOO ans 0,0131
10000 ans. 0,01S7
.Viij mr.i'hui 0,0168
Dans 10000 ans 0,01ob
23900 ans (minimum) 0,0033
oKOOO ans 0,0173
70000 ans 0,0211
100000 ans . . 0,0189
(') Un de nos savants astronomes anyluis contemporains,